Il y a dix ans, le 16 mai

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Ca fait donc déjà dix ans que les attentats meurtriers et barbares du 16 mai 2003 tuèrent 33 victimes innocentes, en plus de 11 des 14 kamikazes de la mouvance Salafia Jihadia lancés dans cette folie sanguinaire (trois d’entre eux, Rachid Jalil, Mohamed el Omari et Hassan Taoussi, renoncèrent à se faire sauter à la dernière minute). Je me rappelle très bien ce que je faisais quand j’ai entendu la nouvelle (probablement par e-mail, ou par la télévision), seulement que c’était le soir, avec je crois deux heures de décalage horaire avec le Maroc. Rapidement, j’ai appelé mes parents pour savoir s’ils étaient sains et saufs. Ils l’étaient et me racontaient avoir entendu des explosions (ils habitent pas loin du centre-ville). J’appelais ma soeur pour lui annoncer la (mauvaise) nouvelle et nous étions tous deux assommés: le terrorisme, c’était bon pour les autres, pas pour le Maroc où le ministère de l’intérieur et son armée de mouchards veillait au grain (malgré le départ de Basri).

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Si les terroristes salafistes avaient voulu galvaniser la communauté musulmane marocaine contre un régime et une société qu’ils présentaient comme impies – il faut souligner que les cibles étaient juives (le siège de la Communauté israélite de Casablanca, un restaurant géré par un Marocain juif et un cimetière juif) et « occidentales » (un restaurant espagnol et un hôtel) – ce fût un échec total. Outre la manifestation de rejet du terrorisme et du radicalisme islamiste qui eût lieu quelques jours après, tout ce que le royaume comptait d’islamistes, toutes sensibilités et degrés d’opposition ou de proximité au régime confondus, condamna avec force tant les attentats que l’idéologie jihadiste (voir par exemple les propos de Nadia Yassine, fille d’Abdeslam Yassine et porte-parole officieuse d’Al adl wal ihsane). Inutile de dire que les autres sensibilités idéologiques, de la gauche contestataire au khobzisme makhzénien, ne furent pas en reste. Et c’est ainsi que le parlement vota – avec la seule abstention de la poignée de députés du PSU – à la quasi-unanimité une calamiteuse loi anti-terroriste (loi n° 03-03 du 28 mai 2003) qui permis une répression conforme à ce qu’on attendait du makhzen (et détaillée dans le rapport « Les autorités marocaines à l’épreuve du terrorisme: la tentation de l’arbitraire – Violations flagrantes des droits de l’Homme dans la lutte anti-terroriste » de la FIDH), mais en tenant compte de l’évolution stratégique de la répression au Maroc au cours des trois dernières décennies: rafles massives, torture systématique, procès tronqués, droits de la défense bafoués, mais pas de condamnations à mort exécutées et pas de disparitions forcées définitives (on compta cependant au moins un mort sous la torture, le fameux Moul Sabbat alias Abdelhaq Bentassir).

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Mais en même temps, le virus terroriste n’ a pas vraiment pris – il y a bien eu les tentatives avortées de mars 2007 à Casablanca, dont celle à proximité du Consulat général étatsunien à Casablanca , puis l’attentat-suicide du café Argana à Marrakech le 28 avril 2011 (15 morts et de nombreux points d’interrogation), mais si l’on veut bien considérer que les conditions sociales et politiques au Maroc ne différent pas fondamentalement – en surface du moins – de celles en Algérie ou en Egypte par exemple, et que de très nombreux Marocains figurent parmi les personnes arrêtées pour participation à des réseaux terroristes à l’étranger (y compris en Irak), on ne peut que constater que le Maroc, avec 5 attentats de 2003 à 2011, a été relativement épargné (ce qui ne soulagera pas les victimes et leurs proches). Si les terroristes marocains sont principalement issus de milieux populaires – mais pas exclusivement, cf. le cas de Karim Mejjati, membre d’Al Qaïda tué en Arabie saoudite et issu du Lycée Lyautey de Casablanca – on ne trouve que peu de prédicateurs ou groupes islamistes marocains ayant approuvé ces attentats, et la population marocaine dans son ensemble a été encore moins réceptive. La meilleure preuve en est de la tentative d’attentats-suicides sur le boulevard Moulay Youssef à Casablanca en mars 2007, près de l’American Language Center et du Consulat général des Etats-Unis, où un kamikaze furent pris en chasse par des badauds. Pendant 24 ou 48 heures, ce quartier ainsi que celui – Hay Farah – dont étaient originaires le groupe dont faisait partie le kamikaze virent la population – et ce n’étaient pas des lauréats de classes prépas ou des tradeuses bilingues – prêter main forte à la police, qui jouit sinon d’une piètre estime, acculant trois autres kamikazes à se faire exploser. Les salafistes jihadistes ont pu ainsi évaluer leur popularité au sein de la population – encore moins légitimes que la police, un bel exploit…

