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Simon Wiesenthal, une imposture?

Via le blog suédois Motbilder j’ai lu un billet  reprenant les révélations d’un récent ouvrage britannique – « Hunting Evil« , traduit en français sous le titre « La traque du mal » – écrit par le journaliste Guy Walters du Daily Telegraph, et qui est consacré à la traque des criminels de guerre nazis après la seconde guerre mondiale. La révélation la plus remarquable de cet ouvrage serait – je ne l’ai pas lu – le caractère mythomane de Simon Wiesenthal, le plus célèbre chasseur de nazis, fondateur du Simon Wiesenthal Center qui est passé de la traque des anciens criminels de guerre nazis à l’apologie d’Israël. Les sites antisémites et révisionnistes – attention si vous cherchez des liens vers ce livre: 80/90% mènent vers ce type de sites – s’en étaient faits l’écho auparavant, mais là c’est le fait d’un journaliste britannique qui n’est pas soupçonnable de complaisances coupables.

Guy Walters est très sévère:

In June 2009, British author Guy Walters published a book entitled Hunting Evil in which he characterised Wiesenthal as « a liar — and a bad one at that« . « He would concoct outrageous stories about his war years and make false claims about his academic careers. » Walters found that there were « so many inconsistencies between his three main memoirs and between those memoirs and contemporaneous documents it is impossible to establish a reliable narrative from them. Wiesenthal’s scant regard for truth makes it possible to doubt everything he ever wrote or said. » (Al Ahram Weekly)

Why so down on Simon Weisenthal?

Because he’s a liar. He’s just not this secular saint that everyone says he is. His memoirs all contradict each other and are at odds with the rest of the evidence. The Weisenthal Centre claims 1100 Nazi scalps, but the true figure is about 10. The Centre bought his name in the 1970s and is basically an Israeli brand builder fighting anti-Semitism. (Fivebooks.com)

Quelques exemples de ces mensonges:

  • Simon Wiesenthal aurait menti sur son rôle dans la traque couronnée de succès d’Adolf Eichmann: « The capture of Adolf Eichmann by Mossad agents in 1960 in Argentina is particularly well reconstructed in fine and page-turning detail, revealing that rather than being Wiesenthal’s greatest triumph, as he claimed, his very limited contribution was more of a hindrance than a help » (The Daily Telegraph);
  • Un détail mensonger: si dans la première de ses trois autobiographies il affirme avoir remis le dossier original qu’il détenait sur Eichmann à Yad Vashem, dans les deux suivantes il affirmait l’avoir conservé, selon Guy Walters (BBC);
  • Il aurait également menti sur ses diplômes universitaires – il n’en aurait pas: « Although most biographies — including that on the Simon Wiesenthal Center’s website — say he graduated, he did not complete his degree. Some biographies say he gained a diploma as an architectural engineer at Lvov polytechnic in Poland, but the Lvov state archives have no record of his having studied there and his name is absent from Poland’s pre-war catalogue of architects and builders. He claimed fraudulently throughout his life that he did have a diploma; his letterheads proudly display it. » (The Times);
  • Il aurait menti sur le nombre de criminels de guerre nazis qu’il aurait aidé à capturer, nombre plus proche de dix que des mille qu’il aimait citer (The Daily Telegraph);
  • Selon les versions, un certain Adolf Kohlrautz, civil allemand qui l’aurait sauvé, est mort en 1944 ou en 1945, ou l’aurait ou ne l’auait pas sauvé: « According to Wiesenthal, Kohlrautz was killed in the battle for Berlin in April 1945. He also told a biographer, however, that Kohlrautz was killed on the Russian front in 1944. And in an affidavit made in August 1954 about his wartime persecutions, he neglects to include the story at all. In both this document and in his testimony to the Americans in May 1945, he mentions Kohlrautz without saying the German saved his life. » (The Times);
  • Ses activités entre octobre 1943 et la mi-1944 sont perdues dans le brouillard de ses versions successives: « From this point in Wiesenthal’s war it is impossible to establish a reliable train of events. With at least four wildly different accounts of his activities between October 1943 and the middle of 1944 — including his alleged role as a partisan officer — serious questions must be raised » (The Times);
  • La façon dont il relate l’amputation d’un orteil en 1944 est invraisemblable: « Yet again, one of Wiesenthal’s “miracles” is open to doubt. First, the story appears in no other memoir or statement. Secondly, if the Red Cross really was inspecting Gross-Rosen that day, then the SS would have temporarily halted any executions. As it was, the Red Cross was not allowed access to concentration camps at that time. Thirdly, the medical consequences seem entirely implausible. » (The Times);
  • Son récit sur la libération du camp de Mauthausen où fut emmené est également invraisemblable: un orteil amputé, une jambe gangrénée, vivant avec une ration alimentaire de 200 calories par jour, il affirme cependant avoir eu la force de grimper sur un char étatsunien venu libérer le camp: « Mauthausen was liberated on May 5, 1945. Despite weighing just 100lb, Wiesenthal struggled outside to greet the American tanks. “I don’t know how I managed to get up and walk,” he recalled. If he was able to walk, his severely infected leg must have been cured during the previous three months by either amputation or antibiotics. We know the former did not take place, and the latter was emphatically not a common treatment for ailing Jews in Nazi concentration camps. Once again, it appears as though a miracle had taken place. » (The Times);
  • Il prétendait avoir été détenu dans 13 camps différents alors sa présence n’est confirmée que dans 6 camps(The Times);

Par la suite, Simon Wiesenthal en vint à fonder le centre portant son nom – Norman Finkelstein prétend même qu’il obtenait 90.000 $ annuellement en royalties pour laisser le Centre utiliser son nom (1). Ce centre allait fidèlement refléter son engagement politique: alors que lui-même avait activement pris part – pas pour son compte cependant – à l’entreprise d’émigration juive vers la Palestine à compter de 1947, ce centre fût sans dout plus efficace dans la dénonciation des critiques d’Israël tels le chancelier social-démocrate autrichien Bruno Kreisky, juif et ami personnel de Yasser Arafat ainsi que de la cause palestinienne – Kreisky le lui rendit bien en accusant Wiesenthal d’avoir été un informateur de la Gestapo durant la guerre sur la foi de documents polonais et soviétique – accusations qui valurent à Kreisky une condamnation pour diffamation. A ce soutien absolu à Israël s’ajoutait un parti-pris nettement pro-étatsunien: la néo-conne Jeane Kirkpatrick, ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU sous Reagan et défenseur farouche du terrorisme d’Etat étatsunien au Nicaragua (2), obtint le prix Humanitarian of the year award, décerné par le Centre Simon Wiesenthal en 1986, en dépit de fortes protestations (3). Sans compter une option politique résolument conservatrice: un autre lauréat du Humanitarian Laureate of the Year Award (2009) est ainsi le magnat de presse australien Rupert Murdoch.

Ces dernières années, le Centre Simon Wiesenthal se consacre principalement au Moyen-Orient, avec principalement la Palestine et l’Iran en ligne de mire – récemment, le Centre a cru bon de condamner l’évêque et prix Nobel de la paix sud-africain Desmond Tutu pour avoir soutenu le bycott commercial et économique d’Israël ou de tancer l’administration Obama pour sa brouille passagère avec Israël- ce qui nous emmène bien loin de Treblinka et Auschwitz. Cette confusion entre la lutte contre le nazisme et l’impunité des anciens criminels de guerre nazis d’une part et la question palestinienne d’autre part n’est pas isolée, puisqu’elle est également le fait de Yad Vashem, « The Holocaust Martyrs’ and Heroes Rememberance Authority » – ici par exemple:

Elements from the far right – xenophobes, neo-Nazis, and Holocaust deniers; elements from the far left – advocates of anti-Americanism, anti-globalization and anti-colonialism; elements from the radical pro-Palestinian camp; and adherents to radical Islam, all share the common bond of Jew hatred.

