S’agissant des référendums, plus de suspense en Syrie qu’au Maroc

Vous vous rappelez tous du score du référendum constitutionnel marocain du 1er juillet de l’année dernière – 98,5% des suffrages exprimés, et un taux de participation – plus crédible celui-là – de 73%.

Voilà maintenant que le régime sanguinaire de Bachar al Assad a tenu son propre référendum – et en allant vérifier l’historique des opérations référendaires et des élections présidentielles (elles s’assimilent à des référendums, ayant un candidat unique que les électeurs peuvent approuver ou refuser) syriennes, j’ai noté qu’au plébisicite présidentiel de 2007, il y eut 97,6% de « oui » à la candidature unique de Bachar el Assad, soit un taux de « oui » inférieur à celui du référendum marocain du 1er juillet 2011.

Pour en revenir aux résultats de ce référendum syrien, le taux officiel de participation était de 57% et le taux de « oui » était de 89%, celui des « non » étant de 9%.

Bref: le régime syrien tolère six fois plus d’opposants à son projet de constitution que le régime marocain, et tolère 16% en moins en termes de participation.

Petit rappel – les réactions occidentales au référendum constitutionnel marocain du 1er juillet 2011, un peu différentes de celles au référendum syrien:

Réactions internationales (Aujourd’hui Le Maroc 4/7/2012)

Hillary Clinton: «Les Etats-Unis saluent le référendum constitutionnel»
Les Etats-Unis «soutiennent le peuple et le leadership marocains dans leurs efforts visant la consolidation de l’Etat de droit et des droits de l’Homme et la promotion de la bonne gouvernance», a déclaré samedi la secrétaire d’Etat US, Hillary Clinton, dans un communiqué. «Les Etats-Unis saluent le référendum constitutionnel du 1er juillet et apportent leur soutien au peuple et au leadership marocains dans leurs efforts visant la consolidation de l’Etat de droit et des droits de l’Homme, la promotion de la bonne gouvernance, ainsi qu’un engagement à long terme en faveur des réformes démocratiques tenant compte de l’équilibre des pouvoirs», a-t-elle souligné.

Nicolas Sarkozy: «Plein soutien de la France à un processus exemplaire»

Nicolas Sarkozy a exprimé samedi le souhait de la France que le Maroc «rejoigne le «Partenariat de Deauville», qui vise à soutenir concrètement les pays arabes engagés dans une transition démocratique», après «le succès majeur» du référendum constitutionnel. Au cours de son entretien téléphonique avec SM le Roi, M. Sarkozy a félicité le Souverain «pour le succès majeur que constitue l’adoption par référendum de la nouvelle Constitution du Maroc», indique un communiqué. M. Sarkozy a fait part à SM le Roi «du plein soutien de la France au processus exemplaire par lequel le Maroc poursuit résolument et pacifiquement son approfondissement démocratique».

Trinidad Jiménez: «Civisme et maturité politiques démontrés par les Marocains»
La ministre espagnole des Affaires étrangères et de la Coopération, Trinidad Jiménez, s’est félicitée, samedi 2 juillet, du «soutien» exprimé par le peuple marocain à la nouvelle Constitution.
La chef de la diplomatie espagnole «s’est félicitée de la participation massive au référendum organisé vendredi au Maroc ainsi que de l’appui donné par le peuple marocain à la nouvelle Constitution», souligne le ministère espagnol des Affaires étrangères dans un communiqué. «Le civisme et la maturité politique démontrés par les Marocains» augurent d’un «avenir meilleur pour le Maroc», ajoute la même source.

Catherine Ashton: «Une réponse significative aux attentes des Marocains»
L’Union européenne (UE) s’est félicitée du résultat «positif» de la consultation référendaire du vendredi. «Nous nous félicitons du résultat positif du référendum sur la nouvelle Constitution au Maroc et saluons le climat de démocratie et de sérénité dans lequel s’est déroulée l’opération de vote», indique, samedi, un communiqué conjoint de Catherine Ashton, haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité et Stefen Fule, commissaire à l’élargissement et à la politique européenne de voisinage. Les deux responsables européens ont qualifié les réformes constitutionnelles de réponse «significative» aux aspirations et attentes du peuple marocain.

Rachida Dati: «Le Maroc se positionne en modèle au-delà du Maghreb»
L’élan démocratique dégagé de l’échéance référendaire de vendredi positionne le Maroc comme «une grande Nation réformatrice» et l’érige «en modèle au-delà des frontières du Maghreb», a souligné la députée européenne et ex-ministre française de la Justice, Rachida Dati. «Je me réjouis du soutien massif du peuple marocain à la réforme constitutionnelle voulue par Sa Magesté le Roi Mohammed VI. Par cet élan démocratique, le Maroc a pris son destin en main et s’affirme nettement comme l’une des grandes Nations réformatrices du XXIème siècle», indique l’eurodéputée dans un communiqué samedi.

A part ça, les chancelleries occidentales ont parfaitement tiré les leçons qui s’imposaient suite à leurs compromissions avec les régimes tels ceux de l’Egypte, de la Libye et de la Tunisie. Manquerait plus que ça.

PS: oui, je sais, l’artillerie des FAR ne bombardait pas Sidi Moumen ou Fès le 1er juillet dernier, les chars ne patrouillaient pas Tanger et des snipers des Forces auxiliaires ne fauchaient pas des gamins. Ceci dit, la répression des protestations populaires dans le Rif en 1958, à Casablanca en 1965 et 1981, à Marrakech et à Nador en 1984 et à Fès en 1990 firent pas loin de deux mille morts. Mais j’imagine qu’ils ne comptent pas.

Monarchies arabes: Encore un rapport dont la MAP ne parlera pas

La fondation étatsunienne Carnegie Endowment for International Peace vient de sortir un rapport  – « Arab monarchies: Chance for reform, yet unmet » – sur la façon dont les monarchies arabes – Maroc, Jordanie et pays du Golfe – ont géré ce printemps de la révolte. Les auteurs en sont l’universitaire étatsunienne Marina Ottaway et l’ex-ministre des affaires étrangères et vice-premier ministre jordanien Marwan Muasher. La partie consacrée au Maroc mérite d’être citée en partie.

Les auteurs du rapport sont sans illusion sur la transparence et le côte participatif de la procédure de révision constitutionnelle:

Mohammed’s approach followed the well-established pattern of preempting bottom-up demands by offering limited top-down reforms, a model that has characterized the style of the Moroccan monarchy since the final years of Hassan II’s reign in the late 1990s. (…)

On March 9, just two weeks after the start of protests, the king announced the drafting of a new constitution, despite the fact that the country’s protests had been limited compared to those of Tunisia and Egypt. Because he moved quickly and ahead of the protesters, he enjoyed complete flexibility in deciding who would write the document and thus how far it would go in fashioning a new political system. At a time when Egypt and Tunisia were shaken by acrimonious controversy over whether their constitutions should be written by an elected constitutional assembly or by an appointed committee before the staging of elections, Morocco’s king answered the question himself before it was asked: the constitution would be prepared by a commission of experts named by the king and headed by one of his advisers, Abdellatif Menouni.

Un bref commentaire: Abdeltif Menouni n’était pas -formellement du moins – conseiller du Roi lorsqu’il fut désigné président de la commission royale chargée d’élaborer le projet de constitution – ce ne fut qu’après le référendum plébiscitaire qu’il rejoigna le cabinet royal.

Le rapport mentionne ensuite le fumeux « mécanisme de suivi » dirigé par le conseiller royal Mohamed Moatassime et qui regroupait principalement chefs de partis. Censé les tenir informés de la teneur – confidentielle – des travaux de la commission royale, ce mécanisme fut très largement passif et n’informa les chefs de partis qu’à la dernière minute:

Indeed, the experts’ commission received many submissions, some of them entire constitutional drafts and others only suggestions on key points.Participation, however, stopped with these submissions. No follow-up debate was organized and the “mechanism” was not consulted again until its members were summoned on June 8 to hear an oral presentation on the new constitution. They did not see the written draft until June 16, only one day ahead of the general public.

Le rapport ne mentionne pas qu’Abdellillah Benkirane du PJD fut tout particulièrement écouté en raison de ses objections à la liberté de croyance, lui préférant la liberté des cultes.

Le fond de la révision est abordé par l’aspect identitaire – religion et ethnicité – et l’aspect institutionnel – les pouvoirs du Roi. Sur le premier point, le rapport note à juste titre que la charia n’est pas mentionnée comme source du droit:

Compared to the text of most Arab constitutions, which proclaim sharia as one of the sources, if not the source, of law, the new Moroccan constitution (like the previous one) is quite liberal.

Sur la question institutionnelle, le rapport constate l’évidence, à savoir que la monarchie parlementaire n’est pas à l’ordre du jour, du moins celui imposé par cette constitution:

The constitution does not transform Morocco into a constitutional monarchy (or a parliamentary monarchy, in the language favored by Moroccans) where the king does not govern—that was not the intention. But the constitution does impose new formal limits on the king’s power, stipulating that he must nominate the “president of the government,” as the prime minister is now known, from the party that has received the largest number of votes in the elections. On the other hand, the constitution reserves three crucial areas—religion, security, and strategic policy choices—as the king’s exclusive domain. When such issues are discussed, the king will preside over the cabinet, which automatically ensures that he will have the last word—and probably the first—in any decision.

C’est un raccourci erroné: en gardant la présidence du Conseil des ministres (article 48 de la Constitution), le Roi préside non seulement aux discussions sur « les orientations stratégiques de la politique de l’Etat » (article 49) mais aussi à celles sur les projets de loi de révision constitutionnelle, les projets de lois organiques, les orientations générales du projet de loi de finances, les projets de lois-cadre concernant les objectifs fondamentaux de l’activité économique, sociale, environnementale et culturelle de l’Etat, l’amnistie, les textes en matière militaire, la déclaration de l’état de siège, la déclaration de guerre, la nomination à des emplois civils stratégiques et enfin la dissolution de la Chambre des représentants.  D’autre part, ce domaine n’est pas un domaine exclusif du monarque, puisque le gouvernement et le parlement y conservent des prérogatives non-négligeables, si tant es qu’ils souhaitent véritablement les exercer, ce qui est une autre affaire.

Les auteurs du rapport soulignent en outre qu’au delà des textes, c’est l’attitude servile de la classe politique qui permet au Palais d’exercer un pouvoir aussi dominant:

Further reducing the likelihood that parliament and the cabinet will attempt to expand their domain is a long history  of passivity and deference to the king. Analysts argue that even under the old constitution, the parliament and the cabinet could have exercised considerably more influence on policies than they did. It is thus safe to assume that reform in all areas will be tightly controlled by the sovereign.

C’est l’absence d’une classe politique se battant pour étendre le domaine d’action du gouvernement et du parlement qui menace principalement la mise en oeuvre de la réforme constitutionnelle, estiment les auteurs:

There is a real possibility that the new constitution’s passage will not be followed by real political reform, however. This, in turn, could spell trouble for the future. Because of the ambiguity of the text where the power of the sovereign is concerned, the king can still maintain control over most decisions unless he is challenged by political parties in the parliament or the extraparliamentary opposition. However, many of the old parties are palace parties that have no intention to challenge Mohammed.