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Certes, la population marocaine reconnaît le droit à la résistance armée en Palestine et en Irak (du temps de l’occupation étatsunienne), mais ça ne s’est pas traduit par un soutien massif, ni même partiel, à l’action de la Salafia jihadia, du GICM ou d’AQMI. Il n’y ainsi qu’en Irak parmi les pays arabes où le soutien des personnes sondées aux attentats suicides est le plus bas – seuls 9% des Marocain-e-s interrogé-e-s répondent « oui » à la question de savoir si des attaques contre des civils sont acceptables pour « défendre l’islam » (rapport PEW, 30 avril 2013, « The World’s Muslims« ). Nul doute que si la question était encore plus précise et posait la question d’attentats-suicides au Maroc, le résultat serait encore plus bas (et personnellement, je trouve que 9% de « oui » à cette question c’est 9% de trop). Sur ce plan-là, le satisfecit du pouvoir marocain peut-être justifié. Et c’est bien malgré ses crimes – la torture en est un – et ses erreurs qu’un tel consensus anti-terrorisme existe au Maroc, y compris dans les quartiers défavorisés dont sont issus les kamikazes.

Car la réaction du pouvoir marocain aux attentats du 16 mai a été initialement fidèle à des décennies de répression aveugle et de violations des droits de l’homme: les kamikazes étant originaires de Karyan Thomas à Sidi Moumen, en banlieue de Casablanca, la DGSN et la DST firent de véritables rafles, arrêtant – avec la délicatesse et le respect de la dignité humaine qu’on peut deviner – amis, voisins, frères, cousins, tapant dans le tas et faisant le tri plus, bien plus tard, voire bien trop tard. Un lien d’amitié, un visage mal rasé ou une pratique religieuse visible suffisaient à envoyer à « la cave« , au tribunal et en prison. Dix-sept condamnations à mort furent prononcées (aucune exécutée, confirmant le moratoire de fait en vigueur depuis 1993 et l’exécution du commissaire Tabet) et près de 2.000 personnes furent arrêtées et détenues, sans trop se soucier de leur intégrité corporelle, de leur droit à un avocat, de leur droit à un procès équitable ou de leur présomption d’innocence (voir ce rapport topique de la FIDH).

Pour citer l’ONG suisse Al Karama dans un rapport – « Le Maroc devant de nouveaux défis » – datant de 2011:

« [D]es campagnes massives d’arrestations, véritables expéditions punitives, ont été déclenchées dans les milieux de l’opposition islamiste immédiatement après les attentats en mai 2003. Toutes les régions  du pays ont été concernées et les diverses forces de sécurité y étaient associées. Parallèlement, des  arrestations individuelles de figures plus connues de l’opposition ont été opérées par les agents de la DST ou de la brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ).

Les forces de sécurité débarquaient avec des camions dans des quartiers populaires considérés comme ayant des sympathies islamistes, notamment à Fès et à Casablanca. Des milliers de suspects ont ainsi été enlevés à leur domicile de force, non pas sur la base de leur implication présumée dans des délits ou des crimes mais uniquement pour leur appartenance supposée à un courant islamiste et en raison par exemple du port de la barbe ou de vêtements spécifiques. La plupart font l’objet de violences lors de leur audition ; si certains ont été relâchés après avoir été fichés, d’autres par contre, ont été accusés d’être impliqués dans ces attentats. Les avocats constitués pour leur défense affirment unanimement que leurs clients étaient poursuivis sur la base de dossiers totalement dénués d’éléments pouvant fonder une accusation crédible (…)

Tandis que de nombreux observateurs et défenseurs des droits de l’homme estiment que durant les années 2002-2003 le nombre d’arrestations arbitraires a atteint plusieurs milliers (jusqu’à 5000), le ministre de la Justice de l’époque, M. Mohamed Bouzoubaâ, a déclaré en 2004 que les interpellations n’avaient pas dépassé les 2000 personnes. Les arrestations liées aux attentats du mois de mai 2003 se sont poursuivies jusqu’en 2004 ».