Le Centre Simon Wiesenthal s’est en plus spectaculairement planté à certaines occasions, y compris s’agissant de sa mission initiale, la traque de criminels de guerre nazis. Le débatteur et politicien suédois Andres Küng avait ainsi relevé en 2000 que sur 12 criminels de guerre nazis qui vivraient en Suède sans être inquiétés, selon le Centre Simon Wiesenthal, huit étaient morts, trois étaient des Baltes s’étant battus avec les Allemands désignés comme criminels de guerre dans des écrits de propagande soviétique des années 80 et un était innocent. Le plantage le plus spectaculaire demeure celui de Frank Walus, Polonais émigré aux Etats-Unis accusé à tort d’avoir collaboré avec la Gestapo dans le meurtre de douzaines de Polonais et de Juifs, avant de voir les poursuites pour crimes de guerre abandonnées par le ministère fédéral de la justice en l’absence de toute preuve concluante.

Tant la tendance à confondre le souvenir du génocide nazi et la défense tous azimuts d’Israël qu’un rapport difficile avec la vérité semblent rapprocher Simon Wiesenthal d’Elie Wiesel, prix Nobel de littérature et rescapé des camps d’extermination nazis (3), également lancé dans la sous-traitance de la politique étrangère israëlienne. Norman Finkelstein avait dénoncé son affairisme et ses parti-pris dans « The Holocaust industry« , tandis que pour Wiesenthal il a fallu attendre sa mort. Dans les deux cas, le respect naturellement dû au parcours individuel dramatique des intéressés – tous deux rescapés des camps d’extermination, le sentiment de culpabilité occidental autour du génocide nazi – qui anesthésie l’esprit critique – ainsi que leur poids médiatique, sans compter la crainte des sempiternelles accusations d’antisémitisme lancées contre quiconque se hasarderait à formuler des critiques contre deux symboles de la survie du peuple juif, tout cela a contribué à refroidir les ardeurs critiques.

C’est ainsi que l’ouvrage de Guy Walters, a été accueilli relativement positivement au Royaume-Uni (critiques élogieuses dans The Times et The Daily Telegraph) – et encore, vu le caractère explosif des révélations sur Wiesenthal, je suis étonné de ne pas avoir lu de recensions dans d’autres journaux que ceux où il écrit (Daily Telegraph) ou a écrit (The Times), comme The Guardian, The Independent ou la London Review of Books. Bien évidemment, le Centre Simon Wiesenthal, par le biais de son président, Efraim Zuroff, n’a pas apprécié mais sa critique est étonnamment modérée, en attendant peut-être de lancer l’artillerie lourde à l’occasion de la sortie de l’éditions étatsunienne du livre de Walters:

But Zuroff is scathing of Walters. “There may have been some inconsistencies in what Wiesenthal said but much of what Walters wrote was ridiculous. Certainly what he wrote about me was ridiculous. On top of that it’s a boring book.” (The Jewish Chronicle)

Fait notable, un article de Daniel Finkelstein – ancien collègue de Guy Walters – dans l’organe communautaire juif du Royaume-Uni, The Jewish Chronicle, soutient pleinement Walters:

Walters’s documentary evidence on Wiesenthal’s inconsistencies and lies is impeccable. He shows how the Nazi hunter’s accounts of his wartime experiences are contradictory and implausible. He demonstrates that he had no role, contrary to his own assertion, in the capture of Adolf Eichmann. He pitilessly dissects Wiesenthal’s overblown claims about the numbers he brought to justice, suggesting it was not much more than a handful.

When you read Hunting Evil, you know its author is telling the truth. And, above all — above everything — the truth matters. The truth however painful, the truth however embarrassing, the truth wherever it takes you. Jews can never be hurt by the truth about the Holocaust and must never fear it, never run away from it. (The Jewish Chronicle)

C’est également le cas de Ben Barkow, directeur de The Wiener Library, centre britannique de documentation du génocide nazi:

Ben Barkow, the director of the Wiener Library, the institution that my grandfather established to document the truth, has lent his voice to that of Walters, agreeing that a revaluation of Wiesenthal’s contribution was in order. Barkow argues that a nuanced view is possible. That accepting that Wiesenthal was a showman and a braggart and, yes, even a liar, can live alongside acknowledging the contribution he made. (The Jewish Chronicle)

Il faut néanmoins relever que Walters a du par avance se défendre de tout négationnisme ou antisémitisme:

We are left with the sense that perhaps some who noticed discrepancies in Wiesenthal’s books said nothing because they were afraid of being denounced as anti-Semites. (Mondoweiss)

C’est un peu différent en France: le livre a fait l’objet, pour sa sortie en français, outre une brève dans Le Figaro Magazine, d’un articulet typique du climat de débat concernant tout ce qui touche la communauté juive en France:

Polémique autour d’un chasseur de nazis – Simon Wiesenthal a-t-il menti?

Par Laurent Lemire

Le journaliste britannique Guy Walters s’en prend, dans son dernier ouvrage, à Simon Wiesenthal, l’incontournable traqueur d’anciens nazis. Laurent Lemire a jugé l’exercice périlleux dans un article du « Nouvel Obs ». Guy Walters lui répond.

Wiesenthal pourchassé
Pour traquer le mal, il faut être malin. C’est un peu ce qu’a oublié, ou voulu oublier, le journaliste britannique Guy Walters, qui prend le risque d’installer la confusion. Son enquête historique, précise mais pas nouvelle, s’attache à montrer la façon dont les bourreaux du IIIe Reich ont tenté d’échapper à la justice après la guerre et comment la traque des Eichmann, Mengele, Barbie ou Stangl s’est plus ou moins bien organisée.

Mais surtout, dans cette « Traque du mal » (Flammarion, 25 euros), l’auteur piste Simon Wiesenthal avec une constance qui vire à l’obsession : fausses études, faux diplôme d’architecte, fausse activité dans la Résistance, survie miraculeuse, oublis divers, etc. Tout n’aurait été dans la vie du plus célèbre chasseur de nazis que mensonges, supercherie et spectacle. Wiesenthal ne peut hélas apporter le moindre démenti. Il est mort en 2005.

L. L. (Nouvelobs.com)

Le procès de Wiesenthal

« Wiesenthal était un menteur, et un menteur maladroit. » C’est Guy Walters qui l’écrit. Ce journaliste britannique traque la vérité comme Simon Wiesenthal traquait les nazis. Dans son enquête serrée (1), il suit de près ceux qui ont tenté d’échapper à la justice, les Eichmann, Barbie, Mengele, Stangl ; mais aussi ceux qui les ont poursuivi sans relâche.

Parmi eux, il y a Wiesenthal, l’homme qui clamait avoir fait arrêter plus de mille nazis ? Certes, il y a des trous dans sa vie, des zones grises comme disait Primo Levi, des absences, des enjolivements. Il s’en était plus ou moins expliqué de son vivant. Décédé en 2005, il ne peut répondre à cette attaque qui vire quelquefois à l’obsession.

Bien sûr qu’il y eut des dissensions, des conflits d’intérêt et même des haines farouches parmi les chasseurs de nazis. Il y eut aussi des violences au sein de la Résistance. Si le rôle de l’historien est d’éclairer le passé, il doit aussi éviter toute confusion, tout amalgame, et se rappeler que la Résistance passe par la guerre tout comme la traque du mal passe par le fait d’être malin.

Guy Walters a pris un risque. Il le sait. « Certains trouveront peut-être que j’ai été avec lui d’une sévérité excessive, et que j’ai pris un risque en pouvant donner l’impression de donner du grain à moudre aux néo-nazis, négationnistes, antisémites de tout poil et autres illuminés – individus qui m’inspirent la répulsion que l’on peut imaginer. » Entre le camp des bourreaux et celui des victimes, devenues ou non chasseurs, la différence reste fondamentale.