Le résultat de l’opération référendaire est considérée comme un véritable plébiscite qui affaiblit la constitution:

The constitutional draft was submitted to a popular referendum on July 1 and, as expected, easily won approval. Official sources reported that 98.5 percent of voters approved the new document, and that voter turnout was 73 percent. The overwhelming referendum victory may have weakened, rather than strengthened, the chances that the constitution will be fully implemented. The absence of discussion about the new constitution suggests that the vote was a declaration of confidence in the king and his leadership more than a declaration of support for a set of rules by which the king is expected to abide.

Le rapport ne place pas beaucoup d’espoirs dans le PJD, perçu comme étant plus tenté par la quête de respectabilité que par une volonté de réforme:

the PJD has made it clear repeatedly that one of its major goals is to be accepted as a legitimate political player and to become fully integrated into the political system. This desire for integration was clear in the last parliament, where the PJD, which had won the second-largest number of seats in the 2007 elections, behaved as an extremely loyal opposition, never exercising much pressure for change, despite its theoretical commitment to a stronger parliament.

Le bilan est finalement assez pessimiste:

At least superficially, Morocco looks like a model that all Arab monarchies would be well advised to follow, providing a lesson on how even limited top-down reform, if delivered quickly and graciously, can preempt pressure for more drastic change from the bottom.

Yet, several factors could still turn the king’s victory into a pyrrhic one. The new constitution has failed to convince the majority of Moroccans that the new parliament will play an important role.(…)

Most important in the long run is the possible awakening of the extraparliamentary opposition, including the February 20th movement and the perennial dark horse of Moroccan politics, the Islamist al-Adl wal-Ihsan movement.

The February 20th protest movement has vowed to continue its fight for deeper reforms. Thus far, it has attracted little support, with demonstrations in Rabat and even in the more rambunctious, gritty Casablanca rarely drawing more than a few thousand protesters. Yet, behind the listless demonstrations lurks much discontent. Morocco suffers from the same economic ills as other non-oil-producing Arab countries (…)

The king has definitely won the first battle, but the outcome of the war is far from certain.

Les auteurs accordent à Al adl wal ihsan un rôle déterminant dans la suite des événements, analyse que je ne partage pas forcément:

Potentially more important than the February 20th movement itself are the organizations backing it, particularly al-Adl wal-Ihsan, which is considered to be the largest Islamist organization in the country (although membership figures are not available). The group refuses to participate openly in the political process because it does not accept the legitimacy of the monarchy, the king’s role as “commander of the faithful,” and a political system it considers highly corrupt. While expressing support for the February 20th movement, al-Adl wal-Ihsan has continued to sit on the sidelines. Although it does not encourage its members to participate in demonstrations, it could quickly become a major player if protests were to resume, and this could be a game changer.

Entretemps, Al adl wal ihsan a de facto quitté le mouvement du 20 février, suite à la nomination d’Abdellilah Bekirane en tant que chef du gouvernement, sans doute dans l’espoir de se voir enfin reconnaître un statut légal…

Voilà en tout cas un rapport qui n’aura sans doute pas les honneurs de la MAP…

Merci, mais non merci

J’ai boycotté la mascarade de référendum constitutionnel cet été, et je boycotte les élections à la chambre des représentants ce vendredi 25 novembre. Et pourtant je ne suis pas un fan du boycott: à chaque fois que j’en ai eu l’occasion au Maroc, j’ai toujours voté. Lors de précédents référendums, j’ai voté non (je ne peux pas me rappeler avoir jamais voté oui). J’ai voté aux élections de 2007. Je pars du principe qu’on me demande mon avis une fois tous les cinq ans, et que je me dois de le donner.

Mais cette année, je ne marche plus. Ce n’est pas le principe d’élections: je ne crois guère à la démocratie directe, et ne suis pas un amoureux de la violence révolutionnaire. Je crois à la démocratie parlementaire traditionnelle, avec séparation des pouvoirs et Etat de droit. Ce en quoi je ne crois plus du tout, c’est la faculté de ce régime de se démocratiser sans y être contraint par la pression populaire. Ce doit être de la naïveté, mais l’évidence ma frappé que la démocratisation du Maroc ne serait pas octroyée, mais arrachée.

C’est surtout le contexte qui m’a ouver les yeux: qu’ont les Tunisiens et les Egyptiens de plus que nous? Pourquoi nous contenter de miettes alors que nous, peuple marocain, pourrions reprendre notre souveraineté, et faire comprendre au régime que s’il est en place, ce n’est parce qu’une majorité du peuple le veut bien? La situation du Maroc est certes différente: la légitimité du Roi est réelle, même si ses fondements ne sont pas démocratiques. Mais le Marocain moyen est confronté quotidiennement à la corruption, à la paupérisation, aux services publics indigents, au mépris, à la violation des droits et à la négation de l’Etat de droit, comme en Egypte et en Tunisie. Le chef de l’Etat porte un titre différent et les institutions et traditions différent, mais comment nier les similitudes? Les peuples ne s’y sont pas trompés, et le peuple marocain pas moins que les autres peuples arabes.

Tout d’un coup, les revendications qui étaient cantonnées dans un cercle restreint d’intellectuels et de militants ont ont eu une deuxième vie dans les manifestations du mouvement du 20 février, mêlant jeunes et vieux, islamistes et gauchistes, hommes et femmes, chômeurs et professeurs d’université. Pour la première fois depuis des décennies, on parle constitution, institutions, injustice sociale et corruption au quotidien, le peuple s’appropriant de thèmes autrefois réservés aux colloques ou soirées militantes. Pour la première fois depuis les années 60, la contestation frontale de l’omnipotence royale dépasse le cercle des suspects usuels. Dans le regard des Marocains, dans celui des opinions étrangères et surtout dans celui du régime, la sensation que les choses ont changé pour de bon s’est imposée, avec des conclusions différentes toutefois – le régime et ses parrains étrangers cherchent moins à accompagner le changement qu’à l’esquiver.

Alors que le chef de l’Etat avait régné douze ans sans jamais évoquer de changement constitutionnel, il a fallu la chute de Benali et de Moubarak et le début de l’insurrection libyenne pour que le pouvoir se décide, par le discours royal du 9 mars, à faire montre de volonté de réforme. Contrairement à d’autres, je n’ai pas un seul instant cru que le pouvoir aller s’auto-réformer – en lisant le discours royal du 9 mars des heures après avoir les réactions enthousiastes sur Twitter, je me suis demandé si j’avais la bonner version, tant j’étais frappé par le peu de différence entre ce qui avait été à ce moment-là et le discours institutionnel officieux de douze années de règne. Très, très vite, les modalités de désignation de la commission Menouni chargée de rédiger la nouvelle constitution, la répression de la contestation, et l’absence de transparence des débats et travaux de ladite commission avaient eu raison de toute illusion. Ce n’est cependant qu’in extremis, face à la caricature d’opération référendaire de la fin juin, que je me suis décidé, non sans hésitation, à boycotter le référendum. Le résultat abracadabrantesque (98,5% de « oui »), dans la droite lignée de feu Driss Basri, m’a heureusement conforté dans mon choix (j’aurais cependant préféré me tromper, par souci du bien du pays).

Malgré ce premier boycott, j’ai été plutôt en faveur d’une participation à ces élections législatives: je me disais que continuer à boycotter était lâche, qu’il aurait fallu dans ce cas boycotter l’Etat dans ses autres manifestations – impôts, redevances, démarches administrative – dans un esprit de désobéissance civile. Je me disais qu’une poignée de députés éstampillés 20 février pourrait empêcher le amkhzen de tourner en rond. C’est en écoutant Fouad Abdelmouni que j’ai vu la lumière: la démocratisation du Maroc, la récupération de la souveraineté populaire, ne seraient acquis qu’après un processus passant par les protestations populaires du mouvement du 20 février. Pour que ce processus aboutisse, une mobilisation populaire croissante est nécessaire – et de d’autant que les opérations électorales au Maroc obéissent à d’autres critères que les seules préférences ou considérations idéologiques.

Cette décision est d’autant plus facile à prendre que le parti dont je me sens le plus proche, le PSU, s’est prononcé en faveur du boycott – rejoignant ainsi le PADS et Al adl wal ihsan. Voter, alors que dans les circonstances nationales et internationales nous devrions espérer beacoup mieux que l’ersatz de réformes actuel, c’est renoncer à des lendemains meilleurs. Avec une année sociale et économique 2012 qui s’annonce comme une des pires depuis le plan d’ajustement structurel, tout le monde sait, et le Palais le premier, que la prochaine épreuve de force touchera au coeur du système – la mkhzen économique. La démocratie se gagne et ne s’octroie pas, et participer à cette mascarade électorale serait être complice – ces élections, vu leurs modalités, ne pourront apporter le changement dont le Maroc a besoin.

Pour d’autres voix en faveur du boycott, voir mamfakinch, Larbi et Hisham. Moorish Wanderer y est opposé de même que Réda Chraïbi. L’ami Mounir souhaiterait que le mouvement du 20 février s’intègre aux institutions. A l’ombre de Taha Hussein est désabusé. Omar el Hyani se tâteKarim Tazi déclare vouloir voter pour le PJD, dont il est pourtant loin de partager le conservatisme. Voir aussi le compte-rendu de Hisham chez Global Voices des débats sur les législatives sur les blogs marocains.

Le référendum était-il légal?