La torture fut systématique selon ce même rapport:

Les personnes arrêtées après septembre 2001 ou dans le sillage des attentats de Casablanca en mai 2003 ont été, dans la majorité des cas parvenus à la connaissance de notre organisation, victimes de tortures lors d’une garde à vue qui, pour certains, a duré plusieurs mois. Dès leur arrestation ou leur enlèvement, ils ont fait l’objet une extrême violence. Les suspects sont interpellés par différents services de sécurité mais le plus souvent par les agents de la DGST. Ils sont arrêtés à leur domicile, dans la rue ou sur leur lieu de travail, souvent par plusieurs agents en civil, et la brutalité employée
inclut parfois les membres de leur famille présents. Leurs mains sont systématiquement menottées, leurs yeux bandés et ils sont emmenés vers un endroit inconnu qui s’avère être – comme nous l’avons développé ci-dessus – le centre de Témara ou le commissariat d’Al-Maarif à Casablanca. (…)

La première constatation est que la torture est systématique et généralisée. Elle est pratiquée à tous les stades de la détention et continue d’être pratiquée une fois la personne jugée et condamnée, cette fois-ci par le personnel pénitentiaire ou les membres de la DST à l’intérieur même de la prison et dans  une impunité totale. De nombreux détenus sont emprisonnés dans des cachots pour des durées allant  de quelques jours à plus de 30 jours (Abdelwahab Rabi’ y a passé 60 jours) à Kenitra. A la prison de  Salé, Tawfiq Yatrib, Hichem Derbani et Merouane ‘Assoul ont été enfermés dans des cachots  respectivement pendant trois, six et dix mois.

Les prisonniers de Kenitra font état de méthodes de tortures similaires à celles utilisées durant les  gardes à vue prolongées à Témara, par exemple : les coups pour quasiment tous, le chiffon pour près  de 40% d’entre eux, décharges électriques sur tout le corps dans plus de 30% des cas, suspension  pour plus de 40%, lacérations, introduction d’objet dans l’anus et menaces de viol pour près des deux tiers des détenus, nudité, insultes et blasphèmes, privation de nourriture, d’eau et de sommeil. Les  prisonniers sont régulièrement volés par les geôliers et les paniers de provisions que les familles leur  apportent régulièrement pillés.

Les personnes arrêtées dans les années 2002-2003 rapportent dans les témoignages dont nous disposons avoir subi les tortures mentionnées par l’association « Annassir » et en énumèrent d’autres : privation de sommeil, supplice de la baignoire, ou de la bassine remplie d’excréments, falaqa, interdiction d’aller aux toilettes, menottes et bandeau pendant de très longues périodes,  brûlures de cigarettes notamment sur les zones sensibles, écartèlement des jambes jusqu’au déchirement de muscles, épilation de la barbe, asphyxie à l’aide d’un sac, immobilisation dans des positions douloureuses, détention dans une petite cellule infestée de rats et d’insectes, simulation d’exécution, injection de substances ayant un effet stupéfiant, emprisonnement dans une cellule minuscule avec un grand nombre de détenus, etc. Les formes de torture les plus souvent rapportées par les détenus sont la suspension, la menace de viol de mères et d’épouses, la sodomisation à l’aide de différents instruments, l’électricité, la privation de sommeil.