Laurent LEMIRE (L’agitateur d’idées)

(1) La Traque du mal de Guy Walters, traduit de l’anglais par Christophe Magny et Jean-Pierre Ricard, Flammarion, 510 p., 25 €.

Guy Walters a répliqué, sur son site et sur celui du Nouvel Observateur:

Droit de réponse de Guy Walters :

« Perplexité et colère. Voilà ce que j’ai ressenti en prenant connaissance de l’article publié par « Le Nouvel Observateur », le 25 février 2010, au sujet de mon livre, « La Traque du mal », paru chez Flammarion en janvier.

Je sais bien que les journalistes qui consacrent une courte note à un ouvrage ne le lisent pas forcément de A à Z ; mais, en l’espèce, étant donné la distorsion que Laurent Lemire fait subir à ce que j’ai écrit, je suis bien obligé de penser qu’il ne l’a pas lu du tout, pour des raisons qui m’échappent.

Pour commencer, Laurent Lemire explique que mon livre n’apporte rien de neuf sur le sujet (la traque des nazis après la guerre). De toute évidence, il ne sait pas de quoi il parle. Ma mise en cause de l’existence même de l’organisation Odessa, le fait que les Britanniques ont utilisé un officier des Einsatzgruppe, Friedrich Buchardt, comme agent secret après 1945, l’aide que l’évêque Hudal a apportée à Franz Stangl lorsqu’il s’est réfugié à Rome : sur ces points comme sur de nombreux autres, j’apporte des éléments nouveaux, fondés sur un minutieux travail d’archives. Et je suis prêt à parier, allez, tous mes euros, que Laurent Lemire ignore à peu près tout de la manière dont les Français ont utilisé un officier SS qui s’appelait Károly Ney.

Ce qui semble contrarier au plus haut point Laurent Lemire, ce sont les développements que je consacre, dans ce livre, à Simon Wiesenthal. Une petite mise au point, d’abord. J’ai en horreur les négationnistes, antisémites et néo-nazis de tout poil ; mais le fait que ces gens-là puissent se réjouir de ce que j’ai découvert sur Wiesenthal doit-il pour autant m’empêcher d’en parler ? Selon moi, non : ce qui prime, c’est la recherche historique. Or je mets très volontiers à la disposition de Laurent Lemire l’ensemble des documents que j’ai réunis sur la question. Et c’est très simple : oui, Simon Wiesenthal était un menteur ; non, il n’a pas menti sur tout, comme Laurent Lemire prétend que je l’ai écrit, j’ai même dit formellement le contraire. Mais Wiesenthal n’a pas, comme il le prétend, permis l’arrestation de 1.100 nazis : le chiffre le plus vraisemblable se situe autour de 10. Et pour le reste, j’invite le lecteur à aller voir les choses de plus près dans mon livre, pour se faire sa propre opinion.

Le devoir de l’historien est d’être honnête. La vérité fait mal, parfois, tant pis si elle ne plaît pas à tout le monde. Si les historiens commençaient à s’en préoccuper, ils ne feraient plus de l’histoire, mais de la politique. Est-ce cela que nous voulons ?»

Guy Walters (traduction Hélène Casa) (Nouvelobs.com)

26/02 18:34 Guy Walters
Laurent

I don’t understand your point. Of course the truth is never black and white, but are you really saying that I should not write the truth about Wiesenthal? How does doing so possibly confuse things? The logical extension of your argument is that I should not write such things and therefore keep things the way they are – nice and simple! That is surely nonsense.

Besides, much of what I say did not come out during Wiesenthal’s lifetime, and if it did, it was only published by nasty Holocaust deniers. I think it’s vital that people without an agenda should be able to criticise.

And neither am I claiming any moral equivalence between the Nazis and their victims – all I am saying is that Wiesenthal is just as capable as lying as, say, Eichmann. Ironically, Eichmann’s memoirs are sometimes more truthful than those of Wiesenthal. (Furthermore, I see no reason why Wiesenthal had to lie about himself in order to hunt Nazis.)

These are uncomfortable things to consider, but it doesn’t change the moral positions of the two men. Instead, it gives us a more nuanced view, and if Simon Wiesenthal did ‘smart’ things during the war in order to survive, then that is far more revealing of human nature in wartime than the Hollywood version of Simon Wiesenthal that you would prefer to maintain.

Nobody on their own can present a definitive portrait of another person’s life, but my contribution is simply part of the mix. If you analysed Wiesenthal’s claims as closely as I did, you too would have been shocked. My shock comes through as anger, for which I make no apology.

What I do apologise for is my lack of good French, and I am sorry that my comments here are in English.

Amitiés!

Guy (L’agitateur d’idées)

French reaction to Hunting Evil

Now that La Traque du Mal has been out in France for exactly one month, it’s a good moment to compare the reactions of the French critics to those of the British. While my fellow countrymen, raised on a diet of tabloidal reputation busting, were remarkably relaxed about my pasting of Simon Wiesenthal, the French seem to be more worried about it. A typical observaton is that my attack is “obsessional (Michaël Prazan in Transfuge), which I don’t have an enormous issue with – it is certainly angry, I’ll admit.

However, what I object to are the lazy critics who have either not read my book, or refuse to acknowledge its findings for reasons of their own. The biggest culprit is Laurent Lemire in Le Nouvel Observateur, who claimed that my book had nothing new in it, that it created unnecessary confusion (huh?), and that I wrote that everything Wiesenthal said or did was mendacious. It’s stunning quite how many mistakes one can make in 138 words, but there you go. Thankfully, Le Nouvel Obs has given me space to reply, which you can have a look at here.

 UPDATE: Laurent Lemire has posted further comments on his website. Naturally, I’ve responded! (site de Guy Walters)

On ne peut pas dire que le journaliste du Nouvel Observateur, Laurent Lemire, ait modifié sa position – Walters a eu tort de troubler l’image médiatique de Simon Wiesenthal, et le travail de l’historien est de conforter les certitudes:

Je retourne volontiers à Guy Walters sa perplexité et sa colère. Perplexité sur un ouvrage très documenté certes, qui montre les dissensions, les conflits d’intérêts et même les haines farouches parmi les chasseurs de nazis, mais qui finit par introduire de la confusion ce qui n’est pas le rôle de l’historien, d’autant que Simon Wiesenthal n’est plus là pour répondre. Colère parce que, même pour une note, les journalistes lisent les livres intégralement. Avec le risque d’être déçus.

L.L. (Nouvelobs.com)

On notera ici ce qui est évident depuis quelques années en France (mais aussi ailleurs): il est devenu difficile de parler – du moins dans les médias dominants – de sujets liés à la communauté juive ou à Israël. Je ne parle pas ici du négationnisme, dont la France est la patrie d’origine semble-t-il (Paul Rassinier, Maurice Bardèche, Roger Garaudy et Robert Faurisson sont les parrains de cette sous-culture de l’antisémitisme), mais des critiques non-antisémites. L’appel au boycott d’Israël est criminalisé, et proclamer l’évidence, à savoir que certains intellectuels (Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy ou Alexandre Adler) ont un attachement d’origine communautaire à Israël, expose l’impétrant à l’accusation rituelle d’antisémitisme. Plus près de la question qui nous occupe, les ouvrages très critiques de Maurice Rajsfus – qui subit lui-même la persécution antisémite sous Vichy – sur les organes dirigeants de la communauté juive française en 1940-44 sont largement méconnus. Si on rajoute à cela la tradition française de biographies plus littéraires que factuelles, du moins par rapport aux bibliographies à l’anglo-saxonne (Jean Lacouture, un des meilleurs biorgaphes français, dit « Je serais honoré qu’un de mes livres soit taxé de biographie anglo-saxonne« ), on comprend que l’accueil fait à l’ouvrage de Walters ne serait pas enthousiaste en France.