C’est une question posée dans un courrier rendu public de l’Alliance de la gauche démocratique (AGD), qui regroupe le PSU, le PADS et le CNI, mettant en cause la légalité de toute la procédure référendaire en l’absence de décret publié au Bulletin officiel indiquant les dates d’ouverture et de clôture de la campagne référendaire ainsi que du scrutin. L’argumentation est intéressante, et en tout cas plaidable:

Alliance De La Gauche Démocratique
Secrétariat général

DECLARATION

L’Alliance de la Gauche Démocratique Marocaine considère que le référendum du 1er Juillet sur la constitution est illégal en raison de violations juridiques qui ont entaché son organisation et son déroulement.
Le Secrétariat général de l’Alliance de la Gauche Démocratique, composée du Parti de L’avant-garde Démocratique Socialiste, et du Parti du Congrès national Ittihadi, et le Parti Socialiste Unifié.
Après avoir pris note:
-Du Dahir n°1-11-82 du17 Juin 2011 et publié à la même date dans le Bulletin officiel numéro 5952 bis, qui fixe la date du référendum sur le projet de constitution à la date du 1er Juillet 2011 ;
– Des articles 109 et 44 du code électoral qui stipulent que la date du référendum, sa durée et les dates de début et fin du référendum sont fixées par un décret promulgué par le Conseil des ministres, conformément à l’article 66 de la Constitution actuelle.
– De l’ordre du jour du Conseil de Ministres réuni le 17 Juin 2011, qui ne contient aucun décret fixant la date du référendum sur le projet de constitution , la durée de la campagne et les dates et heures de début et de fin de cette campagne.
-Des Bulletins Officiels publiés depuis 17 Juin 2011 à cette date, dans lesquels aucun décret fixant les modalités du référendum n’a été trouvé.
Et après avoir envoyé une correspondance sur ce sujet à M. le Premier ministre, au Conseil constitutionnel, au Secrétariat Général du Gouvernement et au Ministère de l’Intérieur,
Et nonobstant les infractions et violations qui peuvent entacher toute l’opération référendaire soit durant la campagne ou le jour du scrutin,
– Le Secrétariat général de l’Alliance de la Gauche Démocratique déclare que la non promulgation d’un décret fixant la date du référendum, sa durée et les de début et fin du référendum ne peut être considérée que comme une violation grave et flagrante de la loi, ce qui par a pour conséquence l’annulation du référendum qui doit avoir lieu le 1er Juillet 2011.
– Par ailleurs l’Alliance de la Gauche Démocratique dénoncera prochainement les violations qui ont entaché toute l’opération référendaire sur le projet de la constitution.
Rabat, 30 Juin, 2011

Oui, c’est fort plaidable même si ce n’est pas un slam dunk. C’est juridiquement imparable.
  1. La Constitution de 1996, en vigueur au moment de ce plébiscite, n’exige, si on s’en tient à la lettre de son article 66, que la saisine du Conseil des ministres, qui doit être « saisi, préalablement à toute décision, (…) du projet de révision de la constitution« . Elle n’exige pas explicitement l’adoption d’un décret relatif à la campagne référendaire – cette interprétation est confirmée par ce que les décrets sont mentionnés à un autre tiret de cet article 66. L’article 103 alinéa 2 de la Constitution dispose en outre que le Roi soumet directement au référendum son projet de révision.
  2. C’est le Code électoral qui pourrait être interprété en faveur de l’argumentation de l’AGD. Il faut se rapporter à l’article 109 de ce code, qui dispose que la deuxième partie (articles 38 à 108) du code s’applique aux référendums sous réserve des articles spécifiques aux référendums (articles 110 à 141 du Code). La partie spécifique n’exige pas de décret afin de lancer la procédure référendaire. La deuxième partie du Code (articles 38 à 108), contenant les dispositions communes aux opérations référendaires et électorales, prévoit à l’article 44 que « la durée du scrutin, le délai du dépôt des candidatures et la date d’ouverture et de clôture de la campagne électorale sont fixés par décret publié au  » Bulletin officiel  » avant la date du scrutin« . En vertu de l’article 109, cette disposition devrait s’appliquer aux opérations référendaires, d’autant qu’aucune disposition contraire vient y déroger aux articles 110 à 141 spécifiques aux référendums.
  3. En sens contraire, on pourrait cependant invoquer que l’article 44 parle de « campagne électorale » alors qu’il s’agit ici de campagne référendaire – mais ceci ne devrait pas raisonnablement permettre de réduire à néant la référence explicite aux articles 38 à 108 faite à l’article 109, sauf à priver ce dernier article de tout effet utile – de très nombreuses autres dispositions des articles 38 à 108 utilisent les termes « élections » ou « électoral« . Considérer dès lors que les dispositions de ces articles contenant les termes « élection » ou « électoral » ne trouveraient pas à s’appliquer à des référendums serait annuler l’effet que le législateur a entendu donner à l’article 109 du Code électoral.
  4. Un esprit pervers pourrait cependant relever que si les opérations électorales sont du ressort du pouvoir législatif (article 46 de la Constitution: « sont du domaine de la loi (…) le régime électoral des assemblées et conseils des collectivités locales« ), cette disposition, relativement précise, n’évoque cependant pas les opérations référendaires. Le législateur n’ayant que des compétences d’attribution (l’article 46 énonçant limitativement les domaines relevant de la loi, article 47 de la Constitution précise que « les matières qui sont autres que celles du domaine de la loi relèvent du domaine réglementaire« ), le reste est de la compétence du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire du premier ministre (cf. article 63 de la Constitution). On pourrait donc éventuement plaider que le législateur était incompétent pour légiférer en matière d’opérations référendaires, lesquelles devraient alors être régies par le règlement (donc le décret). Mais alors, cette opération référendaire ne serait alors pas régie par le Code électoral (adopté par le législateur), mais devrait l’être par un décret (et les décrets sont adoptés en conseil des ministres, cf. article 66 de la Constitution). Or, ceci n’a pas été le cas, comme le montre l’argumentaire de l’AGD, puisqu’aucun texte réglementaire n’a été adopté et publié au Bulletin officiel en vue de réglementer cette campagne référendaire-ci. Le référendum manquerait alors de base légale.
  5. Un esprit plus pervers encore pourrait alors invoquer l’article 103 alinéa 2 de la Constitution, qui dispose que le Roi soumet directement au référendum le projet de révision dont il prend l’initiative, ainsi que l’article 105, qui énonce que les projets et propositions de révision sont soumis par dahir au référendum. L’article 29 de la Constitution (« le Roi exerce, par dahir, les pouvoirs qui Lui sont expressément réservés par la Constitution. Les dahirs sont contresignés par le Premier ministre, sauf ceux prévus aux articles 21 (2° alinéa), 24 (1er, 3° et 4° alinéas) 35, 69, 71, 79, 84, 91 et 105« ) fait de cette compétence royale une compétence exclusive – en vertu de l’alinéa premier de l’article 29 pour l’article 103 (« le Roi peut soumettre directement au référendum le projet de révision dont il prend l’initiative« ) et de l’alinéa 2 du même article pour l’article 105 (« les projets et propositions de révision sont soumis, par dahir, au référendum »). Et il y a bien eu un dahir en ce sens, le dahir 1-11-82, du 17 juin 2011, publié au BORM dans le n° 5952 bis. Et que contient-il? Un préambule faisant référence aux articles 109 et 110 du Code électoral, cassant ainsi tant l’argument de la compétence royale exclusive que celui de l’inapplicabilité de la loi. CQFD…
  6. Bref, un superbe sac de noeuds (qui montre au passage à quel point la constitution de 1996 était un véritable torchon juridique), genre sujet de DES de droit public ou arrêt de 20 pages d’une cour constitutionnelle digne de ce nom. Et bien sûr, au Maroc, en 2011, aucun Conseil constitutionnel n’invaliderait ce référendum sur un prétexte aussi léger que son illégalité.
Bref, une affaire absolument plaidable (surtout si on arrête le raisonnement, afin qu’il demeure intelligible pour les non-juristes, au point 3 voire 4) et même assez bien vu de la part de l’AGD. Je crois reconnaître la patte de Sassi, très fin juriste.

Rétroactes, par ordre chronologique:

– « Ce qui ne peut pas durer dans la constitution marocaine (I)« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (II): la méconnaissance de la souveraineté populaire« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (III): voici ce que je proposerai au sujet des langues« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (IV): identité et citoyenneté« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (I): les espoirs déçus de 1962« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (II): le refus constant de l’assemblée constituante élue« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (III): des référendums constitutionnels aux résultats invraisemblables« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (IV): l’élaboration de la constitution se fait au Palais« ;
– « And now, Morocco« ;
– « J’adore la constitution cambodgienne« ;
– « Il s’honore, dit-il« ;
– « Deux jours avant le discours royal, Hamid Chabat parlait des révolutions arabes comme d’un complot sioniste« ;
– « la question n’est pas tant de savoir s’il faut craindre une contagion du printemps arabe au Maroc que celle de savoir s’il ne représente pas une opportunité pour le pouvoir »;
– « Les vieilles ficelles de la MAP« ;
– « Casablanca, le 13 mars 2011« ;
– « Réforme constitutionnelle: début du dialogue avec la société civile à Casablanca« ;
– « Le Maroc, une monarchie républicaine« ;
– « Un conseiller du Roi préside le « mécanisme de suivi » de la réforme constitutionnelle rédigé par une commission royale…« ;
– « Maroc: une révolution urgente et légitime« ;
– « Quand la police marocaine menace de mort un journaliste militant« ;
– « Morocco’s February 20th protest movement for dummies« ;
– « Analyse du mouvement du 20 février au Maroc« ;
– « Me Ziane est opposé à la réforme constitutionnelle« ;
– « Au Maroc, le boycott électoral est criminalisé« ;
– « Le boycott référendaire en droit marocain« ;
– « Le projet de Constitution révisée: que penser?« ;
– « Modalités de vote des MRE: une violation flagrante du Code électoral« ;
– « Conseils pratiques pour déjouer la fraude lors du référendum du 1er juillet« ;
– « Les Marocains des Hauts-de-Seine peuvent voter six fois (au moins)« ;
– « Le nihilisme et l’internationale monarchiste« ;
– « Avis de recherche avec récompense à la clé: un référendum démocratique avec 98,5% de OUI« .

Avis de recherche avec récompense à la clé: un référendum démocratique avec 98,5% de OUI

Avant ce vendredi 1er juillet, dans les discussions sur le soutien au projet constitutionnel royal, je disais que le OUI aurait facilement 85/90% des suffrages exprimés (que je considère, contrairement à Ignacio Cembrero, correspondant d’El Pais au Maroc, comme étant le nombre total de votants moins le nombre de bulletins nuls ou blancs), même sans fraude électorale à proprement parler. Plusieurs raisons à cela: le prestige du Roi, qui a assimilé tout vote autre que le OUI à de la mécréance; la propagande massive, y compris  à la télé, dans les radios et dans les mosquées et enfin le fait que les opposants au projet constitutionnel appelaient tous au boycott plutôt qu’au non. Mais je me disais que statistiquement, dans tout corps électoral donné allant voter sur un projet de réforme substantiel (ne serait-ce que formellement), et dont certains aspects ont été âprement discutés (le statut des langues amazighes ou la liberté de culte par exemple), il se trouverait au moins 10-15% d’électeurs votant non parce qu’ils n’ont pas eu de promotion ou ont perdu leur boulot, parce qu’ils se sont disputés avec leur femme, parce que le Wydad n’a pas remporté la botola voire même parce qu’ils étaient opposés au contenu du texte constitutionnel proposé – bref, pour toutes les bonnes ou mauvaises raisons qui font que les gens votent.

Je me disais aussi que si manipulation des résultats il y aurait, ce serait fait avec finesse et doigté, bref, pas comme durant les très dadaistes résultats référendaires de l’ère Basri (il y a eu 9 référendums constitutionnels au Maroc avant celui-ci – six d’entre eurent lieu alors que Basri était ministre de l’intérieur). Comme la plupart des observateurs, je me disais que le chiffre clé serait celui de la participation, étant donné que l’opposition au projet de révision constitutionnelle se manifestait surtout – hélas – par le boycott.