Les procès furent expéditifs: moins de deux mois après les attentats, un procès collectif (dans la pure tradition des procès politiques des années 60 et 70) devant la Cour d’appel de Casablanca se solda par 31 condamnations dont dix à mort (au total, dix-sept personnes auraient été condamnées à mort en liaison avec les attentats). Je ne connais pas d’étude d’ensemble de la répression qui s’abattit suite au 16 mai, mais les différents compte-rendus de presse permettent de se faire une idée de la « justice » qui fut rendue. Les accusés furent tout d’abord poursuivis sur la base d’une loi anti-terroriste – la loi n° 03-03 modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale – qui n’est entrée en vigueur que lors de sa publication au BORM le 5 juin 2003 et donc postérieurement aux faits, en violation du principe de droit pénal universellement reconnu de la légalité des délits et des peines. La justice considéra – selon la presse (les jugements n’ont à ma connaissance pas été puibliés) – la date de l’arrestation des accusés comme déterminante s’agissant de l’application de la loi n° 03-03 et non la date de commission des faits poursuivis (soit le 16 mai 2003 au plus tard). Souvent détenus sur décision de police ou du procureur du Roi au-delà du délai légal de garde à vue, même celui exagérément long de la loi n° 03-03 fixé à douze jours maximum (article 66 alinéa 4 modifié du Code de procédure pénale).

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L’instruction fut bâclée – les deux principaux procès s’achevèrent en juillet et août 2003, soit dans les trois mois à compter des faits, ce qui est exceptionnel dans des affaires de réseaux terroristes comportant des dizaines de membres et où la responsabilité individuelle de chaque accusé est censé devoir être prouvée au-delà de tout doute raisonnable, les preuves étant le plus souvent des empreintes digitales, traces ADN, relevés bancaires, des interceptions de communications téléphoniques ou électroniques ou des témoignages de tiers ou de repentis, tous éléments susceptibles de contestation par une défense faisant son métier. Le caractère collectif de ces procès empêcha tout semblant de procès équitable: des audiences expéditives, où les accusés ne furent souvent qu’autorisés à répondre par « oui » ou par « non » aux questions du président ou du procureur, des refus systématiques de contre-expertises ou de témoignages à décharge, une partialité de la Cour, rien que la triste routine des procès politiques marocains.

Pire encore furent les difficultés des accusés à bénéficier – symboliquement, car dans les procès politiques marocains la défense a le même rôle spectaculaire que les méchants à chapeau noir des westerns des années 50 – d’une défense. Je ne parle même pas d’une défense digne de ce nom, mais d’une défense tout court: la bâtonnier de l’Ordre des avocats de Casablanca, Me Miloud Bettach, dût intervenir pour pouvoir obtenir la désignation d’avocats pour chacun des accusés lors du second procès, concernant 87 (!) accusés. La défense n’eût aucun délai pour se préparer au dossier d’instruction, en dépit des réserves qu’on peut avoir à utiliser ce terme en l’espèce: « Nous avons été saisi le jeudi 17 juillet 2003 alors que l’audience était fixée pour le lundi d’après. C’est trop court pour instruire le dossier cas par cas et désigner le représentant adéquat pour chacun« . Les conditions matérielles de l’audience n’ont pas non plus favorisé une défense efficace: « Les audiences se déroulaient jour et nuit et les reports ne dépassaient pas quelques heures » (L’Economiste du 1er août 2003). Avant même le procès, des accusés avaient comparu devant le juge d’instruction hors la présence de leur avocat, contrairement à l’article 139 du Code de procédure pénale.

Aves un résultat baroque: dans le premier procès concernant 31 accusés, qui s’était soldé le 12 juillet – après seulement huit jours de débats – par 10 condamnations à mort (pour 8 condamnations à perpétuité, 7 à 20 années et 5 à 10 années de réclusion), 24 accusés avaient le même avocat (Me Abdellah Ammari, lequel n’avait alors que deux années d’inscription au barreau), lequel fut par la suite lui-même poursuivi avec un collègue, Me Ahmed Filali Azmir, pour violation du secret de l’instruction. Cette première fournée de 31 condamnés appartenant à la Salafia jihadia présentait en outre la particularité de ne concerner que des accusés arrêtés avant les attentats du 16 mai, et ne pouvaient donc guère être personnellement mis en cause dans les attentats du 16 mai…

