Pour des infos sur le mouvement du 20 février et le boycott, voir mamfakinch.com et mamsawtinch.com.
Tous ceux qui comme moi ont longtemps argué en faveur du droit de vote des MRE aux élections législatives marocaines se rappellent de l’argument généralement avancé par le régime et ses supplétifs pour justifier le refus de ce droit: « des difficultés techniques », argument auquel le chercheur le plus assidu de la question des MRE, Abdelkrim Belguendouz (il avait plaidé en vain pour la constitutionnalisation de la représentation parlementaire des MRE), a fait droit:
Extraits du livre de A. Belguendouz : « Marocains du pays et marocains d’ailleurs : Fracture citoyenne »
L’alibi des difficultés techniques
D’aucuns, au sein de divers départements ministériels et dans certaines chancelleries et consulats du Maroc à l’étranger, ont évoqué la difficulté matérielle à établir ces listes à l’étranger. Mais, lorsqu’on constate que les citoyens d’autres pays, y compris les Algériens, votent à l’étranger, n’est-ce pas du côté marocain de la simple paresse bureautique, un manquement flagrant à un devoir administratif et le signe d’un laisser- aller manifeste ?
L’évocation de cette pseudo justification, ne constitue-t-elle pas au contraire un argument de plus et de poids pour une mise à niveau (organisationnelle et mentale) de l’appareil consulaire et diplomatique du Maroc, comme cela avait été annoncé dans le discours royal du 20 août 2002 ? A-t-on oublié par ailleurs que les Marocains résidant à l’étranger ont voté, non seulement durant les législatifs de 1984, mais aussi à l’occasion des divers référendums qui ont été organisés ? Signalons enfin, s’agissant de la communauté, que le vote par procuration, voire même par correspondance, aurait pu être envisagé. Cela aurait justifié, en partie, le fait que les résultats électoraux ne soient connus que le lendemain du jour du scrutin…
Par conséquent, la difficulté matérielle d’établir un registre électoral des Marocains résidant à l’étranger peut être surmontée par un minimum d’organisation, à laquelle doit s’ajouter, bien entendu, la volonté politique. En tous les cas, les carences logisti- ques, les raisons techniques ou l’absence de professionnalisme et du sens de l’organi- sation, ne peuvent fonder légitimement l’exclusion des urnes des Marocains résidant à l’étranger et leur bannissement, leur ôtant de fait et dans la pratique, une partie de leurs droits constitutionnels, prévus, comble d’ironie, par la Constitution, révisée en 1996 par un référendum auquel les « MRE » avaient participé…
On peut conclure que s’agissant de la volonté politique, elle semble être présente lors de ce référendum constitutionnel, puisque les autorités gouvernementales marocaines ont déclaré que pouvaient participer à ce référendum tout Marocain résidant à l’étranger titulaire d’un document « prouvant leur marocanité« :
«Tous les Marocains résidant à l’étranger, même s’ils ne sont pas inscrits dans leurs consulats, pourront participer au référendum du premier juillet », a affirmé dimanche 19 juin Mohamed Ameur, ministre de la Communauté marocaine à l’étranger, lors du séminaire « Réformes constitutionnelles, immigration et citoyenneté » organisé par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger ce week-end à Casablanca. « Tout document qui prouve leur marocanité » sera accepté dans les consulats pour leur permettre de s’exprimer sur le nouveau texte, a détaillé le ministre.
Tout document qui prouve
Ceci est bien évidemment absolument illégal – le Code électoral contient ainsi, parmi les articles 115 à 140 applicables au vote des MRE, un article 110 qui énonce ce qui suit:
Article 110:
Sont admis à prendre part au référendum :
1) Les électeurs inscrits sur les listes électorales générales ;
2) Les militaires de tous grades en activité de service, les agents de la force publique (gendarmerie, sûreté nationale, forces auxiliaires) et généralement, toutes les personnes auxquelles le droit de porter une arme dans l’exercice de leurs fonctions a été conféré ;
3) Les Marocains immatriculés dans un poste diplomatique ou consulaire du Royaume du Maroc ou résidant à l’étranger.
Les personnes visées aux 2°et 3°ci-dessus doivent en outre être âgées au moins de 18 années grégoriennes révolues à la date de scrutin et satisfaire aux autres conditions requises pour l’inscription sur les listes électorales générales, abstraction faite de celle tenant à la non-appartenance à certaines catégories de fonctionnaires civils et militaires.
