Akhannouch, ministre des finances par intérim, conflits d’intérêts permanents

Aziz Akhannouch était ministre de l’agriculture déjà sous la primature calamiteuse d’Abbas el Fassi, et il fut le seul ministre à rester au sein du nouveau gouvernement Benkirane en dépit de son étiquette partisane – le RNI – purement factice, car son seul vrai parti c’est le makhzen (après voir mené campagne  – et été élu – sous l’étiquette du RNI pour les législatives de 2011 en compagnie de Salaheddine Mezouar, il démissionna du parti en 2012 pour devenir un ministre sans étiquette au sein du gouvernement Benkirane:

Déjà en 2007, Akhannouch allait entrer au gouvernement de Abbas El Fassi sous les couleurs du Mouvement populaire. A la veille de la nomination du gouvernement et après le refus de Mohand Laenser de le parrainer, lui et Amina Benkhadra, Aziz Akhannouch avait intégré le RNI alors présidé par Mustapha Mansouri. Sauf que cette fois-ci, le ministre de l’Agriculture sortant s’est présenté aux élections législatives de novembre dernier et toujours sous l’étiquette du RNI. Près d’un mois plus tard, il jette l’éponge. Cela doit être un coup dur pour Salaheddine Mezouar, le président du parti qui avait, dès le lendemain des élections, choisi de camper dans l’opposition. Des parlementaires de cette formation se sont déjà prononcés en faveur d’Akhannouch. Ils ont promis de soutenir ses projets même s’ils sont dans l’opposition. (L’Economiste, 2012)

Déjà, ce portefeuille soulevait problème ( voir « Bref rappel sur le parcours d’Aziz Akhennouch« ), en raison des considérables intérêts économiques d’Akhennouch et de son épouse Salwa – le groupe familial AKWA Group  anciennement (avant 2002Groupe Afriquia, leur appartient, et est présent notamment dans le secteur du carburant, un secteur réglementé bénéficiant de la caisse de compensation, ainsi que la communication, autre secteur réglementé:

AKWA Group comprend désormais quatre pôles d’activités: les carburants (Afriquia), le gaz (Afriquia Gaz), les fluides (Maghreb Oxygène et Techno Soudures) et les TMT (technologies, média et télécommunications). (Aujourd’hui Le Maroc, 2002)

C’est ainsi que le groupe a mis le pied dans d’autres secteurs tributaires de bonnes relations avec les pouvoirs publics – dont une concession à Tanger Med:

En 2004, AKWA Group a été désigné en qualité de concessionnaire du premier terminal à conteneurs du nouveau port de Tanger Méditerranée. Quatre années plus tard, le groupe se voit attribuer la concession du terminal 3 du Port Tanger Med dans le cadre d’un groupement formé avec Maersk (Danemark) et APM Terminals (Hollande). (site d’AKWA Group)

Plus récemment, le tourisme est venu s’y rajouter – AKWA Group signant même des conventions de partenariat avec des groupes étrangers sous « la présidence » d’un collègue gouvernemental d’Aziz Akhannouch, le ministre du tourisme:

Après Marrakech et Casablanca, Four Seasons Hôtels, fleuron de l’hôtellerie internationale prend pied à Agadir en s’alliant au géant marocain Akwa Group. À cet effet, un protocole d’accord a été signé, hier à Casablanca, sous la présidence du ministre du Tourisme, Lahcen Haddad. (Le Matin du Sahara, 2013)

Et le tour de table de ce projet-là justement indique la présence aux côtés d’AKWA Group de la CDG, bras financier du makhzen:

Actuellement, le projet semble être enfin sur les rails, il réunit dans son tour de table quatre partenaires qui sont CDG Développement (35%), filiale du groupe Caisse de dépôt et de gestion, la Société marocaine d’ingénierie touristique (5%), le groupe Alliances Développement immobilier (20%) et le consortium Sud Partners, consortium dont le chef de file est Akwa Group (15%).(Le Matin du Sahara, 2013)

Et depuis, un cinquième pôle est venu s’y ajouter – l’immobilier, autre secteur soumis à forte réglementation publique – le classement des zones, les autorisations administratives en matière d’urbanisme, le financement des projets, l’agrément des projets d’investissement… – et où l’entregent avec les autorités administratives, gouvernementales et financières est fort utile. Et l’on peut y rajouter le ciment

Dans les médias, AKWA Group contrôle le groupe Caractères Médias, qui comprend notamment La Vie économique et Femmes du Maroc. Le groupe – Aksal Group – dirigé par son épouse, Salwa Idrissi Akhannouch, s’intitule modestement « Leader marocain du luxe, retail et malls » (et avec une réussite d’autant plus méritoire que sa création daterait de 2004) , des activités qui ne lésinent généralement pas sur la pub dans la presse écrite. Et voilà pourquoi vous ne lirez pas beaucoup d’enquêtes d’investigation sur le cheminement d’Aziz Akhannouch dans la presse écrite…

Son épouse est décrite ainsi par le magazine étatsunien Forbes, dans un article intitulé « Ten African Millionnaires You’ve Never Heard Of« :

Salwa Idrissi Akhannouch, Morocco

Source: Real Estate, Fashion

One of Morocco’s wealthiest female entrepreneurs, Salwa Idriss Akhannouch is the founder and CEO of the Aksal Group, a Moroccan leader in retail, luxury goods, department stores and shopping malls. Aksal owns a 50% stake in Morocco Mall, the largest shopping center in Africa which was built at a cost of over $240 million in 2007. Aksal also holds the sole franchise for fashion brands such as Zara, Banana Republic, Pull & Bear and Gap GPS -0.64% in Morocco. Akhannouch inherited a fortune from her grandfather, Haj Ahmed Belfiqih, a businessman who held a virtual monopoly on Morocco’s tea trade in the 1960s. She is also the wife to Aziz Akhannouch, an equally wealthy Moroccan businessman and politician. (Forbes, 2013)

Mais le magazine n’avait pas oublié son époux dans cette liste, faisant d’eux le seul couple marié à y figurer:

Aziz Akhannouch, Morocco

Source: Energy distribution, Hotels

Aziz Akhannouch is the husband of Salwa Idrissi Akhannouch and currently serves as Morocco’s Minister of Agriculture and Fisheries. He is also one of the country’s wealthiest men. The 52 year-old politician is still Chairman and CEO of Akwa Group, a $1.6 billion (sales) Moroccan conglomerate which owns Afriquia, the Kingdom’s largest energy distribution company, hotel chain Ibis Moussafir and Afrinetworks, the largest distributor for Moroccan mobile operator Méditelecom with a portfolio of 250 outlets and 600 sites GSM payphones. The Akwa Group was founded in 1959 as Afriquia SMDC (Société Marocaine de Distribution de Carburants) by Akhannouch’s father.

Nul besoin d’être un prêtre luthérien scandinave pour se sentir mal à l’aise devant un tel conflit d’intérêt. Tout au plus Akhennouch pouvait-il se défendre en disant que son portefeuille ministériel – l’agriculture – n’était pas en contact direct avec l’activité principale de son groupe, les hydrocarbures, ou les activités subsidiaires. N’importe quelle personne ayant une connaissance superficielle du milieu politico-administratif marocain sait que l’influence d’un ministre, conseiller royal, haut fonctionnaire ou sécuritaire n’est pas délimitée par sa place dans l’organigramme officiel – pour preuve, l’intervention réussie d’Akhennouch dans une histoire obscure à la Casablanca American School, à laquelle l’ambassade des Etats-Unis menaçait de retirer son agrément en tant qu’école délivrant des diplômes scolaires étatsuniens pour cause de mauvaise gestion:

Il faudra l’intervention personnelle du ministre de l’Agriculture Aziz Akhennouch, dont l’enfant est scolarisé à l’école américaine, pour que les choses rentrent dans l’ordre. Résultat : les directeurs du conseil d’administration ont donné leur démission. Elle prend effet en octobre prochain, date à laquelle de nouveaux membres seront élus. De quoi rassurer les parents qui voulaient inscrire pour la première fois leur enfant dans cette école.

Et notre homme était lui-même conscient, en 1996, que son secteur était très dépendant des décisions publiques:

«Mais, explique M. Aziz Akhannouch, président du groupe, une grande partie de ces projets reste dépendante des décisions administratives concernant la suite de la libéralisation» (L’Economiste, 1996)

Six ans plus tard, il en était toujours aussi conscient:

« Pour que le secteur de la distribution poursuive son plan de développement et d’extension, il est nécessaire que les pouvoirs publics apportent des solutions aux différentes problématiques posées, plus particulièrement en termes de visibilité de modèle économique et de rentabilité financière ». (L’Economiste, 2002)

Et en 2005, il se faisait une idée claire de ses attentes vis-à-vis des pouvoirs publics:

Quelles améliorations doivent apporter les pouvoirs publics pour que le marché fonctionne mieux?

– D’abord, je tiens à dire que nous souscrivons totalement à la politique du gouvernement qui consiste à assurer une bonne chaîne d’approvisionnement par la diversification des opérateurs, la multiplication des sites de stockage et des points d’entrée. Nous voulons continuer à contribuer à cette politique énergétique de diversification des sources et de la sécurité d’approvisionnement. Bien évidemment, il faut mener parallèlement une réflexion profonde sur tout le système de la compensation et la fixation des prix. Nous avions un système qui fonctionnait très bien, celui de l’indexation, mais il a été arrêté. Quant au gaz, il va falloir réfléchir à une stratégie autour d’une décompensation progressive. (L’Economiste, 2005)

Rien d’étonnant, de la part de cet ancien poulain de Driss Basri et lié par sa famille maternelle au Palais (voir mon billet précité), que de saisir l’importance de l’Etat au Maroc pour la réussite des affaires…

Voilà donc qu’on a appris vendredi que Nizar Baraka ayant fait partie des cinq ministres Istiqlal démissionnaires suite au psychodrame de Hamid Chabat, nouveau chef de ce parti, il a été nommé président du Conseil économique, sociale et environnemental en remplacement de Chakib Benmoussa, nommé ambassadeur à Paris. Qui le Roi et le Chef du gouvernement ont-ils trouvé comme mieux indiqué pour remplacer Baraka le temps de finaliser les négociations avec le RNI pour la formation du nouveau gouvernement? Facile: Idriss Azami al Idrissi, ministre délégué au près du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget, qui est un ancien haut fonctionnaire de ce ministère et qui a servi directement sous Baraka depuis 2011, étant en charge de la préparation de la loi des finances 2014. Parmi les bizarreries de cette nomination à titre intérimaire, on relèvera que Akhannouch est le seul ministre nommé à ce titre , à en croire la presse officieuse, alors que quatre autres départements ministériels n’ont plus de chef…

Eh bien non, ce sera Aziz Akhannouch. Il est vrai qu’outre ses qualités d’homme d’affaires et son peu d’intérêt pour les appartenances partisanes, il est devenu très proche du Roi. Enfin, aussi proche que puisse être un Marocain de son Roi… Toujours est-il qu’il est probablement un des rares ministres depuis 1999 (sans doute Fouad Ali el Himma a-t-il eu ce privilège avant lui) à pouvoir titre privé le Roi et Lalla Salma à un ftour, comme ce fut le cas ce ramadan… Il est vrai que dans leurs activités de mécenat, les deux groupes, AKWA & Aksal, n’hésitent pas à financer les différentes fondations royales et assimilées – la Fondation Mohammed Vi pour l’environnement s’agissant d’AKWA, et la Fondation Lalla Salma pour la prévention et le traitement des cancers s’agissant d’Aksal.

Résumons donc: voilà un des trois ou quatre hommes d’affaires les plus riches du pays – Roi excepté – qui bien que n’ayant aucun poids partisan ni aucune attache idéologique, siège au gouvernement en dépit du conflit d’intérêt gros comme une maison que soulève son cas. Déjà pressenti pour la primature avant les élections de 2011 – le score du PJD y fit obstacle – il demeure comme une anomalie non-partisane dans un ministère qui n’est pas de souveraineté au sens propre du terme (justice, intérieur, affaires étrangères), il bénéficie de manière privilégiée d’une promotion intérimaire au poste de ministre des finances – alors qu’il devient (comme souligné par Omar) le ministre de tutelle de la Direction générale des impôts, qui hésitera sans doute à lancer des contrôles fiscaux à l’encontre d’AKWA ou d’Aksal pendant ce laps de temps. Seule sa proximité du Palais justifie sa nomination – et comment croire alors qu’il n’est nommé aux finances qu’à titre intérimaire?