Le second procès de masse à Casablanca toucha 87 personnes, et se termina après un mois de débats par 4 condamnations à mort (dont celle des kamikazes repentis, y compris Mohamed el Omari affirmant « que ses aveux lui avaient été «extorqués sous la torture»« ), 37 réclusions perpétuelles, 17 peines de réclusion de 30 ans et 16 de 20 ans – là non plus, comme lors du premier procès des 31, aucun acquittement ne fut prononcé. De nombreux autres procès collectifs eurent lieu simultanément (ainsi, 28 accusés à Fès et 19 à Taza furent jugé en juillet). Encore une fois, il n’y a pas de comptabilité exacte des procès, des peines et des acquittements, et encore moins publicité effective des jugements. Le simple fait de vérifier les informations pour ce billet m’a fait découvrir des informations et des chiffres contradictoires sur le nombre et l’identité des kamikazes, sur le nombre et le nom d’accusés, sur les incriminations exactes invoquées contre eux et sur les groupes dont ils feraient partie.

Et n’oublions pas le cas des soeurs jumelles Imane et Sanae al-Ghariss, orphelines de père et abandonnées par leur mère, condamnées en octobre 2003 à 5 années de détention alors qu’elles n’étaient âgées alors que de 14 ans, pour terrorisme et un fantômatique complot contre le Roi: – fréquentant des islamistes, elles furent arrêtées par la police:

« À la préfecture de police, les sœurs passent rapidement aux aveux. Elles sont quand même bousculées, essuient quelques gifles, mais cèdent lorsqu’elles entendent les cris de leurs complices, torturés dans la salle à côté. (…) Les questions du juge d’instruction sont assez expéditives. Les sœurs Laghriss, âgées de 14 ans, sont accusées de “constitution de bande criminelle, de préparation d’actes terroristes, d’atteinte aux sacralités et de complot contre la famille royale” (…) e n’est que le 29 septembre 2003 que s’ouvre enfin leur propre procès, devant une salle de tribunal archi-comble. “Oui, nous projetions de fabriquer des bombes à partir de pétards de Achoura, abattre Mohammed VI par balles et faire sauter le Parlement”, affirment les fillettes« .

Une fois leur sentence de 5 ans de prison prononcée, elles eurent un visiteur surprenant en prison – le juge qui les avait condamnées:

« Le premier jour du ramadan, le juge qui les a condamnées leur rend visite au pénitencier. “Il s’est excusé pour la peine à laquelle il nous a condamnées. Mais il nous a expliqué que c’était pour notre bien et qu’une grâce royale tomberait à coup sûr dans les mois qui viennent”, se rappelle Sanae« .

Sur les instigateurs des attentats, le cerveau allégué aurait été Moul Sebbat (« le principal coordinateur » selon des sources sécuritaires citées à l’époque par Tel Quel), opportunément mort en garde à vue. Un des islamistes condamnés, le français converti Richard Robert, avait déclaré avoir travaillé avec la DST française, avant d’être condamné à perpétuité, de quitter l’islam en prison et d’être transféré en France pour y purger le reliquat de sa peine et revenir sur ses propos, assez incohérents il est vrai. Un rapport onusien cité à l’époque par Le Journal citait les déclarations alléguées de Noureddine Benbrahim – n° 2 de la DST en 2003 – à des agents des services français selon lesquelles « au moins deux ressortissants du Golfe -un Saoudien et un Emirati- figuraient parmi les terroristes mais que le ministère marocain de l’Intérieur s’était tu pour « préserver les amis du Maroc »« . Des procès ont eu lieu à l’étranger pour des faits se rapportant aux attentats du 16 mai – à Paris notamment.

De fait, excepté les articles de la presse officieuse et les communiqués de la MAP, pas de version officielle consolidée du contexte et du déroulement des attentats; pas de publication d’un livre blanc gouvernemental, pas de commission d’enquête, qu’elle soit gouvernementale ou parlementaire – rien. Or les violations massives des droits de la défense et, il faut bien le reconnaître, de la dignité humaine commis par l’Etat dans la répression du terrorisme – répression qui était nécessaire, mais pas comme ça – a, comme d’habitude, affaibli de manière fatale la crédibilité de la version officielle des faits, fut-elle distillée par bribes comme dans le cas des attentats du 16 mai. De fait, pour avoir simplement posé les question que tout Marocain doté d’un cerveau se pose, le PJD se vit officiellement sommé de choisir son camp, comme si vouloir connaître la vérité était assimilable à soutenir le terrorisme…

