Enlever le voile

Après l’hystérie sur les femmes qui se mettent à porter le voile (les RG français, fondus depuis 2008 au sein de la DCRI, utilisaient très sérieusement ce critère pour identifier les quartiers dits chauds), certains relèvent un mouvement inverse de femmes qui l’enlèvent. Ca n’a rien de surprenant: outre que les gens changent au cours d’une vie, et que des croyants deviennent donc athées et inversement, cela vaut avec plus de force encore pour l’accoutrement – peu de gens s’habillent à 30 ans comme à 20 ans ou à 40 comme à 30. Les femmes voilées n’étant pas exemptées des lois de la pesanteur sociologique, rien ne s’oppose à ce qu’elles l’enlèvent – tout comme rien n’empêche d’autres femmes de troquer la mini-jupe contre le hijab. J’ai moi-même connu deux Egyptiennes ayant arrêté de porter le voile, pour des raisons diverses que je n’ai pas vraiment chercher à discuter, n’ayant guère l’habitude, de par mon éducation, de discuter les choix vestimentaires de mes interlocuteurs. En Suède, deux universitaires suédoises célèbres, Anne-Sofie Roald et Pernilla Ouis, converties et voilées, ont cessé de porter le voile (cf. « They removed the veil« ) et pris leurs distances avec l’Islam, se déclarant ouvertement contre le multiculturalisme. On connaît également l’inénarrable Mona El Tahawy, voilée avant de devenir une chroniqueuse orientalisante fréquentant Caroline Fourest.

Anne Sofie Roald voilée

Anne Sofie Roald voilée

Anne Sofie Roald dévoilée

Anne Sofie Roald dévoilée

Un article récent relève ce phénomène, en le présentant comme étant en augmentation. En fait, on n’en sait rien, en l’absence de statistiques sur le port du voile. Chacun a bien une impression sur le nombre de femmes voilées autour de lui, mais ça reste impressionniste et n’a rien de bien solide pour fonder des considérations qui se voudraient générales, à défaut d’être scientifiques. Chacun qui a posé le pied au Caire se rend bien compte qu’il y a une bien plus grande proportion de femmes voilées qu’à Casablanca ou Tunis, mais on ne dispose guère de chiffres sur l’évolution récente – on sait qu’un plus grand pourcentage de femmes porte le voile aujourd’hui qu’il y a 40 ans, mais au-delà on sait bien peu de choses sur les variations par catégorie sociale, niveau d’éducation ou statut marital, ni sur les variations à travers le temps – celles qui arrêtent de le porter ou qui se mettent de le porter. Quelque part, c’est une bonne chose: la comptabilité du voile a quelque chose d’à la fois obsessionnel et trop facile. Obsessionnel, car tant ceux qui dénoncent l’islam que ceux qui s’en réclament attachent une importance probablement démesurée à un choix vestimentaire. trop facile, car n’importe quel crétin se croit en mesure de pontifier sans fin sur l’islamisation dangereuse ou sur l’islam victorieux à partir du nombre de femmes se voilant. Ce n’est plus de l’observation sociologique à deux balles, mais un décompte des pertes ou victoires de l’ennemi en temps de guerre. Les détracteurs du voile en font des écervelées lancées à l’assaut de l’Occident et des Lumières comme des kamikazes japonais à Okinawa en 1945, tandis que certains Musulmans en font des anges à forme humaine, dépourvues de défauts ou de sexualité. Des Etats se mêlent de la partie (voir « Le vêtement féminin, lieu de pouvoir de l’Etat« ), l’Iran et l’Arabie séoudite imposant le port du voile même aux non-musulmanes, la France, la Belgique et l’Allemagne l’interdisant aux élèves et fonctionnaires musulmanes, partageant ainsi la même conception idéologique du choix vestimentaire de la femme ainsi qu’un paternalisme plus ou moins bienveillant, s’estimant en meilleure position qu’elle-même pour imposer ou interdire le port d’un couvre-chef. La barbe, la jellaba ou le kamis des hommes n’a pas fait l’objet des mêmes attentions…

L’article « More And More Egyptian Women Are Casting Aside Their Veils » est donc plausible, même s’il ne contient en fait aucune confirmation objective de son titre racoleur. Néanmoins, eu égard à la conjoncture politique en Egypte, avec le violent backlash contre les Frères musulmans au sein de la population, il est effectivement probable que des femmes portant le voile par conformisme social l’enlèvent par l’effet du nouveau conformisme social, hostile à l’islamisme ou du moins à celui incarné par les Frères musulmans:

Jehad Meshref avant...

Jehad Meshref avant…

....et Jehad Meshref après.

….et Jehad Meshref après.

Across Egypt, women are increasingly challenging the tradition of veiling their hair. For some, it means switching from the niqab — or a nearly full face covering — to a hijab, or veil that only covers the hair and usually most of the neck. For others, it means going bare-headed for the first time in their lives.

“It is a trend, there is a wave of my friends doing it now,” said Layla Khalil, a 26-year-old student in Alexandria, who switched her niqab for a hijab just this month. “It is about freedom to veil how you want without people judging you as a good or a bad Egyptian girl.”

The new trend comes four months after the Egyptian military ousted the elected government of Mohamed Morsi and the Muslim Brotherhood. (…)

“During the revolution women were very vocal and they were at the forefront. Suddenly they lost their rights, were not represented in the Muslim Brotherhood constitution and were being pressured to adopt, not just a physical hijab, but in many ways a social hijab, an economic hijab, an enforcement of traditional limitations on them in every way,” said Hibaaq Osman, founder of El Karama, an Egyptian organization for women’s rights in the Middle East and North Africa.

“My problem is not the hijab or niqab, it is the right of a woman to do whatever she wants. If she wants to do it she should, and if she doesn’t she shouldn’t be forced to,” said Hibaaq. “The bottom line is that it is a woman’s choice.”

For Meshref, it never was. “I starting wearing a hijab when I was 7 years old, the niqab from 14 to 20 and then switched back to the hijab until just two months ago,” she said, just a few days shy of her 24th birthday. “My family thought I was too liberal; they thought I talked to boys and was too outspoken.”

“My parents forced me to veil, and I was so angry at them for taking my freedom to choose away,” she said. Now she has new worries: “Suddenly I have to think about my hair all the time. I have to brush it, and tie and it and use products. It’s so much new to think about.”

The implications have been dire. Meshref was forced to leave home and no longer sees her father. She has to maintain two Facebook accounts — one for her family and childhood friends which shows her veiled, and the other for new, or “understanding,” friends, which shows her new life.

“For me, not wearing the veil, I feel like myself for the first time in my life. It should be every women’s right to make this decision for herself. And once every woman has that right, and the men respect her for it, then we will really be in a new Egypt ready for new revolutions and change,” she said.

Meshref said that over the past six months, she had met over a dozen other women who have recently removed their veils. Of the more than dozen women contacted by BuzzFeed for this story, each spoke of “countless” friends who removed the hijab or niqab in recent months. (Buzzfeed, 7/11/2013)

Encore plus loin dans le changement, un quotidien égyptien a interviewé une ancienne salafiste devenue athéée – « Salafi woman turned atheist recounts her journey« :

Off Egypt’s North Coast, I spoke to Noha Mahmoud Salem, a physician who made this bold transition from a religious lifestyle to skepticism in the existence of God.
Having worn a veil since the age of 15, and later donning a niqab, she decided to take it off nine years ago and release herself from what she says are the confines of her religion, which she now considers a mere myth.
Coming out as an atheist did not make her very popular. Going public with her beliefs cost her a marriage that had lasted for 29 years, as her husband adhered to strict verses from the Koran forbidding men from marrying atheist women.
Noha was also alienated from all her friends and family. Her mother, who was against her wearing a veil at the age of 15, was also against her taking it off, telling her to leave home because she no longer prayed or fast. Noha now lives in a compound on the beach. (Egypt Independent, 4/11/2013)

Goûtez l’ironie: la mère de Noha était opposée au port du voile de sa fille de 15 ans, et s’opposa ensuite à ce qu’elle l’enlève à l’âge adulte…

Espérons que c’est le début d’une période où nous nous intéresserons – musulmans et non-musulmans – moins à ce que les femmes portent sur leur tête et plus à ce qu’elles pensent, disent, veulent et font…

« C’est la seule manière de faire changer progressivement les mentalités et l’attitude de ces femmes »

"Le problème, c'est la mentalité et l'attitude de ces femmes musulmanes..."

« Le problème, c’est la mentalité et l’attitude de ces femmes musulmanes… »

Mes pérégrinations sur Internet m’ont amené à lire cet ancien entretien accordé à Radio Netherlands par la secrétaire-générale bulgare de l’UNESCO, Irina Bokova, et qui date de 2009 (c’est l’avantage d’être bloggeur à son compte, on est seul juge de l’intérêt à publier de ce qu’on écrit…). J’avais cru comprendre que les ressortissants des anciens pays dits de l’Est n’étaient pas à la pointe du combat pour une multiculturalité postcoloniale, mais là je suis tout de même assez surpris de ce que je lis. La surprise vaut pour les questions de la radio néerlandaise, apparemment axées surtout sur l’islam – vu l’obsession récente des Pays-Bas avec l’islam, je ne devrais cependant pas être surpris outre mesure – mais surtout des réponses de Bokova.

