Le Canard enchaîné interdit au Maroc cette semaine

Le Canard enchaîné n’est pas entré au Maroc cette semaine. Contrairement à ce qui a pu être le cas auparavant, notamment lors de l’interdiction de diffusion de France Soir suite à sa publication des caricatures danoises, il n’y a pas eu de communication officielle là-dessus. Impossible donc de savoir quelle disposition légale sur laquelle se fonde cette interdiction. On peut cependant présumer qu’il s’agit de l’article 29 du Code de la presse et de l’édition:

L’introduction au Maroc de journaux ou écrits périodiques ou non, imprimés en dehors du  Maroc, pourra être interdite par décision motivée du Ministre de la communication lorsqu’ils portent  atteinte à la religion islamique, au régime monarchique, à l’intégrité territoriale, au respect dû au Roi ou à l’ordre public.

L’article litigieux est reproduit ici. Il raconte comment la société française Amesys, spécialiste en matériel informatique d’espionnage et de sécurité, a vendu du matériel de surveillance informatique à la Syrie, au Qatar et au Maroc, permettant à ces pays de surveiller leurs dissidents cybernautiques. On a du mal à voir comment les informations factuelles contenues dans cet article pourraient justifier une interdiction d’entrer sur le territoire marocain. C’est sans doute la caricature du Roi, ainsi que le titre de l’article – « La haute technologie française fait le bonheur des tyrans » – qui ont motivé cette décision, ces aspects-là dénotant sans doute aux yeux du ministre de la communication – censé gérer les affaires courantes – une « atteinte au respect dû au Roi« .

Il faut néanmoins souligner qu’il existe un autre texte répressif pertinent, le dahir n° 1-56-204 du 19 décembre 1956 réglementant la reproduction  des traits de Sa Majesté le Roi et de Leurs Altesses Royales, ses enfants (BO n° 2307 du 11 janvier 1957, p. 32). Voici ce texte:

Article premier: L’exposition, la diffusion, la mise en vente, la vente des photographies, gravures, dessins, peintures, estampes, sculptures, timbres, effigies et en général de toutes les reproductions des traits de Notre Majesté ou de leurs Altesses royales, doivent être soumises à l’autorisation préalable du directeur de cabinet impérial qui accordera son visa sur présentation de maquettes ou de photos conformes.

Ladite autorisation est également requise pour la reproduction, en dessin ou photographie, des traits de Notre Majesté ou de leurs Altesses royales sur les tracts et prospectus émis notamment à des fins sociales, politiques ou commerciales.

Article 2: Toutes les reproductions exposées, diffusées, mises en vente ou distribuées devront obligatoirement porter mention du nom de l’auteur et du numéro de visa accordé.

Article 3: Toute infraction aux dispositions du présent dahir sera punie d’une amende de 500 à 50.000 francs et d’une peine d’emprisonnement de huit jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement.

Seront punies des mêmes peines, les falsifications et déformations des objets pour lesquels a été obtenu le visa préalable du directeur du cabinet impérial.

Il sera procédé à la saisie administrative des exemplaires et reproductions interdites. Le tribunal prononcera la confiscation desdits exemplaires et reproductions.

On voit donc que ce texte aurait également pu servir de base à l’interdiction d’entrer sur le territoire marocain du Canard enchaîné de cette semaine – plus particulièrement l’article 3 alinéa 3 de ce dahir – la saisie peut avoir lieu par voie administrative, la confiscation étant prononcée par le tribunal compétent (qui n’est pas désigné par le dahir – s’agissant d’un texte répressif, les règles de droit commun du Code de procédure pénale devraient trouver à s’appliquer, et le tribunal de première instance géographiquement compétent pourrait se prononcer). Or, encore une fois, aucune décision n’ayant été rendue publique – sans doute par gène, surtout si le texte choisi pour saisir le Canard enchaîné à son entrée au Maroc est le dahir de 1956… Par contraste, les éditions anciennes du BO datant de l’époque du Protectorat contiennent de très nombreuses décisions de saisie ou de fermeture de revues et périodiques, pour motifs politiques. Ce régime a décidément un problème avec la transparence de ses décisions – faute sans doute d’avoir le courage de les assumer.

Voir aussi:
– « Le Canard enchaîné censuré au Maroc ?« ;
– « Un Canard introuvable dans les kiosques marocains« 

4 Réponses

  1. et pourtant on a affirmé qu’il se trouve dans les kiosques à la disposition
    de ceux et celles qui veulent l’acquérir…
    il y en a même qui se sont photographiés tenant un exemplaire…
    alors qui croire ???
    moi, de toutes façons, je ne peux le trouver à SIDI BENNOUR, puisqu’il
    ne parvient pas à la localité où je me trouve, donc je ne peux vérifier..
    si vous êtes trompé vous devez vous excuser à vos lecteurs, par
    honnêteté intellectuelle…
    si vous ne vous êtes pas trompé alors, merci pour votre analyse qui
    reste instructive en tout état de cause…

  2. Concernant l’amende -article 3-, prière de compter en anciens francs français puis convertir en euros et par suite effectuer le change en dirhams (100 anciens francs = 1 nouveau franc & 1 euro = 6,57 nouveaux francs). A l’époque le dirham n’étant pas encore créé et les dahirs d’avant 1957 tiennent toujours compte que le chef de l’Etat marocain est un sultan (cabinet impérial…)

    Mention spéciale au nom de bapteme de l’opération d’espionnage cybernétique de l’espace marocain de liberté d’expression : Popcorn !

  3. Le numéro en question n’a pas été interdit. Le distributeur Sochepress m’a affirmé qu le numéro a bien été distribué aux vendeurs de journaux marocains. Je l’ai vu moi-même en vente à la gare Rabat-Agdal. D’autres amis assurent l’avoir vu en vente à Casablanca. La rédaction d’Actuel l’a reçu également.

  4. @RimDivision
    Ce numero du canard enchaine a bien ete interdit au Maroc.
    Seuls les abonnes qui le recoivent par poste on pu le recevoir. Aucun kiosque, je dis bien aucun, n’a ose le vendre ou meme le recevoir.
    Il y’a toujours plein de lignes rouges au Maroc. Trop meme de lignes rouges.

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