Commentaires supplémentaires sur le droit de grâce et la réforme judiciaire

Le journaliste Alae Bennani m’a interviewé avec des questions portant notamment sur la grâce royale, la Constitution et le code pénal – extraits:

4) Vous en pensez quoi de la dernière affaire #DanielGate relative à la libération d’un pédophile irako-espagnol à l’occasion de la fête du trône? Qui est responsable de cette « erreur » à votre avis?  

Une marque d’incompétence tout à fait remarquable, qui révèle que nos institutions sont, au sommet, pas plus compétentes que la mouqata’a de base. Les faits ne sont pas encore tout à fait connus, avec des versions divergentes, mais le cabinet royal a sans doute un rôle déterminant, même si je trouve l’opinion extrêmement clémente avec Benkirane, qui a contresigné la grâce et qui aurait dû, lui, s’assurer que le dossier était présenté de manière professionnelle. Il a failli, et ce n’est pas une excuse qu’on ait failli au dessus de lui.

5) En tant que juriste, quelles sont les étapes de la rédaction de la liste de la grâce royale? Qui la rédige, qui l’approuve?

Cf le dahir de 1958 – une commission des grâces présidée par un représentant du ministère de la justice examine les demandes et établit la liste, libre ensuite au chef de l’Etat d’approuver ou non les noms qui y figurent.

6) Nous aimerons avoir EN BREF votre avis sur la nouvelle constitution, les éléments qui vous gênent…. 

Ca demanderait trop de développements. Globalement, elle est mal rédigée du point de vue de la technique juridique, avec des failles étonnantes. D’autre part, des parties entières tiennent plus de discours de fin de banquet que d’un texte juridique. Ceci étant, certains changements auront sans doute un effet systémique dont on ne se rend pas encore compte – je pense à la disposition faisant du chef du parti arrivé premier aux élections premier ministre. Mine de rien, cela impose une évolution vers un poids accru à la personnalité du chef des principaux partis, cela tend à écarter les chefs falots, à privilégier des chefs de parti pouvant être écoutés de la population, et cela devrait surtout faire comprendre à l’électeur que lorsqu’il vote pour son député, il désigne également un PM. Peut-être cela lui fera comprendre qu’il ne doit pas seulement désigner une super-assistante sociale ou voter en fonction des bakchichs reçus – mais peut-être suis-je trop optimiste.

7)  Qu’en est il du code pénal marocain? Quels sont les articles de loi qui vous semblent désuète voire même moyenâgeux ?

Le code pénal marocain n’est pas la plus mauvaise de nos lois, même si il est partiellement désuet. Le code de procédure pénale est beaucoup plus attentatoire aux libertés d’un grand nombre de marocains que le code pénal. Mais pour rester dans la question posée, si j’étais ministre de la justice je soumettrais un projet de loi abrogeant les sanctions pénales pour des relations sexuelles consenties et non-tarifées entre adultes -de sexe opposé ou non-  dans la sphère privée – il est aberrant de maintenir ces dispositions. Je dépénaliserai également de manière urgente la possession de cannabis pour usage personnel, en attendant un débat sur la dépénalisation totale en faveur de laquelle je suis. Je tâcherai également de dépénaliser le plus possible les infractions réprimées par le Code de la presse, notamment les articles 38 et 41 relatifs aux « lignes rouges ». En parallèle je modifierai le code de procédure pénale pour soumettre la garde à vue à la présence de l’avocat, du moins pour les crimes et délits, réduire de manière draconienne les cas permettant la détention provisoire, et rendre l’emprisonnement beaucoup plus difficile pour les infractions non violentes (toute contrainte sexuelle est bien évidemment violente) ou ne portant pas atteinte à la moralité publique (corruption, concussion, détournement de fonds, infractions électorales).

8) L’article 58 de la constituions dit que « Le roi exerce le droit de grâce…. »  ¨Vous en pensez quoi?

Il ne devrait plus l’exercer. Ce devrait être dévolu au Premier ministre (si le fétichisme est trop fort, on pourrait dire que le PM exerce le droit de grâce au nom du Roi, et permettre au Roi de proposer des grâces), selon une procédure révisée, transparente et contraignante, dans laquelle les victimes et leurs ayants-droit seraient pleinement impliqués. Mais il ne faut pas se leurrer: notre système judiciaire est pourri jusqu’à l’os, on ne peut s’attendre à des miracles pour ce segment de la chaîne judiciaire qu’est la grâce si le reste est corrompu.

Suite, avec des questions personnelles, ici.

Aïda Alami a sinon écrit un article sur la réforme judiciaire au Maroc dans le contexte de DanielGate pour Al Jazeera English, où je suis cité:

But Ibn Kafka, a prominent Moroccan blogger who writes on the legal system, believes there can be no quick fixes to the issues facing the country’s judiciary. The system, he says, needs to rebuilt from scratch. « Pardons come at the end of the judicial chain, and if the rest is corrupt and ineptly managed, there’s no reason for pardons to function spotlessly, » he said.

Ibn Kafka argues that change can only come from the bottom, namely from the people protesting on the streets. « Civil society needs to keep up the pressure and come forward with concrete proposals, or else we’ll end up like in June 2011, with a mediocre constitutional text being rammed down our throats, » he said, referring to a new constitution that was adopted to stall « Arab Spring » protests in the country.

Le reste est ici.

La monarchie marocaine et la régence

La régence est une institution assez marginale dans l’histoire de la monarchie marocaine. Dans les monarchies occidentales où elle a souvent eu cours, elle sert à suppléer, dans un système héréditaire par voie de primogéniture (autrefois mâle), à l’incapacité du titulaire du trône à exercer ses fonctions – généralement en raison de son trop jeune âge, mais parfois, comme entre 1944 et 1950 en Belgique, pour des raison politiques (le Roi Léopold III était considéré comme collaborateur par près de la moitié de l’opinion belge, notamment à gauche et parmi les francophones). Quelques cas de régence de ce type ont eu cours au Maroc également – le dernier en date étant le fameux Ba Ahmed, de son vrai nom Ahmed Benmoussa – régent lors de la prime enfance du calamiteux roi Moulay Abdelaziz, de 1894 à 1900.

L’orthodoxie musulmane est en effet majoritairement hostile au principe de la monarchie héréditaire par voie de primogéniture – principe rappelé par Mustapha Belarbi Alaoui lors de la campagne référendaire de 1962 lors de laquelle cet ‘alem, proche de l’UNFP, appela à voter non au projet de Constitution au  nom de l’islam.

Le dogme musulman sunnite classique ne connaît pas la notion de monarchie héréditaire – il s’agit plutôt d’une monarchie élective, avec cette particularité que les candidats à la fonction suprême sont choisis parmi une dynastie ou un clan:

A l’époque dite classique (les premiers siècles), la communauté des croyants s’en remet à un chef, le calife (l’imam chez les chiites), le lieutenant du Prophète. Dans la Cité humaine, c’est lui qui détient, au nom du Prophète, l’autorité et le commandement; c’est le chef de l’exécutif (…). C’est lui qui est chargé de maintenir l’unité de la « communauté« , qui exerce la charge de la « commanderie du bien« . C’est à propos de la mode de désignation du calife, de l’imam, et des conditions qu’il doit remplir pour être élu qu’il y eut rupture entre le sunnisme et le chiisme.

Dans la tradition sunnite le calife est bien le lieutenant du Prophète, mais en quelque sorte en tant que premier fonctionnaire de la Cité. Selon la majorité des docteurs (uléma) sunnites, il doit être désigné par l’élection, comme le furent les premiers califes après la mort du Prophète. Il est élu par les notables, ceux « qui délient et lient » (Ahl al-hal wa al ‘aqd) parmi les membres de la tribu du Prohète (Quraysh). Il doit être apte, physiquement et moralement, à remplir sa charge, mais celle-ci ne le rend ni infaillible ni irréprochable. (Mohamed Javad Javid, « Droit naturel et droit divin comme fondements de la légitimité politique: une étude comparative du christianisme et de l’Islam« , thèse de doctorat en droit présentée à la Faculté de droit de Toulouse, 2005, pp. 291-292)

L’histoire arabo-musulmane allait cependant évoluer:

Le système monarchique a souvent été dénoncé comme contraire à l’Islam et il a toujours été reproché à la dynastie omayade de l’avoir instauré. (Sélim Jahel, « INTRODUCTION A L’ETUDE DU SYSTEME CONSTITUTIONNEL DU ROYAUME D’ARABIE SAOUDITE« , p. 14)

Le caractère héréditaire de la monarchie allait au Maroc s’affirmer, mais pas avec primogéniture absolue, le projet de constitution de 1908 (jamais entré en vigueur) parlant significativement de « plus proche des aînés« :

Article 10: L’héritage du Sultanat revient, selon les anciennes coutumes, au plus proche des aînés.

Dans cette optique, si la succession au trône n’est pas forcément destinée à l’aîné des fils, le décès du monarque n’est donc pas forcément retardé par le bas âge de l’aîné, ainsi que cela peut être le cas en monarchie héréditaire par primogéniture lorsque l’héritier présomptif n’a pas la majorité. Il suffit alors de désigner un autre fils du souverain défunt, jugé apte à régner.

La Constitution de 1962 allait manifester la primauté royale et la préférence de Hassan II pour la primogéniture:

Article 20.
La couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent aux descendants mâles, en ligne directe et par ordre de primogéniture de S. M. le Roi Hassan II. Lorsqu’il n’y a pas de descendant mâle, en ligne directe, la succession au trône est dévolue à la ligne collatérale mâle la plus proche et dans les mêmes conditions.

La Constitution de 1970 modifiait sensiblement cette disposition en introduisant un droit d’option royal, Hassan II pouvant désigner un autre fils que son aîné comme successeur:

Article 20.
La couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent aux descendants mâles, en ligne directe et par ordre de primogéniture de S. M. le Roi Hassan II, à moins que le roi ne désigne de son vivant un successeur parmi ses fils, autre que son fils aîné. Lorsqu’il n’y a pas de descendant mâle, en ligne directe, la succession au trône est dévolue à la ligne collatérale mâle la plus proche et dans les mêmes conditions.

Cette disposition allait demeurer inchangée à travers les révisions constitutionnelles de 1972, 1992 et 1996.

La Constitution actuelle, en date de 2011, en dispose de même, Hassan II étant remplacé par Mohammed VI:

Article 43.
La Couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent de père en fils aux descendants mâles en ligne directe et par ordre de primogéniture de SA MAJESTÉ LE ROI MOHAMMED VI, à moins que le Roi ne désigne, de Son vivant, un successeur parmi Ses fils, autre que Son fils aîné. Lorsqu’il n’y a pas de descendants mâles en ligne directe, la succession au Trône est dévolue à la ligne collatérale mâle la plus proche et dans les mêmes conditions.

Il n’y a pas, à ma connaissance, de liste officielle des prétendants au trône. Sur la base l’article 43, cela donne donc la liste suivante:
1- Le prince héritier Moulay Hassan, fils du Roi;
2- Le prince Moulay Rachid, frère du Roi;
3- Le prince Moulay Hicham, fils aîné de Moulay Abdallah (frère de Hassan II), cousin du Roi;
4- Le prince Moulay Ismaïl, petit frère de Moulay Hicham, cousin du Roi.
5- Le prince Moulay Abdallah, fils de Moulay Ismaïl.

Si quelqu’un est en mesure de complèter…

Ce principe de primogéniture, atténué par la possibilité pour le Roi de désigner un autre de ses fils comme prince héritier, pose donc le problème de la régence. En effet, depuis la Constitution de 1962 un âge de majorité royal est fixé, qui empêche le Prince héritier mineur d’accèder au trône: de 18 ans en 1962, cette majorité va paradoxalement être abaissée à 16 ans par une révision constitutionnelle adoptée par voie référendaire en 1980, alors même que le Prince héritier et actuel Roi avait 17 ans. Le texte constitutionnel de 2011 va ramener la majorité royale à dix-huit ans. Qui dit majorité royale dit que le Prince héritier mineur ne pourra exercer la fonction de Roi. Son accession au trône n’est cependant que retardée, de sorte qu’une fois atteint l’âge de la majorité royale, il exercera alors la plénitude des pouvoirs royaux (au Maroc, ceci n’est pas une figure de style). Qui alors exercera ses pouvoirs durant cet intermède?

L’option d’un Régent unique a été écartée au Maroc (probablement dû à l’héritage historique des guerres de succession entre héritiers du sultan), et c’est le Conseil de Régence – instance collective – qui depuis 1962 se voit dévolu l’exercice des pouvoirs royaux dans l’attente de la majorité royale de l’héritier – hypothèse d’école, car tant Hassan II que Mohammed VI étaient majeurs au moment du décès de leur père respectif.