Il faut peut-être rappeler qu’Irina Bokova commença sa carrière diplomatique en Bulgarie sous le riant régime de Todor Jivkov, dernier véritable leader communiste de la Bulgarie, qui lança une campagne d’assimilation forcée des musulmans bulgares, et surtout ceux d’ethnicité turque. Cette campagne pourrait sans doute constituer le prochain programme de l’UMP ou du PS aux élections présidentielles françaises, tant les similarités sont frappantes: bulgarisation forcée des noms avec élimination des noms et prénoms à consonance turque; interdiction des vêtements traditionnels (ceci englobe le foulard), interdire l’usage du turc et fermer les mosquées (c’est peut-être ce dernier point qui est le seul à ne pas encore être sérieusement discuté entre politiciens français de bonne et républicaine compagnie, mais ne perdons pas espoir)…

"Comment faire comprendre à Tawakkol Karman que sa mentalité et son attitude doivent évoluer?"

« Comment faire comprendre à Tawakkol Karman que sa mentalité et son attitude doivent évoluer? »

Il fallut la chute du communisme pour qu’il soit mis fin à cette politique d’assimilation forcée, qui aboutit à l’exil forcé de centaines de milliers de musulmans bulgares (la Bulgarie doit par ailleurs être l’un des seuls pays au monde où le nombre de musulmans tels que recensés lors du recensement ait chuté en nombre absolu entre 1946 et 2011 – de près d’un million à un peu plus d’un demi-million) – cet exil forcé et la politique y ayant abouti ont été reconnus en 2010 par le Parlement bulgare comme constituant de la purification ethnique.

« Personnellement, je suis contre le port de la burqa. Certaines femmes ne peuvent même pas voir correctement. C’est un dénigrement pour les femmes, cause des problèmes et donne aux femmes l’impression qu’elles sont inférieures aux hommes. « 

Pas grand chose à y redire – personnellement, la burqa ou le niqab me révulsent – comme les mi-bas, les anneaux dans le nez, les chemisettes portées avec une cravate ou le chandail noué autour du cou. Continuons.

« Je pense que l’UNESCO doit faire un grand effort et se concentrer sur l’éducation, encore l’éducation et toujours l’éducation pour les femmes musulmanes. Je pense que là est la priorité numéro 1. C’est la seule manière de faire changer progressivement les mentalités et l’attitude de ces femmes. Il ne sert à rien de dire : Je suis pour cela, je suis contre cela. Nous avons quelque chose à faire et je pense que nous pouvons le changer en transformant la société. »

"Qui est le con qui a inscrit une visite de mosquée sur mon agenda?"

« Qui est le con qui a inscrit une visite de mosquée sur mon agenda? »

Relisons ensemble: l’UNESCO doit se concentrer sur l’éducation des femmes musulmanes afin de faire changer leur mentalité et leur attitude. Le problème des femmes musulmanes, ce n’est pas éventuellement leur situation socio-économique, leur statut juridique discriminatoire ou les violences – domestiques, de guerre ou autres – dont elles sont victimes. Non, leur problème, c’est leur mentalité et leur attitude, et sans doute leur goût excessif pour des tissus leur couvrant les cheveux. Et ces femmes musulmanes seront sauvées par Irina Bokova et son UNESCO.

"C'est dur mon boulot, je suis obligée de sourire aux côtés de Hayat Sindi alors que l'envie me démange de modifier sa mentalité et son attitude"

« C’est dur mon boulot, je suis obligée de sourire aux côtés de Hayat Sindi alors que l’envie me démange de modifier sa mentalité et son attitude »

Sans remonter à la politique d’assimilation forcée de ses premières années professionnelles, voilà donc la femme musulmane vue comme une mineure, à l’attitude et à la mentalité rétrogrades, et que l’UNESCO, dirigée par une Européenne de fraîche date (ça ferait un bon sujet d’agrégation d’histoire des idées politiques: depuis quand la Bulgarie fait-elle partie de l’Europe en tant que concept idéologique?), doit remonter pour qu’elle accède aux Lumières. Une femme musulmane arriérée et passive, attendant la bienfaisance et charité occidentales disséminées par l’UNESCO à moins que, comme en Afghanistan, on lui amène cette bienfaisance entre un drone, deux bombardements et trois patrouilles de l’OTAN.

Ca rappelle le bon vieux temps: l’Occident apportant les Lumières aux femmes musulmanes arriérées.

Sauf que:

L’éducation, mission souvent avancée pour légitimer le fait colonial ne semble avoir guère touché les filles et a même creusé les écarts entre filles et garçons. D’après l’UNESCO, en 1950 le pourcentage d’enfants scolarisés dans le primaire est de 10% dans les colonies françaises. En Algérie sur ces 10% seulement 1/3 sont des filles. En AOF, en 1908, on compte une fille pour 11 garçons scolarisés, en 1938 une fille pour 9 garçons, en 1954 une fille pour 5 garçons. Ces différences sont, en grande partie, du fait de l’administration coloniale qui a des réticences à ouvrir l’enseignement aux filles. (…)

On ne peut évoquer l’enseignement dans les colonies sans parler du rôle essentiel qu’ont joué très tôt les missionnaires dans ce domaine. Rebecca Rogers n’hésite pas à parler à leur propos « d’échec de la mission civilisatrice » car, dit-elle, si le discours se veut émancipateur en se proposant d’améliorer le statut des femmes grâce à l’instruction et au mariage monogame, il renforce en fait la domestication et la dépendance économiques des femmes (on retrouve fréquemment des anciennes élèves domestiques chez des Européennes !). (Dominique Santelli, « Femmes et colonisations », 2005)

A partir du début du XXe siècle, le statut des femmes « indigènes » devient  d’ailleurs un marqueur central de l’état de civilisation. L’administration coloniale s’engage alors à mettre en place un programme ambitieux visant à moderniser et à moraliser les femmes tout en les émancipant de « leurs hommes ». Cette politique a pour effet essentiel de placer les femmes « indigènes » dans une position paradoxale très inconfortable. (…)

A cela s’ajoute le fait que le féminisme colonial – qui a été globalement, pendant toute la période coloniale, anti-arabe et anti-musulman − a fait, lui aussi, de la question des femmes un des enjeux de la « mission civilisatrice » et de la politique assimilationniste de la France.

Les auteurs de l’époque, féministes ou pas, le confirment d’ailleurs très explicitement. Ainsi de Marie Bugéja qui écrit : « La conquête morale ne doit pas comprendre que la population masculine, la femme doit être d’autant plus comprise, dans cet essor, que c’est par elle, en tous pays, que le rapprochement s’opère complètement » à E.F. Gauthier qui note : « Nous sommes pleins de pitié pour les femmes musulmanes cloîtrées et tyrannisées, leur émancipation nous paraît un devoir d’humanité, une loi du progrès », le discours est homogène et repose sur deux idées forces.

La première est que la colonisation va porter secours aux femmes « indigènes » et les libérer du carcan patriarcal qui les opprime, tout en le transformant en « agents » de l’assimilation de l’ensemble de la société (notamment par le biais de l’éducation donnée aux enfants). La seconde est – en instrumentalisant et en manipulant une présentation pourtant souvent réaliste de la condition des femmes que les hommes maghrébins doivent intérioriser, parce qu’ils sont les oppresseurs – de créer chez eux un sentiment d’infériorité qui prend racine dans leur « arriération », tout en leur faisant intégrer une image négative d’eux-mêmes qui légitime la supériorité morale et civilisationnelle de la colonisation et l’abandon des valeurs arabo-musulmanes de leur société d’origine. (Christelle Taraud, « Genre, sexualité et colonisation: La colonisation française au Maghreb », 2013)

Et cette volonté d’émanciper des femmes musulmanes – passives et réduites à l’état de figures de rhétorique – n’est pas morte avec la colonisation:

L’Autre, et en l’occurrence la femme immigrée et/ou musulmane, est donc construite comme « différente ». Nous sommes face à un « elles » et « nous » symbolique, terreau du racisme mais surtout à un rapport de pouvoir qui placerait la femme « blanche » dans un rapport de domination avec les femmes « racisées » (Laetitia Dechaufour, 2007), il s’agit bien là d’un rapport de pouvoir entre les femmes ellesmêmes. La femme « arabe/immigrée » est instrumentalisée afin de conforter une
opposition entre un Occident moderne, éclairé contre un Orient barbare et obscurantiste.
Prenons à titre d’exemple les débats autour du foulard islamique qui ont agité la classe politique mais aussi les mouvements féministes en France et en Belgique : afin de lutter contre le symbole par excellence de l’oppression de la femme, en France, une loi a été votée, et en Belgique, le chef d’établissement peut l’interdire à travers le règlement d’Ordre Intérieur. Or ceux qui justement prétendent se battre pour l’émancipation des femmes, soutiennent et cautionnent une loi et un règlement qui justement renvoient ces écolières vers un espace domestique jugé oppressant par ces mêmes mouvements… Une certaine frange des mouvements féministe auraient dû privilégier la cause pour la libération et la lutte contre toutes les formes de domination et non pas le « symbole ».