J’ai donc été ahuri à l’annonce des chiffres préliminaires – comme vu précédemment, ils ne seront définitifs qu’après proclamation des résultats officiels par ce qui s’appelle encore le Conseil constitutionnel. Si le taux de participation semble gonflé, que dire du pourcentage de OUI? C’est un taux sorti en ligne droite de l’ère Basri – il y a même eu un référendum en 1980 avec un taux de OUI inférieur (96,7%) à celui-ci. Est-il statistiquement plausible que le taux des OUI aie vraiment été 98,5%?

Lorsque j’avais cherché des comparatifs internationaux en rédigeant mon post précité sur l’histoire des référendums constitutionnels marocains, j’avais trouvé un seul référendum dans un pays démocratique avec un score basriste – un référendum irlandais sur l’adoption en 1979, avec 99% de oui mais seulement 28,6% de participation. L’autre résultat le plus proche que j’ai trouvé récemment est de 93,2% en Islande en 2010 – mais il s’agissait d’un NON…

Je lance donc un concours – je n’ai pas encore réfléchi à la récompense, qui pourrait être pécuniaire – avis donc au lecteur ou à la lectrice qui trouvera un résultat de référendum comparable à celui du référendum constitutionnel marocain de ce 1er juillet 2011, c’est-à-dire:

  • avec un taux de OUI comparable, soit 98,5% ou plus;
  • une réponse positive;
  • un taux de participation comparable, soit 73% ou plus;
  • un référendum portant sur une révision constitutionnelle totale (et non pas partielle);
  • dans un pays démocratique.

S’agissant du dernier point, en cas de doute, se référer au classement imparfait de Freedom House.

Au fait: c’est une offre sérieuse.

« On clame le OUI à la nouvelle constitution mais tout le processus crie le NON »

Vous trouverez ci-dessous le témoignage d’un citoyen et électeur marocain de passage dans le Souss en ce temps de plébiscite royal, qui nous livre ses impressions (pour connaître un petit peu cet électeur, il n’avait jusqu’à lors pas été particulièrement politisé):

Agadir et la région 28 au 30 juin 2011

Les grandes artères d’Agadir sont jonchées de tracts qui laissent à peine apparaitre le goudron. Leur message unique me frappe comme une massue en plein dans mon libre arbitre : « Na3am« , comme une voie à sens unique que l’on me force à emprunter. Intoxiqué depuis quinze jours par ce mot devenu désormais répulsif, j’assiste aujourd’hui estomaqué à une démonstration géante m’ôtant toute once de patriotisme, celui là même que l’on m’a inculqué depuis l’enfance et qui s’étiole à chaque banderole que croise mon regard.

La région est donc victime d’une bien plus grande campagne pour le « Oui » qu’ailleurs… Tous les villages côtiers que j’ai traversé y passent: les mêmes banderoles, accrochées sur les places publiques. Des banderoles clonées. Les mêmes. Que l’on aille essayer de me faire croire que ce n’est pas la main d’un fonctionnaire qui l’a accroché… En toute illégalité…  L’entrée du port d’Agadir a lui aussi été grimé de la même banderole « Oui pour la constitution » (en arabe et en berbère).

On pourrait limite avancer que celles dans les places publiques auraient pu être attachées par n’importe quel fonctionnaire zélé ou par les représentants d’un parti politique, mais qui aurait autorité pour accrocher ce type d’affiche à l’entrée d’un grand port marocain?

N’est-il donc pas interdit sous nos cieux aux fonctionnaires d’influencer le vote ?

Agadir – Jeudi 30 Juin 18 heures 

Des dizaines de camions qui se suivent en file indienne et transportent des centaines de personnes entrent à Agadir. Le tapis de tracts au sol leur indique le chemin : Toute la ville vit au rythme de la propagande. Ce mot m’est venu à l’esprit plusieurs fois ces quinze jours de campagne… Je pensais l’avoir laissé dans mes manuels d’histoire lorsque Goebbels ou l’Union soviétique étaient au programme, je suis obligé à m’y résoudre, c’est bien d’abjecte propagande qu’il s’agit; ce « Oui » ressassé ad nauseam sensé nous guérir de tous nos maux, ce matraquage sans cesse répété et repris par des médias n’arrivant même pas à l’argumenter…

Dans l’absolu, j’aurai pu penser « Oui » mais la méthode en soi m’agace, elle clame le « Oui à la nouvelle constitution » sensé représenter le changement, mais tout le processus crie le « Non« , il veut dire pour moi « Nos méthodes sont restées les mêmes, vous avez quinze jours pour avaler 180 articles et les approuver, et surtout n’allez pas croire que quelque chose a changé« .

Pourquoi ai-je le sentiment d’être victime d’une gigantesque mascarade ?

Casablanca – 1 er juillet 
J’arrive à mon bureau de vote – Sur le mur de celui-ci est accrochée une banderole pour le « Oui« . Ce dernier assaut me glace. Non, ils n’auront pas mon vote. Je fais demi-tour.

Au travail, ma collègue s’indigne « Ils ne m’ont même pas marqué le doigt!« . La secrétaire, quant à elle, se justifie de ne pas y être allée « Je suis de Safi, je ne peux voter ici, en plus le Moqqadem a fait croire à ma mère que si elle ne votait pas « oui » il ne lui délivrerait plus aucun papier administratif« . La secrétaire baisse le ton et réalise que ce qu’elle vient de dire diffère de la pensée unique qui sévit…

La vie au Maroc est devenue dangereusement manichéenne ; le « non » ou le « boycott » en a été assimilé à un rejet du Roi…

Forcément, ce premier juillet, le Maroc n’a pas voté favorablement pour une constitution, mais a refait un serment d’allégeance à Mohamed VI. Ce n’était pas sensé être l’enjeu de ce référendum…

Rétroactes, par ordre chronologique:

– « Ce qui ne peut pas durer dans la constitution marocaine (I)« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (II): la méconnaissance de la souveraineté populaire« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (III): voici ce que je proposerai au sujet des langues« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (IV): identité et citoyenneté« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (I): les espoirs déçus de 1962« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (II): le refus constant de l’assemblée constituante élue« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (III): des référendums constitutionnels aux résultats invraisemblables« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (IV): l’élaboration de la constitution se fait au Palais« ;
– « And now, Morocco« ;
– « J’adore la constitution cambodgienne« ;
– « Il s’honore, dit-il« ;
– « Deux jours avant le discours royal, Hamid Chabat parlait des révolutions arabes comme d’un complot sioniste« ;
– « la question n’est pas tant de savoir s’il faut craindre une contagion du printemps arabe au Maroc que celle de savoir s’il ne représente pas une opportunité pour le pouvoir »;
– « Les vieilles ficelles de la MAP« ;
– « Casablanca, le 13 mars 2011« ;
– « Réforme constitutionnelle: début du dialogue avec la société civile à Casablanca« ;
– « Le Maroc, une monarchie républicaine« ;
– « Un conseiller du Roi préside le « mécanisme de suivi » de la réforme constitutionnelle rédigé par une commission royale…« ;
– « Maroc: une révolution urgente et légitime« ;
– « Quand la police marocaine menace de mort un journaliste militant« ;
– « Morocco’s February 20th protest movement for dummies« ;
– « Analyse du mouvement du 20 février au Maroc« ;
– « Me Ziane est opposé à la réforme constitutionnelle« ;
– « Au Maroc, le boycott électoral est criminalisé« ;
– « Le boycott référendaire en droit marocain« ;
– « Le projet de Constitution révisée: que penser?« ;
– « Modalités de vote des MRE: une violation flagrante du Code électoral« ;
– « Conseils pratiques pour déjouer la fraude lors du référendum du 1er juillet« ;
– « Les Marocains des Hauts-de-Seine peuvent voter six fois (au moins)« ;
– « Le nihilisme et l’internationale monarchiste« .

Le nihilisme et l’internationale monarchiste

Le Maroc a donc officiellement à peu de choses près toujours le même taux de oui-ouistes que sous le regretté Driss Basri: officiellement, 98,5% des suffrages exprimés se seraient portés sur le « OUI » selon les résultats préliminaires communiqués par le ministère de l’intérieur – eh oui, au plubopaysdumonde c’est le ministère de l’intérieur, à la légendaire probité et impartialité, qui gère les élections tout seul comme un grand, sans être le moins du monde importuné par une quelconque autorité électorale indépendante ou intervention des tribunaux (tout au plus le Conseil constitutionnel, chargé de proclamer les résultats officiels). Dans d’autres contrées mois civilisées du bougnoulistan, ce sont les juges qui sont en charge de la supervision des opérations électorales et référendaires…

Pour en revenir au Maroc, avec 73,6% de participation selon les chiffres préliminaires, Taïeb Cherkaoui évite de justesse la dernière place au classement des plébiscites référendaires marocains puisque celui de 1995 avait un taux de participation de 70,2% (mais 99,6% de « OUI »). Avec les 98,5% de « OUI », il ne brille guère au classement – seuls les plébiscites de 1962 (97%) et le deuxième de 1980 (96,7%) ont fait pire dans le nihilisme. Si le millésime référendaire de 2011 n’est donc pas le meilleur du point de vue makhzénien, il se maintient dans la fourchette des plébiscites marocains depuis 1962, marqués par l’empreinte de Driss Basri (sur dix référendums constitutionnels au Maroc depuis son indépendance, six ont eu lieu sous Driss Basri, de 1980 à 1996). Rien de neuf sous le soleil donc.

Mais il n’y a pas que les chiffres dans la vie, il y aussi Khalid Naciri, ministre de la communication post-communiste (PPS) du Royaume, qui avait tant contribué à rendre populaire le mouvement des 9% en 2009:

 

M. Khalid Naciri : Le taux de participation au référendum, une « leçon magistrale » du peuple marocain
Le taux de participation au référendum, annoncé en début de soirée (70,62 pc), est une « leçon magistrale » donnée par le peuple marocain, qui a saisi la mesure de l’instant historique qu’il est en train de vivre sans prêter aucune attention aux appels qui vont chercher dans le plus profond du nihilisme, a affirmé le ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement, M. Khalid Naciri.
 Dans une déclaration à la MAP, vendredi soir, à l’issue de la consultation référendaire, M. Naciri a indiqué que cette journée du 1er juillet est en train d’entrer dans l’histoire, et qu’ « un Maroc nouveau, dont nous sommes en train d’esquisser les contours, est en train de naître« .Le ministre a, en outre, souligné que la nouvelle Constitution, qui est consensuelle et démocratiquement élaborée est « une carte d’entrée dans la modernité« .Ainsi, tous les partis politiques « ont besoin de se remettre en question pour se mettre à jour. Nous sommes tous d’accord pour affirmer que nous avons besoin de reconstruire le cadre général de fonctionnement des institutions et des élites politiques« , a-t-il estimé, ajoutant que « tout cela fait partie de l’agenda de l’après-premier juillet 2011« . »Dès lors, a-t-il poursuivi, il est nécessaire de se retrousser les manches et se mettre tout de suite au travail, parce que nous avons une carte d’entrée vers la modernité, vers le progrès et vers la construction de la démocratie et tout un travail reste encore à faire« .