L’immatriculation au consulat ou à l’ambassade la plus proche, matérialisée par une carte d’immatriculation consulaire, ou la résidence à l’étranger, sont donc les conditions légales posées par le code électoral pour que les MRE puissent participer aux référendums marocains. On remarquera au passage que s’agissant des référendums, des catégories entières de citoyens, privés du droit de vote aux élections législatives et communales, en sont soudain dignes – car le référendum, dans la pratique marocaine, n’est qu’une forme modernisée de beiy’a (allégeance au Roi)…
Disons-le tout de suite: l’article 110 est mal rédigé, probablement à dessein. Dans les pays reconnaissant le droit de vote aux ressortissants résidant à l’étranger, on connaît généralement deux cas de figure pour organiser leur vote dans des conditions permettant de s’assurer que les intéressés bénéficient bien du droit de vote et exclure tout risque qu’ils votent deux fois. Dans le premier cas de figure – cas par exemple des Français de l’étranger votant pour les élections présidentielles – l’inscription se fait sur des listes électorales dressées, bien en avance, ambassade par ambassade et consulat par consulat. Le jour du scrutin, chaque Français de l’étranger vote à l’ambassade ou au consulat dont il dépend, et nulle part ailleurs. Dans le second cas de figure, les ressortissants à l’étranger sont rattachés à une circonscription électorale de leur pays. Ils vont certes voter à l’ambassade, quelques semaines ou jours avant la date du scrutin au pays, mais ils sont en fait inscrits sur les registres électoraux d’une circonscription de leur pays d’origine – soit leur lieu de naissance, soit celui de leur dernière résidence. Leurs bulletins de vote sont alors ramenés au pays et remis au bureau de vote auxquels ils sont rattachés dans leur pays d’origine pour y être dépouillés et comptés.
Rien de tel au Maroc, où les MRE ne se sont pas vu reconnaître le droit de vote aux élections législatives par le législateurs, en violation de la Constitution (paradoxalement, c’est là une des avancées de ce projet de constitution, dont l’article 17 dispose que « les Marocains résidant à l’étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d’être électeurs et éligibles« ). Normalement, une liste électorale générale recense les électeurs marocains résidant au pays et ne figurant pas dans les cas d’incapacité électorale répertoriés à l’article 5 du Code électoral. S’agissant des opérations référendaires, l’article 110 du Code électoral qui accorde le droit de vote non seulement aux MRE immatriculés au consulat mais aussi ceux « résidant à l’étranger » sans être immatriculés – est en contradiction assez flagrante avec les articles 120 et 137, qui précisent que la liste des votants qui doit être établie pour tout bureau de vote comprend, s’agissant des bureaux de votes dans les ambassades ou consulats du Maroc, « la liste des citoyens marocains immatriculés auprès de l’ambassade ou du consulat et jouissant du droit de vote » et surtout l’article 135:
Le vote a lieu dans les locaux de l’ambassade ou du consulat où les votants sont immatriculés et dans tous autres lieux désignés à cet effet par le consul.
La carte d’immatriculation consulaire tient lieu de carte de vote.
On voit donc que les opérations référendaires dans les consulats et ambassades à l’étranger doivent:
- avoir lieu dans des bureaux de vote détenant une liste de votants « dressée à partir de la liste des citoyens marocains immatriculés auprès de l’ambassade ou du consulat » (article 137);
- voir les électeurs présenter une carte d’immatriculation consulaire en guise de carte de vote (article 135);
Rétroactes:
– « Ce qui ne peut pas durer dans la constitution marocaine (I)« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (II): la méconnaissance de la souveraineté populaire« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (III): voici ce que je proposerai au sujet des langues« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (IV): identité et citoyenneté« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (I): les espoirs déçus de 1962« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (II): le refus constant de l’assemblée constituante élue« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (III): des référendums constitutionnels aux résultats invraisemblables« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (IV): l’élaboration de la constitution se fait au Palais« ;
– « And now, Morocco« ;
– « J’adore la constitution cambodgienne« ;
– « Il s’honore, dit-il« ;
– « Deux jours avant le discours royal, Hamid Chabat parlait des révolutions arabes comme d’un complot sioniste« ;
– « la question n’est pas tant de savoir s’il faut craindre une contagion du printemps arabe au Maroc que celle de savoir s’il ne représente pas une opportunité pour le pouvoir »;
– « Les vieilles ficelles de la MAP« ;
– « Casablanca, le 13 mars 2011« ;
– « Réforme constitutionnelle: début du dialogue avec la société civile à Casablanca« ;
– « Le Maroc, une monarchie républicaine« ;
– « Un conseiller du Roi préside le « mécanisme de suivi » de la réforme constitutionnelle rédigé par une commission royale…« ;
– « Maroc: une révolution urgente et légitime« ;
– « Quand la police marocaine menace de mort un journaliste militant« ;
– « Morocco’s February 20th protest movement for dummies« ;
– « Analyse du mouvement du 20 février au Maroc« ;
– « Me Ziane est opposé à la réforme constitutionnelle« ;
– « Au Maroc, le boycott électoral est criminalisé« ;
– « Le boycott référendaire en droit marocain« ;
– « Le projet de Constitution révisée: que penser? » .
Filed under: bolitique, droit marocain, makhzen, Plubopaysdumonde | Tagged: allégeance, beiy'a, code électoral, droit électoral, droit de vote, makhzen, maroc, marocains résidant à l'étranger, mohamed ameur, mohammed VI, monarchie, mre, référendum, référendum constitutionnel, référendum constitutionnel de 2011 | 6 Comments »