Dans cette perspective, il convient de préciser que le « voilement » ou le « dévoilement » des femmes ne date pas d’aujourd’hui et a une histoire. À l’époque coloniale déjà, en Algérie, où ces dernières étaient prises en otage au cœur des luttes colonialistes et nationalistes : elles étaient les « gardiennes de la nation » aux yeux des colonisés comme des colonisateurs. Le droit de voiler ou de dévoiler est donc un droit et un privilège que s’arrogeaient les hommes dominants et dominés.
Aussi, tout comme il est essentiel de dénoncer le rapport de domination des hommes sur les femmes, il faut reconnaître qu’il existe un rapport de domination des femmes « blanches » sur les femmes « racisées » (L. Duchaufour). (Malika Hamidi, « Racisme, idéologie post – coloniale … Et les femmes dans tout cela?« , 2008)

J’oubliais: Irina Bokova est socialiste, tout comme Caroline Fourest  et Elisabeth Badinter (si j’en entends qui ricanent au fond…).

"Je me sens tellement émancipée, à couvrir mes cheveux par respect pour le Pape, rien à voir avec ces pauvres musulmanes"

« Je me sens tellement émancipée, à couvrir mes cheveux par respect pour le Pape, rien à voir avec ces pauvres musulmanes »

Ironiquement, le concurrent principal d’Irina Bokova au poste de SG de l’UNESCO était l’inénarrable et inamovible ministre de la culture égyptien Farouk Hosni, francophile, très proche de Suzanne Moubarak, largement réputé être homosexuel dans une société égyptienne peu compréhensive à cet égard, et surtout accusé d’antisémitisme, ce qui lui ôta toute chance de l’emporter face à Bokova. Il s’avère que Hosni avait des idées pas si éloignées que ça de Bokova sur le sujet, estimant que le voile (et non pas le niqab) était un signe d’arriération. C’était peut-être une condition requise pour postuler au poste finalement…

Laïcité à la marocaine

Dans un Etat qui se dit musulman dont le chef d’Etat a pour titre officiel Commandeur des croyants, où le culte musulman (du moins dans sa version sunnite malékite) est une administration publique, et dont le statut personnel est à fondement religieux, il peut paraître surprenant que des élections soient invalidées par le juge électoral parce que des tracts électoraux des candidats vainqueurs comportaient des photos des candidats dont l’arrière-plan laissait paraître un minaret.

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C’est ce qui s’était passé avec la décision du Conseil constitutionnel marocain n° 856/2012 du 13 juin 2012: en application de la loi n° 57-11 relative aux listes électorales générales, aux opérations de référendums et à l’utilisation des moyens audiovisuels publics lors des campagnes électorales et référendaires, et plus particulièrement de son article 118, les « sages » avaient invalidé l’élection des candidats PJD de la circonscription de Tanger-Asilah. Que dit cet article? Le voici:

Article 118:
Les programmes de la période électorale, ainsi que les émissions préparées pour la campagne électorale ne doivent en aucun cas comporter des matières susceptibles de:
-­porter atteinte aux constantes de la Nation telles qu’elles sont définies dans la Constitution;
-­troubler l’ordre public;
-­porter atteinte à la dignité humaine, à la vie privée ou manquer au respect dû à autrui;
-­porter atteinte aux données et informations protégées par la loi;
-­comporter un appel de fonds;
-­inciter au racisme, à la haine ou à la violence.

Ces programmes et émissions ne doivent pas également:
-­faire usage des emblèmes nationaux;
-­faire usage de l’hymne national en totalité ou en partie;
-­comporter l’apparition dans des lieux de culte ou faire usage total ou partiel de ces lieux;
-­comporter une apparition à l’intérieur des sièges officiels identifiables comme tels, qu’ils soient locaux, régionaux ou nationaux;
-­faire apparaître des éléments, des lieux ou des sièges susceptibles de constituer une marque commerciale.

La Haute autorité de la communication audiovisuelle veille au respect des dispositions prévues dans le présent article conformément aux attributions qui lui sont dévolues par la législation en vigueur.

On pourra certes ergoter: l’article en question parle de programme électoral, et l’article 118 de ladite loi s’insert dans le chapitre 2 « Utilisation des moyens audiovisuels publics pendant les campagnes électorales et référendaires » du titre IV « Sondages d’opinion et utilisation des moyens audiovisuels publics lors des élections générales et des referendums« . En l’occurence, il s’agissait de tracts et non pas de clips électoraux diffusés sur l’audiovisuel public marocain. Mais c’est oublier que seule la loi pénale doit s’interpréter strictement sans recours à l’analogie – or ici, il s’agit du Conseil constitutionnel en tant que juge électoral, qui apprécie la régularité des opérations électorales et qui n’a pas pour rôle de réprimer des infractions pénales éventuellement commises par les candidats dont elle juge l’élection. Il est donc loisible au Conseil constitutionnel de faire – comme il le fait ici en précisant que l’interdiction de l’article 118 s’applique indépendamment du support – une application par analogie de l’article 118, et de l’appliquer à d’autres supports que les clips électoraux – cela fait sens, car si le législateur a voulu interdire aux candidats d’exploiter le sentiment religieux ou national en prohibant notamment l’usage d’images de lieux de culte, cela vaut inépendamment du support choisi par les candidats, tract électoral, clip télévisé ou clip sur Internet.

Dans la mesure où l’objectif visé – empêcher la manipulation des sentiments religieux des électeurs en interdisant aux candidats de se mettre en scène dans des lieux réservés au culte – est légitime – et on peut estimer qu’il l’est – notons cependant que la loi est imparfaite: quid en effet du candidat imprimant des versets coraniques, faisant figurer des exemplaires du Coran sur un tract ou invoquant des titres religieux (imam, ou diplôme religieux)? Ce serait sans doute pousser l’analogie trop loin que de prohiber de telles utilisations de tels mentions ou symboles religieux dans l’état actuel de la loi, et on pourrait sans doute franchir la démarcation délicate qui sépare l’interdiction de la manipulation des sentiments religieux des électeurs de celle de l’interdiction de l’expression d’une sensibilité religieuse ou philosophique, que chaque candidat doit être libre de pouvoir invoquer dans une société démocratique – on pourrait imaginer ainsi une inquisition contre les candidats barbus ou les candidates voilées. On relevera cependant l’ironie qui veut que le Code électoral français – pays où les écolières sont expulsées de l’école publique si elles ont un couvre-chef d’apparence musulmane et ou les principaux candidats à l’élection présidentielle cette année discutaient de viande halal et d’horaires séparées de piscine – ne contienne aucune interdiction de contenu religieux dans les affiches ou tracts électoraux de candidats aux élections en France – tout juste l’article R-27 de ce Code interdit-il l’usage des trois couleurs du tricolore (et encore, sauf si ces couleurs sont incluses dans le symbole du parti dont se réclame le candidat, ce qui est par exemple le cas du Front national) (1). Le PJD aurait ainsi pu se présenter en France avec ce tract, sans encourir de sanction de la part du juge éléctoral français…

Ce n’est donc bien évidemment pas la laïcité qui a animé le législateur marocain en adoptant l’article 118 de la loi n° 57-11 – la Constitution de 2011 affirme dans son préambule que le Maroc est « un Etat musulman souverain« , dans son article 3 que « l’Islam est la religion de l’Etat« , puis dans son article 41 que « le Roi, Amir al mouminine, assure le respect de l’Islam« , qu' »il préside le Conseil supérieur des oulémas » et qu’il « exerce par dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à l’institution d’Imarat al mouminine…« . Ce n’est donc pas le mélange des genres, religieux et politique, qui dérange l’Etat marocain: c’est le fait que son monopole – ou plutôt celui du Roi -serait rompu si chaque candidat ou parti pourvait également se réclamer de l’islam. Cette volonté de monopole est clairement exprimée dans la Constitution: l’article 41 précise ainsi que les prérogatives que cette disposition lui attribuent « lui sont attribuées de manière exclusive » et que seul le Conseil supérieur des oulémas qu’il préside peut valablement émettre des fatwas (ce dernier conseil semble d’ailleurs ne pas pouvoir s’auto-saisir ou être saisi par une autre autorité que le Roi lui-même.

Laïcité à la marocaine? Non, et même si c’est fort heureux vu le discrédit qui frappe ce terme, il faut voir dans cette jurisprudence constitutionnelle la règle d’airain du makhzen – faites ce que je dis, pas ce que je fais.

(1) Bien évidemment, la communication électorale d’un candidat aux élections en France demeure soumise au droit commun en matière de diffamation ou d’injures publiques, ou encore de provocation à la haine raciale ou d’appel à la violence. Mais la simple publication d’une photo de candidats comportant un minaret en arrière-plan paraîtrait difficilement sanctionnable par le juge électoral, même s’il ne faut jurer de rien s’agissant de France et d’islam.