La Constitution de 1962 prévoyait ceci:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à dix huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne.
Le Conseil de régence est présidé par le parent mâle du roi, le plus proche dans la Ligne collatérale mâle et ayant 21 ans révolus, du recteur des Universités et du président de la Chambre des conseillers.

Les fonctions de membre du Conseil de régence sont incompatibles avec les fonctions ministérielles.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution de 1970 allait modifier légèrement ce régime, supprimant l’incompatibilité de l’exercice du mandat de membre du Conseil de Régence et de celui de ministre et rendant impossible l’utilisation des prérogatives royales de révision constitutionnelle par ce Conseil, sans compter la modification de sa composition et l’introduction d’un rôle consultatif de ce Conseil auprès du Roi de ses dix-huit ans à ses vingt-deux ans révolus:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à dix huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt-deux ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le parent mâle du roi, le plus proche dans la ligne collatérale mâle et ayant 21 ans révolus. Il se compose, en outre, du premier président de la Cour suprême, du président de la Chambre des représentants et de sept personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution de 1972 maintenait ce régime:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à dix huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt-deux ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le parent mâle du roi, le plus proche dans la ligne collatérale mâle et ayant 21 ans révolus. Il se compose, en outre, du premier président de la Cour suprême, du président de la Chambre des représentants et de sept personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La révision constitutionnelle de 1980 allait modifier sensiblement cet article, abaissant la majorité royale à 16 ans et retirant la présidence du Conseil de Régence au parent mâle du Roi le plus proche dans la ligne collatérale pour la confier au premier président de la Cour suprême – cela revenait alors à rendre immédiatement effectif l’âge de majorité royale pour le Prince héritier Sidi Mohammed, et à retirer la présidence du Conseil à Moulay Abdallah, frère de Hassan II.

La Constitution de 1992 élargissait la composition du Conseil de Régence et rabaissait l’âge auquel le Conseil de Régence cessait sa fonction consultative auprès du Roi – 20 ans:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à seize ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le premier président de la Cour suprême. Il se compose, en outre, du président de la Chambre des représentants, du président du conseil régional des Oulémas des villes de Rabat et Salé et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution suivante, de 1996, ne modifiait plus ces dispositions:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à seize ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le premier président de la Cour suprême. Il se compose, en outre, du président de la Chambre des représentants, du président de la Chambre des conseillers, du président du conseil régional des Oulémas des villes de Rabat et Salé et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution de 2011, outre le relèvement de la majorité royale, ne modifie que la composition du Conseil:

Article 44.
Le Roi est mineur jusqu’à dix-huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de Régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la Couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de Régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du Roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt ans accomplis.

Le Conseil de Régence est présidé par le Président de la Cour Constitutionnelle. Il se compose, en outre, du Chef du Gouvernement, du Président de la Chambre des Représentants, du Président de la Chambre des Conseillers, du Président-délégué du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, du Secrétaire général du Conseil supérieur des Oulémas et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de Régence sont fixées par une loi organique.

Toutes les versions constitutionnelles ont posé l’exigence d’une loi organique pour l’adoption du texte régissant les modalités de fonctionnement et la composition du Conseil de Régence. En droit constitutionnel marocain, la loi organique n’est en fait qu’une loi soumise à un contrôle de constitutionnalité préalable par l’organe judiciaire en charge de contrôle – actuellement, la Cour constitutionnelle. La loi organique n’offre donc aucune garantie particulière en termes de majorité parlementaire renforcée, de contrôle parlementaire accru ou d’autre modalité substantielle. Cela est d’autant plus vrai depuis 2011 qu’une modalité d’exception d’inconstitutionnalité, copiée sur la question préjudicielle de constitutionnalité du droit français, permet désormais le contrôle – a posteriori – de toute loi lors d’un litige relatif à son application (article 133 de la Constitution).

Plusieurs lois organiques ont été promulguées relativement au Conseil de Régence – le dahir 1-63-300 du 21 jomada II 1383 (9 novembre 1963) portant loi organique relative au Conseil de régence, le dahir 1-70-191 du 1er chaabane 1390 (3 octobre 1970) portant loi organique relative au Conseil de régence et enfin le dahir portant loi organique n° 1-77-290 du 24 chaoual 1397 (8 octobre 1977) relative au Conseil de régence, modifié en 1982 par le dahir 1-81-377 du 11 rejeb 1402 (6 mai 1982) portant promulgation de la loi organique n° 29-80 modifiant le dahir n° 1-77-290 – c’est le texte actuellement en vigueur.

On notera qu’en 1965, alors que l’état d’exception avait été décreté suite aux émeutes de Casablanca du 23 mars 1965, un Conseil de régence provisoire avait été institué par décret royal n° 150-65 du 16 safar 1385 (16 juin 1965). En violation flagrante de l’article 21 alinéa 3 de la Constitution de 1962, 3 de ses membres – dont ironiquement le général Oufkir – étaient ministres. Il est vrai cependant que l’article 35 de ladite constitution donnait au Roi carte blanche:

Lorsque l’intégrité du territoire national est menacée, ou que se produisent des événements susceptibles de mettre en cause le fonctionnement des institutions constitutionnelles, le Roi peut, après avoir consulté les présidents des deux Chambres et adressé un message à la nation, proclamer, par décret royal, l’état d’exception. De ce fait, il est habilité, nonobstant toutes dispositions contraires, à prendre les mesures qu’imposent la défense de l’intégrité territoriale et le retour au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles.

En 1980, Hassan II fit preuve du même type de Fingerspitzengefühl qu’en 1965 en nommant par dahir le général Dlimi dans le Conseil de régence…

La dernière loi organique en vigueur est donc celle de 1977, modifiée en 1982. Certains m’objecteront que l’article 44 de la nouvelle constitution fait référence à une loi organique devant en préciser le fonctionnement. Mais cet article n’abroge pas ipso facto la loi organique de 1977: les modifications constitutionnelles introduites en 2011 – relèvement de la majorité royale à 18 ans, modification de la présidence (président de la Cour constitutionnelle et non plus celui de la Cour suprême) et modification de la composition du Conseil de régence (la modification la plus notable étant l’adjonction du Chef du gouvernement) – ne nécessitent guère de modifications. Les présidents des deux chambres du parlement demeurent membres, le Chef de gouvernement ainsi que le Président-délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire les rejoignent, le premier président de la Cour suprême est remplacé par le président de la Cour constitutionnelle et le président du Conseil régional des oulémas de Rabat-Salé l’est par le secrétaire général du Conseil supérieur des oulémas, et le Roi continue de nommer 10 autres membres intuitu personae. Un simple dahir de nomination des membres suffirait donc à mettre à jour la réglementation, en attendant la loi organique figurant dans l’agenda législatif du gouvernement Benkirane (mais, et c’est très mauvais signe, confié au Palais pour rédaction, alors même que l’article 78 alinéa 1 de la Constiution précise que l’initiative des lois appartient concurremment au Chef du gouvernement et aux parlementaires – aucun mention du Roi ici).

Certes, la loi organique se réfère aux articles constitutionnels en vigueur en 1977-82, mais il serait possible de considérer ces références implicitement remplacées par celles aux articles correspondants de la nouvelle Constitution. Une telle solution interprétative serait préférable au vide juridique qui existerait si l’on considérait la loi organique de 1977 comme abrogée par le nouveau texte constitutionnel (alors qu’il ne contient aucune disposition en ce sens), alors qu’aucune nouvelle loi organique ne serai venue prendre sa place.

En sens contraire, on relevera l’article 86 de la Constitution, lequel dispose:

Les projets de lois organiques prévues par la présente Constitution doivent avoir été soumis pour approbation au Parlement dans un délai n’excédant pas la durée de la première législature suivant la promulgation de ladite Constitution.

Il ne serait pas déraisonnable d’interpréter cet article comme fixant un terme à la validité des lois organiques anciennes régissant les institutions où la nouvelle Constitution exige l’existence d’une loi organique. Mais l’article est – quelle surprise! – mal rédigé: il aurait fallu préciser que les lois organiques nouvelles devraient être adoptées lors de la législature suivant l’adoption de la Constitution, soit 5 ans (article 62 de la Constitution). La rédaction actuelle n’exige en effet qu’un simple dépôt du projet de loi organique devant le Parlement, ce qui ne garantit en rien son approbation, et encore moins son approbation rapide (l’histoire parlementaire marocaine recense des cas de projets de lois déposés devant la Chambre des représentants mais jamais votés, et d’autres projets de loi ayant mis des années à être adoptés). Et encore une telle rédaction n’aurait-elle pas couvert le cas d’élections anticipées, possibles en vertu des articles 51 et 96 (dissolution décidée par le Roi) et 104 (dissolution décidée par le Chef du gouvernement). Une rédaction optimale aurait donc d’indiquer un délai fixe pour l’adoption des lois organiques – cinq ans par exemple – à peine de caducité des lois organiques en vigueur avant l’adoption de la Constitution de 2011.

Mais que dit la loi organique de 1977 modifiée? Comme le dit déjà le texte constitutionnel, le Conseil de régence est l’organe collectif exercant les pouvoirs que le Roi détient en vertu de la Constitution, à l’exception de ceux relatifs à la révision de la Constitution (article 44 de la Constitution de 2011 et article 1 de la loi organique). Il comporte seize membres, dont 6 membres de droit et 10 nommés par le Roi (article 44 de la Constitution). Depuis la loi organique de modification de 1982, le Conseil ne compte plus – pour la première fois depuis son institution en 1962 – de membre de droit de la famille royale (mais il va de soi que le Roi peut en nommer parmi les 10 personnalités qu’il peut désigner librement). Cette loi organique envisageait au départ l’existence de dix membres au total. Les révisions constitutionnelles successives, en ont fixé le nombre à 13 (en 1980), à 14 (en 1996) et enfin à 16 en 2011, avec les décisions étant prises depuis 1982 à la majorité qualifiée de dix voix (sur 13 en 1982 et sur 16 depuis 2011).

Ce Conseil exerce toutes les prérogatives sauf celles relatives à la révision constitutionnelle – il nomme le Chef du gouvernement et les ministres (article 3 de la loi organique), promulgue la loi (article 4 de la loi organique),  exerce le droit de grâce (article 8 de la loi organique), accrédite les ambassadeurs marocains à l’étranger et reçoit les accréditations des ambassadeurs étrangers au Maroc (article 9 de la loi organique), ratifie les traités (article 10) et dissout la Chambre des représentants (article 11 – aucune mention  de la Chambre des conseillers – crée par la Constitution de 1996 – dans la loi organique). Mais cette loi organique est globalement très régressive sur le plan des déjà illusoires prérogatives parlementaires et gouvernementales prévues dans la Constitution de 2011: les décisions de nomination aux emplois civils sont prises en son sein et non au sein du Conseil des ministres (article 6 de la loi organique, incompatible avec les articles 49 et 91  de la Constitution), de même que celles des magistrats (article 7 de la loi organique, incompatible avec l’article 57 de la Constitution); le Conseil de régence peut adopter des « lois » (je répugne à appeler un texte adopté par un organe non-élu au suffrage universel direct) lorsqu’il a dissout la Chambre des représentants et en attente de son élection (article 11 de la loi organique, incompatible avec l’article 70 de la Constitution) alors que le Roi, qu’il est censé remplacé, n’a plus ce pouvoir; etc…

Pour les nombreux cas où le Roi exerce personnellement des prérogatives, comme la présidence de différents organes constitutionnels, dont le Conseil des ministres, la loi organique de 1977 modifiée dispose que le président du Conseil de régence – c’est-à-dire le président de la Cour constitutionnelle depuis 2011 – remplace le Roi (article 18 de la loi organique), mais n’énonce qu’une liste limitative des organes en question. Le Conseil supérieur des oulémas n’est pas mentionné ni les prérogatives religieuses du Roi, qui lui reviennent pourtant de droit puisque seules les prérogatives royales relatives à la révision constitutionnelle sont exclues du domaine de compétence de ce Conseil de régence. Les prérogatives militaires sont limitées – le président commande les FAR mais ne peut les placer en état d’alerte, ou ordonner des opérations ou des concentrations de force, sans l’accord du Conseil de régence – on voit là la méfiance du système envers un président du Conseil de régence qui pourrait être tenté par un rôle moins provisoire que celui prévu par la Constitution…

Encore plus grave, l’article 18 alinéa 2 de la loi organique, qui dispose que tous les membres du Conseil de régence siègent notamment au Conseil des ministres et au Conseil supérieur de la magistrature (devenu Conseil supérieur du pouvoir judiciaire en 2011) – sans préciser cependant s’ils ont droit de vote ou simplement droit d’assister à ces réunions. Le texte abonde sinon en imperfections, notamment en matière de confusion des pouvoirs – présidé par un magistrat, avec un autre magistrat et deux parlementaires parmi les membres de droit, dans un Conseil aux prérogatives exécutives. De même en matière de conflit d’intérêts: ainsi, le Chef du gouvernement siège dans un organe amené à nommer… son successeur, ou le président de la Chambre des représentants à siéger dans un conseil pouvant dissoudre ladite chambre.