La réaction de Laurent Lemire du Nouvel Observateur est caricaturale à cet égard:

  • le livre de Walters installe la confusion;
  • Walters est obsédé par Wiesenthal;
  • Walters attaque Wiesenthal après sa mort;
  • les infos de Walters ne sont pas nouvelles;
  • il prend un risque car il peut apporter l’eau au moulin des négationnistes;

La confusion? Comme le répond Walters – qui au passage est plutôt journaliste que historien, mais à l’anglo-saxonne, pas à la française – si la vérité est nuancée, complexe et paradoxale, et si l’historien ne doit pas introduire la confusion, la conclusion logique est alors que l’historien ne doit pas dire la vérité telle qu’il l’entend. L’obsession? Elle est à la mesure de l’image médiatique de Wiesenthal, synonyme de la traque des nazis pour le grand public. Pouvoir montrer qu’un tel personnage a menti sur de nombreux points de son histoire personnelle est évidemment justifié par l’intérêt public. Après la mort de Wiesenthal? C’est le propre des ouvrages d’histoire que d’apporter un éclairage critique sur des personnes mortes. Pas nouvelles, les infos sur les mensonges de Wiesenthal? Peut-être, mais ces infos étaient alors surtout diffusées dans les milieux antisémites. Un risque? Les négationnistes fonctionnent de manière assez détachée de la réalité historique: ils n’ont pas attendu Walters pour attaquer Wiesenthal ou démontrer que 2 et 2 font 5. Mais on comprend la crainte de Lemire, qui agit ainsi comme les gardiens de jardins publics empêchant les enfants de piétiner les pelouses: toute discussion critique d’éléments centraux du discours de la communauté juive institutionnalisée étant rendue périlleuse par l’usage dui chantage à l’antisémitisme, il s’agit de rappeler à l’ordre les impétrants, surtout dans le cas d’un étranger peu au fait des règles du jeu.

Mais la facade se fissure donc, ici grâce au livre de Walters. C’est ainsi que le journaliste français Luc Rosenzweig – qu’on ne peut taxer d’être fanatiquement hostile à Israël – exprime dans un article sur Causeur.fr son analyse du rôle de Simon Wiesenthal, qu’il a connu et cotoyé en tant que journaliste, d’une manière très directe:

Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que Wiesenthal était une figure bien commode pour les services israéliens, qui effectuaient discrètement les recherches et interventions attribuées au “chasseur de nazis” viennois. Sa notoriété mondiale était également utilisée par les dirigeants de l’Etat juif pour contrecarrer l’action d’un autre juif autrichien célèbre, le chancelier Bruno Kreisky, dont l’antisionisme viscéral était l’une des lignes directrice de sa politique étrangère. Les deux hommes se vouaient mutuellement une haine inextinguible. Il faut espérer que la seule chose qui les réunissait, leur incroyance au ciel ou à l’enfer, leur a épargné une cohabitation post mortem dans l’un ou l’autre de ces lieux. (Causeur.fr)

Quelle conclusion tirer de cette supercherie?

  1. Les victimes – en l’occurence, Simon Wiesenthal en tant que victime de l’antisémitisme nazi – ne sont pas toujours exemplaires. Cela n’enlève rien à leur qualité de victime ou à la réalité de leur persécution.
  2. Un menteur invéteré et manipulateur peut néanmoins faire oeuvre utile, même si l’utilité réelle sera moindre que celle alléguée par l’intéressé: à supposer que Simon Wiesenthal n’ait permis l’arrestation que d’une dizaine de criminels de guerre nazis au lieu du millier allégué par lui, c’est en tout cas un meilleur bilan que celui du gouvernement suédois – zéro criminel de guerre nazi arrêté et condamné.
  3. Un menteur n’est pas un monstre: Simon Wiesenthal fût une victime du génocide nazi, et avait des postions saines à certains égards – « Wiesenthal also drew fire for emphasizing that others besides Jews died in the gas chambers, which brought him into conflict with Elie Wiesel, who took the view that the Holocaust should be seen as an exclusively Jewish event« ;
  4. Par contre, le mensonge a un coût. Si le talent de Simon Wiesenthal en matière de relations publiques a eu un effet bénéfique sur la volonté politique de pourchasser les criminels de guerre nazis, ses mensonges sont bien évidemment du pain bénit pour les négationnistes – car, selon leur logique perverse, si Wiesenthal a menti sur les conditions de sa libération il peut avoir menti sur l’existence même des camps d’extermination. C’est bien évidemment absurde – peu de crimes de guerre et contre l’humanité sont aussi bien documentés que les crimes nazis – mais on aurait tort de sous-estimer le risque.
  5. On peut se demander si l’instrumentalisation des crimes passés pour justifier des crimes présents n’est pas aussi détestable que le négationnisme. Il est ainsi permis de préférer Maurice Rajsfus ou Marek Edelman à Simon Wiesenthal ou Elie Wiesel.
  6. Les victimes peuvent opprimer à leur tour: le Centre Simon Wiesenthal a ainsi obtenu le feu vert en 2008 de la justice israëlienne pour construire un Musée de la tolérance (!) sur le site d’un cimetière musulman dans la partie de Jérusalem occupée en 1967…

Lectures complémentaires:

– l’indéfatigable bloggeur étatsunien Phil Weiss, a publié sur l’indispensable Mondoweiss un billet de Lawrence Swaim, « Deconstructing Simon Wiesenthal« , sans compter deux posts – ici et ici – sur la construction d’un musée du Centre Simon Wiesenthal sur l’emplacement d’un cimetière musulman à Jérusalem-Est, c’est-à-dire dans les territoires occupés en 1967;

– le site Pratique de l’histoire et dévoiements négationnistes est à recommander sur la question négationniste, et notamment en démontant le fonctionnement de la pensée négationniste, par exemple ici, en « démontrant » que le débarquement en Normandie n’a jamais eu lieu (on pourrait ici souligner qu’au niveau de la démarche « intellectuelle », cela rappelle ceux qui prétendent que le 11 septembre n’a jamais eu lieu);

un extrait du livre de Guy Walters est accessible sur le site de ce dernier;

(1) Voir Norman Finkelstein, « The Holocaust industry: reflections on the exploitation of Jewish suffering« , Verso, London, 2003, p. 93. L’honnêteté pousse quand même à préciser que Finkelstein ne semble indiquer aucune source pour cette information. D’un autre côté, Wiesenthal n’a pas intenté d’action en diffamation.

(2) Les Etats-Unis sont l’un des rares pays à avoir été condamné pour activités terroristes par la Cour internationale de justice de La Haye dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique).

(3) Voir Norman Finkelstein, « The Holocaust industry: reflections on the exploitation of Jewish suffering« , Verso, London, 2003, p. 146.

links for 2010-04-17

Tänka fritt är stort men tänka rätt är större*

La critique du multiculturalisme est la mode dominante même dans des pays autrefois classés dans ce courant, de par leurs pratiques institutionnelles et politiques en matière de politique minoritaire. Mais il est parfois difficile de pratiquer cette critique à juste escient, comme le prouve cet article (en suédois, désolé) de l’universitaire Pernilla Ouis consacré à la critique du multiculturalisme, de Michel Foucault, de la lutte contre l’islamophobie et de pas mal d’autres choses.

Pernilla Ouis quand elle était musulmane

Un mot sur Pernilla Ouis: Suédoise convertie à l’islam, elle a porté le voile pendant près de vingt ans, avant de l’enlever suite à son divorce en 2008 (elle s’explique ici ). Elle a progressivement perdu la foi et se décrit désormais comme « désislamisée« .