La Tunisie vue de France, ou l’obsession de l’islam

L’orientaliste français Maxime Rodinson avait écrit un livre intitulé « La fascination de l’islam« . Aujourd’hui, il faudrait parler de l’obsession de l’islam – combien d’articles ou de reportages sur le Maroc, la Tunisie ou l’Egypte dans les médias occidentaux sans qu’il soit mention d’islam, d’islamistes, d’alcool, de sharia ou de voile? Combien d’universitaires spécialisé dans l’étude de tel pays – l’Iran ou la Tunisie – sont-ils invités à s’exprimer sur un pays totalement différent – l’Egypte ou la Pakistan – sous prétexte qu’il soit également musulman? Je radote, mais on en vient à s’extasier lorsqu’on tombe sur un livre – tel par exemple « La force de l’obéissance » de Béatrice Hibou sur le contrôle de l’économie tunisienne par Benali – qui peut traiter en profondeur d’un pays musulman sans jamais évoquer les termes « fatwa », « ijtihad » et « sharia », ou sur des livres qui tel « Allah n’y est pour rien » d’Emmanuel Todd qui privilégient des réalités sociales au discours idéologique ou au brassage de poncifs. Rares sont les journalistes spécialisés dans la couverture des luttes sociales des pays musulmans, bien plus déterminantes pour expliquer la révolution en Tunisie ou en Egypte que le voile ou la burqa – je pense notamment au journaliste suédois Per Björklund, ayant couvert les grèves de Mehalla en Egypte en 2008, et expulsé en 2009 par le régime Moubarak, spécialisé dans la couverture du mouvement ouvrier égyptien.

Une récente étude de Sana Sbouaï publiée sur le légendaire site militant tunisien Nawaat, confirme, preuves à l’appui, ce biais: passant en revue la presse écrite quotidienne dite de qualité en France – soit Le Monde, Le Figaro et Libération – et sa couverture de la Tunisie post-Ben Ali, la conclusion n’étonne guère.

En réalisant une étude sémantique des articles publiés sur les sites internet des journaux Libération, Le Monde et Le Figaro entre le 23 octobre 2011 et le 10 avril 2012, on se rend compte que les journaux français ont du mal à sortir de leur grille de lecture et continuent à se focaliser sur la question de l’islamisme.

Le trio de tête des mots les plus utilisés dans les articles est : Ennahdha, Parti(s) et Islamistes. Ce résultat donne une idée des thématiques sur lesquelles les journalistes français se focalisent. Ainsi sur les 31 articles produits pendant cette période Libération a utilisé l’occurrence Ennahdha 157 fois, quasiment autant de fois que Le Monde, qui l’a utilisé 165, mais avec plus du double d’article publié : 72 articles sur la même période. Le Figaro lui a parlé 136 fois du parti Ennahdha sur les 56 articles produits. (Nawaat.org)

L’actualité tunisienne en est ainsi réduite à Ennahda, à la laïcité et aux salafistes – ce sont sans doute les domaines où le correspondant ou envoyé spécial français moyen, généralement non-arabophone, aura à faire le moins d’efforts pour boucler un article – n’est-ce pas Caroline Fourest? Le cas français est évidemment extrême (1) dans son obsession psychopathologique de tout ce qui touche à l’islam – c’est après tout un pays où la viande halal et les horaires réservées aux femmes dans les piscines publiques sont sérieusement considérés comme des questions politiques dignes d’une campagne présidentielle. On se rappellera, même si on n’apprécie guère l’intrusion de concepts psychologiques dans l’analyse des faits politiques, la formule d’Emmanuel Terray parlant du débat français de 2004 sur l’interdiction du voile à l’école publique d' »hystérie politique »  – le moins qu’on puisse dire c’est que l’étant du patient s’est nettement dégradé depuis.

(1) Mais pour être honnête, peu de pays occidentaux échappent à cette obsession – les Pays-Bas en sont un autre exemple éclatant.

Hollande, ou l’arbre qui cache la Fourest

Le choix Hollande-Sarkozy n’est guère enthousiasmant, ce qui console grandement de ne pas avoir à le faire. Les défauts de Sarkozy sont tellement patents que leur démonstration est superflue – de même qu’on n’a pas à prouver que la Seine traverse Paris, nul besoin de démontrer la démagogie xénophobe, raciste et islamophobe du président sortant. On en oublierait presque que son adversaire du jour n’a rien d’enthousiasmant, comme je l’ai déjà exprimé hier.

Je m’en veux d’avoir oublié hier la mention du soutien apporté à Hollande par la Torquemada de la laïcité à la française, Caroline Fourest, qui participe par ailleurs à des séminaires du PS. Dans un appel récent, signé par 16 autres coreligionnaires, et sobrement intitulé « Pour une République indivisible, laïque, démocratique et sociale avec François Hollande« , Fourest appelle le courant laïc à soutenir François Hollande. Ses coreligionnaires valent le détour, notamment Mohamed Sifaoui, sulfureux journaliste algérien dont l’amour de l’uniforme (même si un certain désamour semble poindre) a fait jaser la communauté algérienne de France, ou la directrice de la crèche Babyloup ayant licencié une salariée pour délit de port de voile dans une affaire passablement trouble. On y est étonné de lire une dénonciation du libéralisme économique:

Alors que la réalité exigerait un sursaut de solidarité, la politique libérale menée ces dernières années (bouclier fiscal, baisse de l’impôt sur la fortune, injustice de l’impôt, atteinte au système de retraites par répartition, affaiblissement des services publics, hausse démesurée de la dette publique, médecine à deux vitesses, insuffisance du logement social) a grandement contribué à aggraver la déchirure sociale.

Les observateurs avertis de la pensée fourestienne auront sans doute avalé leur jambon halal de travers en lisant cette dénonciation du tropisme libéral sarkozyste, dérive marxiste-léniniste à laquelle notre héroïne ne nous aura pas habitués, elle qui publia une tribune au titre délicieusement internatinaliste et fraternel  – « The War on Eurabia » – dans le Wall Street Journal (version intégrale de cette tribune ici). Par exemple, s’agissant de la plus grave crise économico-financière systémique depuis 1929, la pensée économique de Caroline Fourest a eu du mal à se mobiliser avec la même force que pour expulser des lycéennes voilées des écoles publiques. Ainsi, ses remarques sur la crise de l’euro et plus particulièrement la crise grecque – analysés dans le post « Oui, certes… mais les Grecs sont quand même des salauds ! » – démontrent qu’une marge de progression existe avant de pouvoir prétendre rivaliser avec les analyses de Paul Krugman.

Les 17 laïcistes ayant signé l’appel accordent un satisfecit à François Hollande:

François Hollande a pris la mesure du péril en annonçant qu’il prendra l’initiative d’introduire dans la Constitution les principes de la loi de 1905. Les républicains ne peuvent que s’en réjouir car cette disposition permettrait de donner une force juridique supplémentaire au principe de séparation selon lequel « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2 de la Loi de 1905). Ainsi la République retrouverait le sens d’une laïcité sans qualificatif, clé de voûte de la citoyenneté. Ainsi se donnerait-elle les moyens d’en finir avec le financement d’un communautarisme qui ne dit pas son nom et fragilise la paix civile. Par cette annonce sur un principe majeur, François Hollande a franchi un vrai pas dans la bonne direction. Au-delà, il conviendra d’engager une réflexion collective afin que l’ensemble des territoires de la République, métropole et Outre-mer, rentrent progressivement dans la loi commune en matière de laïcité.

Ce bon point à l’élève Hollande lui est décerné en raison de sa suggestion d’intégrer « les principes fondamentaux » de la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat dans la Constitution – proposition électoraliste discutable ayant suscité les critiques de juristes (il ne faire guère de doute que la loi de 1905 peut être considérée comme faisant partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République que fait respecter le Conseil constitutionnel) et donc corrélativement l’enthousiasme de Caroline Fourest.

Peu d’observateurs sont dupes:

Notre leader minimo Hollande a eu une idée géniale : comme la laïcité est menacée (par les Auvergnats), et bien on va inscrire la loi de 1905 dans la Constitution. Comme cela les Auvergnats pourront faire tout ce qu’ils veulent, ils se casseront les dents sur la Constitution, qui est la règle suprême de la République. Non mais.

Sauf que cette proposition, bien dans la ligne UMP « faisons du consensus sur le dos de l’Islam », est inepte. Si vous aviez encore un doute, je le lève : le PS, c’est l’UMP en plus hypocrite. (Me Gilles Devers)

Le Nouvel Observateur: Qu’est-ce que la constitutionnalisation de la loi de 1905 va changer ?

Professeur Jean-Pierre Machelon: Ca ne va rien apporter de nouveau sur les principes, et rien de concret dans la réalité. La seule chose que ça va faire, c’est de mettre de l’instabilité dans une construction façonnée depuis plus d’un siècle. (Le Nouvel Observateur, 26 janvier 2012)

Absents sur les questions de laïcité ces dernières années, les socialistes souhaitent visiblement, avec cette proposition symbolique, reprendre pied sur un terrain largement occupé par la droite et l’extrême-droite. (Digne de foi, blog de la journaliste religion du Monde Stéphanie Le Bars)

Il faut finalement reconnaître que la genèse spirituelle entre maître et disciple, entre Fourest et Hollande, semble bien établie. Du moins la maîtresse est-elle satisfaite de son élève:

La droite rêvait d’un adversaire commode. Une gauche laxiste, voire complaisante, envers le communautarisme et l’intégrisme. C’était sa martingale, sa seule chance de repasser. Attaquer sur les valeurs quand sonnerait l’heure du bilan économique. Les angles d’attaque étaient prêts. Les horaires de piscines non mixtes, les menus séparés à la cantine… Il suffirait de faire le lien avec le vote des étrangers aux élections municipales pour allumer la mèche. (…)

Fantasme

Rien n’a été négligé pour servir ce refrain. Ni l’appel imaginaire de 700 mosquées, ni ressortir Tariq Ramadan des tiroirs. Tant pis si tout, ou presque, relevait du fantasme… Si l’appel des 700 mosquées n’a jamais existé et si des intégristes ont, en revanche, distribué des tracts appelant à voter contre le candidat socialiste. Si Tariq Ramadan ne soutient pas François Hollande, et si François Hollande ne cautionne pas celui qu’il a qualifié « d’idéologue suisse professant des thèses qui ne sont pas les nôtres ». Qu’importe que les horaires de piscines non mixtes à Lille soient terminés, mais qu’ils continuent dans certaines villes tenues par l’UMP… Qu’importe.