Cette répression aveugle et brutale fût même contre-productive, comme le montre le cas spectaculaire de « Abdelfettah Raydi, emprisonné à 19 ans, libéré à 21 ans, kamikaze à 23 ans » comme le proclamait la une de La Vie économique après les attentats de Casablanca de mars 2007. Originaire de Karyan Thomas à Sidi Moumen, comme les kamikazes du 16 mai, ce salafiste avait passé deux années à la prison de Salé avant de se faire sauter dans un cybercafé le 11 mars 2007. L’arbitraire et la violence de la répression a ainsi montré ses limites, et l’Etat lui-même l’a reconnu – et notamment lors d’un discours royal – en faisant libérer de manière continue des détenus islamistes condamnés pour terrorisme – quitte à le regretter parfois: ainsi, après l’attentat-suicide de Raydi, de nouvelles rafles eurent lieu parmi les 164 détenus salafistes grâciés lors de l’Aïd el fitr en novembre 2005, dont Abdellatif Amrine, condamné lors des procès de l’été 2003 comme étant un kamikaze réserviste à 30 années de réclusion, mais grâcié et libéré en 2005 pour son état de santé. Ses liens avec Raydi amenèrent la police à l’arrêter à nouveau en 2007…

Pour citer à nouveau Le Journal:

En ce qui concerne les méthodes de lutte anti-terroriste à proprement parler, pour la première fois, les autorités marocaines reconnaissent que celles employées au lendemain des attentats du 16 mai 2003 n’ont pas produit les résultats escomptés comme le montre le cas du kamikaze Abdelfattah Raydi. Ce dernier faisait en effet partie de ces quelque 2 000 islamistes présumés raflés, dont environ 800 ont été condamnés ensuite à de la prison après des procès souvent expéditifs. Des prisons où, outre les mauvais traitements subis, certains ont noué des liens avec des salafistes combattants de groupuscules radicaux avant d’être graciés par le roi. Mais on peut tout aussi bien s’interroger sur le fait qu’une fois sortis de prison, des individus comme Raydi, sensés être fichés par les services et résidant de surcroît dans des quartiers quadrillés par des norias de mokadems, ont réussi à préparer des attentats (cf. encadré) sans être repérés…

La prise de conscience des risques de l’approche dure face au terrorisme allait amener le makhzen a tempérer ses ardeurs: outre les grâces à répétition (complétées il est vrai par des rafles), qui allaient déboucher en 2011, suite au mouvement de protestation populaire du 20 février à la grâce royale en faveur des principaux dirigeants islamistes, dont les liens réels avec les groupes terroristes étaient par ailleurs très contestés, le principal architecte de la répression de 2003, le général Hmidou Laanigri, militaire passé par la DGED, la DST et la DGSN (dont il fut promu directeur général deux mois après le 16 mai), fût brusquement limogé de ce poste par le Roi en 2006, pour être nommé inspecteur-général des Forces auxiliaires, corps d’armée dont le prestige est à la mesure du surnom de ses agents (sing. merda, pl. mroud). Comme pour chaque décision royale de ce type, pas de justification officielle ou de débat public, et on n’aura donc pas eu droit au mea culpa officiel sur le virage sécuritaire.

La contestation populaire avortée de 2011 allait définitivement tirer un trait sur l’ostracisme politico-sécuritaire contre le salafisme, réel ou imaginaire (on pense ici à la rocambolesque affaire du réseau Belliraj, monté de toutes pièces et qui ferait passer les procès de l’été 2003 pour des modèles dignes de la justice suédoise ou néo-zélandaise). Avec l’émergence du PJD comme principal parti marocain et de Adl wal ihsane comme principal mouvement d’opposition marocain, le makhzen a favorisé la normalisation du salafisme, et laissé aux chioukhs salafistes grâciés – et à d’autres, tel le cheikh pédophile Maghraouitoute latitude pour dénoncer les laïcs et l’Algérie, soutenir l’intégrité territoriale (fascinant exemple de la suprématie de l’affiliation nationale sur l’affiliation religieuse) et accessoirement réaffirmer leur acceptation de l’imarat al muminin, et ainsi espérer leur insertion dans le jeu politique marocain, y compris par le biais d’un parti politique, qui aurait sans doute le double avantage pour la monarchie de diviser le camp islamiste, déjà partagé entre le PJD et Al adl wal ihsane (je mets de côté le soufisme makhzénien à la zaouia boutchichiya), et d’agiter l’épouvantail islamiste – et s’agissant des salafistes cette peur n’a rien de paranoïaque – devant une classe moyenne et supérieure francophone à laquelle même le PJD ne fait plus peur.

