Hollande, ou l’arbre qui cache la Fourest

Le choix Hollande-Sarkozy n’est guère enthousiasmant, ce qui console grandement de ne pas avoir à le faire. Les défauts de Sarkozy sont tellement patents que leur démonstration est superflue – de même qu’on n’a pas à prouver que la Seine traverse Paris, nul besoin de démontrer la démagogie xénophobe, raciste et islamophobe du président sortant. On en oublierait presque que son adversaire du jour n’a rien d’enthousiasmant, comme je l’ai déjà exprimé hier.

Je m’en veux d’avoir oublié hier la mention du soutien apporté à Hollande par la Torquemada de la laïcité à la française, Caroline Fourest, qui participe par ailleurs à des séminaires du PS. Dans un appel récent, signé par 16 autres coreligionnaires, et sobrement intitulé « Pour une République indivisible, laïque, démocratique et sociale avec François Hollande« , Fourest appelle le courant laïc à soutenir François Hollande. Ses coreligionnaires valent le détour, notamment Mohamed Sifaoui, sulfureux journaliste algérien dont l’amour de l’uniforme (même si un certain désamour semble poindre) a fait jaser la communauté algérienne de France, ou la directrice de la crèche Babyloup ayant licencié une salariée pour délit de port de voile dans une affaire passablement trouble. On y est étonné de lire une dénonciation du libéralisme économique:

Alors que la réalité exigerait un sursaut de solidarité, la politique libérale menée ces dernières années (bouclier fiscal, baisse de l’impôt sur la fortune, injustice de l’impôt, atteinte au système de retraites par répartition, affaiblissement des services publics, hausse démesurée de la dette publique, médecine à deux vitesses, insuffisance du logement social) a grandement contribué à aggraver la déchirure sociale.

Les observateurs avertis de la pensée fourestienne auront sans doute avalé leur jambon halal de travers en lisant cette dénonciation du tropisme libéral sarkozyste, dérive marxiste-léniniste à laquelle notre héroïne ne nous aura pas habitués, elle qui publia une tribune au titre délicieusement internatinaliste et fraternel  – « The War on Eurabia » – dans le Wall Street Journal (version intégrale de cette tribune ici). Par exemple, s’agissant de la plus grave crise économico-financière systémique depuis 1929, la pensée économique de Caroline Fourest a eu du mal à se mobiliser avec la même force que pour expulser des lycéennes voilées des écoles publiques. Ainsi, ses remarques sur la crise de l’euro et plus particulièrement la crise grecque – analysés dans le post « Oui, certes… mais les Grecs sont quand même des salauds ! » – démontrent qu’une marge de progression existe avant de pouvoir prétendre rivaliser avec les analyses de Paul Krugman.

Les 17 laïcistes ayant signé l’appel accordent un satisfecit à François Hollande:

François Hollande a pris la mesure du péril en annonçant qu’il prendra l’initiative d’introduire dans la Constitution les principes de la loi de 1905. Les républicains ne peuvent que s’en réjouir car cette disposition permettrait de donner une force juridique supplémentaire au principe de séparation selon lequel « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2 de la Loi de 1905). Ainsi la République retrouverait le sens d’une laïcité sans qualificatif, clé de voûte de la citoyenneté. Ainsi se donnerait-elle les moyens d’en finir avec le financement d’un communautarisme qui ne dit pas son nom et fragilise la paix civile. Par cette annonce sur un principe majeur, François Hollande a franchi un vrai pas dans la bonne direction. Au-delà, il conviendra d’engager une réflexion collective afin que l’ensemble des territoires de la République, métropole et Outre-mer, rentrent progressivement dans la loi commune en matière de laïcité.

Ce bon point à l’élève Hollande lui est décerné en raison de sa suggestion d’intégrer « les principes fondamentaux » de la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat dans la Constitution – proposition électoraliste discutable ayant suscité les critiques de juristes (il ne faire guère de doute que la loi de 1905 peut être considérée comme faisant partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République que fait respecter le Conseil constitutionnel) et donc corrélativement l’enthousiasme de Caroline Fourest.

Peu d’observateurs sont dupes:

Notre leader minimo Hollande a eu une idée géniale : comme la laïcité est menacée (par les Auvergnats), et bien on va inscrire la loi de 1905 dans la Constitution. Comme cela les Auvergnats pourront faire tout ce qu’ils veulent, ils se casseront les dents sur la Constitution, qui est la règle suprême de la République. Non mais.

Sauf que cette proposition, bien dans la ligne UMP « faisons du consensus sur le dos de l’Islam », est inepte. Si vous aviez encore un doute, je le lève : le PS, c’est l’UMP en plus hypocrite. (Me Gilles Devers)

Le Nouvel Observateur: Qu’est-ce que la constitutionnalisation de la loi de 1905 va changer ?