Sur ces sujets, depuis dix ans, la droite avait toujours l’air plus crédible que la gauche. Jusqu’à ce débat de l’entre-deux-tours où, sans l’ombre d’une ambiguïté, François Hollande a prononcé ces mots : « Sous ma présidence, il n’y aura aucune dérogation aux règles de la laïcité. » Soudain, le brouillard s’est dissipé, et la droite a aperçu une digue qu’elle avait sous-estimée : la gauche républicaine et laïque. Celle qui veut constitutionnaliser la loi de 1905 quand Nicolas Sarkozy voulait la « toiletter », au nom d’une « laïcité positive » laissant entendre que la laïcité française est négative. Celle qui refuse de mettre le prêtre, le pasteur ou l’imam au-dessus de l’instituteur, quand Nicolas Sarkozy rêve d’un manteau d’Eglises et d’écoles confessionnelles propre à favoriser le repli communautariste.

Non seulement, cette gauche existe mais elle a gagné sa bataille contre la gauche obscurantiste, tentée de trouver des circonstances atténuantes à l’intégrisme. Au nom du multiculturalisme, de l’antisionisme ou par peur du racisme. Cette gauche existe, mais elle a perdu. Electoralement et même intellectuellement. La digue a tenu. Et la tentation obscurantiste, qui incarnait le danger de la décennie passée, a été contenue. (Le Monde)

Ce sont les déclarations de Hollande lors du débat télévisé avec Sarkozy qui ont permis d’accorder au candidat socialiste un certificat de bonne vie et moeurs laïques:

Lors du débat de mercredi 2 mai, le candidat socialiste à l’élection présidentielle, François Hollande a donné de nouveaux gages au camp laïque. « Aucune dérogation à la laïcité » ne sera permise, s’il est élu, a-t-il martelé. Puis, semblant tirer un trait sur les atermoiements des socialistes divisés lors du vote de la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, il a de nouveau affirmé qu’il ferait appliquer cette loi « strictement« . Les revendications religieuses telles que « les horaires aménagés pour les femmes dans les piscines, ou la viande halal dans les cantines » ne seront pas « tolérées », a aussi promis M.Hollande. Ces deux points sont régulièrement avancés dans les débats par la droite et une partie de la gauche pour illustrer le « communautarisme » musulman. Aujourd’hui, quelques communes proposent des créneaux réservés aux femmes dans les piscines municipales, mais il n’y a pas de menus halal dans les cantines, à l’exception des écoles de Strasbourg. (Digne de foi)

Je trouve cependant Caroline mauvaise copine: elle aurait quand même pu préciser que ce sont des élus socialistes qui les premiers ont fait du halal une question électoralepolitique.

« Bien sûr qu’on les garde »

Les élections présidentielles engagent, de manière disproportionnée par rapport à leur enjeu réel, certaines couches de population des pays anciennement colonisés. J’ai ainsi, en dépit d’un désintérêt pour ces élections, cédé à la tentation de regarder le débat entre les deux candidats du deuxième tour ce mercredi. J’ai quelques remarques personnelles (et je rappelle que je ne suis pas français ni ne réside en France).

Nul de sensé ne s’attend fondamentalement à une politique économique et financière foncièrement différente sous Hollande: les excès de Sarkozy en la matière – bouclier fiscal, défiscalisation des heures supplémentaires – resteront comme de mauvais souvenirs, les excès d’un crooner en fin de course à Las Vegas, tandis qu’excepté quelques artifices déclaratoires, le gouvernement de Hollande entrera dans le moule de l’Eurozone et de son catéchisme des finances publiques. Nul bouleversement à attendre dans le domaine de la politique étrangère – même symboliquement, nul ne croit que la France se retirera du commandement militaire de l’OTAN dans lequel Sarkozy l’avait réintégrée après quatre décennies de retrait, et nul n’espère quoi que ce soit de neuf en Françafrique ou dans le monde arabe. Bref, l’avantage principal de François Hollande est de ne pas être Nicolas Sarkozy.

Les quatre auteurs de la tribune parue dans Le Monde en soutien de Adlène Hicheur – « Non au délit de « pré-terrorisme » – l’ont bien formulé:

Si nul ne peut croire sérieusement que le 6 mai 2012 puisse altérer quoi que ce soit au cours de nos existences…

Mais après tout, c’est là le problème des Français, à eux de faire leur choix. Pour l’étranger que je suis qui a l’infortune d’être arabe et musulman, je retiens au crédit de Hollande sa promesse d’accorder le droit de vote aux étrangers lors des éléctions municipales. Le Parti socialiste en parle depuis 1981, mais Hollande semble ici vouloir tenir cette promesse:

J’en arrive au droit de vote après cette digression. Sur le droit de vote, c’est une position que je défends depuis des années. Uniquement pour les élections municipales, et par rapport à des étrangers en situation régulière sur le territoire et installés depuis plus de cinq ans. Monsieur Sarkozy: vous étiez favorable à cette position, vous l’aviez écrite en 2001, rappelée en 2005, confirmée en 2008, vous disiez que vous étiez intellectuellement favorable à cette introduction du droit de vote des étrangers pour les élections municipales, mais que vous n’aviez pas la majorité. Vous avez parfaitement le droit de changer, moi je ne change pas. Je considère que ces personnes qui sont sur notre territoire depuis longtemps, qui paient des impôts locaux doivent pouvoir participer au scrutin municipal. Ça existe d’ailleurs dans la plupart des pays européens, notamment en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni pour les membres du Commonwealth, et en Espagne sous réserve de réciprocité. Et je pourrais continuer, il y a à peu près 50 pays dans le monde, beaucoup sont en Europe, qui appliquent le droit de vote des étrangers pour les élections municipales. Pour faire passer cette réforme, il nous faudra avoir une majorité des trois cinquièmes, c’est une révision de la Constitution. Je soumettrai donc cette proposition au Parlement. S’il y a une majorité des trois cinquièmes, ça voudra dire qu’une partie de la droite et du centre, et vous avez beaucoup de vos amis, un certain nombre, qui y sont favorables, et la réforme passera. S’il n’y a pas de majorité, ça sera au peuple français, et seulement au peuple français, de pouvoir en décider. (verbatim du débat du 2 mai sur le site de Le Monde)

Pour le reste…

J’ai entendu François Hollande implicitement reprocher à Sarkozy de laisser entrer plus d’immigrés légaux – depuis 2002, alors qu’il était ministre de l’intérieur – que le gouvernement de Lionel Jospin – 200.000 immigrés légaux par an sous Sarkozy contre 150.000 sous Jospin:

Nicolas Sarkozy est donc en responsabilité de l’immigration depuis dix ans, ministre de l’intérieur, puis président de la République. Le nombre de personnes entrant sur notre territoire en situation légale est de 200 000 par an; c’était 150 000 sous le gouvernement de Lionel Jospin. Donc, vous avez accepté pendant dix ans que rentrent sur notre territoire, pour des raisons légales, 200 000 immigrés supplémentaires.

J’ai entendu Hollande dire « que l’immigration légale peut être maîtrisée » et que l’immigration économique est de trop:

« Qu’est-ce que je dis moi ? L’immigration économique, je pense qu’aujourd’hui il faut la limiter. Nous sommes en situation de chômage, croissance faible, il y a des métiers qui pouvaient être tendus, aujourd’hui, nous n’avons pas à avoir plus d’immigration économique.

J’ai entendu Hollande parler des centres de rétention, euphémisme désignant les prisons où sont retenus les étrangers ayant commis pour seul crime de ne pas avoir de titre de séjour et étant en attente de leur expulsion:

Nicolas Sarkozy : Est-ce qu’on garde les centres de rétention.

François Hollande : Bien sûr qu’on les garde. (…)

Nicolas Sarkozy : Qui a créé les centres de rétention pour enfants ? Monsieur Jospin, c’est monsieur Jospin qui les a créés.

François Hollande : Ce que nous devons faire maintenant, c’est avoir des centres de rétention permettant l’accueil des familles pour permettre ensuite leur reconduite…

Nicolas Sarkozy : Ça existe déjà.

François Hollande : Un seul.

Nicolas Sarkozy : Donc on garde les centres de rétention.

François Hollande : Les centres de rétention sont nécessaires, ils existent partout.

Nicolas Sarkozy : Donc pourquoi écrivez-vous le contraire à France Terre d’asile ? Toujours l’ambiguïté.

François Hollande : Non, il n’y a aucune ambiguïté, quand la personne est menacée…

Nicolas Sarkozy :  » La rétention doit devenir l’exception « . Vous venez de dire aux Français que vous les garderez.