 

Il faut reconnaître à Khalid Naciri qu’il est sans doute le seul ministre de l’actuel gouvernement à avoir lancé un mouvement idéologique au Maroc – c’était en 2009
et il s’agissait du nihilisme. Il faut aussi lui reconnaître une continuité, n’ayant pas cédé aux modes idéologiques et continuant de combattre la conjuration nihiliste sous toutes ses formes.

Mais il n’y a pas que le nihilisme dans la vie, il y a aussi l’Internationale monarchiste. Les plus politisés d’entre vous auront entendu parler de l’Internationale socialiste ou de la IVe Internationale, mais vous saurez heureux d’apprendre que les masses populaires de par le monde se mobilisent aussi pour l’idéal monarchiste. Il fallait bien évidemment qu’un évènement tel que ce plébiscite royal fut accueilli comme il se devait, bien qu’il semble ironique que des monarchistes se réjouissent de ce que le monarque perde des prérogatives. Ce fut fait:

SOUTIEN AU PEUPLE MAROCAIN !

COMMUNIQUE
02 juillet 2011
Maroc : Victoire sans appel pour le Peuple et son roi.

De nos correspondants au Maroc, nous apprenons que les premiers résultats du référendum organisé par SAR Mohammed VI sont connus.

S’ils affichent sans surprise une victoire du « OUI » qui était espérée et souhaitée par tous les amis de la monarchie marocaine, c’est son ampleur qui marquera les esprits.

Le taux de participation est en effet très élevé avec plus de 73% (contre une moyenne 52% pour les participations précédentes), preuve de l’extrême mobilisation du peuple marocain.

Et le « OUI » l’emporte avec près de 98,5%, parfaite illustration de la cohésion de ce même peuple marocain derrière son Roi, symbole d’unité nationale et populaire, du développement du Maroc sur un rythme qui lui est propre, et du respect des traditions nationales.

Ces derniers jours, les media occidentaux – et surtout français – avaient largement donné la parole à la poignée d’opposants qui obtient moins de 2% des suffrages, accréditant la thèse fausse et mensongère d’une monarchie contestée et d’un Roi coupé d’une partie non négligeable de son peuple.

Le peuple marocain a désormais parlé, haut et fort. La monarchie cheriffienne sort renforcée de ce scrutin, la légitimité de SAR Mohammed VI est intacte et incontestable.

La Conférence Monarchiste Internationale (CMI) se réjouit de ce résultat sans appel et s’associe à la joie du peuple marocain uni derrière son Roi.

Sylvain ROUSSILLON
Secrétaire Général de la CMI
http://internationale.monarchiste.com

C’est pas beau le progrès?

PS: un grand merci à Lisbeth Salander pour l’image.

Les Marocains des Hauts-de-Seine peuvent voter six fois (au moins)

Depuis l’annonce illégale selon laquelle les Marocains résidant à l’étranger (MRE) pouvaient voter sans être inscrits – c’est contraire aux articles 135 et 137 du Code électoral, comme j’ai eu l’occasion de le montrer – les ambassades et consulats du Maroc à l’étranger font assaut de zèle pour faciliter leur vote – aux référendums seulement, le vote aux législatives se heurtant à d’insurmontables difficultés techniques. Bon, on sait maintenant que ce zèle ne servira pas à grand chose – selon les chiffres préliminaires du ministère de l’intérieur, 73% des électeurs inscrits (mais pour les MRE, on a vu qu’ils sont électeurs sans être inscrits, contrairement à ce qu’impose le Code électoral) ont voté et 98% des suffrages exprimés se sont portés sur le « OUI ».

Le consulat général du Maroc à Colombes, dans les Hauts-de-Seine (banlieue parisienne), a ainsi ouvert six bureaux de vote dans ce département, devant être ouverts de 8 à 19 heures du vendredi au dimanche (eh oui, en violation du principe d’égalité de traitement, les MRE ont trois jours pour voter aux référendums là où les Marocains restés au Maroc en dispose d’un seul):

Le Consulat Général du Royaume du Maroc à Colombes informe les ressortissants marocains, résidant dans le département des Hauts de Seine, que six bureaux de vote sont mis à leur disposition pour accomplir leur devoir national.

Le vote se déroulera durant trois jours :

Vendredi 1er, Samedi 02 et Dimanche 03 juillet 2011.

Les bureaux de vote sont ouverts de 8h à 19h et sont localisés dans les villes suivantes :

  1. Asnières-sur-Seine : Salle Victor Schœlcher du Centre Robert Lavergne, 11 rue Robert Lavergne 92600 – Asnières sur Seine : Accès : Métro 13, Asnières – Gennevilliers – Les Courtilles
  2. Boulogne-Billancourt : Salle du Parchamp, 3 rue de l’Église – 92100 Boulogne Billancourt, Accès : Métro 10, Boulogne – Jean-Jaurès
  3. Clichy-la-Garenne   : 3 Rue du docteur Calmette 92110 Clichy Accès : Métro 13, Mairie de Clichy
  4. Colombes : (Consulat du Maroc) 89 rue des gros grès 92700 colombes, Accès : Bus 73, 166, 167, 176, 235, 358, 367 et 378
  5. Gennevilliers : Bourse du travail,  3 rue Lamartine 92230, Accès : Métro ligne 13, les Agnettes
  6. Nanterre : Salle de quartier des provinces françaises, allée de Normandie – 92000 Nanterre, Accès : Gare RER  A – Nanterre Université

Pour tout complément d’information, contacter le numéro indigo 08 11 04 03 92 (coût d’un appel local)

Le ressortissant marocain muni d’une carte d’identité nationale ou d’un passeport, entreprenant et civique au-delà du raisonnable pourrait donc voter au moins six fois au référendum sans franchir la frontière de son département de résidence. Les électeurs un peu plus aventureux ou motivés pourraient, sans quitter la région parisienne, voter dans un des 24 autres bureaux de vote en Ile-de-France (soit trente au total pouvant être visités avec la Carte orange). Comme les listes d’émargement ne seront pas vérifiés par rapport aux inscriptions consulaires, et comme ces listes ne sont pas informatisées, je vous laisse juges de la régularité de l’opération référendaire…

Rétroactes, par ordre chronologique:

– « Ce qui ne peut pas durer dans la constitution marocaine (I)« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (II): la méconnaissance de la souveraineté populaire« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (III): voici ce que je proposerai au sujet des langues« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (IV): identité et citoyenneté« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (I): les espoirs déçus de 1962« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (II): le refus constant de l’assemblée constituante élue« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (III): des référendums constitutionnels aux résultats invraisemblables« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (IV): l’élaboration de la constitution se fait au Palais« ;
– « And now, Morocco« ;
– « J’adore la constitution cambodgienne« ;
– « Il s’honore, dit-il« ;
– « Deux jours avant le discours royal, Hamid Chabat parlait des révolutions arabes comme d’un complot sioniste« ;
– « la question n’est pas tant de savoir s’il faut craindre une contagion du printemps arabe au Maroc que celle de savoir s’il ne représente pas une opportunité pour le pouvoir »;
– « Les vieilles ficelles de la MAP« ;
– « Casablanca, le 13 mars 2011« ;
– « Réforme constitutionnelle: début du dialogue avec la société civile à Casablanca« ;
– « Le Maroc, une monarchie républicaine« ;
– « Un conseiller du Roi préside le « mécanisme de suivi » de la réforme constitutionnelle rédigé par une commission royale…« ;
– « Maroc: une révolution urgente et légitime« ;
– « Quand la police marocaine menace de mort un journaliste militant« ;
– « Morocco’s February 20th protest movement for dummies« ;
– « Analyse du mouvement du 20 février au Maroc« ;
– « Me Ziane est opposé à la réforme constitutionnelle« ;
– « Au Maroc, le boycott électoral est criminalisé« ;
– « Le boycott référendaire en droit marocain« ;
– « Le projet de Constitution révisée: que penser?« ;
– « Modalités de vote des MRE: une violation flagrante du Code électoral« ;
– « Conseils pratiques pour déjouer la fraude lors du référendum du 1er juillet« .

Conseils pratiques pour déjouer la fraude lors du référendum du 1er juillet

Les partisans du non (mon choix de coeur) et du boycott (mon choix tactique) doivent se mobiliser ce vendredi 1er juillet pour identifier et signaler les éventuelles infractions au Code électoral lors de cette campagne référendaire qui a montré que si les textes pouvaient changer, les pratiques du makhzen demeuraient. On a ainsi déjà eu droit à diverses violations du Code électoral dans la période de campagne référendaire, officiellement commencée le mardi 21 juin à minuit (point 4 de ce communiqué de mamfakinch.com) – campagne pour le « oui » dans l’audiovisuel public avant le mardi 21 juin, mobilisation des imams des mosquées officielles en faveur du « oui », violation des dispositions contraignantes du Code électoral en matière de vote des MRE et affichage en faveur du « oui » en dehors des emplacements affectés à la campagne référendaire entre autres.

Il faut rappeler brièvement le cadre juridique des référendums en droit marocain, avant de citer quelques dispositions du Code électoral qui seront sans doute utiles aux citoyens et observateurs électoraux ce vendredi.

  1. Le Code électoral régit les opérations référendaires – plus particulièrement les articles 109 à 141. L’article 109 dispose cependant que les articles 38 à 108 s’appliquent également aux référendums, sauf disposition contraire dans les articles 110 à 141.
  2. Conformément à l’article 141 du Code, le Conseil constitutionnel est le juge électoral compétent en matière référendaire, compétence qu’il exerce conformément aux articles 36 et 37 de la loi organique n° 29-93 relative au Conseil Constitutionnel. Comment le saisir en tant que simple citoyen? Ce n’est pas possible, mais il est par contre possible de faire des réclamations inscrites au procès-verbal d’un bureau de vote – que ce soit au Maroc ou à l’étranger, le Conseil constitutionnel étant seul juge compétent pour trancher . Ce droit de formuler une réclamation est ouvert aux délégués (article 119) et scrutateurs (article 124) désignés par les partis et syndicats participant à la campagne référendaire (pour rappel, en vertu de l’article 112, seuls les partis ou syndicats légalement reconnus à la date du 21 juin pouvaient participer à la campagne, ce qui exclut notamment Al adl wal ihsane et le mouvement du 20 février). Conformément à l’article 129 du Code électoral, les votants (et non pas électeurs, nuance qui pourrait être fatale aux boycotteurs) peuvent consulter ces procès-verbaux pendant quatre jours francs (c’est-à-dire jusqu’au mardi 5 juillet à 24.00) au siège de la commune et « formuler toute réclamation à leur sujet« . Des procès-verbaux centralisateurs sont ensuite établis par chaque province et préfecture, qui doivent mentionner les procès-verbaux contenant des réclamations, et ces procès-verbaux centralisateurs sont ensuite transmis au Conseil constitutionnel (articles 130 à 133). S’agissant des bureaux de vote à l’étranger, ces procès-verbaux sont centralisés à l’ambassade ou au consulat dont dépendent ces bureaux de vote et y sont consultables pendant quatre jours francs après la fin des opérations de vote – qui durent trois jours à l’étranger (cf. article 136 alinéa 2) – le dernier délai pour faire des réclamations contre ces procès-verbaux sera donc le jeudi 7 juillet à 24.00 (article 139).
  3. Les décisions du Conseil constitutionnel sont prises en première et dernière instance – il n’est donc pas possible de les contester.
  4. Outre le Conseil constitutionnel, qui est seul habilité à annuler partiellement ou totalement les résultats du référendum, il est également possible de lancer des poursuites pénales contre les personnes ayant violé certaines disposition du Code électoral – les articles 76 à 108 du Code principalement, tout en sachant que ces poursuites pénales, même si elles débouchent sur des condamnations, n’impliquent pas l’annulation automatique du scrutin (cf. article 99 du Code).
  5. Les opérations de vote sont assurées par un bureau de vote désigné par le gouverneur (au Maroc, article 57) ou l’ambassadeur (à l’étranger, article 136 alinéa 1). Le président assure la police et le maintien de l’ordre dans le bureau de vote (article 58 alinéa 2);
  6. Pour être complets, il faut également citer les dispositions relatives à la campagne référendaire dans les médias audiovisuels, prises par la HACA (on notera au passage que les statistiques intermédiaires de la HACA s’agissant de la répartition du temps de parole dans les médias audiovisuels publics du 17 au 25 juin contiennent tout sauf la répartition de ce temps de parole entre le « oui », le « non » et le boycott…)