Si on doit conclure, du point de vue gouvernemental, la gestion sécuritaire du terrorisme jihadiste a connu une évolution vers plus de discernement et un va-et-vient entre répression et ouverture, avec de constants ralentissements ou blocages toutefois, et la continuation des pratiques de torture et de violation des droits individuels des personnes accusées de terrorisme. Des groupes terroristes sont régulièrement annoncés comme démantelés, sans que l’on sache, vu le calamiteux palmarès de propagande et de violation des droits du makhzen, si ces annonces désignent une menace réelle ou une mise en scène – la réalité est sans doute entre les deux, et plus proche de la première alternative que de la seconde. Sur le plan politique, après avoir digéré le mouvement national (USFP comprise), l’extrême-gauche, le mouvement des droits de l’homme, des séparatistes repentis et l’islamisme légaliste, le pouvoir est en passe d’intégrer le salafisme presque sans coup férir, sans toutefois préjuger des effets néfastes d’une intégration de salafistes qui n’auraient pas renoncé à leur monopole des opinions légitimes.

La véritable énigme me semble être la place du 16 mai et de l’analyse de ses causes et séquelles dans l’opinion publique. La propagande officielle, il est vrai généralement centrée autour de la seule monarchie (avec l’exception partielle de la Marche verte), n’a guère surexploité, sur le plan symbolique ou commémoratif, le 16 mai. Quelques livres sont sortis – dont le brillant « Les étoiles de Sidi Moumen » de Mahi Binebine, dont Nabil Ayouch a tiré un non moins brillant film, « Les chevaux de Dieu » – mais de manière surprenante pas de recherche sérieuse ou de somme factuelle sur les attentats, leurs acteurs jihadistes, et la violence étatique qui s’ensuivit. Quelques thèses farfelues, mais d’analyse factuelle et non-paranoïaque, point.

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Et contrairement aux Etats-Unis, guère de manifestations spontanées de commémoration, ni de courant politique faisant de la lutte contre le terrorisme un élément essentiel de son discours. Certes, les survivants et les proches se rappellent, et n’oublient pas (comment les blâmer?) – Soad El Khammal, veuve et mère de deux victimes, dit ainsi refuser le pardon:

« J’essaie de vivre avec mais je n’arrive pas à tourner la page, c’est impossible d’oublier. Et pour moi, pardonner c’est oublier. Donc je ne peux pas pardonner, car cela voudrait dire qu’on tire un trait sur tout ça ».

Ou encore Mhammed Mahboub, grièvement blessé le 16 mai:

En tant que musulman, je ne peux être que favorable à la peine capitale et au qissas (talion). Le Coran est clair là-dessus : «œil pour œil, dent pour dent», dispose-t-il. J’ai vu des gens se faire déchiqueter, certains ont été décapités, d’autres ont perdu leurs bras ou jambes. Personnellement, j’ai eu la mâchoire et plusieurs membres brisés, mon corps est toujours criblé d’éclats métalliques. Je n’ai pas eu de procès avant de subir cette sentence, je n’ai rien choisi, les autres victimes non plus. Les terroristes, eux, ont choisi de perpétrer ces attentats, froidement planifiés et exécutés. Ils ont bénéficié d’un procès équitable. J’estime donc que justice doit être faite et il n’y a pas de raison pour qu’ils aient un traitement de faveur. (…)

Je resterai à jamais hanté par le souvenir de cette funeste soirée du 16 mai 2003. Chaque nuit je fais des cauchemars. L’autre fois, j’étais attablé dans un café de l’avenue Moulay Youssef à Casablanca quand, subitement, le tonnerre a grondé. Je me suis jeté à plat ventre. Les gens autour de moi ne se rendaient pas compte, ils riaient. Pour ma part, j’étais terrorisé. Au moindre mouvement brusque, ne serait-ce qu’un claquement de porte, je suis envahi par une effroyable peur. Ce sont des moments que je vis comme des exécutions répétitives. Car même si je ne suis pas mort physiquement lors des attentats, on m’a exécuté moralement. (…)