François Hollande : Mais non, j’ai dit que je garderai les centres de rétention et que la personne qui risque de s’enfuir doit être mise en centre de rétention.

J’ai entendu Hollande reprocher à Sarkozy sa mollesse en matière de « laïcité », c’est-à-dire en matière de répression de toute manifestation extérieure d’appartenance à l’islam:

François Hollande : Nous pouvons ne pas être d’accord mais lier, comme vous l’avez fait, le vote à une aspiration communautaire… Et je le dis, que les Français n’aient aucune inquiétude: sous ma présidence, il n’y aura aucune dérogation à quelques règles que ce soit en matière de laïcité. Vous, par exemple, vous n’étiez pas favorable à la loi sur le voile à l’école. Vous n’y étiez pas favorable, nous avions fait un débat là-dessus. C’était au théâtre du Rond-Point, en 2003, j’ai encore le texte. Vous n’étiez pas favorable à l’interdiction du voile à l’école. C’était votre droit à l’époque, vous avez sans doute encore changé d’avis. Moi, j’y étais favorable et j’ai voté cette loi de l’introduction… de l’interdiction du voile à l’école. C’était Jacques Chirac  qui en avait décidé. Ensuite, sur la burqa, j’ai voté la résolution interdisant la burqa.

Nicolas Sarkozy : Vous l’avez votée ?

François Hollande : La résolution.
Nicolas Sarkozy : Ah, vous n’avez pas voté la loi. C’est toujours une petite ambiguïté.

François Hollande : Et sur la loi, j’avais, avec le groupe socialiste déposé des amendements qui n’ont pas été reçus. La meilleure façon était donc de laisser passer la loi mais, je vous l’affirme ici, la loi sur la burqa, si je deviens président de la République, sera strictement appliquée. Il n’y aura pas non plus, parce que vous faites souvent ce type de proclamation dans vos réunions publiques… les horaires de piscine. Il n’y a aucun horaire de piscine qui sera toléré s’il fait la distinction entre les hommes et les femmes. Plusieurs municipalités ont fait… vous avez souvent cité Martine Aubry, c’est terminé depuis 2009 et c’était pour des femmes qui étaient en surpoids, qui en avaient fait la demande.

Nicolas Sarkozy : Il n’y a pas d’hommes en surpoids non plus ?

François Hollande : Il y a d’autres… J’ai refusé qu’il y ait la moindre ouverture. Et si vous voulez constater qu’il n’y a plus d’ouvertures d’horaires spécifiques pour les femmes, je vous donnerai le site de la mairie de Lille pour que vous puissiez vous-même aller voir la piscine en question. Deuxièmement, sur la viande halal, que les Français sachent bien que sous ma présidence, rien ne sera toléré en termes de présence de viande halal dans les cantines de nos écoles. Qu’il n’y ait pas nécessité de faire peur !

Ca donne envie, hein?

Et je me rappelle que Manuel Valls, directeur de la campagne électorale de Hollande, fut le premier homme politique français à avoir fait du halal un enjeu politique – rappelez-vous, c’était en 2002 et Manuel Valls, député-maire PS d’Evry, voulait faire fermer un supermarché Franprix devenu halal – la justice administrative mit fin à cette intrusion de Valls dans les assiettes et les verres de ses administrés. Le même Valls avait souhaité plus de « blancs, de white, de blancos » à la brocante d’Evry, lors d’un reportage, propos qu’il a parfaitement assumés (ne riez pas – lors de l’émission dans lequel il fut confronté à cette séquence, il fut interviewé par… Valérie Trierweiler, compagne de François Hollande), et déclaré récemment être « lié de manière éternelle à Israël« .

Je me rappelle que ce fut un sénateur-maire socialiste, René Vandierendonck, qui déposa plainte au pénal contre un Quick de la ville de Roubaix, coupable de ne servir que de la viande halal.

Je me rappelle que la première initiative législative de la majorité de gauche du Sénat fut d’adopter une proposition de loitrès critiquée – interdisant le port de symboles religieux par les assistant-e-s maternel-le-s accueillant des enfants à domicile (cette proposition n’a pas encore été votée par l’Assemblée nationale et n’a donc pas été adoptée à ce jour). L’auteure de cette proposition de loi, la sénatrice Françoise Laborde, face aux accusations d’islamophobie, déclara « assumer« .

Je me rappelle de cet article du Point du 29 mars, qu’on ne retrouve étonnamment pas sur leur site, dans lequel le secrétaire général des députés PS Olivier Faure déclarait:

« Il va falloir dire des choses claires, appeler un chat un chat sur la sécurité, l’immigration, l’islam… On doit reprendre la main sur la laïcité et les dérives communautaires dans les banlieues » (Le Point n° 2063 du 29 mars 2012, p. 21)

Je me rappelle aussi de la visite du CRIF auprès de François Hollande en janvier, lors de laquelle il fit, au sujet de l’antisémitisme et de l’antisionisme, la déclaration suivante:

Sur cette délicate question, le candidat socialiste a assuré le CRIF de son engagement de fermeté contre les actes antisémites et antisionistes. Il compte mener des actions énergiques dans les domaines de l’éducation, de la pédagogie et de l’information. « Je ne laisserai rien passer » a-t-il affirmé. (CRIF)

La position de François Hollande sur le dossier palestinien exprimée lors de cet entretien mérite aussi d’être relevée:

Concernant le Proche-Orient, François Hollande a souligné que si Israël est l’objet de tant de critiques c’est qu’il constitue une grande démocratie. C’est sans doute, a-t-il ajouté, au PS que l’on trouve le plus grand nombre d’amis d’Israël et du peuple juif. François Hollande, qui a confirmé la prochaine visite en Israël de Laurent Fabius, a fait part à ses hôtes de l’invitation à visiter Israël de la nouvelle présidente du parti travailliste, Shelly Yachimovitch. (CRIF)

Dominique Vidal rappelle un autre épisode récent:

La gêne s’est accentuée avec l’annonce pour février d’une délégation en Israël et en Palestine, dont le programme a provoqué un véritable tollé [5]]. Sur les trois jours, Jean-Christophe Cambadélis et ses camarades ne réservaient à la Palestine qu’un saut à Ramallah ainsi qu’une « visite de la Vieille ville de Jérusalem ». Pis, ils devaient rencontrer trois personnalités poursuivies dans divers pays pour crimes de guerre : Moshe Yaalon, Shaul Mofaz et Michaël Herzog. Ce dernier organisait même pour ses hôtes un « tour en hélicoptère » conçu comme une « approche géostratégique des frontières d’Israël ». Inutile de dire que le projet fit long feu… (Confluences)

Evidemment, du côté du président sortant, qui ne sera pas réélu à moins de la plus grande surprise électorale depuis la victoire de Truman en 1948, une encyclopédie serait nécessaire pour recenser les paroles et les actes de lui-même et de ses porteurs de serviette.

Inutile donc de dire que, au risque de complaire à Manuel Valls, si j’avais le droit vote je voterais blanc.

« On accorde trop de droits à l’Islam et aux musulmans en France »

Ce n’est pas une phrase de Manuel Valls ou Claude Guéant, mais une affirmation partagée par 51% des Français interrogés dans ce sondage de la SOFRES: ils étaient 43% en janvier 2010, 50% en janvier 2011 et donc 51% en janvier de cette année. Si l’on va dans le détail, ils sont 37% à le penser parmi les personnes interrogées se réclamant de la gauche (23% sont plutôt d’accord et 14% sont tout à fait d’accord), 70% parmi ceux se réclamant de la droite (33% sont plutôt d’accord et 37% tout à fait d’accord) et 89% parmi ceux se réclamant de l’extrême-droite (29% sont plutôt d’accord et 60% tout à fait d’accord). On note une forte corrélation avec les chiffres de ceux qui estiment qu’il y a trop d’immigrés en France (51% du total, 33% de ceux de gauche, 70% de ceux de droite et 92% de ceux d’extrême-droite) et qui estiment qu’on ne se sent plus vraiment chez soi en France (44% du total, 28% de ceux de gauche, 64% de ceux de droite et 92% de ceux d’extrême-droite).

Pendant ce laps de temps, c’est-à-dire depuis 2010, outre la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 interdisant le voile à l’école publique encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, sont venues s’ajouter deux textes de loi (dont un n’est il est vrai qu’à l’état de projet) accordant des droits à l’Islam et aux musulmans de France:

  • la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la burqala dissimulation du visage dans l’espace public;
  • la proposition de loi – proposée par ailleurs la gauche – visant à interdire le voile aux assistantes maternellesétendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité

Vous, je ne sais pas, mais ça me rappelle furieusement une des meilleures chanson de The Clash, « Know your rights« :

Know your rights all three of them

Number 1
You have the right not to be killed
Murder is a CRIME!
Unless it was done by a
Policeman or aristocrat
Know your rights

And Number 2
You have the right to food money
Providing of course you
Don’t mind a little
Investigation, humiliation
And if you cross your fingers
Rehabilitation

Know your rights
These are your rights

Know these rights

Number 3
You have the right to free
Speech as long as you’re not
Dumb enough to actually try it.