Quels sont les articles du Code électoral susceptibles d’être d’actualité ce vendredi (voire même les jours précédents)?

  1. Il s’agit ici de la campagne électorale, qui prend fin jeudi 30 juin, mais sachez que tout affichage en dehors des emplacements réservés dans chaque commune (article 50) est strictement interdit (article 51) – ceci constitue même une contravention punie de 1.000 à 5.000 dirhams d’amende (article 78 du Code électoral);
  2. Tout fonctionnaire ou agent de l’administration était tenu, lors de la campagne, de s’abstenir de distribuer dans l’exercice de leurs fonctions tracts, programmes ou autres documents électoraux (article 53), sous peine de 1.000 à 5.000 dirhams d’amende (article 77 du Code);
  3. La distribution de bulletins, tracts ou autres documents électoraux le jour du scrutin (le vendredi 1er juillet au Maroc, du vendredi 1 au dimanche 3 juillet dans bureaux de vote à l’étranger) est interdite (article 53) sous peine de 1.000 à 5.000 dirhams d’amende (article 77 du Code);
  4. L’utilisation au profit d’un camp et lors de la campagne électorale de matériel ou moyens appartenant à l’Etat, aux collectivités locales ou aux établissements publics ou semi-publics est interdite (article 54) sous peine de six mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de 5.000 à 10.000 dirhams (article 84);
  5. Les affiches, tracts, bulletins ou autres documents électoraux des camps en présence ne peuvent contenir le rouge ou le vert ou les deux (article 5 du Code), sous peine de 1.000 à 5.000 dirhams d’amende (article 79 du Code);
  6. L’inscription sous un faux nom ou une fausse qualité, la dissimulation d’une incapacité légale empêchant de voter (cf. articles 5 et 6 sous réserve de l’article 110) ou la double inscription sont punies d’un à trois mois de prison et/ou 1.200 à 5.000 dirhams d’amende (article 81);
  7. L’utilisation de moyens frauduleux afin de se faire inscrire, ou de faire inscrire ou radier des listes électorales un autre électeur, est punie ‘un à trois mois de prison et/ou 1.200 à 5.000 dirhams d’amende (article 82);
  8. Est puni de six jours à un mois de prison et/ou de 1.000 à 5.000 dirhams d’amende, quiconque vote bien qu’étant déchu du droit de vote (article 85);
  9. Le fait de voter plus d’une fois ou d’avoir voté en usurpant l’identité d’un autre électeur est puni d’un à six mois de prison et/ou 1.200 à 5.000 dirhams d’amende  (article 86 du Code);
  10. Le fait pour une personne chargée du dépouillement des bulletins de vote de trafiquer les bulletins est puni d’un an à trois ans de prison et de 5.000 à 10.000 dirhams d’amende (article 88 du Code);
  11. Le port d’armes apparentes ou cachées ou d’engins dangereux dans le bureau de vote est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à trois mois et d’une amende pouvant aller jusqu’à 10.000 dirhams (articles 9 et 10 du dahir de 1958 relatif au rassemblements publics);
  12. Le fameux article 90 du Code électoral ne pénalise pas l’appel au boycott mais plutôt l’utilisation de manoeuvres frauduleuses pour détourner des suffrages ou inciter des électeurs à s’abstenir, comme je l’ai déjà montré;
  13. Jusqu’à un an de prison et 10.000 dirhams d’amende pour celui qui recrute des individus en vue de menacer des électeurs ou porter atteinte à l’ordre public (article 91);
  14. Un article auquel les partisans du boycott et du « non » devront faire attention ce vendredi s’ils ont l’intention de manifester – l’article 92 punit effectivement d’un à six mois de prison et de 1.200 à 5.000 de dirhams d’amende quiconque trouble les opérations de vote « par attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes« ;
  15. L’irruption violente, avec ou sans armes, dans un bureau de vote afin d’empêcher les électeurs de voter librement est punissable de jusqu’à trois ans de prison et 5.000 dirhams d’amende (article 93) et de dix à vingt ans s’il s’agit d’un plan concerté (article 94);
  16. L’outrage ou les violences envers les membres du bureau de vote, ou les voies de fait et menaces empêchant ou retardant les opérations électorales sont punis de six mois à un an de prison et de 2.000 à 10.000 d’amende (article 95);
  17. Le bris de l’urne électorale, l’ouverture des enveloppes contenant les bulletins de vote ou leur enlèvement, dispersion ou destruction sont punis d’un à deux ans de prison et de 10.000 à 20.000 dirhams d’amende (article 96);
  18. Le fait d’enlever l’urne contenant les bulletins de vote non encore ouverts est puni d’un à cinq ans de prison et de 10.000 à 20.000 d’amende (article 97);
  19. La violation du scrutin par les membres du bureau de vote ou les forces de l’ordre chargées de surveiller les bulletins de vote est punie de cinq à dix ans de prison (article 98);
  20. L’achat de voix par dons, libéralités, promesses, faveurs ou autres avantages est puni d’un à cinq ans d’emprisonnement (10 ans s’il s’agit d’un fonctionnaire ou agent de l’administration) et de 50.000 à 100.000 dirhams – et le corrupteur et le corrompu encourent tous deux la même peine (article 100 du Code électoral);
  21. Le fait d’influencer par la contrainte un électeur à s’abstenir ou voter d’une certaine façon est puni de un à cinq ans de prison (10 ans s’il s’agit d’un fonctionnaire ou agent de l’administration) et 50.000 à 100.000 dirhams d’amende (article 101);
  22. L’achat de voix d’un groupe ou d’une collectivité locale est puni de un à cinq ans de prison (10 ans s’il s’agit d’un fonctionnaire ou agent de l’administration)
    et 50.000 à 100.000 dirhams d’amende (article 102);
  23. L’atteinte au secret du vote, à la sincérité du scrutin ou l’empêchement du bon déroulement du vote, lorsqu’elle résulte d’une inobservation volontaire ou d’actes frauduleux, est punie jusqu’à deux ans de prison et 20.000 dirhams d’amende (article 106);
  24. Attention: aucune action pénale ne peut être initiée sur la base des articles 100 à 102 du Code électoral (voir points 20, 21 et 22) avant la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel (article 105); d’autre part, le délai de prescription des poursuites pénales et de six mois à compter de cette proclamation des résultats (article 108 alinéa 3).
Conseils pratiques:
  1. Si vous avez l’intention de vous lancer dans une guérilla administrativo-judiciaire, tâchez d’apporter le plus de preuves possible – enregistrements audiovisuels, date et lieu exact, description détaillée et factuelle de l’incident, identification des personnes désignées comme auteurs de ces incidents, témoignages, etc;
  2. N’oubliez pas de faire enregistrer une réclamation dans le procès-verbal du bureau de vote affecté par cet incident, sachant que vous avez quatre jours francs – en fait jusqu’au mardi 5 juillet 24.00 pour les opérations de vote au Maroc, et jeudi 7 juillet pour celles de l’étranger – pour ce faire;
  3. Distinguez bien entre la plainte pénale possible contre les auteurs d’infractions au Code électoral, et l’action en réclamation contre le scrutin lui-même – il s’agit là de deux choses différentes.
  4. Evitez des poursuites pénales pénales, notamment sur la base de l’article 92 du Code électoral.
  5. Pensez, même si les plaintes n’ont pas abouti en raison de la partialité du bureau de vote, du Conseil constitutionnel ou des tribunaux pénaux, à rassembler les incidents relever – il est vital de communiquer là-dessus pour démontrer le caractère très superficiel du changement opéré par cette nouvelle constitution.

Le projet de constitution: un gâchis royal

Il faut rendre au Roi ce qui est au Roi: cette constitution, qui sera certainement adoptée de manière plébiscitaire le 1er juillet, est sans doute la première de l’histoire du Maroc à avoir été écrite en arabe et exclusivement par des Marocains – les constitutions précédentes portaient l’empreinte non seulement de Hassan II, juriste de formation, et de certains de ses conseillers (Ahmed Réda Guedira et Driss Slaoui), mais aussi d’éminences juridiques françaises tels Georges Vedel, Jacques Robert, Maurice Duverger et Michel Rousset (ce dernier, proche de Driss Basri, est le dernier survivant de cette époque néo-coloniale, et ne semble guère convaincu par la nécessité de toucher à la constitution de 1996 – il tenait à l’article 19, mais doit être rassuré par sa modification purement cosmétique), éminences dont l’engagement en faveur du constitutionnalisme marocain n’était probablement pas bénévole.