Professeur Jean-Pierre Machelon: Ca ne va rien apporter de nouveau sur les principes, et rien de concret dans la réalité. La seule chose que ça va faire, c’est de mettre de l’instabilité dans une construction façonnée depuis plus d’un siècle. (Le Nouvel Observateur, 26 janvier 2012)

Absents sur les questions de laïcité ces dernières années, les socialistes souhaitent visiblement, avec cette proposition symbolique, reprendre pied sur un terrain largement occupé par la droite et l’extrême-droite. (Digne de foi, blog de la journaliste religion du Monde Stéphanie Le Bars)

Il faut finalement reconnaître que la genèse spirituelle entre maître et disciple, entre Fourest et Hollande, semble bien établie. Du moins la maîtresse est-elle satisfaite de son élève:

La droite rêvait d’un adversaire commode. Une gauche laxiste, voire complaisante, envers le communautarisme et l’intégrisme. C’était sa martingale, sa seule chance de repasser. Attaquer sur les valeurs quand sonnerait l’heure du bilan économique. Les angles d’attaque étaient prêts. Les horaires de piscines non mixtes, les menus séparés à la cantine… Il suffirait de faire le lien avec le vote des étrangers aux élections municipales pour allumer la mèche. (…)

Fantasme

Rien n’a été négligé pour servir ce refrain. Ni l’appel imaginaire de 700 mosquées, ni ressortir Tariq Ramadan des tiroirs. Tant pis si tout, ou presque, relevait du fantasme… Si l’appel des 700 mosquées n’a jamais existé et si des intégristes ont, en revanche, distribué des tracts appelant à voter contre le candidat socialiste. Si Tariq Ramadan ne soutient pas François Hollande, et si François Hollande ne cautionne pas celui qu’il a qualifié « d’idéologue suisse professant des thèses qui ne sont pas les nôtres ». Qu’importe que les horaires de piscines non mixtes à Lille soient terminés, mais qu’ils continuent dans certaines villes tenues par l’UMP… Qu’importe.

Sur ces sujets, depuis dix ans, la droite avait toujours l’air plus crédible que la gauche. Jusqu’à ce débat de l’entre-deux-tours où, sans l’ombre d’une ambiguïté, François Hollande a prononcé ces mots : « Sous ma présidence, il n’y aura aucune dérogation aux règles de la laïcité. » Soudain, le brouillard s’est dissipé, et la droite a aperçu une digue qu’elle avait sous-estimée : la gauche républicaine et laïque. Celle qui veut constitutionnaliser la loi de 1905 quand Nicolas Sarkozy voulait la « toiletter », au nom d’une « laïcité positive » laissant entendre que la laïcité française est négative. Celle qui refuse de mettre le prêtre, le pasteur ou l’imam au-dessus de l’instituteur, quand Nicolas Sarkozy rêve d’un manteau d’Eglises et d’écoles confessionnelles propre à favoriser le repli communautariste.

Non seulement, cette gauche existe mais elle a gagné sa bataille contre la gauche obscurantiste, tentée de trouver des circonstances atténuantes à l’intégrisme. Au nom du multiculturalisme, de l’antisionisme ou par peur du racisme. Cette gauche existe, mais elle a perdu. Electoralement et même intellectuellement. La digue a tenu. Et la tentation obscurantiste, qui incarnait le danger de la décennie passée, a été contenue. (Le Monde)

Ce sont les déclarations de Hollande lors du débat télévisé avec Sarkozy qui ont permis d’accorder au candidat socialiste un certificat de bonne vie et moeurs laïques:

Lors du débat de mercredi 2 mai, le candidat socialiste à l’élection présidentielle, François Hollande a donné de nouveaux gages au camp laïque. « Aucune dérogation à la laïcité » ne sera permise, s’il est élu, a-t-il martelé. Puis, semblant tirer un trait sur les atermoiements des socialistes divisés lors du vote de la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, il a de nouveau affirmé qu’il ferait appliquer cette loi « strictement« . Les revendications religieuses telles que « les horaires aménagés pour les femmes dans les piscines, ou la viande halal dans les cantines » ne seront pas « tolérées », a aussi promis M.Hollande. Ces deux points sont régulièrement avancés dans les débats par la droite et une partie de la gauche pour illustrer le « communautarisme » musulman. Aujourd’hui, quelques communes proposent des créneaux réservés aux femmes dans les piscines municipales, mais il n’y a pas de menus halal dans les cantines, à l’exception des écoles de Strasbourg. (Digne de foi)

Je trouve cependant Caroline mauvaise copine: elle aurait quand même pu préciser que ce sont des élus socialistes qui les premiers ont fait du halal une question électoralepolitique.