Know your rights
These are your rights
All three of ’em
It has been suggested
In some quarters that this is not enough!
Well…………………………

Abdellah Taïa: « Faut-il avoir peur des islamistes? La réponse est très simple: non! »

Pour rester dans la lignée de Femmes du Maroc, voici la réaction de Abdellah Taïa, écrivain homosexuel engagé – je n’oublie pas sa prise de position courageuse en faveur de Nadia Yassine, pourtant aux antipodes de ses idées et de son mode de vie:

Le monde arabe est entré sérieusement dans la révolution, et grâce à des jeunes Arabes très courageux, le mur de la peur est tombé. Les esprits, au Maroc comme au Yémen, se sont ouverts. Une conscience politique est née. Pour toujours.

Aujourd’hui, on assiste à la victoire des partis islamistes en Tunisie, au Maroc et en Egypte. Et, erreur, la question de la peur est en train de revenir. Faut-il avoir peur des islamistes? La réponse est très simple: non! On sait d’avance que ce ne sont pas ces derniers qui vont continuer le travail de la libération de l’individu arabe, l’hétérosexuel comme l’homosexuel. La société civile, les partis de gauche, les jeunes révolutionnaires vont et doivent résister davantage, continuer leur lutte, poursuivre leurs buts: la laïcité, la justice, la répartition des richesses, la dignité et la culture pour tous.

L’espoir est dans nos coeurs arabes et révoltés. Les islamistes ont gagné « démocratiquement ». Il ne faut surtout pas les diaboliser. Il faut leur demander simplement de tenir leurs promesses électorales. Ne pas s’adresser à eux comme s’ils étaient plus forts que nous, les citoyens. Le gouvernement doit être au service du peuple, et non l’inverse.

Les jeunes du mouvement du 20 février ont ouvert une grande porte au Maroc. On n’a pas le droit de les laisser tomber. (Femmes du Maroc, janvier 2012)

Mon respect pour Abdellah Taïa s’accroît de jour en jour.

« Dans le cas de Bassima Haqqaoui, elle est certainement la plus hermétique… »

Il ne faut pas se moquer trop légèrement de la presse féminine. Ainsi, le dernier numéro de Femmes du Maroc (janvier 2012) contient-il une série très intéressante de réactions à la victoire électorale du PJD. On y voit ainsi Aïcha Ech-Chenna, Latefa Ahrare, Abdellah Taïa et Mohamed Horani (CGEM) réagir à l’arrivée du PJD à la tête du gouvernement. J’ai trouvé particulièrement intéressante la réaction du professeur Chafik Chraïbi, président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC):

Non, je n’ai pas peur et je ne suis pas vraiment pessimiste. Le PJD est le premier parti politique avec lequel j’ai eu des contacts car quand j’ai créé l’AMLAC, c’est le parti qui m’a reçu le plus facilement en me permettant de faire une journée d’étude au sein même du parlement et d’ouvrir le débat. Toutefois, un problème de taille réside dans le fait que ses membres sont très divisés sur la question. Ainsi, M El Othmani fait figure d’exception en déclarant de façon claire et puverte être pour la légalisation partielle de l’avortement dans certaines conditions, à savoir le viol, les malformations foetales, et j’étais même étonné d’apprendre qu’il était aussi pour cette pratique dans certaines situations sociales. Mais M. El Othmani ne représente pas le PJD… et c’est bien ce qui m’inquiète. Dans le cas de Bassima Haqqaoui, elle est certainement la plus hermétique et elle s’est montrée, dès le premier jour, d’une virulence et d’une agressivité extrême s’agissant de la question de l’avortement. Quant à M. Brahimi, l’un de leurs députés, il a tout simplement déclaré que l’avortement est anticonstitutionnel car dans la Constitution, il est dit que le droit à la vie doit être préservé. Quand j’ai expliqué que lorsqu’on diagnostique une malformation foetale grave qui entraînera à coup sûr un lourd handicap moteur, il vaut mieux indiquer un avortement thérapeutique, savez-vous ce que l’un d’entre eux m’a répondu? Que légaliser l’avortement dans ce cas de figure revenait donc à autoriser quiconque à sortir dans la rue et à fusiller tous les handicapés moteur croisés sur son chemin…

En conclusion, je dirais donc que tout dépend des forces qui animent ce parti et de l’influence de certains de ses membres. Mais quoique fasse le PJD, les grossesses non désirées existent depuis la nuit des temps, et elles existeront toujours, car quand on ne veut pas d’une grossesse, quoiqu’il arrive, on fait en sorte de l’interrompre. C’est vrai qu’on peut faire plus attention en utilisant un moyen de contraception; mais malgré ces précautions, on peut tomber enceinte. Si ce sont des gens intelligents, ils devraient mettre un point d’honneur à préserver la santé de la mère et à autoriser l’avortement en hôpital dans des conditions sanitaires adéquates. Q’ils montrent leur ouverture d’esprit! Avant, nous avions peur des islamistes, de leur côté strict et sévère, mais s’ils ont gagné aujourd’hui, c’est parce que ils ont affiché un côté modéré. Une chose est sûre: les gens veulent le changement, mais pas l’islamisation totale.

Une petite parenthèse sur le droit à la vie dans la constitution révisée: le député PJD cité pr Chafik Chraïbi n’a hélas pas tout à fait tort. Pour des raisons qui me sont inconnues, l’article 20 pose le droit – « le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit » – mais ne prévoit aucune des exceptions normalement prévues dans les traités internationaux, comme l’article 6 du PIDCP (ratifié par le Maroc et qui contient une dérogation expresse pour la peine de mort) et surtout l’article 2 de la CEDH (inapplicable au Maroc et qui contient une dérogation expresse pour la peine de mort et l’usage de la force dans le cadre du maintien de l’ordre public). Une meilleure rédaction de cet article aurait du être plus explicite: soit en abolissant la peine capitale et l’avortement, soit en abolissant la peine capitale et en autorisant l’avortement sous conditions, soit en autorisant les deux sous conditions – sans compter l’exemption prévue à l’article 2 de la CEDH en faveur de l’usage de la force dans le cadre du maintien de l’ordre public. Ce n’est bien évidemment pas la solution choisie par le pouvoir constituant, c’eût eté trop simple.

Pour en revenir à Bassima Hakkaoui, cette diplômée de 3e cycle en psychologie sociale et députée depuis 2002 sera donc en charge des affaires sociales, portefeuille qui comprend la femme et la famille, où elle succédera à la féministe PPS Nouzha Sqalli – celle qui se plaignait en conseil des ministres du volume de l’appel à la prière – on ne peut pas dire que la transition entre les deux ne se fera pas remarquer…

Hakkaoui sera aménée à des arbitrages – pas seulement en matière de projets de textes réglementaires ou législatifs, mais surtout en termes d’actions et d’initiatives soutenues par le ministère. Espérons que si elle sera bien évidemment, comme il est son droit le plus strict, une ministre appliquant le programme pour lequel elle aura été élue, qu’elle saura se rappeler que ces élections législatives n’étaient pas un référéndum sur telle ou telle question de moeurs, et qu’elle également la ministre de tous les Marocain-e-s…

Quelques autres déclarations de Bassima Hakkaoui:

Mais derrière ces gestes solidaires, le discours sur les droits de la femme demeure bien particulier. Quand les tenantes du féminisme musulman défendent sans ambiguïté l’égalité entre hommes et femmes, Bassima Hakkaoui, députée du Parti de la justice et du développement (PJD) et présidente du Conseil administratif de l’ORCF, explique croire en “leur complémentarité”.

Selon elle, “on ne peut imaginer un monde l’un sans l’autre”. Le féminisme, pour les militantes islamistes, cherche bâtir un univers sans hommes, érigés en ennemis suprêmes, et serait responsable, selon une activiste qui a souhaité garder l’anonymat, des “familles monoparentales, du décrochage scolaire, de la pédophilie”. Bassima Hakkaoui estime, elle, que la femme musulmane ne se centre pas ainsi sur elle-même : “Elle a des devoirs, en tant que citoyenne et mère. Hommes et femmes n’ont pas les mêmes obligations, il y a une particularité féminine, notamment par la structure biologique et physique de la femme. Certains métiers peuvent être dangereux pour sa santé, celle de son bébé”. (…) 

D’ailleurs, là où les nouvelles voix du féminisme musulman acclament la Moudawana réformée, l’ambiance, côté militantes islamistes, est à l’amertume un peu crispée. Selon Bassima Hakkaoui, “certaines choses ont été touchées de façon gratuite, comme l’abandon de la tutelle paternelle pour le mariage. Très peu de femmes se marient sans l’assistance du père, donc ça ne change rien. De plus, l’âge minimal du mariage (18 ans) reste à discuter. Aujourd’hui la moyenne d’âge du mariage est très élevée et les cas exceptionnels de mariages précoces se débrouillent pour qu’ils aient lieu. Je suis contre la dictature de la loi, chaque être humain a le droit de faire ce qu’il veut”. Enfin, presque…