 

Tout n’est pas à jeter dans cet article, qui marque quelques points, notamment sur la notion de diffamation des religions soulevée par certains gouvernements d’Etats musulmans, mais plusieurs erreurs factuelles affaiblissent nécessairement son raisonnement:

Elle affirme pour commencer que Michel Foucault serait le Dieu des sciences sociales suédoises:

« Foucault är Gud i den svenska universitetsvärlden, inte profet, utan Gud fader själv. Inom socialvetenskaperna är det han som banat vägen för det kritiska tänkandet kring hur språket formar våra sociala praktiker, hur makten förtrycker de avvikande med sina normalitetsnormer och uteslutningsmekanismer. Foucault är far till det postmoderna tänkandet och diskursanalysen. Varje student som aspirerar på högre studier måste begripa hans storhet och förhålla sig till hans tankar. Att kritisera dem är en omöjlighet i den akademiska världen« .

« Foucault est le Dieu du monde universitaire suédois, pas prophète, mais Dieu le Père lui-même. Dans les sciences sociales c’est lui qui a tracé la voie pour la pensée critique autour de la manière dont le langage donne forme à nos pratiques sociales, comment le pouvoir oppresse les déviants avec sa normativité et ses mécanismes d’exclusion. Foucault est le père de la pensée post-moderne et de l’analyse du discours. Chaque étudiant qui aspire à de hautes études doit comprendre sa grandeur et se positionner par rapport à sa pensée. La critiquer est impossible dans le monde académique« 

Pas mal d’affirmations, mais aucune preuve de ce qu’elle affirme. Sans être spécialiste de la question, je me permets de douter des brigades de commissaires politiques qu’elle décrit, imposant leur orthodoxie dans un monde académique suédois acquis au postmoderne par l’effet d’une épuration idéologique. Si la pensée foucaldienne a du succès, c’est sans doute pour des raisons intrinsèques, liées à la persuasion intellectuelle de ses éléments fondamentaux. D’autre part, on pourrait objecter quant à la fixation de l’auteur sur Foucault – d’autres auteurs du même courant ont été influents, le courant marxiste ou marxisant (par exemple autour de Göran Therborn ou de Torbjörn Tännsjö) également, sans compter l’influence de Bourdieu (qui n’était ni post-moderne ni marxiste) ou l’école positiviste (Axel Hägerström surtout, toujours très influente parmi les juristes). Bref, du journalisme d’opinion classique, de l’éditorialisme comme on dit en France.

Deuxième point, plus factuel encore. Pernilla Ouis s’attaque à Andreas Malm, journaliste à l’hebdomadaire anarcho-syndicaliste Arbetaren (« Le travailleur« ), ayant couvert notamment l’Iran. Il a sorti en 2009 un ouvrage ayant fait couler beaucoup d’encre en Suède, consacré à l’islamophobie en Suède, « Hatet mot muslimer » (« La haine des musulmans« ). Pernilla Ouis s’irrite au plus haut point du socialisme affiché de Malm et de sa sympathie pour le Hezbollah (il avait publié une tribune le 1er août 2006 dans le quotidien linéral Expressen intitulé « Därför ska vi stödja Hezbollah » – « Voilà pourquoi nous devons soutenir le Hezbollah« ) et pour le FPLP de feu Georges Habache: comment ne peut-il ne pas savoir que les musulmans sont soit des chômeurs, soit des entrepreneurs, réactionnaires et conservateurs, s’insurge-t-elle. Puis elle s’avance en territoire miné – le Moyen-Orient, what else?

Malm har tidigare hävdat att han stödjer Hizbollah, eftersom en seger för dem ”producerar det mest önskvärda resultatet” (Malm i Expressen: ”Därför ska vi stödja Hizbollah”, 1 augusti 2006). Samtidigt hade Malm på sig en tröja till stöd för den marxistiskt-leninistiska gruppen Folkfronten för Palestinas Befrielse (PFLP) under denna debatt, en ståndpunkt samma Hizbollah-anhängare hade kunnat mörda honom för. (Expressen)

Malm a précédemment affirmé qu’il soutenait le Hezbollah, une victoire pour eux « produisant le résultat le plus souhaitable » (Malm dans Expressen; ”Därför ska vi stödja Hizbollah”, 1er août 2006). En même temps Malm portait un t-shirt soutenant le groupe marxiste-léniniste Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) pendant ce débat, un point de vue pour lequel un supporter du Hezbollah aurait pu l’assassiner. (Expressen)

Ce serait intéressant si c’était vrai. Mais l’Orient compliqué le demeure même pour quelqu’un ayant porté le voile pendant vingt ans. Voici en effet la réalité des liens entre le FPLP et le Hezbollah – des liens de camaraderie entre mouvements de résistance:

  • le FPLP a adressé un message de félicitations au Hezbollah pour saluer le troisième anniversaire de la « victoire » de 2006;
  • la chaîne de télévision du Hezbollah, Al Manar TV, a diffusé des reportages soutenant clairement les opérations de résistance militaire des brigades Abou Ali Mustafa, bras armé du FPLP;
  • le Hezbollah a mené des actions de résistance militaire avec la branche armée du Parti communiste libanais, tandis que le FPLP en a mené avec les branches armées du Hamas et du Jihad islamique: « De même, on imagine-ra les laïcs comme forcément persécutés par les intégristes musulmans. Vrai dans cer-tains cas, cette assertion se révèle fausse dans d’autres. Il faut alors comprendre par exemple comment le Parti communiste libanais noue des alliances avec le Hezbollah, ou comment le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) marxiste travaille souvent avec le Hamas ou le Djihad islamique, et se laisser interroger politiquement et méthodologiquement par ces nouvelles réalités » (Mouvements);
  • dans le même sens: « Marie Nassif-Debs, membre du PCL, affirme sans hésitation que le parti considère « le Hezbollah comme un parti de résistance, faisant parti d’un mouvement de libération nationale sur le plan national et arabe »[12], tandis que le FPLP confirme qu’entre le Hamas et lui-même il y a des similitudes comme le soutien à la résistance, la coordination des forces de sécurité palestinienne avec l’armée israélienne, mais également leur opposition aux accords d’Oslo, à la Feuille de Route et au piège des négociations de paix » (Café Thawra);
  • enfin: « Des cadres progressifs de discussion vont dès lors se créer entre nationalistes, marxistes, et islamistes, par exemple la Fondation Al-Quds, à leadership islamiste, et tout particulièrement la Conférence nationaliste et islamique lancée en 1994 à l’initiative du Centre d’études pour l’unité arabe (CEUA) de Khair ad-Din Hassib, situé à Beyrouth, qui se réunit tous les quatre ans, destinée à trouver des points d’accords tactiques et/où stratégiques, et à redéfinir les liens, même et y compris d’un point de vue idéologique entre la gauche, le nationalisme et l’islamisme . Le CEUA a ainsi tenu, en mars 2006 et janvier 2009, à Beyrouth, des Conférences générales arabe de soutien à la résistance, où les principales directions des organisations nationalistes, marxisantes et islamistes (notamment le Hamas et le Hezbollah) étaient fortement représentées. Près de 400 délégués issus de la gauche mondiale et du mouvement altermondialiste étaient présent à ces conférences. Ce rapprochement entre les divers groupes est permis par la centralité de la lutte contre Israël, l’interventionnisme américain dans la région, notamment l’Iraq, et la question démocratique. La collaboration va dès lors de se développer sur le champ politique, et même sur le champ militaire en Palestine et au Liban » (Café Thawra).

Et je me suis arrêté à ces deux points-là, relativement factuels de l’argumentation de Pernilla Ouis. Et on comprend comment le reste du raisonnement ne peut qu’être fallacieux: si une vision nuancée et paradoxale des phénomènes islamique et islamiste est possible, ce n’est peut-être pas dû à la « Brigade du martyr Michel Foucault » qui opérerait des assassinats ciblés dans les couloirs des universités suédoises. De même, dans le contexte moyen-oriental, une proximité tactique – car les divergences de fond sont très réelles – entre mouvements progressistes et islamistes, surtout dans le cadre de la résistance, ne relève peut-être seulement pas de la fantasmagorie d’islamo-gauchiste halluciné. Et le fait de porter ou d’avoir porté le foulard n’offre aucune garantie de compétence pour discuter de ces questions.