Le processus qui a précédé la rédaction finale de ce projet a été fermé, confidentiel et a laissé peu de prise à l’intervention du public: outre le fait que la commission Menouni ait été nommée dans son entièreté par le Roi et n’ai comporté que des personnalités – généralement compétentes et honnêtes – partageant le consensus institutionnel sur la prédominance monarchique, les réunions de la commission n’ont pas été public. Ainsi, les travaux n’ont pas pas fait l’objet de compte-rendus périodiques, le résultat progressif de ces travaux n’a pas été rendu public, nulle publication du premier projet n’a été publié avant son adoption finale, pas de mention des opinions individuelles des membres de la commission sur tout ou partie du projet adopté par celle-ci, pas de mention si tel ou tel article a été adopté à l’unanimité des membres ou simplement à la majorité, aucune indication si des propositions de la commission auraient été rejetés par le Roi ou si lui aurait rajouté des dispositions ne figurant pas dans le projet – de tout cela, on n’en saura rien. On peut simplement espérer que les archives – si elles ont été préservées – de cette commission seront rendues publiques ou du moins accessibles aux chercheurs dans quelques décennies, ou que tel ou tel membre – dont le bavard Mohamed Tozy – fassent des révélations dans des entretiens ou un ouvrage…

Je suis tout de même étonné que le Roi n’ait pas fait le choix d’inclure, dans cette composition, de réels esprits indépendants, histoire de montrer la réelle diversité des membres la composant – sa composition actuelle était d’un calibrage makhzénien sans faille ni faiblesse – par exemple un islamiste, un berbériste, un républicain, un gauchiste et un sahraoui indépendant (je n’ai pas dit indépendantiste…) – certes, les débats auraient été vifs mais avec la quinzaine de membres acquis au makhzen, le résultat final aurait tout de même été sous contrôle, si j’ose dire, et des courants idéologiques très présents dans le mouvement du 20 février auraient eu plus de mal à protester contre le caractère unilatéral du processus de rédaction du projet constitutionnel… On voit là que le but de cette révision n’était pas d’atteindre un consensus, y compris avec les contestataires, mais de faire semblant d’atteindre un consensus, dans le but de sauver les meubles de la suprématie royale. Il ne fait pas de doute que la meilleur méthode, d’un point de vue démocratique, eut été l’élection d’une assemblée constituante, ou une élection anticipée du parlement avec mission pour les parlementaires de rédiger un nouveau projet constitutionnel. Mais cela appartient au passé désormais.

J’ai lu et relu le texte, la relecture étant faite stylo-plume à la main et calepin noirci au fur et à mesure. Je suis très sincèrement étonné, indépendamment des aspects idéologiques, par la faible qualité de la rédaction du texte d’un point de vue juridique. J’y reviendrai, mais je peux citer par exemple l’article 5 consacré aux langues – voilà ce qu’il donne, qui ressortit plus d’un programme électoral ou d’un éditorial que d’un texte normatif destiné à produire des effets juridiques:

L’arabe demeure la langue officielle de l’Etat. L’Etat œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation. De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception.

Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle.

L’Etat Œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des expressions culturelles et des parlers pratiqués au Maroc. De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines.

Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine. Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement.

J’ai déjà écrit sur la question des langues au Maroc précédemment – la situation juridique au jour d’aujourd’hui et ce que je propose en tant que dispositions constitutionnelles en la matière – mais voici les imperfections juridiques que j’ai relevées dans ce seul article:
– de quelles langues amazighes parle-t-on, sachant que jusqu’à plus ample informé il y a trois langues amazighes différentes – tashelhit, tarifit et tamazight – bien qu’ayant évidemment un tronc linguistique commun?
– si l’arabe et les langues amazighes sont langues officielles, cela présuppose, en l’absence d’exemptions ou de limitation territoriale, que toutes les institutions publiques marocaines à travers le territoire (et à l’étranger s’agissant des consulats ambassades) ainsi que leurs agents devront passer en mode bilingue (voire bilingue si on tient compte de la place revenant de facto au français) – est-ce cela que le pouvoir constituant envisage?
– le statut de la/des langue-s amazigh-es devra être déterminé par une loi organique (l’article 86 du projet précise qu’elle devra « être soumise au Parlement » – ce qui signifie pas être adoptée, nuance de taille – avant la fin de la première législature – c’est-à-dire mandat parlementaire de cinq ans – suivant la promulgation de la constitution) – c’est sur elle que reposera donc l’essentiel des arbitrages que le pouvoir constituant aura été incapable de faire;
– quelle est la signification juridique concrète de « oeuvrer pour la préservation du hassani« ? Cela signifie-t-il que cette langue, le hassania, pourrait être utilisée dans l’administration au Sahara, ou qu’un enseignement pourrait être prodigué dans cette langue? On en sait rien, et la constitution n’apporte aucune précision;
– il est également énoncé que l’Etat oeuvrera pour la « préservation (…) des parlers pratiqué au Maroc » – lesquels? On peut supposer que cela vise le darija (arabe dialectal marocain), mais pourquoi ne pas l’avoir écrit en toutes lettres? Est-ce que d’autres parlers pratiqués au Maroc sont visés – les parlers juifs (judéo-arabe et ladino notamment) et tous les parlers recensés par les linguistes? Je souhaite bien du courage aux juges qui auraient à trancher la question, car la Constitution ne leur sera d’aucune aide.
– quant à « veiller à la cohérence de la politique culturelle et linguistique nationale« , que signifie cela au juste, notamment par rapport aux compétences des collectivités territoriales (cf. articles 137 et 140 de la Constitution)? Cela signifie-t-il que les collectivités territoriales doivent soumettre leurs politiques en la matière à l’Etat central? On en sait rien;
– l’Etat veille également à « la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde » – lesquelles au juste? Si c’est une circonlocution pour inclure le français, c’est raté, et le juge ou toute autre personne ayant à trancher la question ne sera pas aidée par la Constitution, mais plutôt par Wikipedia, et pourra constater que le mandarin, le portugais et le hindi sont incluses parmi ces langues, avant le français…
– je passe enfin sur le Conseil national des langues et de la culture marocaine, qui pourrait entrer en conflit de compétences avec l’Institut royal de la culture amazigh ou l’Institut des études et des recherches pour l’arabisation – mais j’imagine qu’il faut bien créer de l’emploi.

Pour comparaison avec ce que pourrait donner une rédaction plus juridique de cet article (abstraction faite du contenu), voici ce que j’avais proposé il y a quelques semaines:

Article 7:

  1. La langue officielle et administrative du Royaume est l’arabe. Elle doit être enseignée à tous.
  2. Le tariffit, le tashelhit, le tamazight et le hassania sont les langues nationales du Royaume. L’Etat et les collectivités locales en assurent la promotion, notamment dans le domaine éducatif, audiovisuel et culturel.
  3. L’usage de l’hébreu par la communauté juive marocaine dans le domaine éducatif et cultuel est reconnu.
  4. L’usage des langues est libre. La loi peut cependant déterminer un usage minimal de la langue officielle dans le domaine commercial, urbanistique et de la radio-télévision, à condition de ne pas en imposer un usage exclusif.
  5. Par dérogation à l’alinéa 4, le choix de prénoms de Marocains peut être limité à ceux reconnus dans les langues visées aux alinéas 1 à 3 du présent article.
  6. Par dérogation à l’alinéa 4, et à des fins de compréhension mutuelle, s’agissant de l’Etat, des établissements publics et des collectivités locales, l’usage de la langue officielle est obligatoire. Les langues nationales peuvent utilisées à titre complémentaire ou subsidiaire selon les modalités déterminées par la loi, qui peut également déterminer l’usage de langues étrangères, en tenant compte des usages locaux ou sectoriels et des nécessités pratiques.
  7. Nul Marocain ne peut être discriminé à seule raison de sa langue maternelle. L’accès aux fonctions publiques peut cependant être conditionné par une maîtrise suffisante de la langue officielle et, le cas échéant, de langues nationales ou étrangères.
  8. Nulle personne ne peut être interrogée, poursuivie ou jugée pour une infraction pénale dans une langue qu’elle ne comprend pas, sauf à bénéficier du concours d’un interprète.

Il est vrai que le Marocain est habitué au pire: tous les précédents texte constitutionnels étaient de véritables torchons juridiques – certes, le style était grammaticalement correct, mais le contenu d’une rare indigence, avec failles, chausse-trapes, carences et ambiguïtés, voulues ou non. Je ne citerai que trois exemples: l’article 11 de la Constitution de 1996 dispose de manière lapidaire que « la correspondance est secrète » – mais contrairement aux (rares) autres dispositions sur les libertés individuelles dans la Constitution, il ne contient aucune dérogation ou renvoi à la loi, faisant sur le papier du Maroc probablement le seul pays au monde où l’interception du courrier ou des communications sur décision d’un juge agissant dans le cadre d’une enquête pénale est contraire à la Constitution. En pratique, bien sûr les interceptions de correspondance, écrite, téléphonique ou électronique, sont bien évidemment monnaie courante, mais elles sont contraires à la Constitution même si prévues par la loi (le Code de procédure pénale les prévoit).

Autre cas: l’absence d’indication quant à la hiérarchie des normes, ce qui a donné lieu à des controverses doctrinales et jurisprudentielles sans fin sur la valeur supérieure – ou non – des traités ratifiées par le Maroc par rapport aux lois et aux règlements, l’article 31 étant muet sur cette question. Enfin, dernier exemple, l’article 25 de la constitution de 1996 précise que le Roi préside le Conseil des ministres mais n’indique aucune périodicité minimale (dans la plupart des démocraties, les conseils des ministres se tiennent de manière hebdomadaire) ni aucune possibilité pour le Premier ministre de remplacer le Roi – résultat: en 2008 par exemple, seuls deux conseils des ministres se sont tenus au Maroc – il est probable que les souverains et gouvernements du Liechtenstein et de Monaco eurent cette année-là un rythme de travail plus soutenu que celui de leurs confrères marocains.

Le projet de 2011 est plus long que les constitutions précédentes, avec 180 articles au lieu des 108 de celle de 1996. La partie sur les droits et libertés est substantiellement étoffée – alors que la Constitution de 1996 comporte 13 articles accordant ou reconnaissant des droits au citoyen marocain lambda, le projet de 2011 en contient 53 selon un décompte que j’ai fait. Le projet de constitution accorde des droits aux Marocains résidant à l’étranger, et contient un titre VII « Du pouvoir judiciaire » avec de nombreux principes en matière judiciaire (articles 117 à 128 relatifs aux droits des justiciables). Autre innovation, substantielle à mon avis, est l’introduction d’un titre XII relatif à la « bonne gouvernance« , néologisme que je n’apprécie guère en raison de sa coloration néo-libérale, très à la mode auprès des bailleurs de fonds étrangers et instituts financiers multilatéraux (Banque mondiale, FMI, Banque européenne d’investissement). Il s’agit là néanmoins de la première référence à la bonne gestion financière des deniers publics, et de l’obligation pour ceux qui gèrent des fonds publics de rendre compte de leur gestion, ce qui est un point indéniablement positif.