Le pire concerne les dix membres du Conseil de régence nommés intuitu personae par le Roi: la loi organique ne pose aucune condition, quelle qu’elle soit, les concernant – ni même de nationalité ou de moralité, ni aucune incompatibilité – il semblerait opportun, vu l’histoire du Maroc post-1956, d’interdire toute présence de militaire ou de sécuritaire dans ce conseil – militaires et sécuritaires sont là pour exécuter les instructions du pouvoir exécutif, pas pour l’exercer. La durée du mandat de ces membres n’est pas fixée, et aucune règle n’existe en cas de décès, de démission ou d’empêchement. Encore plus choquant du point de vue démocratique: aucun contrôle ou assentiment parlementaire n’existe sur ces dix membres.

C’est donc à un défi que le gouvernement Benkirane, qui a très imprudemment – et contrairement sinon à la lettre sinon à l’esprit de la Constitution de 2011 – délégué la rédaction de la nouvelle loi organique au Palais, aura à relever. La moindre des choses serait de reprendre la main et de préparer une loi organique comblant les failles juridiques et démocratiques, avec le minimum syndical suivant:

  • élection des dix membres intuitu personae du Conseil de régence à la majorité qualifiée des trois quarts par la Chambre des représentants;
  • conditions de nationalité, de moralité et de compétence de ces membres;
  • incompatibilité absolue avec l’exercice de fonctions parlementaire, ministérielle, judiciaire, militaire ou sécuritaire;
  • limitation du rôle de ce Conseil aux seules fonctions royales ne pouvant être exercées par le Chef du gouvernement (notamment les fonctions de chef des armées – qui voudrait d’un Chabat commandant suprême des FAR?), qui devrait hériter du reste;

Plus profondément, c’est d’une réduction substantielle des prérogatives royales dont les institutions marocaines auraient besoin – si le Roi se contentait d’un rôle symbolique (exception éventuellement faite des questions militaires et religieuses), nul besoin de perdre trop de temps à peser sur la balance chaque article de la loi organique sur le Conseil de régence. C’est l’incurie institutionnelle marocaine – ça fait quand même deux ans que la Constitution de 2011 a été adoptée, et que seule une loi organique a vu le jour – qui est la cause d’éventuels problèmes futurs, et il serait futile d’en accabler de manière paranoïaque les complots domestiques ou étrangers habituels.

Abdelhak Lamrini, ou le West Wing à la marocaine

Après Hassan Aourid qui fut quelques années un transparent porte-parole du Roi, voilà Abdelhak Lamrini nommé ce 30 octobre à ce poste. Ce gai luron, longtemps chef du protocole de la maison royale, a aussitôt imprimé sa marque sur ses nouvelles fonctions:

Abdelhak Lamrini. Berrah de Sa majesté

Le nouveau porte-parole de Mohammed VI est historien et écrivain. Mais ce n’est pas pour sa culture que le roi a tiré l’historiographe du royaume de sa préretraite. Abdelhak Lamrini a été choisi car il connaît la maison par cœur. Il hante les couloirs du palais depuis 1965, année où il a été casté  par le ministre de la Maison Royale de l’époque, Moulay Hafid Alaoui. Vieilli sous le harnais du Makhzen, il en connaît les us et coutumes en tant qu’ancien directeur du protocole. Une fonction où il a colorié plus d’une ligne en rouge vif, la déclarant infranchissable par les médias.

En mai 2005, il adresse notamment une mémorable lettre de menaces à Al Jarida Al Oukhra (aujourd’hui disparu) après la publication d’un dossier sur la vie privée de Lalla Salma.  Dans cette missive, il signifie à la presse que toute information ou photo concernant la famille royale ne sauraient être diffusées sans l’aval du protocole. Après ce petit taquet aux journalistes, Abdelhak Lamrini est passé en mode mute, fidèle à sa culture du sérail qui lui impose vœu de silence. Juste après sa nomination, il a expliqué “attendre les directives” pour s’exprimer sur la nature de sa nouvelle mission de porte-parole. Discret, le doigt sur la couture, fidèle à sa réputation. La recrue idéale pour lire des communiqués. (Tel Quel)

Un porte-parole attendant des directives pour expliquer ses nouvelles fonctions – ce makhzen ne changera jamais…

On peut quand même se rassurer: comme souvent, ce n’est pas la personne formellement responsable qui est réellement en charge de la communication royale, mais l’ami d’enfance du chef de l’Etat:

La nomination de Abdelhak Lamrini est le résultat d’un changement notable survenu dans la communication royale quelques mois plus tôt. Un fils de pub est arrivé au courant de l’été dernier comme chargé de mission au Palais avec pour objectif de mieux vendre l’image de Mohammed VI. Ce spin doctor n’est autre que Karim Bouzida, un ancien de l’agence Klem. Présenté comme un des hommes de Fouad Ali El Himma dans le monde de la communication, il tient depuis 2008 les rênes de Mena Médias, l’agence de com’ du conseiller royal.

Lamrini n’est donc là que comme front-office, simple complément d’un dispositif où tout se passe en back-office, sous la houlette d’El Himma épaulé par Bouzida pour son expertise. Ce dernier n’a d’ailleurs pas débarqué en territoire inconnu. Karim Bouzida était rodé au produit Mohammed VI pour avoir déjà travaillé sur la perception de l’image du roi. “Au sein de Mena Médias, El Himma lui confiait des missions ponctuelles sur l’image de Mohammed VI dans les nouveaux médias et les réseaux sociaux. Le rôle qu’on lui a attribué dans la communication royale est juste la formalisation d’activités qu’il menait déjà”, confie un ancien de Mena Médias.

Si toi aussi tu trouves le protocole royal marocain trop irrespectueux envers le monarque…

Depuis l’avènement de Mohammed VI, le baise-main tant décrié n’est plus vraiment obligatoire (à vrai dire, même du temps de son père il ne l’était pour certaines personnalités religieuses ou âgées), mais seuls ceux n’ayant aucun plan de carrière se paient le luxe de ne pas en faire au Roi. Malgré de beaux restes notamment vis-à-vis de Moulay Hassan, tout fout le camp, et il n’est guère étonnant que des gueux prennent les rues pour demander plus – Dieu merci, nos forces de l’ordre sont là pour y mettre le holà.

Je me suis dit que trop de liberté tue la liberté. Peut-être devrions-nous nous inspirer de la Thaïlande, où la monarchie n’est pas un vain mot et où le délit de lèse-majesté est sévèrement puni – non pas de cinq ans maximum comme au Maroc mais jusqu’à quinze ans, et où leurs autorités judiciaires ne craignent pas, contrairement au Maroc, d’enfermer des Occidentaux imprudents qui se seraient laissés aller à quelque nonchalance avec le respect dû au Roi…

Voici donc comment la premier ministre Yingluck Shinawatra, élue au suffrage universel dans un pays traversé par une révolte populaire dite des chemises rouges – pauvres et paysans menés par son frère Thaksin Shinawatra, ex-premier ministre déposé par l’armée – contre les chemises jaunes (proches du Palais), est amenée à exprimer publiquement et officiellement son respect pour son Roi et sa religion – puisse le Maroc en prendre de la graine, au lieu de céder aux sirènes du malheur salafo-chiite!

La Premier ministre thaïlandaise en audience avec le Roi.

Le premier ministre Yingluck Shinawatra, en uniforme, prosternée devant un autel bouddhiste.

La premier ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra accroupie pour parler à un moine bouddhiste.

La premier ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra à une autre cérémonie bouddhiste.

Suite de la même cérémonie que précédemment.

La premier ministre Yingluck Shinawatra, au garde à vous et en uniforme devant le Roi Bhumibol.

Une autre audience royale…

Les images qui suivent méritent quelques explications: le premier ministre Yingluck Shinawatra se prosterne devant un simple portrait royal, à deux occasions – sa nomination et l’obtention d’une décoration royale. Je ne sais pas pourquoi ces cérémonies n’ont pas eu lieu in vivo avec le Roi, si ce n’est qu’il est âgé (84 ans) et malade.

La premier ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra devant un portrait du Roi Bhamibul.

La premier ministre salue le portrait du Roi.

La premier ministre Yingluck Shinawatra se prosternant devant le portrait du Roi de Thaïlande.

La même prosternation que précédemment.

Quand je dis que le premier ministre Yingluck Shinawatra se prosterne, c’est vraiment de cela qu’il s’agit.

Mais la cerise sur le gâteau ce sont les photos suivantes, où le premier ministre Yingluck Shinawatra rend l’hommage protocolaire à la Reine…

La premier ministre thaïlandaise se prosterne devant la Reine Sirikit.

Suite de la prosternation.

Merci à Meurseault pour l’inspiration!

Monarchies arabes: Encore un rapport dont la MAP ne parlera pas

La fondation étatsunienne Carnegie Endowment for International Peace vient de sortir un rapport  – « Arab monarchies: Chance for reform, yet unmet » – sur la façon dont les monarchies arabes – Maroc, Jordanie et pays du Golfe – ont géré ce printemps de la révolte. Les auteurs en sont l’universitaire étatsunienne Marina Ottaway et l’ex-ministre des affaires étrangères et vice-premier ministre jordanien Marwan Muasher. La partie consacrée au Maroc mérite d’être citée en partie.

Les auteurs du rapport sont sans illusion sur la transparence et le côte participatif de la procédure de révision constitutionnelle:

Mohammed’s approach followed the well-established pattern of preempting bottom-up demands by offering limited top-down reforms, a model that has characterized the style of the Moroccan monarchy since the final years of Hassan II’s reign in the late 1990s. (…)

On March 9, just two weeks after the start of protests, the king announced the drafting of a new constitution, despite the fact that the country’s protests had been limited compared to those of Tunisia and Egypt. Because he moved quickly and ahead of the protesters, he enjoyed complete flexibility in deciding who would write the document and thus how far it would go in fashioning a new political system. At a time when Egypt and Tunisia were shaken by acrimonious controversy over whether their constitutions should be written by an elected constitutional assembly or by an appointed committee before the staging of elections, Morocco’s king answered the question himself before it was asked: the constitution would be prepared by a commission of experts named by the king and headed by one of his advisers, Abdellatif Menouni.

Un bref commentaire: Abdeltif Menouni n’était pas -formellement du moins – conseiller du Roi lorsqu’il fut désigné président de la commission royale chargée d’élaborer le projet de constitution – ce ne fut qu’après le référendum plébiscitaire qu’il rejoigna le cabinet royal.

Le rapport mentionne ensuite le fumeux « mécanisme de suivi » dirigé par le conseiller royal Mohamed Moatassime et qui regroupait principalement chefs de partis. Censé les tenir informés de la teneur – confidentielle – des travaux de la commission royale, ce mécanisme fut très largement passif et n’informa les chefs de partis qu’à la dernière minute:

Indeed, the experts’ commission received many submissions, some of them entire constitutional drafts and others only suggestions on key points.Participation, however, stopped with these submissions. No follow-up debate was organized and the “mechanism” was not consulted again until its members were summoned on June 8 to hear an oral presentation on the new constitution. They did not see the written draft until June 16, only one day ahead of the general public.

Le rapport ne mentionne pas qu’Abdellillah Benkirane du PJD fut tout particulièrement écouté en raison de ses objections à la liberté de croyance, lui préférant la liberté des cultes.

Le fond de la révision est abordé par l’aspect identitaire – religion et ethnicité – et l’aspect institutionnel – les pouvoirs du Roi. Sur le premier point, le rapport note à juste titre que la charia n’est pas mentionnée comme source du droit:

Compared to the text of most Arab constitutions, which proclaim sharia as one of the sources, if not the source, of law, the new Moroccan constitution (like the previous one) is quite liberal.