*Le titre de ce post signifie « Penser librement est grand mais penser juste est plus grand encore » en suédois, une citation de l’écrivain suédois Thomas Thorild. C’est la devise de l’Université d’Uppsala, qui fait débat en Suède car censée exprimer une prime au conformisme – qui définit ce qui est juste? Paradoxalement, cette critique rejoint le discours post-moderniste… Mais cette devise peut également être prise littéralement: penser librement a plus de valeur si on pense librement et que l’on a raison – ce qui présuppose bien évidemment que le fond de la pensée que l’on exprime est susceptible de vérification objective. En l’occurence, approximations et erreurs factuelles affaiblissent la thèse à l’appui de laquelle elles sont invoquées. C’est dans ce sens que l’utilise cette maxime ici.

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Retour sur Me Naciri, Hassan II, le trafic de drogue et Le Monde

Il y a quelques mois on pouvait lire dans Tel Quel un portrait assez flatteur de l’actuel ministre de la justice, Me Mohamed Naciri, longtemps avocat du Palais et ce depuis Hassan II. L’article soulignait l’excellente réputation professionnelle de Me Naciri – père comme fils d’ailleurs, puisque son fils, Me Hicham Naciri, a une des meilleures réputations en tant que juriste d’affaires – ce dont je ne doute pas, les échos que j’ai recueillis allant unanimement dans le même sens. S’il est concurrencé par Mes Tber, Andaloussi ou Kettani (Ali et Azeddine) en terme de réputation, aucun d’entre eux n’a sa proximité du Palais, et les affaires sensibles auxquelles il a été mêlées sont nombreuses.

Il en est une particulièrement intéressante: l’article du Monde en 1995 intitulé « Le Maroc, premier exportateur mondial de hachisch » et sous-titré « Un rapport confidentiel met en cause l’entourage du roi Hassan II ». Voici les faits tels que résumés par la Cour européenne des droits de l’homme dans son jugement rendu le 25 juin 2002 dans l’affaire Colombani contre France:

9. Lorsque le Maroc fit acte de candidature à l’Union européenne, la Commission européenne voulut, afin d’apprécier cette candidature, être informée très précisément sur la question de la production de cannabis dans cet Etat et sur les mesures prises, conformément à la volonté politique du roi du Maroc lui-même, pour l’éradiquer. A cette fin, le secrétariat général de la Commission invita l’Observatoire géopolitique des drogues (OGD) à réaliser une étude sur la production et le trafic de drogue au Maroc. Les enquêtes et rapports de cet observatoire, qui a cessé son activité en 2000, faisaient référence ; parmi les abonnés de ses publications figurent notamment le tribunal de grande instance et le parquet de Paris.

10. L’OGD remit son rapport à la Commission européenne en février 1994. Ce document citait le nom de personnes impliquées dans le trafic de drogue au Maroc. Mais pour être plus efficace dans les discussions qu’elle devait entamer avec les autorités marocaines, la Commission demanda à l’OGD d’établir une nouvelle version du rapport, en supprimant le nom des trafiquants. Cette version expurgée du rapport initial fut publiée notamment dans un ouvrage diffusé par l’OGD, « Etat des drogues, drogue des Etats », dans lequel un chapitre était consacré au Maroc. Le journal Le Monde avait évoqué cet ouvrage dans son édition datée du 25 mai 1994.

11. Quant à la version initiale, elle resta confidentielle pendant un certain temps, puis commença à circuler ; c’est à l’automne 1995 que Le Monde en eut connaissance. Ce rapport se présentait sous forme de douze chapitres respectivement intitulés : 1. Le cannabis au Maroc dans son contexte historique, 2. Présentation générale du Rif, 3. Les caractéristiques de la culture du cannabis, 4. Répercussions socioéconomiques et zones de production, 5. L’extension des surfaces cultivées, 6. Le Maroc, premier exportateur mondial de hachisch, 7. Les voies du trafic, 8. Les réseaux, 9. L’émergence des drogues dures, 10. L’argent de la drogue, 11. La « guerre à la drogue », et 12. Conclusions. Il était exposé qu’en dix ans les surfaces consacrées à la culture ancestrale du cannabis dans la région du Rif avaient été multipliées par dix et qu’à ce jour l’importance de la production faisait « du royaume chérifien un sérieux prétendant au titre de premier exportateur mondial de hachisch ».

12. Dans son édition datée du 3 novembre 1995, Le Monde rendit compte de ce rapport dans un article publié sous la signature d’Eric Incyan.

13. L’article était annoncé en première page sous le titre « Le Maroc, premier exportateur mondial de hachisch » et sous-titré « Un rapport confidentiel met en cause l’entourage du roi Hassan II ». Assez bref (une trentaine de lignes sur deux colonnes), il résumait les termes du rapport de l’OGD. En page 2 figurait un article plus développé (sur six colonnes) sous le titre « Un rapport confidentiel met en cause le pouvoir marocain dans le trafic du hachisch » et sous-titré « Selon ce document, commandé par l’Union européenne à l’Observatoire géopolitique des drogues, le Maroc est le premier exportateur mondial et le premier fournisseur du marché européen. Il souligne la responsabilité directe des autorités chérifiennes dans ces activités lucratives ». Le contenu de l’article était en outre résumé dans un chapeau introductif ainsi libellé : « Drogues – Dans un rapport confidentiel remis, en 1994, à l’Union européenne, et dont Le Monde a eu copie, l’OGD indique que « le Maroc est devenu, en quelques années, le premier exportateur de hachisch dans le monde et le premier fournisseur du marché européen ». Cette étude met en doute la volonté des autorités chérifiennes de mettre un terme à ce trafic, malgré la « guerre à la drogue » qu’elles ont lancée, à l’automne 1992, à grand renfort de publicité. La corruption assure aux réseaux de trafiquants l’appui de protecteurs, « du plus humble des fonctionnaires des douanes aux proches du Palais (…) »

14. Par une lettre du 23 novembre 1995, le roi du Maroc adressa au ministre français des Affaires étrangères une demande officielle de poursuites pénales contre le journal Le Monde. Cette demande fut transmise au ministre de la Justice, lequel saisit le parquet de Paris, conformément aux dispositions de l’article 48-5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

15. M. Colombani, directeur de la publication du quotidien Le Monde, et M. Incyan, auteur de l’article, furent cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris pour offense proférée à l’encontre d’un chef d’Etat étranger.

16. Par un jugement du 5 juillet 1996, considérant que le journaliste s’était borné à citer sans attaque gratuite ni déformation ou interprétation abusive les extraits d’un rapport dont le sérieux n’était pas contesté et qu’il avait par conséquent poursuivi un but légitime, le tribunal correctionnel estima que l’intéressé avait agi de bonne foi et le relaxa, de même que M. Colombani.

17. Le roi du Maroc ainsi que le ministère public interjetèrent appel de cette décision.

18. Par un arrêt du 6 mars 1997, la cour d’appel de Paris, tout en reconnaissant que « l’information réitérée du public par la presse sur un sujet tel que le trafic international de la drogue constitue d’évidence un but légitime », estima que la volonté d’attirer l’attention du public sur la responsabilité de l’entourage royal et sur « la bienveillance des autorités » en ce qu’elle impliquait « une tolérance de la part du roi » « n’était pas exempte d’animosité » puisqu’elle se trouvait « empreinte d’intention malveillante ». Les articles incriminés contenaient une « accusation de duplicité, d’artifice, d’hypocrisie constitutive d’une offense à chef d’Etat étranger ». La bonne foi du journaliste était exclue dans la mesure où il ne justifiait pas avoir « cherché à contrôler l’exactitude du commentaire de l’OGD » et qu’il s’en était tenu à la version unilatérale de cet organisme « en se faisant le porte-parole d’une thèse comportant de graves accusations » sans laisser planer aucun doute sur le sérieux de cette source d’information. De plus, la cour d’appel souligna que le journaliste n’avait pas cherché à contrôler si l’étude faite en 1994 était toujours d’actualité en novembre 1995. Elle releva qu’il n’avait justifié « d’aucune démarche faite auprès de personnalités, de responsables, d’administrations ou de services marocains aux fins de recueillir des explications sur l’absence de concordance entre les discours et les faits, voire simplement des observations sur la teneur du rapport de l’OGD ». En outre, l’auteur s’était abstenu d’évoquer l’existence d’un « Livre blanc », publié par les autorités marocaines en novembre 1994, relatif à la « politique générale du Maroc en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et pour le développement économique des provinces du Nord ».