Mais les atours de cette Constitution sont trompeurs – je citerai ici quelques points qui ne doivent pas abuser une opinion peu habituée à la lecture de textes juridiques:

  1. Le Roi ne pourrait pas mettre fin aux fonctions du Premier ministre ni à celles du gouvernement: aucune disposition ne permet il est vrai au Roi de renvoyer le Premier ministre (devenu Chef du gouvernement), ni de mettre fin aux fonctions du gouvernement dans son entièreté. L’article 47 alinéa 1 énonce néanmoins qu’il choisit son Premier ministre au sein du parti arrivé en tête lors des élections – ce n’est donc pas le Parlement (ou plutôt la Chambre des représentants) qui le choisit, mais le Roi, qui a donc une marge de manoeuvre car pouvant théoriquement choisir entre les leaders de ce parti, et non pas celui que ce parti proposerait. En outre, si le Roi ne peut remercier le gouvernement collectivement, il met fin unilatéralement, sur simple consultation du Premier ministre (qui ne bénéficie d’aucun veto en la matière), aux fonctions des ministres pris individuellement – rien ne l’empêcherait, à lire la lettre du texte constitutionnel, de renvoyer tous les ministres à l’exception du premier d’entre eux, qui ne peut, lui, être congédié que par la Chambre des représentants (cf. articles 88, 103 et 105 du projet);
  2. La Constitution marquerait la fin de la monarchie exécutive: faux – le Roi nomme et met fin aux fonctions des ministres (article 47) à l’exception il est vrai du Premier ministre, qu’il choisit cependant comme nous l’avons vu; il préside au Conseil des ministres qu’il convoque et dont on peut présumer qu’il fixe l’ordre du jour (article 48) – ceci est important car les prérogatives (importantes) du Conseil des ministres s’exercent donc sous son contrôle, d’autant que la Constitution est muette sur les modalités de prise de décision au sein du Conseil des ministres – par exemple, un gouvernement unanime pourrait-il passer outre l’opposition du Roi à une nomination ou à l’adoption d’un projet de loi à soumettre au Parlement? Le Roi peut également dissoudre les deux chambres du Parlement (article 51), il signe et ratifie les traités (article 55 alinéa 2), nomme les magistrats (article 57), exerce le droit de grâce (article 58), proclame l’état d’exception (article 59), est le chef suprême de l’armée et nomme aux emplois militaires (article 53), et préside le Conseil supérieur des Oulémas (article 42), le Conseil supérieur de sécurité (article 54), le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (article 59); il peut en outre créer… des commissions d’enquête parlementaire (article 67 alinéa 2) et demander une deuxième lecture d’un projet ou d’une proposition de loi (article 96); de même, aucune révision constitutionnelle n’est possible sans son assentiment, puisqu’un dahir est toujours nécessaire (articles 172 et 174). Il nomme directement cinq membres au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et indirectement 13 des 15 autres membres, qui sont des magistrats nommés par lui en vertu de l’article 57 (article 115), et six des douze membres de la Cour constitutionnelle dont le président (article 130). On notera cette anomalie – le Roi n’est pas considéré comme faisant partie du pouvoir exécutif (qui fait l’objet du titre V de la Constitution) mais il constitue un pouvoir à part (titre III de la Constitution, « De la Royauté« )…
  3. Cette constitution marquerait l’avénement de la souveraineté populaire: il faut souligner combien cette assertion est fausse, s’agissant de… toute révision constitutionnelle. En effet, si l’article 172 donne à plusieurs institutions constitutionnelles l’initiative d’une révision, le Roi dispose d’un droit de veto absolu. Il est en effet le seul à pouvoir soumettre directement un projet de révision au référendum (articles 172 alinéa 2 et 174 alinéa 1). Contrairement aux constitutions précédentes, celle de 2011 autorise la révision constitutionnelle par la voie parlementaire – mais uniquement sur dahir (article 174 alinéa 3). De manière assez superflue, l’article 175 dispose qu' »aucune révision ne peut porter sur … la forme monarchique de l’Etat« .
  4. Ce texte soumettrait toutes les institutions de l’Etat au constitutionnalisme: ce n’est tout à fait vrai, car plusieurs dispositions consacrent une suprématie royale. Nous avons vu que la forme monarchique de l’Etat ne peut être modifiée (article 175) et que le Parlement ne peut lui refuser une seconde lecture d’un projet ou d’une proposition de loi (article 96); placé avec Dieu et la Patrie dans la devise nationale (article 4 alinéa 2), , il demeure « amir al mouminine » (article 41) et est « représentant suprême » de l’Etat, « symbole de l’unité de la Nation« , « arbitre suprême » et « garant de l’indépendance du pays » (même article); il peut modifier l’ordre de succession unilatéralement au profit d’un autre de ses fils (article 43), et il est « inviolable » mais plus sacré (article 46). Ses messages au Parlement ne peuvent y faire l’objet d’aucun débat (article 52) et, de manière assez choquante, l’immunité parlementaire ne vaut plus pour les votes ou opinions mettant « en cause la forme monarchique de l’Etat » ou constituant « une atteinte au respect dû au Roi » (article 64). Aucune autre institution constitutionnelle ne peut le démettre de ses fonctions, le contraindre à abdiquer, l’interroger ou le juger – son pouvoir n’est soumis à aucun contrôle, si ce n’est celui de la rue. Nulle limitation de des privilèges de facto dont bénéficient les membres de la famille royale élargie, aucune responsabilité ni contrôle parlementaire de ses conseillers ou chargés de mission, aucune limitation du rôle des fondations royales, ni de celui des membres de sa famille titulaires de fonctions décisionnelles.
  5. Ce texte marquerait une poussée de l’Etat de droit: Hélas, ce n’est pas tout à fait vrai. Aucune disposition de la Constitution ne soumet expressément les dahirs (actes royaux) au contrôle des tribunaux – l’article 37 impose certes aux « citoyennes et citoyens » de respecter la Constitution et se conformer à la loi, mais on peut douter que le Roi, institution constitutionnelle, soit englobé par le terme citoyen dans ce contexte précis. De même, si l’article 118 alinéa 2 soumet tout acte juridique au contrôle des tribunaux administratifs, ceci n’est valable que pour les actes pris en matière administrative. Or, une jurisprudence désormais très ancienne (arrêts de la Cour suprême
    Ronda de 1962 et Société propriété agricole Mohamed Abdelaziz de 1970) écarte les dahirs de tout contrôle du juge. La Constitution n’apporte pas de changement clair et sans ambiguïté à cette très fâcheuse situation jurisprudentielle, dont il faut cependant excepter les dahirs de promulgation de la loi – ce type de dahirs n’apporte rien de plus quant au fond par rapport au texte de loi adopté par le Parlement – car ils pourront faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle (article 133). On peut ainsi se demander si les dahirs pris dans le domaine islamique (article 41), de nominations militaires (article 53) ou judiciaires (article 57), ou la proclamation de l’état d’exception (article 59) ou encore de lancement de la procédure de révision constitutionnelle (article 174) soient considérés comme intervenant « en matière administrative« .
Plus que les mots, il y a la pratique de cette procédure de révision constitutionnelle, où tout pouvoir de décision – que ce soit l’initiative de révision, la nomination de la commission Menouni, ou le contenu du texte soumis à référendum – était celui d’un seul homme, le Roi. Le caractère bâclé du débat constitutionnel – plus de trois mois de débats à huis clos et de travaux confidentiels pour la commission Menouni, à peine quinze jours de débats, analyses et campagne référendaire pour le peuple marocain, son caractère déséquilibré – au lieu que le temps de parole soit réparti à égalité entre les tenants du projets et ses opposants, les partis reconnus, largement acquis à l’absolutisme royal, ont trusté le temps de parole dans les médias publics. Ces derniers ont rappelé aux moins jeunes d’entre nous les années 80 et 90, tandis que le pouvoir a implicitement fait aveu de faiblesse symbolique en étant contraint de mobiliser baltagiyas, la violation flagrante du Code électoral et la tariqa Boutchichiya pour faire face au mouvement de protestation du 20 février.
Et plus que ces péripéties, il y a tout de même le poids de l’histoire. Sans revenir sur ma rétrospective de l’histoire des révisions constitutionnelles marocaines depuis 1962 (ici, ici, ici et ici), il est difficile de faire l’impasse sur les similarités avec les procédés du passé (tout en reconnaissant une transparence accrue) – procédure unilatérale, contrôle total du Palais sur le contenu de la révision, contrôle total sur les médias publics et propagande éhontée, et (phénomène plus récent) complaisance de la quasi-totalité des partis parlementaires (exception faite du PSU, du PADS, du CNI et du syndicat CDT). Encore une fois, et c’est une sensation qui rappelle les révisions de 1992 et 1996 et même l’alternance de 1998, il se trouve des militants de gauche – soyons généreux – pour justifier l’acceptation d’une réforme royale qui est -après tout c’était indéniablement le cas aussi en 1992 et 1996 – une amélioration par rapport à la situation existante. Encore une fois, les mêmes paroles – « on ne peut pas refuser ce qui constitue un progrès », « il faut aller au-delà des textes », « on ne pouvait espérer plus » du côté de l’ex-gauche, « c’est l’avènement de l’ Etat de droit et de la monarchie constitutionnelle », « le Roi du Maroc a les mêmes pouvoirs que le roi d’Espagne », « les droits de l’homme sont enfin reconnus » du côté des monarchistes sans état d’âme.
Et avec ça, vous voudriez que cette révision implique un changement réel par rapport à 1992 et 1996? N’insultez pas mon intelligence.
Donc, pour moi, pour citer un autre bloggeur, « je penserai très fort au non lorsque je ne voterai pas vendredi« .

Rétroactes, par ordre chronologique:

– « Ce qui ne peut pas durer dans la constitution marocaine (I)« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (II): la méconnaissance de la souveraineté populaire« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (III): voici ce que je proposerai au sujet des langues« ;
– « Ce qui ne peut plus durer dans la constitution marocaine (IV): identité et citoyenneté« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (I): les espoirs déçus de 1962« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (II): le refus constant de l’assemblée constituante élue« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (III): des référendums constitutionnels aux résultats invraisemblables« ;
– « Le pouvoir constituant au Maroc est le Roi (IV): l’élaboration de la constitution se fait au Palais« ;
– « And now, Morocco« ;
– « J’adore la constitution cambodgienne« ;
– « Il s’honore, dit-il« ;
– « Deux jours avant le discours royal, Hamid Chabat parlait des révolutions arabes comme d’un complot sioniste« ;
– « la question n’est pas tant de savoir s’il faut craindre une contagion du printemps arabe au Maroc que celle de savoir s’il ne représente pas une opportunité pour le pouvoir »;
– « Les vieilles ficelles de la MAP« ;
– « Casablanca, le 13 mars 2011« ;
– « Réforme constitutionnelle: début du dialogue avec la société civile à Casablanca« ;
– « Le Maroc, une monarchie républicaine« ;
– « Un conseiller du Roi préside le « mécanisme de suivi » de la réforme constitutionnelle rédigé par une commission royale…« ;
– « Maroc: une révolution urgente et légitime« ;
– « Quand la police marocaine menace de mort un journaliste militant« ;
– « Morocco’s February 20th protest movement for dummies« ;
– « Analyse du mouvement du 20 février au Maroc« ;
– « Me Ziane est opposé à la réforme constitutionnelle« ;
– « Au Maroc, le boycott électoral est criminalisé« ;
– « Le boycott référendaire en droit marocain« ;
– « Le projet de Constitution révisée: que penser?« ;
– « Modalités de vote des MRE: une violation flagrante du Code électoral« .

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