Sur la question institutionnelle, le rapport constate l’évidence, à savoir que la monarchie parlementaire n’est pas à l’ordre du jour, du moins celui imposé par cette constitution:

The constitution does not transform Morocco into a constitutional monarchy (or a parliamentary monarchy, in the language favored by Moroccans) where the king does not govern—that was not the intention. But the constitution does impose new formal limits on the king’s power, stipulating that he must nominate the “president of the government,” as the prime minister is now known, from the party that has received the largest number of votes in the elections. On the other hand, the constitution reserves three crucial areas—religion, security, and strategic policy choices—as the king’s exclusive domain. When such issues are discussed, the king will preside over the cabinet, which automatically ensures that he will have the last word—and probably the first—in any decision.

C’est un raccourci erroné: en gardant la présidence du Conseil des ministres (article 48 de la Constitution), le Roi préside non seulement aux discussions sur « les orientations stratégiques de la politique de l’Etat » (article 49) mais aussi à celles sur les projets de loi de révision constitutionnelle, les projets de lois organiques, les orientations générales du projet de loi de finances, les projets de lois-cadre concernant les objectifs fondamentaux de l’activité économique, sociale, environnementale et culturelle de l’Etat, l’amnistie, les textes en matière militaire, la déclaration de l’état de siège, la déclaration de guerre, la nomination à des emplois civils stratégiques et enfin la dissolution de la Chambre des représentants.  D’autre part, ce domaine n’est pas un domaine exclusif du monarque, puisque le gouvernement et le parlement y conservent des prérogatives non-négligeables, si tant es qu’ils souhaitent véritablement les exercer, ce qui est une autre affaire.

Les auteurs du rapport soulignent en outre qu’au delà des textes, c’est l’attitude servile de la classe politique qui permet au Palais d’exercer un pouvoir aussi dominant:

Further reducing the likelihood that parliament and the cabinet will attempt to expand their domain is a long history  of passivity and deference to the king. Analysts argue that even under the old constitution, the parliament and the cabinet could have exercised considerably more influence on policies than they did. It is thus safe to assume that reform in all areas will be tightly controlled by the sovereign.

C’est l’absence d’une classe politique se battant pour étendre le domaine d’action du gouvernement et du parlement qui menace principalement la mise en oeuvre de la réforme constitutionnelle, estiment les auteurs:

There is a real possibility that the new constitution’s passage will not be followed by real political reform, however. This, in turn, could spell trouble for the future. Because of the ambiguity of the text where the power of the sovereign is concerned, the king can still maintain control over most decisions unless he is challenged by political parties in the parliament or the extraparliamentary opposition. However, many of the old parties are palace parties that have no intention to challenge Mohammed.

Le résultat de l’opération référendaire est considérée comme un véritable plébiscite qui affaiblit la constitution:

The constitutional draft was submitted to a popular referendum on July 1 and, as expected, easily won approval. Official sources reported that 98.5 percent of voters approved the new document, and that voter turnout was 73 percent. The overwhelming referendum victory may have weakened, rather than strengthened, the chances that the constitution will be fully implemented. The absence of discussion about the new constitution suggests that the vote was a declaration of confidence in the king and his leadership more than a declaration of support for a set of rules by which the king is expected to abide.

Le rapport ne place pas beaucoup d’espoirs dans le PJD, perçu comme étant plus tenté par la quête de respectabilité que par une volonté de réforme:

the PJD has made it clear repeatedly that one of its major goals is to be accepted as a legitimate political player and to become fully integrated into the political system. This desire for integration was clear in the last parliament, where the PJD, which had won the second-largest number of seats in the 2007 elections, behaved as an extremely loyal opposition, never exercising much pressure for change, despite its theoretical commitment to a stronger parliament.

Le bilan est finalement assez pessimiste:

At least superficially, Morocco looks like a model that all Arab monarchies would be well advised to follow, providing a lesson on how even limited top-down reform, if delivered quickly and graciously, can preempt pressure for more drastic change from the bottom.

Yet, several factors could still turn the king’s victory into a pyrrhic one. The new constitution has failed to convince the majority of Moroccans that the new parliament will play an important role.(…)

Most important in the long run is the possible awakening of the extraparliamentary opposition, including the February 20th movement and the perennial dark horse of Moroccan politics, the Islamist al-Adl wal-Ihsan movement.

The February 20th protest movement has vowed to continue its fight for deeper reforms. Thus far, it has attracted little support, with demonstrations in Rabat and even in the more rambunctious, gritty Casablanca rarely drawing more than a few thousand protesters. Yet, behind the listless demonstrations lurks much discontent. Morocco suffers from the same economic ills as other non-oil-producing Arab countries (…)

The king has definitely won the first battle, but the outcome of the war is far from certain.

Les auteurs accordent à Al adl wal ihsan un rôle déterminant dans la suite des événements, analyse que je ne partage pas forcément:

Potentially more important than the February 20th movement itself are the organizations backing it, particularly al-Adl wal-Ihsan, which is considered to be the largest Islamist organization in the country (although membership figures are not available). The group refuses to participate openly in the political process because it does not accept the legitimacy of the monarchy, the king’s role as “commander of the faithful,” and a political system it considers highly corrupt. While expressing support for the February 20th movement, al-Adl wal-Ihsan has continued to sit on the sidelines. Although it does not encourage its members to participate in demonstrations, it could quickly become a major player if protests were to resume, and this could be a game changer.

Entretemps, Al adl wal ihsan a de facto quitté le mouvement du 20 février, suite à la nomination d’Abdellilah Bekirane en tant que chef du gouvernement, sans doute dans l’espoir de se voir enfin reconnaître un statut légal…

Voilà en tout cas un rapport qui n’aura sans doute pas les honneurs de la MAP…

Le gouvernement Benkirane: Verre à moitié vide ou à moitié plein?

Voici quelques extraits d’une chronique publiée sur le site Yabiladi.com, consacrée au nouveau gouvernement d’Abdelillah Benkirane:

On ne peut passer sous silence la rupture que constitue l’arrivée à la primature d’un parti islamiste au Maroc.  (…)

Pour la première fois depuis 1965, le Maroc compte un ministre de l’intérieur – Mohand Laenser (MP) – représentant d’un parti politique et non plus soit sécuritaire, soit technocrate. Et pour la première fois depuis 1983, c’est le représentant d’un parti – Saadeddine el Othmani (PJD) – qui est ministre des affaires étrangères. Enfin, et même si l’USFP a à deux reprises détenu le portefeuille de la justice, Me Mustapha Ramid du PJD marque une rupture symbolique réelle à la tête de ce ministère – avocat attitré des salafistes suspectés de terrorisme, sympathisant du mouvement du 20 février et physiquement malmené jusqu’il y a peu par la police lors de manifestations. (…)

Le gouvernement est de facto dominé par le PJD, et ses partenaires ne pèsent pas très lourd. (…)

On peut gloser à l’infini sur le positionnement réel du PJD dans le champ politique marocain, et en particulier sur ses relations vis-à-vis de l’acteur dominant dans ce champ – le Palais. (…)  Aucune garantie donc pour que le PJD demeure durablement fidèle à son autonomie vis-à-vis du Palais.

La Constitution de 2011 n’a pas fait du Maroc une monarchie scandinave. Le Roi détient des pouvoirs formels considérables, notamment sur l’appareil judiciaire, l’armée et le travail gouvernemental (il préside le Conseil des ministres dont il détermine ainsi l’ordre du jour), et ces pouvoirs sont encore accrus par le véritable « gouvernement de l’ombre » que constitue le cabinet royal (…)

Enfin, les espoirs placés en Benkirane et le PJD sont démesurés. (…)

La suite est donc ici.

Mes chroniques précédentes:

– « Printemps arabe : Et maintenant où on va ? » (18 octobre)

– « Le PJD, ou l’espoir incertain d’une évolution vers l’AKP (ou Ennahda) » (25 novembre)

« Les jambes en l’air, comme une femme lubrique… »*

Des élections législatives anticipées auront donc lieu au Maroc ce 25 novembre, dans deux jours. Tout ce que le Maroc compte de partis administratifs ou domestiqués grouille et grenouille afin de s’assurer de quelques strapontins à ce qui tient lieu au pays d’assemblée parlementaire – rappelons que les partis et mouvements proches du mouvement du 20 févrierAl adl wal ihsan, Annahj adimoqrati et PSU notamment – appellent au boycott des élections, une position que j’approuve.

Parmi les partis administratifs, on retrouve l’USFP. Le propre des partis administratifs n’est pas tant d’avoir été créés par le makhzen – ce n’est évidemment pas le cas de l’USFP – mais d’adopter un positionnement politique clair – ne pas sortir de l’enclos tracé par les positions politiques que le makhzen admet – et le langage qui va avec – j’ai lu un passage dans le récent livre d’entretien de Habib el Malki avec Narjiss Rerhaye parlant de nihilisme et de subversion manipulée par l’étranger…

Du parti d’Abdallah Ibrahim, Mehdi Ben Barka, Omar Benjelloun et Abderrahim Bouabid, on a, via Mohamed Lyazghi et Abderrahman Youssoufi, abouti à un parti aujourd’hui incarné par Driss Lachgar, Habib el Malki et Abdelouahed Radi, ce dernier étant premier secrétaire du parti. Il n’et nul besoin de perdre des heures de sommeil à analyser le programme de ce parti – il suffit de lire quelques déclarations récentes.

A tout seigneur tout honneur – Driss Lachgar, ministre des relations avec le parlement, exprime son respect pour les électeurs en estimant qu’on a pas à encombrer leur petit cerveau avec ces histoires d’alliance – autant se mettre d’accord après les éléctions – genre: je tabasse le PJD ou le PAM durant la campagne électorale pour m’asseoir au gouvernement avec eux après.

ALM : La direction de l’USFP a-t-elle l’intention de rejoindre le G8 ?
Driss Lachgar : A mon avis, toutes les alliances doivent se faire après les élections.

(…)

Etes-vous pour les alliances pré ou post-électorales ?
Nous préférons que les alliances soient établies après les élections législatives du 25 novembre. Dans le cadre de l’étape actuelle de transition vers la démocratie, nous avons toujours besoin de l’approche consensuelle, à partir du moment où nous sommes encore au stade de la recherche d’un consensus entre les différents partis au sujet des règles du jeu, notamment à travers l’élaboration et l’adoption des textes de loi encadrant l’opération électorale. Aussi, le fait de laisser de côté la question des alliances est de nature à garantir au pays la stabilité et la sécurité. Cela devra également permettre au Maroc de se préparer de bonne manière aux prochaines élections prévues le 25 novembre et qui constitueront une étape cruciale dans le processus de réformes en cours. (Aujourd’hui Le Maroc 12/10/2011)

Je n’exagère qu’à peine quand j’évoque le PAM, puisque ce parti, créature de l’ami d’école du chef de l’Etat, fait partie de l’alliance de partis administratifs et de hizbicules pompeusement appelée G8 – outre le PAM, cette alliance compte le RNI (parti formé par le gendre de feu Hassan II, Ahmed Osman), l’UC (parti formé par Maati Bouabid, transfuge de l’UNFP, sur demande de feu Hassan II – « Entre-temps, Hassan II entreprend, en 1983, ce qui restera son plus grand projet politique : la création de l’UC« ), le Mouvement populaire (pilier du trône depuis 1957), deux hizbicules issus de l’USFP (le Parti socialiste et le Parti travailliste), un hizbicule écologiste (le Parti de la gauche verte marocaine) et enfin un parti islamiste, issu du PJD, le Parti renaissance et vertu (PRV). Confronté à la question si son parti pourrait s’allier avec ce conglomérat khobziste, Lachgar, au lieu de refuser sur la base de divergences idéologoques éventuelles, se contente de déclarer que cela sera négocié après le résultat des élections. Bref, votez USFP, vous pourriez avoir le PAM en prime…

Petite parenthèse: son camarade de parti, Abdelhamid Jmahri, directeur de rédaction d’Al ittihad al ichtiraki, quotidien arabophone de l’USFP, avait dans les colonnes de ce journal évoqué le scandale de la voiture de fonctions de marque Audi A8 du ministre des sports RNI Moncef Belkhayat, ledit ministre étant collègue de gouvernement de  ministres USFP. Belkhayat avait qualifié ces informations de diffamation, sans toutefois présenter de preuves le disculpant. Jmahri commente:

« On s’attendait à ce que Monsieur le ministre présente des pièces justificatives autres que celles que nous avons publiées. On attend toujours le contrat dont il parle. En tant qu’homme politique, il doit rendre des comptes à l’opinion publique » (Libération, 3/11/2011). 