19. Les requérants furent donc déclarés coupables d’offense envers un chef d’Etat étranger et condamnés chacun à payer une amende de 5 000 francs français (FRF) et à verser au roi Hassan II, déclaré recevable en sa constitution de partie civile, 1 FRF à titre de dommages-intérêts et 10 000 FRF, en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale. La cour d’appel ordonna en outre à titre de complément de réparation la publication dans Le Monde d’un communiqué faisant état de cette décision de condamnation.

20. Les requérants se pourvurent en cassation contre cet arrêt.

21. Par un arrêt du 20 octobre 1998, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi ; elle approuva la cour d’appel qui avait considéré que « le caractère offensant du propos tenait à la suspicion de la sincérité de la volonté même du roi du Maroc de mettre un terme au trafic de drogue dans son pays, et à l’imputation de discours pernicieux, les effets d’annonce étant présentés comme n’ayant d’autre but que de maintenir l’image du pays », d’autant que la juridiction d’appel avait relevé que cette imputation de duplicité était répétée à deux reprises et constaté que dans le contexte de l’article présentant le Maroc comme le premier exportateur mondial de hachisch et mettant en cause la responsabilité directe du pouvoir marocain et de membres de la famille royale, cette insistance à attirer l’attention du lecteur sur la personne du roi était empreinte de malveillance.

L’article de Tel Quel reprend ce haut fait d’armes de Me Mohamed Naciri, qui représentait Hassan II et le gouvernement marocain dans le procès en outrage intenté contre Jean-Marie Colombani, directeur de la publication du Monde, et Erich Inciyan, auteur de l’article:

Au début des années 1990, c’est lui que Hassan II désigne pour attaquer en diffamation le quotidien français Le Monde, après que ce dernier a cité un rapport impliquant des membres de la famille royale dans le trafic de drogue. Dans la carrière de Naciri, cette affaire marque un tournant. La légende raconte que c’est lui qui aurait convaincu le défunt monarque de réclamer seulement le franc symbolique. Cette attitude (“Nous plaidons pour l’honneur”) sera sans doute pour beaucoup dans la victoire retentissante que Naciri obtient contre le journal français de référence. Mieux : l’affaire fait jurisprudence en France. Désormais, aucun journal reprenant un rapport potentiellement diffamatoire ne pourra se défausser devant la justice sur les auteurs du rapport. Une grande première qui ouvre définitivement les portes du Palais à l’avocat casablancais.

Plus loin:

Affaire Le Monde. Sa victoire la plus retentissante
Dans un article paru dans l’édition du 3 novembre 1995, le quotidien français Le Monde publie les détails d’un rapport confidentiel de l’Observatoire géopolitique des drogues, mettant en cause des membres de la famille royale marocaine. Problème : alors que le rapport taisait l’identité des personnes, le journaliste du Monde a choisi de les nommer. Hassan II porte plainte pour diffamation et réclame le franc symbolique. C’est la première grande affaire politique de Mohamed Naciri, avocat du roi du Maroc. Après avoir été débouté en première instance, Hassan II obtient gain de cause en appel. Le journal, ainsi que l’auteur de l’article, sont condamnés à 5000 francs d’amende chacun, en plus du fameux franc symbolique réclamé par le monarque. Après la plaidoirie de Me Naciri, le président de la 11ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris a estimé qu’il y avait “intention malveillante” du Monde, reconnu coupable de “duplicité, artifice, hypocrisie et offense envers le plaignant”. Non seulement la victoire de Naciri est éclatante, mais elle fait jurisprudence en France. Pour Hassan II, c’est un grand jour. Et pour Mohamed Naciri, le début de sa grande époque.

Seulement, le match judiciaire ne s’est pas arrêté là, même si le Maroc n’était plus partie à l’affaire. Invoquant en effet la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), Colombani et Inciyan allaient porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, estimant leur condamnation pénale pour offense publique à chef d’Etat étranger contraire à l’article 10 de la CEDH:

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (…) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (…)

L’affaire ainsi portée devant la Cour de Strasbourg (siège de la Cour européenne des droits de l’homme) consistait à déterminer la compatibilité de la condamnation pénale des intéressés avec le principe de la liberté d’expression. Le Maroc, qui était à l’origine de l’action publique contre Le Monde et s’était constitué partie civile, avait obtenu la condamnation des plaignants Colombani et Inciyan par les tribunaux français – jusqu’à la Cour de cassation – guère connus pour leur indépendance en matière politique ni pour une jurisprudence avant-gardiste en matière de liberté de la presse. Les plaignants allaient obtenir gain de cause.

Dans son jugement rendu le 25 juin 2002 dans l’affaire Colombani contre France, la Cour européenne des droits de l’homme avait ainsi jugé, à l’unanimité de ses sept juges qui la composaient dans cette affaire, que cette condamnation violait l’article 10 CEDH:

59. En l’espèce, les requérants ont été condamnés pour avoir publié des propos offensant un chef d’Etat – le roi du Maroc –, parce qu’ils mettaient en cause la volonté affichée par les autorités marocaines, et au premier chef le roi, de lutter contre le développement du trafic de hachisch à partir du territoire marocain.

60. La condamnation s’analyse sans conteste en une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’expression.

61. La question se pose de savoir si pareille ingérence peut se justifier au regard du paragraphe 2 de l’article 10. Il y a donc lieu d’examiner si cette ingérence était « prévue par la loi », visait un but légitime en vertu de ce paragraphe, et était « nécessaire, dans une société démocratique » (Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, pp. 24-25, §§ 34-37).

62. La Cour constate que les juridictions compétentes se sont fondées sur l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et que leurs décisions étaient motivées, comme le soutient le Gouvernement, par un but légitime : protéger la réputation et les droits d’autrui, en l’occurrence le roi du Maroc qui régnait alors.

63. La Cour doit cependant examiner si cette ingérence légitime était justifiée et nécessaire dans une société démocratique, notamment si elle était proportionnée et si les motifs fournis par les autorités nationales pour la justifier étaient pertinents et suffisants. Ainsi, il est essentiel de rechercher si les autorités nationales ont correctement fait usage de leur pouvoir d’appréciation en condamnant les requérants pour offense.

64. La Cour relève d’abord que le public, notamment le public français, avait un intérêt légitime à s’informer sur l’appréciation portée par la Commission européenne sur un problème tel que celui de la production et du trafic de drogue au Maroc, pays qui avait fait acte de candidature à l’Union européenne et qui, en tout état de cause, entretenait des relations étroites avec les Etats membres, en particulier avec la France.

65. La Cour rappelle qu’en raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l’exercice de la liberté d’expression la garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (Goodwin précité, p. 500, § 39, et Fressoz et Roire précité, § 54). A la différence des juges d’appel et de cassation, la Cour estime qu’en l’espèce le contenu du rapport de l’OGD n’était pas contesté et que ce document pouvait légitimement être considéré comme crédible pour ce qui est des allégations litigieuses. Pour la Cour, lorsque la presse contribue au débat public sur des questions suscitant une préoccupation légitime, elle doit en principe pouvoir s’appuyer sur des rapports officiels sans avoir à entreprendre des recherches indépendantes. Sinon, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » (voir, mutatis mutandis, Goodwin précité, p. 500, § 39). Ainsi, la Cour estime que Le Monde pouvait raisonnablement s’appuyer sur le rapport de l’OGD, sans avoir à vérifier lui-même l’exactitude des faits qui y étaient consignés. Elle n’aperçoit aucune raison de douter que les requérants ont agi de bonne foi à cet égard et estime donc que les motifs invoqués par les juridictions nationales ne sont pas convaincants.