À nouveau, là où les féministes musulmanes font une croix sur la polygamie, Bassima Hakkaoui justifie que “si les femmes refusaient, elle n’existerait pas”. La députée PJD évoque “ces femmes cadres cultivées qui préfèrent un homme déjà marié pour atténuer la présence masculine dans leur vie, pour être soulagées en tant que seconde épouse”. Quant à la question de l’héritage, elle n’est pas même, pour les islamistes, censée souffrir le débat. “C’est clairement dit dans le Coran. Il ne faut pas projeter le système occidental sur le musulman, dans lequel la famille induit beaucoup d’exigences pour l’homme par rapport à la femme, qui est soulagée de nombreuses obligations”. L’héritage avantagerait donc les hommes pour compenser le sacrifice consenti au sein du foyer. On est loin de l’ijtihad moderniste défendu par Amina Wadud et consorts. “Nous n’acceptons pas une lecture moderne, mais une lecture correcte du Coran”, rectifie Bassima Hakkaoui.(Tel Quel, n° 224, 6 mai 2006)

Pour finir, cette citation, pour laquelle j’ai renoncé à fournir une illustration:

À la maison, je suis une épouse qui accomplit parfaitement ses devoirs conjugaux. (Aujourd’hui Le Maroc, 29 décembre 2011)

Tahar Benjelloun devrait rester chez lui, et Jeannette Bougrab aussi

Les têtes pensantes du courant de pensée « touche pas à ma bière« ™ se mobilisent. On a d’abord eu, dans Le Monde, note prix Goncourt (le prix des cons qui se gourent, Coluche dixit) national, Tahar Benjelloun, a ainsi commis « Maroc : l’islam doit rester dans les mosquées« . Les connaisseurs pourront comparer avec son « La Porsche noire, le play boy et la burqa« , où il était question d’émigré rifain en Hollande, de burqa, de Porsche noire et de Talibans – ne cherchez pas le fil rouge dans ce dernier article, il n’y en avait pas. Dans son article plus récent donc, notre Tahar national nous assène une vérité profonde qu’il partage avec Benali:

Il est une expression vide de sens et surtout qui trompe son monde : « islamistes modérés ». Un religieux qui investit le champ politique n’a que faire de la modération.

Donc, entre Recep Tayyep Erdogan et Ayman al Zawahiri, entre Saadeddine Othmani et le cheikh Maghraoui, aucune différence. D’ailleurs, de vous à moi, quelle différence entre Olof Palme et Pol Pot?

Il faudrait dix pages pour faire le tour des luminosités benjellouniennes (d’autres semblent autant aveuglés par la lumière que moi): « L’islam bien compris est une belle religion » – pourquoi a-t-on l’impression que cette compréhension est le monopole de fait de Tahar Benjelloun? Puis l’émotion empêche Benjelloun de voir la poutre dans son pays d’adoption: « l’islamisme politique se caractérise en général par une action directe sur le mode de vie des gens » – comme l’interdiction du voile dans les écoles publiques, ou la chasse au halal dans les cantines? Enfin une petite pensée pour nos compatriotes juifs: « Le Maroc a de tout temps été musulman et n’a jamais éprouvé le besoin de mélanger la religion et la politique. » – et je ne parle même de la surprise qui doit étreindre quiconque a jamais lu la Constitution marocaine, dont toutes les versions successives font du chef de l’Etat le Commandeur des croyants et font de l’islam la religion de l’Etat.

Puis ce morceau d’anthologie:

« Cela commence par quelques prêches moralisants et finit par des décrets et des lois (fatwas) qui gouvernent la vie quotidienne des citoyens. Il empêche de penser ou mieux pense à la place des citoyens. A quoi bon penser, douter, débattre puisque tout est écrit d’avance. »

Bref: chez ces gens-là, monsieur, on ne pense pas, monsieur, on prie, comme chantait l’autre. Chacun sait que le PJD – puisque c’est son arrivée à la primature qui terrifie Benjelloun – ne pense pas, ne doute pas et ne débat pas. Bernard Lewis serait fier de Tahar.

Un autre qui doit être fier de Tahar, c’est le chef de l’Etat:

Que s’est-il passé ? Je ne crois pas à l’effet domino, car la situation de la Tunisie n’a rien à voir avec ce que vit le Maroc, depuis l’arrivée du roi Mohammed VI.

Et je ne peux m’empêcher de citer notre Pic de la Mirandole quand il torture la logique telle la DST à Temara: « les autres partis, les traditionnels et les nouveaux, qui sont tous musulmans mais ont plutôt un comportement laïque » – je répète pour les mal-comprenants, des partis musulmans mais laïcs – oui, vous avez bien lu partis, et non pas individus, la laïcité benjellounienne accepte les partis confessionnels pourvu qu’ils ne soient pas islamistes.

Concluons: « Le Maroc n’a pas eu le temps de cultiver la démocratie dans les esprits. ». Le Maroc? C’est qui, le Maroc, Tahar, le Mouvement du 20 fébrier ou la DST? Laanigri, Majidi, Benslimane, Mansouri, El Himma, Azoulay, Fassi Fihri ou Amine, Raydi, Bougrine, Bensaïd, Boubker Jamaï, Assidon, Abdelmoumni, Akesbi? A qui la faute, Tahar, tes amis ou les autres?

Les consloups chassant en meute, on aussi eu droit à Jeannette – (ben oui, il faut s’appeler Jeannette ou manger du jambon pour être un politicien d’origine arabe en France) – Bougrab, politicienne UMP harkie (j’aurais bien écrit maghrébine, mais c’est la cause harkie qui semble marquer le plus l’engagement identitaire de Bougrab), qui s’est vantée de sa piètre connaissance de l’aire culturelle de ses ancêtres: « Je ne connais pas d’islamisme modéré« . Pas de différence donc entre Recep Tayyep Erdogan, qui écarte l’application du droit musulman et vante la laïcité, et le Mollah Omar. Et c’est au nom de son opposition à toute « restriction des droits et libertés » qu’elle déclare que « je suis d’ailleurs contente de voir qu’à Alger une loi est adoptée pour interdire la constitution de partis politiques par les anciens du FIS« .

Là où son entretien devient indécent c’est ici, elle dont je n’ai pas souvenir qu’elle aie jamais dénoncé la torture en Tunisie sous Benali:

« Je trouve choquant que ceux qui ont les droits et libertés ici aient donné leur voix à un parti religieux. Je pense à ceux qui, dans leur pays, ont été arrêtés, torturés pour défendre leurs convictions. On leur a en quelque sorte volé la révolution« .

Que Jeannette Bougrab croie juste de montrer patte blanche pour le bien de sa carrière, soit. Qu’elle instrumentalise les victimes d’une dictature totalitaire pour servir son ambition est obscène – citons par exemple Abdelnacer Naït-Liman, ancien sympathisant et détenu politique d’Ennahda:

«Ils m’ont conduit de l’aéroport au ministère de l’Intérieur, se souvient-il. Là, ils m’ont amené à la «salle d’opération». Il y avait des traces de sang partout, des cheveux et des bouts de peau étaient collés sur les murs. Ils m’ont déshabillé. Comme je résistais, ils m’ont laissé mon caleçon, puis ils m’ont mis dans la position du «rôti». Les jambes sont coincées entre les bras attachés, on passe un bâton sous les genoux et on le pose entre deux tables. Puis on vous torture avec des câbles électriques, des battes de baseball et d’autres châtiments dont je n’arrive pas à parler.»

Citons aussi Hamadi Ben Abdelmalek, arrêté et torturé pour avoir été ami d’un militant d’Ennahda:

Ce 25 janvier, un autre homme, Hbib S., est interrogé dans les locaux du ministère. Il conduit les policiers à l’hôtel de l’Algérien, celui à qui ont été remis les 150 dinars. Une confrontation est alors organisée. Les coups pleuvent sur Hamadi. Les insultes aussi. « Tu es un metteur en scène toi ! Tu prétends que tu ne le connais pas ? Tu l’as vu au café ! Avoue ! » J’ai reconnu Ali mais j’ai répété que je ne le connaissais pas plus que ça. « Tais toi ! Tais toi ! » Ils m’ont frappé. »

Qui est Ali ? Quels sont ses liens avec Tlili ? Pourquoi lui, agriculteur, fréquente-t-il Tlili ? Après 48 heures d’interrogatoire, un homme important débarque dans le bureau. C’est le directeur de la sûreté de l’Etat, Ezzedine Jenayah. Il s’installe. Hamadi se souvient de son regard, plein de mépris. Ce jour-là, il se contente de lui poser des questions.

Le lendemain, Hamadi commence à faiblir et les policiers à s’impatienter, les coups ne suffisent plus. « Ils m’ont déshabillé puis ils m’ont ligoté les pieds. J’avais les mains attachées derrières les genoux. J’étais gros, c’était difficile de me mettre dans la position du “poulet rôti”. » Ou de « l’hélicoptère ».

Cette sinistre technique de torture de la police tunisienne consiste à immobiliser la victime en coinçant un bâton derrière ses genoux. Les chevilles et les poignets sont liés.

« Ils m’ont coincé entre deux bureaux. Je les ai vus apporter une barre de fer. On m’a frappé, frappé toute la journée. De temps en temps, Jeniyah entrait, le cigare à la bouche, et demandait : “Il a pondu ? Non ? Bon, il va pondre.” Moi, j’avais la tête par terre et les pieds en l’air. »

Je souhaiterais que Bougrab soit confrontée à Naït-Liman ou Hamadi Ben Abdelmalek. Malheureusement, rares sont les faiseurs d’opinion politiques et médiatiques confrontés aux coût humain de leurs mensonges, hypocrisies, effets de manche et petits calculs. Consolons-nous avec notre insondable mépris, c’est bien le moins.

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