Lutter contre la corruption, c’est bien, siéger au gouvernement, c’est mieux…

Poursuivons – Driss Lachgar appelle dans ce même entretien à la constitution d’un « Front national pour la démocratie« :

ALM: Quel sera l’apport de ce front national pour la démocratie ?
Dans le cadre des bouleversements profonds que connaît le monde arabe, notre pays a certes connu une certaine dynamique sociale, mais il a constitué une exception dans la région.
Cette exception s’explique principalement par la méthodologie adoptée par le Maroc pour gérer cette dynamique sociale. Dans ce contexte régional arabe, le Maroc a opté pour une approche participative ouverte sur toutes les forces nationales et n’a exclu personne. Notre pays a lancé un débat national ouvert sur tous les Marocains, lequel a donné lieu à une Constitution qui fait l’objet d’un consensus. Ce nouveau texte fondamental constitue une introduction pour les grandes réformes politiques. Sans surprise, ce grand chantier de réformes a eu comme adversaires des approches nihilistes et obscurantistes. (…)

Non, le nihilisme obscurantiste ne passera pas!

Ceux qui s’inquiétaient de l’absence d’alliance déclarée peuvent se rassurer, parce que pour Driss Lachgar, elle doit regrouper tous les partis politiques ayant voté oui au référendum constitutionnel:

Quelles sont les composantes de ce front national ?
Ce front national devra comprendre tous ceux qui ont soutenu la réforme constitutionnelle et voté pour le nouveau texte le 1er juillet dernier. Ces derniers ont pratiquement les mêmes revendications. Dans le contexte politique actuel, il n’est pas question pour notre parti de rejoindre telle ou telle alliance politique. La mise en place du front national s’assigne, comme principale mission, de faire face aux forces nihilistes et obscurantistes qui sont contre les grands changements que connaît le Maroc et contre l’approche réformiste de la nouvelle Constitution.

Si, si, vous avez bien compris: le front démocratique devrait regrouper tous les partis politiques à l’exception de Adl wal ihsan, Annahj adimoqrati, le PSU, le PADS et le CNI. Quant à son programme, c’est simple: faire face au mouvement du 20 février (traduction en bon français des « forces nihilistes et obscurantistes« ). Je sais, ça pourrait surprendre ceux qui croient que les problèmes principaux du Maroc seraient la crise économique touchant ses principaux partenaires et bailleurs de fonds, la chute dramatique de ses réserves en devises, le chômage et la précarité, son très médiocre indice de développement humain, la question irrésolue du Sahara, les effets désastreux pour le pays du réchauffement climatique, et j’en oublie. Et bien non, le problème principal du Maroc selon Driss Lachgar, ponte de l’USFP et ministre du gouvernement El Fassi, c’est le mouvement du 20 février, incarnation du nihilisme obscurantiste.

Sinon, sur l’étendue du front démocratique, on relèvera que Driss Lachgar a passé de très nombreuses nuits blanches, non pas à vider des Flag spéciales avec les working girls du Harry’s Bar en face de la gare de Rabat Ville (ne me faites pas dire ce que je ne pense pas), mais à penser aux détails du programme économique et social qu’il propose, au nom de son parti, aux électeurs marocains – pour lui, et c’est lui qui le dit, « ceux qui ont soutenu la réforme constitutionnelle (…) ont pratiquement les mêmes revendications« . Donc, du PAM à l’USFP en passant par le PJD, ils pensent tous la même chose, selon lui. Peut-être parce que, pour citer un célèbre dissident et philosophe marocain devenu depuis premier ministre, « leur programme, c’est celui de Sa Majesté« ?

Continuons la revue de presse: le tour est venu à Abdelhamid Jmahri, déjà mentionné, membre du bureau politique de l’USFP et directeur de la rédaction du quotidien arabophone de ce parti, Al ittihad al ichtiraki. Il s’exprime dans un entretien au quotidien francophone de ce même parti. On passera sur le programme économique du parti, d’une clarté éblouissante – « Il faut adopter des mesures structurelles et fixer le taux de croissance à 6 ou 4%, choisir d’investir dans les secteurs les plus porteurs, à savoir les nouvelles technologies et l’offshoring, pour que le Maroc devienne une force de travail productive » (Libération, 3/11/2011). C’est comme si c’était fait, il suffira à un décret de fixer le taux de croissance, et d’éviter d’investir délibérement dans les secteurs mes moins porteurs, et le Maroc sera au niveau de la Turquie ou de la Malaisie en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Audi A8.

Poursuivons avec les réformes constitutionnelles du 1er juillet de cette année: certains nihilistes obscurantistes ont cru que c’était en raison de la chute des dictateurs tunisien et égyptien et du mouvement de protestation populaire du 20 février que le Roi a finalement accordé des réformes qu’il n’avait jamais évoquées jusqu’à ce printemps arabe. Faux: c’est grâce à l’USFP.

« Ce débat a commencé il y a quand même deux ou trois ans avant les révolutions arabes et ce fameux Printemps. Il n’y avait pas beaucoup de projets, pas de forces politiques réellement mobilisatrices. On a pris le taureau par les cornes et on a remis au chef de l’Etat un mémorandum sur les réformes. Souvenez-vous, c’était en mai 2009. Personne ne voulait franchir ce pas politique avec nous. Certains acteurs politiques le trouvaient même suicidaire ». (…)

Libération: Je voudrais trouver des raisons pour dire qu’il faut voter USFP et pas Istiqlal ou PJD. Vous ne m’avez pas donné quelque chose qui différencie les philosophies, l’approche politique et les programmes entre vous et les autres partis. Qu’est-ce qui inciterait un citoyen à voter pour vous ?

D’abord, et je devrais me sentir plus fier qu’auparavant et en tant que militant de l’USFP, j’étais le seul à dire que le parti a pensé aux réformes avant que tous ces événements ne surviennent. On a eu le courage de dire à qui de droit que le pays allait mal. C’est loin d’être insignifiant. On a su dire qu’il y a une crise de confiance dans la politique alors que tout le monde trouvait que tout allait bien. Nous avons aussi noté dans notre mémorandum que si le pays allait mal, c’est parce qu’il y avait des problèmes de gouvernance, de répartition des pouvoirs, de monopoles et de décisions économiques. Ainsi, on a posé les jalons de la politique et par-là les règles du jeu.

Vous qui croyiez que le PSU, le PADS et Annahj addimoqrati réclamaient des réformes constitutionnelles, détrompez-vous: seule l’USFP l’a fait, poussant l’abnégation à continuer à siéger dans un gouvernement refusant ces réformes jusqu’à que le chef de l’Etat ait changé d’avis sur la question.

Et si vous croyiez que les dirigeants historiques de l’USFP (qui s’appelait alors UNFP) avaient traité le régime de Hassan II de « régime réactionnaire et néo-colonialiste » et de « dictature » lors du référendum constitutionnel de 1962, vous devez sans doute vous mépriser:

Jmahri: (…) Mais l’USFP s’identifie comme un parti nationaliste, socialiste et monarchiste.

Peut-on être les trois à la fois ?

Jmahri: Oui parce que les pères fondateurs de l’USFP étaient, en même temps, les pères fondateurs du Mouvement national. Notamment Mehdi Ben Barka et Abderrahim Bouabid. Ils étaient également des monarchistes convaincus puisqu’ils ont défendu le Maroc pour qu’il recouvre sa souveraineté en la personne de Feu Mohammed V.

Insistant sur l’importance de la Koutla, regroupant Istiqlal, USFP et PPS, Jmahri ne voit pas d’objection de principe à ce que la coalition gouvernementale soit étendue au PJD (« cela se ferait sur la base du programme et ce sont les priorités qui imposeraient à l’un et à l’autre la façon de gérer les alliances« ) et estime, s’agissant de la place de la liberté de conscience dans la nouvelle constitution (elle n’y figure pas, puisque vous me le demandez), que « il ne faut quand même pas se poser des questions que la société n’a pas encore posées« .

Interrogé sur le fait que l’USFP est considérée comme un parti administratif (on se demande bien pourquoi, n’est-ce pas?), Jmahri répond de manière fulgurante:

Pour vous répondre, je prends deux dates pour voir si on a vraiment perdu de notre vivacité. En 1978, en plein bras de fer avec Feu Hassan II lors de notre troisième congrès national, le communiqué final a mentionné que le Maroc devait entamer le cycle d’une monarchie parlementaire. De plus en 2008, l’USFP a réitéré sa demande. (Libération, 3/11/2011

Puis vient une question sur le renouvellement au sein de l’USFP – sachant que Lachgar, à 57 ans, est le plus jeune des poids lourds du parti, et que le doyen du parlement, élu USFP à la Chambre des représentants depuis 1963 en est actuellement son président, le fringant Abdelouahed Radi, 76 ans:

Pour ce qui est du renouvellement, je crois qu’il reste des attitudes et des traditions qui sont difficiles à éradiquer, mais on travaille dessus au sein de notre parti pour que des jeunes cadres et des femmes aient leur mot à dire par rapport à l’évolution de la situation au Maroc.

Je rappelle que Abdelouahed Radi se représente à ces élections, en tête de la liste de l’USFP à Sidi Slimane où il fut élu la première fois en 1963, histoire de pouvoir dire aux jeunes militants USFP qu’il aura siégé plus de 50 ans au parlement…

Puisqu’on en parle, Radi justement, qui illustre la farouche combativité de l’USFP (on se rappelle qu’ayant promis de démissionner de son poste de ministre s’il était élu secrétaire général de l’USFP, il se maintint à son ministère sur instruction royale, le Roi félicitant ensuite l’USFP de la sagesse de son choix): venant d’être élu à un machin sans intérêt intitulé Union interparlementaire, club de voyages et de discussions des parlementaires du monde, il en fait un signe plus éloquent que le classement du Maroc à l’indice de développement du PNUD –

« Mon élection est la reconnaissance des réformes menées par le Maroc (…). C’est un témoignage fort de la communauté internationale et la reconnaissance de la crédibilité de la démocratie marocaine et des réformes menées par le Maroc. L’UIP n’aurait jamais élu un président issu d’un pays au régime autoritaire » (Libération 25/10/2011).

Il n’y a pas que Radi à resurgir tel un fantôme du passé: Fathallah Oualalou, ancien ministre des finances (1998-2007) et économiste anciennement socialiste auteur de livres avec des titres marxisants tel « Le Tiers-Monde et la troisième phase de domination« , actuellement maire de Rabat. Interrogé sur le nom du premier ministre dans l’hypothèse peu probable où l’USFP arriverait en tête ds élections à la Chambre des représentants, il a cette réponse, assez typique, du genre « tu te crois en Suède?« :

Pourriez-vous avancer un nom, futur chef du gouvernement, si l’USFP remporte les élections ?

On dirait que vous êtes en Europe en posant ce genre de questions. Soyons un peu plus modestes.

Oualalou tient décidément à rappeler à l’opinion marocaine que le Maroc se situe en Afrique:

Que pensez-vous de ceux qui prédisent une alliance entre l’Istiqlal et le PJD ?

D’après mes informations, ni l’Istiqlal ni le PJD n’ont fait cette demande d’alliance. Soyons clairs : en tenant compte de la structure du champ politique marocain, et ce, depuis le gouvernement d’alternance, les alliances ne se font pas avant les élections, mais après. Au Maroc, nous ne disposons pas d’un parti dominant, on n’est pas en Europe, et toutes les spéculations qu’on avance çà et là, dans certaines analyses et écrits, n’ont aucun sens.

De ses leçons de géographie, Oualalou tire cependant des leçons de science politique:

Je dirais qu’il nous faut d’abord acquérir trois types d’autonomie dans la perception du citoyen. Primo, tous les partis doivent être indépendants vis-à-vis de l’Etat, sachant que le Roi nous unit tous.

Tant d’abnégation dans le militantisme radical finit toujours par payer: c’est ainsi qu’à Casablanca, l’USFP présente cette année comme candidat aux législatives Redouane Messoudi, président de l’arrondissement d’Aïn Sebata et transfuge de l’UC – vous savez, ce parti créé sur instruction Hassan II…

On peut donc conclure avec l’historien Maati Monjib:

From Party of Principle to Patronage Network

Since joining the government and failing to realizing its stated goals of democratizing Moroccan institutions and redistributing wealth, the USFP has seen its traditional support base in the major cities dwindle. The USFP has strayed from its progressive, modernist roots and is now relying more and more on conservative rural elites, who have come to control many of the party’s decision-making positions. The relationship between the USFP leadership and support base is becoming one of patronage more than of shared ideological beliefs.  This transformation within the USFP has weakened its hand in bargaining with the monarchy, a situation that applies to other Moroccan political parties as well. In the words of Mohamed Grine, a leader of the Progress and Socialism Party, in a recent interview with the local paper al-Massae’, « the way the leftist parties have catered to the notables has been politically suicidal. »   

* Je tiens à préciser que je n’ai rien contre les femmes lubriques, bien au contraire… Sinon, la phrase n’est pas de moi, mais de Baudelaire.