66. De plus, la Cour souligne qu’en l’espèce les requérants ont été sanctionnés car l’article portait atteinte à la réputation et aux droits du roi du Maroc. Elle relève que, contrairement au droit commun de la diffamation, l’accusation d’offense ne permet pas aux requérants de faire valoir l’exceptio veritatis, c’est-à-dire de prouver la véracité de leurs allégations, afin de s’exonérer de leur responsabilité pénale. Cette impossibilité de faire jouer cette exception constitue une mesure excessive pour protéger la réputation et les droits d’une personne, même lorsqu’il s’agit d’un chef d’Etat ou de gouvernement.

67. Par ailleurs, la Cour relève que, depuis un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 avril 2001, les juridictions internes commencent à reconnaître que le délit prévu par l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 et son interprétation par les tribunaux constituent une atteinte à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention. Ainsi, les autorités nationales elles-mêmes semblent admettre que pareille incrimination n’est pas une mesure nécessaire dans une société démocratique pour atteindre un tel but, d’autant plus que l’incrimination de diffamation et d’injure, qui est proportionnée au but poursuivi, suffit à tout chef d’Etat, comme à tout un chacun, pour faire sanctionner des propos portant atteinte à son honneur ou à sa réputation ou s’avérant outrageants.

68. La Cour observe que l’application de l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 portant sur le délit d’offense tend à conférer aux chefs d’Etat un régime exorbitant du droit commun, les soustrayant à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans que soit pris en compte son intérêt. Elle considère que cela revient à conférer aux chefs d’Etats étrangers un privilège exorbitant qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui. Quel que soit l’intérêt évident, pour tout Etat, d’entretenir des rapports amicaux et confiants avec les dirigeants des autres pays, ce privilège dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif.

69. La Cour constate donc que le délit d’offense tend à porter atteinte à la liberté d’expression et ne répond à aucun « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction. Elle précise que c’est le régime dérogatoire de protection prévu par l’article 36 pour les chefs d’Etats étrangers qui est attentatoire à la liberté d’expression, et nullement le droit pour ces derniers de faire sanctionner les atteintes à leur honneur, ou à leur réputation, ou encore les propos injurieux tenus à leur encontre, dans les conditions de droit reconnues à toute personne.

70. En résumé, même si les raisons invoquées par l’Etat défendeur sont pertinentes, elles ne suffisent pas à démontrer que l’ingérence dénoncée était « nécessaire dans une société démocratique ». Nonobstant la marge d’appréciation des autorités nationales, la Cour considère qu’il n’existait pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les restrictions imposées à la liberté d’expression des requérants et le but légitime poursuivi. Dès lors, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

La Cour allouait à Colombani et Inciyan 4 096,46 € pour dommage matériel, et 21 852,20 € pour frais et dépens, mais ce jugement n’a pas affecté la condamnation des plaignants par les tribunaux français et donc la victoire judiciaire du Palais et de Me Naciri aîné.

Premier résultat important de ce jugement, l’offense publique à chef d’Etat étranger a été abrogée par le biais de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Perben II).

Le jugement lui-même estime, contrairement à la Cour d’appel de Paris et à la Cour de cassation, que « le contenu du rapport de l’OGD n’était pas contesté et que ce document pouvait légitimement être considéré comme crédible pour ce qui est des allégations litigieuses » – à savoir l’implication de l’entourage de Hassan II dans le trafic de drogue.

Et contrairement à ce qu’a écrit Tel Quel – « Mieux : l’affaire fait jurisprudence en France. Désormais, aucun journal reprenant un rapport potentiellement diffamatoire ne pourra se défausser devant la justice sur les auteurs du rapport. Une grande première » et « Non seulement la victoire de Naciri est éclatante, mais elle fait jurisprudence en France » – cette jurisprudence était déjà établie précédemment. A titre d’exemple, dans le « Traité de droit de la presse » de Henri Blin, Albert Chavanne et Roland Drago (Librairies techniques, Paris, 1969, pp. 232-233), citant ce que la loi et la jurisprudence considèrent comme une allégation ou imputation dans le cadre de la diffamation (pour rappel, la diffamation – selon la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – consiste en une allégation ou imputation d’un fait déterminé visant une personne déterminée et portant atteinte à son honneur et à sa considération, article ), on peut lire ceci:

Le moyen le plus courant de l’allégation est celui de la reproduction des écrits ou des propos d’un tiers ou attribués à un tiers, voire même à la victime (arrêt de la Cour d’appel de Dijon du 25 février 1931). Cette simple reproduction équivaut à la prise des propos à son compte personnel. Il pourra s’agir de la reproduction d’un écrit déjà publié ailleurs (arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 3 mai 1966). L’article 29 de la loi de 1881 assimile du reste expressément la publication directe et la publication par voie de reproduction. Il en va de même pour la reproduction du récit d’un tiers ou la lecture publique d’une lettre missive, qui contient des imputations diffamatoires (arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 5 janvier 1950).

Mentionnons enfin l’erreur suivante de Tel Quel: « Problème : alors que le rapport taisait l’identité des personnes, le journaliste du Monde a choisi de les nommer« . Faux: la version initiale du rapport mentionnait bel et bien des noms de personnalités marocaines impliquées dans le trafic de drogue, par la suite retirés du rapport rendu public par la Commission européenne. Ce n’est donc pas comme si Le Monde avait de son propre chef rajouté des noms qui ne se trouvaient pas dans le rapport.

Tel Quel s’est laissé abuser par sa source sur l’affaire Le Monde – sinon Mohamed Naciri du moins un partenaire ou salarié de son cabinet ou un confrère bien intentionné – sur la portée de la victoire judiciaire indéniable remportée par lui au nom de son client. Avoir gagné en appel et en cassation dans les conditions de l’espèce, face au alors fort prestigieux Le Monde et alors que le contexte de l’affaire – droit du public a être informé sur l’implication de l’entourage du pouvoir marocain dans le trafic de drogue sans compter le sérieux de la source initiale, un rapport commandité par la Commission européenne – lui était défavorable, cela est indéniablement un exploit en soi. Mais ça n’a sans doute pas paru suffisant pour son panégyrique: il a fallu monter de toutes pièces une victoire judiciaire non seulement habile mais en plus historique.

Or s’il est bien un jugement qui a fait jurisprudence dans cette affaire c’est bien le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme Colombani contre France, où ni le Maroc ni Me Naciri aîné n’étaient directement impliqués, qui a abouti à la suppression de l’infraction d’offense publique à chef d’Etat étranger. Le Palais avait certes remporté une bataille, mais sa victoire a paradoxalement impliqué qu’il ne pourrait plus jamais bénéfcier du statut privilégié qu’accordait le droit de la presse français aux chefs d’Etat étrangers jusqu’en 2004. Si le Palais souhaite poursuivre en France un journal français qui manquerait d’égard à son rang, il lui faudra le faire dans les mêmes conditions que n’importe quel justiciable.

Le droit est décidément assimilable à une technique et il est difficile à un journaliste d’en parler correctement sans y avoir été formé. Un peu de prudence aurait été pertinent ici.

Lectures complémentaires:

– « Rapport International sur la Stratégie de Controle des Stupéfiants au Maroc en 2008« , rapport US;

– « Production de cannabis et de haschich au Maroc : contexte et enjeux« , étude de Pierre-Arnaud Chouvy du CNRS (2008)

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