Modalités de vote des MRE: une violation flagrante du Code électoral

Pour des infos sur le mouvement du 20 février et le boycott, voir mamfakinch.com et mamsawtinch.com.

Tous ceux qui comme moi ont longtemps argué en faveur du droit de vote des MRE aux élections législatives marocaines se rappellent de l’argument généralement avancé par le régime et ses supplétifs pour justifier le refus de ce droit: « des difficultés techniques », argument auquel le chercheur le plus assidu de la question des MRE, Abdelkrim Belguendouz (il avait plaidé en vain pour la constitutionnalisation de la représentation parlementaire des MRE), a fait droit:

Extraits du livre de A. Belguendouz : « Marocains du pays et marocains d’ailleurs : Fracture citoyenne »

L’alibi des difficultés techniques

D’aucuns, au sein de divers départements ministériels et dans certaines chancelleries et consulats du Maroc à l’étranger, ont évoqué la difficulté matérielle à établir ces listes à l’étranger. Mais, lorsqu’on constate que les citoyens d’autres pays, y compris les Algériens, votent à l’étranger, n’est-ce pas du côté marocain de la simple paresse bureautique, un manquement flagrant à un devoir administratif et le signe d’un laisser- aller manifeste ?

L’évocation de cette pseudo justification, ne constitue-t-elle pas au contraire un argument de plus et de poids pour une mise à niveau (organisationnelle et mentale) de l’appareil consulaire et diplomatique du Maroc, comme cela avait été annoncé dans le discours royal du 20 août 2002 ? A-t-on oublié par ailleurs que les Marocains résidant à l’étranger ont voté, non seulement durant les législatifs de 1984, mais aussi à l’occasion des divers référendums qui ont été organisés ? Signalons enfin, s’agissant de la communauté, que le vote par procuration, voire même par correspondance, aurait pu être envisagé. Cela aurait justifié, en partie, le fait que les résultats électoraux ne soient connus que le lendemain du jour du scrutin…

Par conséquent, la difficulté matérielle d’établir un registre électoral des Marocains résidant à l’étranger peut être surmontée par un minimum d’organisation, à laquelle doit s’ajouter, bien entendu, la volonté politique. En tous les cas, les carences logisti- ques, les raisons techniques ou l’absence de professionnalisme et du sens de l’organi- sation, ne peuvent fonder légitimement l’exclusion des urnes des Marocains résidant à l’étranger et leur bannissement, leur ôtant de fait et dans la pratique, une partie de leurs droits constitutionnels, prévus, comble d’ironie, par la Constitution, révisée en 1996 par un référendum auquel les « MRE » avaient participé…

On peut conclure que s’agissant de la volonté politique, elle semble être présente lors de ce référendum constitutionnel, puisque les autorités gouvernementales marocaines ont déclaré que pouvaient participer à ce référendum tout Marocain résidant à l’étranger titulaire d’un document « prouvant leur marocanité« :

«Tous les Marocains résidant à l’étranger, même s’ils ne sont pas inscrits dans leurs consulats, pourront participer au référendum du premier juillet », a affirmé dimanche 19 juin Mohamed Ameur, ministre de la Communauté marocaine à l’étranger, lors du séminaire « Réformes constitutionnelles, immigration et citoyenneté » organisé par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger ce week-end à Casablanca. « Tout document qui prouve leur marocanité » sera accepté dans les consulats pour leur permettre de s’exprimer sur le nouveau texte, a détaillé le ministre.

Tout document qui prouve

Ceci est bien évidemment absolument illégal – le Code électoral contient ainsi, parmi les articles 115 à 140 applicables au vote des MRE, un article 110 qui énonce ce qui suit:

Article 110: 

Sont admis à prendre part au référendum :

1) Les électeurs inscrits sur les listes électorales générales ;

2) Les militaires de tous grades en activité de service, les agents de la force publique (gendarmerie, sûreté nationale, forces auxiliaires) et généralement, toutes les personnes auxquelles le droit de porter une arme dans l’exercice de leurs fonctions a été conféré ;

3) Les Marocains immatriculés dans un poste diplomatique ou consulaire du Royaume du Maroc ou résidant à l’étranger.

Les personnes visées aux 2°et 3°ci-dessus doivent en outre être âgées au moins de 18 années grégoriennes révolues à la date de scrutin et satisfaire aux autres conditions requises pour l’inscription sur les listes électorales générales, abstraction faite de celle tenant à la non-appartenance à certaines catégories de fonctionnaires civils et militaires.

L’immatriculation au consulat ou à l’ambassade la plus proche, matérialisée par une carte d’immatriculation consulaire, ou la résidence à l’étranger, sont donc les conditions légales posées par le code électoral pour que les MRE puissent participer aux référendums marocains. On remarquera au passage que s’agissant des référendums, des catégories entières de citoyens, privés du droit de vote aux élections législatives et communales, en sont soudain dignes – car le référendum, dans la pratique marocaine, n’est qu’une forme modernisée de beiy’a (allégeance au Roi)…

Disons-le tout de suite: l’article 110 est mal rédigé, probablement à dessein. Dans les pays reconnaissant le droit de vote aux ressortissants résidant à l’étranger, on connaît généralement deux cas de figure pour organiser leur vote dans des conditions permettant de s’assurer que les intéressés bénéficient bien du droit de vote et exclure tout risque qu’ils votent deux fois. Dans le premier cas de figure – cas par exemple des Français de l’étranger votant pour les élections présidentielles – l’inscription se fait sur des listes électorales dressées, bien en avance, ambassade par ambassade et consulat par consulat. Le jour du scrutin, chaque Français de l’étranger vote à l’ambassade ou au consulat dont il dépend, et nulle part ailleurs. Dans le second cas de figure, les ressortissants à l’étranger sont rattachés à une circonscription électorale de leur pays. Ils vont certes voter à l’ambassade, quelques semaines ou jours avant la date du scrutin au pays, mais ils sont en fait inscrits sur les registres électoraux d’une circonscription de leur pays d’origine – soit leur lieu de naissance, soit celui de leur dernière résidence. Leurs bulletins de vote sont alors ramenés au pays et remis au bureau de vote auxquels ils sont rattachés dans leur pays d’origine pour y être dépouillés et comptés.

Rien de tel au Maroc, où les MRE ne se sont pas vu reconnaître le droit de vote aux élections législatives par le législateurs, en violation de la Constitution (paradoxalement, c’est là une des avancées de ce projet de constitution, dont l’article 17 dispose que « les Marocains résidant à l’étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d’être électeurs et éligibles« ). Normalement, une liste électorale générale recense les électeurs marocains résidant au pays et ne figurant pas dans les cas d’incapacité électorale répertoriés à l’article 5 du Code électoral. S’agissant des opérations référendaires, l’article 110 du Code électoral qui accorde le droit de vote non seulement aux MRE immatriculés au consulat mais aussi ceux « résidant à l’étranger » sans être immatriculés – est en contradiction assez flagrante avec les articles 120 et 137, qui précisent que la liste des votants qui doit être établie pour tout bureau de vote comprend, s’agissant des bureaux de votes dans les ambassades ou consulats du Maroc, « la liste des citoyens marocains immatriculés auprès de l’ambassade ou du consulat et jouissant du droit de vote » et surtout l’article 135:

Le vote a lieu dans les locaux de l’ambassade ou du consulat où les votants sont immatriculés et dans tous autres lieux désignés à cet effet par le consul.

La carte d’immatriculation consulaire tient lieu de carte de vote.

On voit donc que les opérations référendaires dans les consulats et ambassades à l’étranger doivent:

  • avoir lieu dans des bureaux de vote détenant une liste de votants « dressée à partir de la liste des citoyens marocains immatriculés auprès de l’ambassade ou du consulat » (article 137);
  • voir les électeurs présenter une carte d’immatriculation consulaire en guise de carte de vote (article 135);
Ce sont là des conditions légales, justifiées aux fins de s’assurer que ceux qui votent ont la capacité électorale (définie comme on l’a vu à l’article 5 complété par l’article 110) et qu’ils ne votent pas deux fois (encore que la carte d’immatriculation consulaire n’offre pas les mêmes garanties à cet égard que la carte nationale d’identité électronique ou le passeport biométrique).
Or ceci, le gouvernement l’a balayé d’un revers de la main. Car s’il suffit d’une pièce d’identité (ce pourrait même être les anciennes CIN ou les anciens passeport, voire « tout document prouvant leur marocanité » (Ameur dixit)- livret de famille, permis de conduire?), il n’y a plus de document prouvant le rattachement de l’électeur au bureau de vote – en clair, rien n’empêchera l’électeur ayant voté à Bruxelles le vendredi matin de se rendre à Liège puis à Anvers pour réitérer son allégeance référendaire au Roi. Rien n’empêche l’électeur de Bordeaux de voter à Bordeaux le vendredi, puis de prendre la route pour le Maroc, voter à Madrid le samedi et à Algeciras (et oui, des bureaux de vote seront ouverts dans les ports de transit des MRE que sont Algéciras, Almeria et Sète…) – et Madame et les enfants majeurs pourront également être de la partie…
Allons plus loin dans le raisonnement: quelle supervision des opérations de vote par les délégués des partis et syndicats reconnus (voir l’article 57 du Code électoral), seuls admis à participer officiellement à la campagne officielle, pourra avoir lieu alors que de très nombreux bureaux de vote seront établis à l’étranger – 520 pour être exact? A titre anecdotique, je me rappelle avoir voté « non » au référendum de 1992 dans une épicerie marocaine alors que j’étais étudiant en France, muni de ma CIN. Les opérations de vote n’avaient pas l’air sérieuses, et je ne me suis jamais préoccupé de savoir si mon « non » avait bel et bien été enregistré…
Comment expliquer une violation aussi flagrante de l’article 135 du Code électoral, alors qu’en toute certitude – mais rappelons qu’aucun sondage n’a lieu au Maroc en contexte électoral ou référendaire – le « oui » devrait l’emporter, tant il s’agit au Maroc de renouveler l’allégeance au Roi que de répondre à la question posée? C’est sans doute lié aux craintes d’un taux de participation faible – 37% des électeurs marocains inscrits avaient voté lors des législatives de 2007, et au Maroc, les trucages massifs des référendums constitutionnels précédents ne sont probablement plus possible – techniquement, en raison de la présence massive de téléphones mobiles et caméras digitales permettant de prendre sur le fait les tricheurs, et politiquement, parce les 97% de participation et 99% de « oui » de l’ère Basri, contre-productifs déjà l’époque, seraient tout bonnement désastreux aujourd’hui. Tout est donc bon, y compris la violation flagrante de la loi électorale, pour gonfler le nombre de votants lors de ce plébiscite d’allégeance, alors même que de nombreuses autres irrégularités entachent la campagne – les instructions données aux imams pour appeler à voter « oui » par exemple…
Plus que toute exégèse du projet constitutionnel, ces pratiques d’un autre temps montrent combien le pouvoir et le mouvement du 20 février sont d’accord sur une chose: le taux de participation sera l’enjeu majeur de ce scrutin plébiscitaire…

Rétroactes:

– « Ce qui ne peut pas durer dans la constitution marocaine (I)« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (II): la méconnaissance de la souveraineté populaire« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (III): voici ce que je proposerai au sujet des langues« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (IV): identité et citoyenneté« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (I): les espoirs déçus de 1962« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (II): le refus constant de l’assemblée constituante élue« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (III): des référendums constitutionnels aux résultats invraisemblables« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (IV): l’élaboration de la constitution se fait au Palais« ;
– « And now, Morocco« ;
– « J’adore la constitution cambodgienne« ;
– « Il s’honore, dit-il« ;
– « Deux jours avant le discours royal, Hamid Chabat parlait des révolutions arabes comme d’un complot sioniste« ;
– « la question n’est pas tant de savoir s’il faut craindre une contagion du printemps arabe au Maroc que celle de savoir s’il ne représente pas une opportunité pour le pouvoir »;
– « Les vieilles ficelles de la MAP« ;
– « Casablanca, le 13 mars 2011« ;
– « Réforme constitutionnelle: début du dialogue avec la société civile à Casablanca« ;
– « Le Maroc, une monarchie républicaine« ;
– « Un conseiller du Roi préside le « mécanisme de suivi » de la réforme constitutionnelle rédigé par une commission royale…« ;
– « Maroc: une révolution urgente et légitime« ;
– « Quand la police marocaine menace de mort un journaliste militant« ;
– « Morocco’s February 20th protest movement for dummies« ;
– « Analyse du mouvement du 20 février au Maroc« ;
– « Me Ziane est opposé à la réforme constitutionnelle« ;
– « Au Maroc, le boycott électoral est criminalisé« ;
– « Le boycott référendaire en droit marocain« ;
– « Le projet de Constitution révisée: que penser? » .

Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (II): la méconnaissance de la souveraineté populaire

A la base de toute constitution démocratique, il y a la volonté populaire. Sauf à considérer le cas des constitutions octroyées – et même celles-ci font de nos jours pas l’économie d’un plébiscite populaire, comme je l’ai montré pour le cas du Maroc, on ne peut voir une constitution démocratique comme autre chose que les règles que le peuple fixe à sa propre conduite et à celle de ses représentants.

L’actuelle constitution marocaine se réclame, à l’article 2, de la souveraineté nationale, et non pas populaire:

La souveraineté appartient à la Nation qui l’exerce directement par voie de référendum et indirectement par l’intermédiaire des institutions constitutionnelles.

La notion de nation est distincte de celle de peuple: si le peuple est constitué de l’ensemble des individus peuplant un territoire, la nation renvoie à une idée plus abstraite – si s’il s’agit toujours d’un groupe de personnes vivant sur un territoire (et encore connaît-on des nations sans territoire déterminé), la notion de nation présuppose une conscience ou une volonté d’appartenir à une même communauté. Le terme est généralement évité dans les textes juridiques, ayant un caractère plutôt politique. On ne niera pas que le terme de peuple est également à connotation fortement politique voire idéologique, mais il offre l’avantage d’être moins susceptible d’interprétations biaisées. Ainsi, l’article 19 de la constitution marocaine décrit le Roi comme « représentant suprême de la Nation » – la souveraineté de la nation évoquée à l’article 2 peut-elle être distinguée de la souveraineté royale dans ces conditions?

Tout ceci ne serait que discussion académique sans importance si la monarchie marocaine n’avait cette tendance, depuis la constitution de 1962, d’utiliser termes symboliques afin d’accroître son pouvoir réel – la notion de commandeur des croyants, figurant à l’article 19 de la constitution, a ainsi été interprétée par des juges zélés comme excluant tous les actes du Roi – du dahir à la décision en passant par le décret – de tout contrôle judiciaire – j’en ai déjà parlé, il s’agit de la fameuse jurisprudence Société propriété agricole Abdelaziz (arrêt de la Cour suprême, chambre administrative, du 20 mars 1970). D’où l’importance de ne pas laisser la porte ouverte pour ce type d’interprétation abusive, créant des prérogatives royales en violation de la règle constitutionnelle – l’article 4 de la constitution dispose ainsi que « la loi est l’expression suprême de la volonté de la Nation. Tous sont tenus de s’y soumettre » – une jurisprudence selon laquelle les actes royaux (du moins ceux n’ayant pas un caractère législatif) sont insusceptibles de recours judiciaire, en l’absence de toute disposition constitutionnelle en ce sens, est bien évidemment une violation de l’article 8 de la loi n° 41-90 instituant des tribunaux administratifs – qui soumet les actes administratifs à contrôle judiciaire – et donc de ce fait de l’article 4 de la constitution.

Voici donc les dispositions que je propose en matière de souveraineté populaire – qui pourraient former un titre préliminaire du même nom:

Titre préliminaire: De la souveraineté populaire

Article 1:
La souveraineté appartient au peuple qui l’exerce soit directement, soit par le biais des institutions constitutionnelles. Toutes les institutions constitutionnelles sont responsables devant le peuple de leur gestion des tâches et moyens qui leur sont confiés par la constitution et par la loi. Tout pouvoir public émane du peuple. Les pouvoirs publics s’exercent dans le respect de la constitution et de la loi, lesquels respectent les droits inaliénables de la personne humaine.

Article 2:
Le parlement est le principal représentant du peuple, quand celui-ci n’exerce pas sa souveraineté directement par la voie du référendum. La souveraineté parlementaire n’est limitée que par la constitution et le respect des droits inaliénables de la personne humaine.

Article 3:
Le Maroc est une monarchie démocratique, parlementaire, populaire et sociale, fondée sur la séparation des pouvoirs, le principe de l’Etat de droit, le respect des libertés individuelles et collectives et la lutte contre les inégalités.

Article 4:
La souveraineté populaire est exclusive de toute ingérence étrangère, et s’exerce dans le respect de la souveraineté des nations étrangères. Nul transfert de souveraineté à une organisation internationale ne peut se faire en affectant les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté ou en n’offrant pas des garanties équivalentes à celles de la présente constitution en matière de protection des droits et libertés.

Commentaires: Il s’agit de marquer de manière éclatante la prédominance de la souveraineté populaire. Toutes les institutions constitutionnelles sont comptables devant elle, ce qui inclut bien évidemment la monarchie. Ceci ne devrait pas poser problème: feu Hassan II n’avait-il pas dit, au sujet de la révolution libyenne de 1969, que si le Roi Idriss avait été renversé c’est qu’il l’avait mérité, reconnaissant ainsi qu’une monarchie ne dure que le temps de son soutien populaire?

De fait, tout semble indiquer que la monarchie est de très loin l’institution constitutionnelle la plus populaire et la plus respectée dans l’opinion marocaine, forte sans doute de son histoire récente – d’autant que l’histoire officielle lui réserve abusivement le beau rôle, notamment dans la libération du Maroc de l’occupation et de la colonisation étrangères – et aussi de la piètre prestation des autres institutions constitutionnelles (1). Ainsi, en dépit de ses racines religieuses et traditionnelles, la monarchie tient quand même à souligner son soutien populaire – ce soutien populaire n’est d’ailleurs pas forcément contradictoire avec la tradition musulmane sunnite. En effet, à supposer qu’on veuille entrer dans le discours légitimateur de la monarchie, la bay’a, dans son sens originel, conditionne le droit du souverain à régner à son acceptation par la population – il s’agit en droit musulman d’une relation contractuelle:

In classical Sunni theory, the election of the ruler (khalifa, imam, amir al-mu’minin) is based on consensus (ijma’) and takes place through a pledge of allegiance (bay’a), which is a contract of obedience between the ruler and the ruled that, according to Ibn Khaldun, resembles a sales contract.(…) Bay’a and mubaya’a (proclamation) are derived from the root ba’a, which means to sell. Ibn Khaldun observes that shaking hands between Muslims and a newly proclaimed leader resembles the conclusion of a sale between a seller and a buyer. (Ibn Khaldun, al-Muqaddima, p.266). (Philipp Holtmann, « Virtual leadership in radical Islamist movements: mechanisms, justification and discussion« , 2011)

Bay’a consists in Umma’s pledge of allegiance to the caliph, who was the ruler of the Umma. Through bay’a, the ruler takes the authority from the Umma, who is then obliged to obey him. This system corresponds to a contract between the ruler on one side and the rest of the Umma on the other side. As a contract, it requires the consent of both parties and it engages their responsibility. (Mostapha Benhenda, « Liberal Democracy and Political Islam: the Search for Common Ground« , 2009)

The government is limited and the law says obey; the Quran says obey those who hold authority over you, but the law also says – and this is a tradition ascribed to the Prophet – there is no obedience in sin. That means, if the ruler commands something that is sinful, not only is there no duty of obedience, there is a duty of disobedience, which is more than the right of disobedience we have in Western thought.

There are many other examples of that. There is the contractual element. According to traditional Muslim law, the head of the state is the caliph, and the caliph are being chosen and appointed – it goes through a procedure that is called, in Arabic, the bay’a. This is usually translated to « homage, » but it is a mistranslation. The word bay’a in Arabic does not mean homage. It comes from a root meaning to buy and sell. In other words, it’s a deal, a contract. The bay’a is a contract agreed between the ruler and those who appointed him ruler, which imposes duties on both. (Bernard Lewis, « Islam and the West: A Conversation with Bernard Lewis« , 2006)

Bay‛a is usually translated as “oath of allegiance” or some similar expression. This is rather misleading, for several reasons. The term derives from the Arabic root by‛, which denotes both buying and selling. A bay‛a, therefore, originally was a transaction, ratified by the clasping of the hands of the parties involved. In fact, the term re tained this original meaning in Arabic and in Islamic law, alongside another: from the very beginning of Islam, bay‛a was a token of the relationship and mutual obligations be tween leaders and those led by them, between rulers and the ruled. As the caliphate consolidated its power, the most important aspect of this relationship came to be the obedience of the ruled, hence the translation “oath of allegiance.” In theory, however, bay‛a remained a transaction: the leaders never ceased to be obligated towards those whom they led, even when there were no institutional means to compel them to meet their obligations. (Ella Landau-Tasseron, « The religious foundations of political allegiance: a study of bay’a in pre-modern Islam« , 2010)

La Bay’a traduit également une dimension contractuelle, dans la mesure où «les sujets s’engagent à la soumission au sultan et au respect de ses ordres. En contrepartie, celui-ci s’engage à garantir la paix et la sécurité de leurs personnes et leurs biens, la protection de la religion et de l’intégrité de l’Etat», explique l’historien [Mohamed Tozy]. (L’Economiste Magazine, juillet 2010)

Plus près de nous et plus en conformité avec le constitutionalisme moderne, en faisant des référendums constitutionnels tenus depuis 1962 de véritables bay’as modernes, aux résultats unanimistes à défaut d’être crédibles, la monarchie reconnaît et se soumet à la logique – fut-elle discursive – de l’approbation populaire et donc de la souveraineté populaire. C’est au final la légitimité populaire qui est implicitement, même dans la logique de légitimation du makhzen, le sceau final de légitimité du règne alaouite.

Bref, en l’état actuel des choses, qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, la monarchie est de très loin l’institution constitutionnelle qui a le moins de souci à se faire concernant son assise populaire, et elle ne devrait donc pas craindre la souveraineté populaire s’agissant de son maintien.

Pour les autres institutions constitutionnelles, le principe de la souveraineté populaire ne pose guère de problème idéologique ou théorique, si ce n’est éventuellement lorsque j’aborderai le rôle de la justice.

Il s’agit ensuite de souligner que toutes les institutions publiques – toutes sans exception, englobant notamment la monarchie mais aussi les autorités militaires et judiciaires, ou Bank al Maghrib – sont tenues de rendre des comptes au peuple de leur gestion de la chose publique, ce terme englobant à la fois l’aspect politique et financier. ceci est au coeur des revendications populaires ayant permis l’éclosion du mouvement du 20 février. Cette partie, très importante, sera plus amplement développée ultérieurement.

Le régime proposé n’est cependant pas un régime de démocratie directe – la souveraineté populaire est normalement représentée par la parlement élu au suffrage universel direct. La souveraineté populaire n’est pas débridée: le peuple doit respecter la constitution qu’il s’est donné, sauf à la modifier selon les voies qu’elle prévoit. Elle se doit aussi de respecter les droits inaliénables de la personne humaine – il ne saurait être question pour une majorité du peuple de priver de ses droits une minorité. Il est des choses que même la souveraineté populaire ne peut faire – ceci renvoie à la notion de droit naturel selon laquelle l’homme dispose de droits que nul pouvoir ne peut lui retirer.

Enfin, la souveraineté populaire n’est pas opposable seulement sur le plan interne, mais aussi externe. Au vu de l’histoire du Maroc, y compris récente, et notamment par rapport aux concessions faites ces dix dernières années à certains partenaires occidentaux en matière sécuritaire et commerciale, il est indispensable d’affirmer ici un principe trop méconnu par l’actuel régime. S’il faut ensuite reconnaître la nécessité de transférer partiellement la souveraineté populaire à des organisations internationales auxquelles adhère le Maroc, encore faut-il qu’un tel transfert ne touche pas aux fondements même de la souveraineté, à déterminer au cas par cas (ce ne sera pas très fréquent, mais je m’inspire ici du droit constitutionnel français, et plus particulièrement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de ce pays-là), ou aux droits et libertés garantis par la constitution.

Le principe fondamental de la souveraineté populaire posé, continuons notre réforme constitutionnelle virtuelle. Je proposerai un titre premier, « De la nation marocaine », à aborder dans un prochain post.

(1) Ces piètres prestations ont d’ailleurs souvent été le fruit des efforts de la monarchie d’affiblir les institutions concurrentes – parlement, gouvernement, partis, syndicats, justice – efforts le plus souvent couronnés de succès.

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