Le souvenir des attentats est trop vivace pour que je puisse pardonner. Je suis défiguré, je viens de subir une quatrième opération chirurgicale et je porte toujours dans ma chair des éclats de métaux. Mais ce n’est pas le plus grave. Car ce sont surtout les cicatrices morales qui tardent à se refermer. Peut-être qu’un jour, lointain, je pourrais pardonner. Mais, même dans ce cas, je ne voudrais pas que mes bourreaux soient graciés. Pas de pitié pour les terroristes. Ils doivent absolument payer pour leurs actes atroces.

Mais là aussi, dans la bouche de Mme El Khammal, l’ambiguïté qui entoure le souvenir du 16 mai revient:

Beaucoup de gens ont été arrêtés puis condamnés. Des centaines sont toujours en prison. D’autres sont sortis, d’autres ont été graciés. Mais la vérité n’est pas claire. Qui a fait ça ? Qui était derrière ? Personne ne sait. On réclame cette vérité.

Cette ambiguïté me traverse également. Tout comme Mhammed Mahboub, j’estime que les auteurs des attentats méritent la sanction la plus sévère possible – mais peut-on sanctionner durement – et de manière irréversible – des personnes dont on sait pertinemment qu’elles n’ont pas bénéficié d’un procès équitable? Ce n’est pas compatible avec mon idée de la justice. Et tout comme Soad El Khammal, difficile d’ignorer que les kamikazes bidonvillois du 16 mai, dans leur aveuglement barbare, étaient à la fois victimes et bourreaux (sans que leur caractère de victimes de la société ne retranche en rien leur culpabilité morale et pénale)? Je me rappelle, ayant été voir « Les chevaux de Dieu » avec mes parents, des larmes de ma mère à la fin – « ça n’a pas changé« . Dix ans après la barbarie du 16 mai, moins de deux ans après les meurtres barbares de Gdeim Izik, où une dizaine d’agents des forces auxiliaires furent égorgés et leurs corps profanés par des manifestants sahraouis, alors que tant de prisonniers politiques peuplent les prisons marocaines, que la misère transforme tant de Marocains en machines à survivre, peut-on oser espérer que « ça changera » un jour?

Tahar Benjelloun devrait rester chez lui, et Jeannette Bougrab aussi

Les têtes pensantes du courant de pensée « touche pas à ma bière« ™ se mobilisent. On a d’abord eu, dans Le Monde, note prix Goncourt (le prix des cons qui se gourent, Coluche dixit) national, Tahar Benjelloun, a ainsi commis « Maroc : l’islam doit rester dans les mosquées« . Les connaisseurs pourront comparer avec son « La Porsche noire, le play boy et la burqa« , où il était question d’émigré rifain en Hollande, de burqa, de Porsche noire et de Talibans – ne cherchez pas le fil rouge dans ce dernier article, il n’y en avait pas. Dans son article plus récent donc, notre Tahar national nous assène une vérité profonde qu’il partage avec Benali:

Il est une expression vide de sens et surtout qui trompe son monde : « islamistes modérés ». Un religieux qui investit le champ politique n’a que faire de la modération.

Donc, entre Recep Tayyep Erdogan et Ayman al Zawahiri, entre Saadeddine Othmani et le cheikh Maghraoui, aucune différence. D’ailleurs, de vous à moi, quelle différence entre Olof Palme et Pol Pot?

Il faudrait dix pages pour faire le tour des luminosités benjellouniennes (d’autres semblent autant aveuglés par la lumière que moi): « L’islam bien compris est une belle religion » – pourquoi a-t-on l’impression que cette compréhension est le monopole de fait de Tahar Benjelloun? Puis l’émotion empêche Benjelloun de voir la poutre dans son pays d’adoption: « l’islamisme politique se caractérise en général par une action directe sur le mode de vie des gens » – comme l’interdiction du voile dans les écoles publiques, ou la chasse au halal dans les cantines? Enfin une petite pensée pour nos compatriotes juifs: « Le Maroc a de tout temps été musulman et n’a jamais éprouvé le besoin de mélanger la religion et la politique. » – et je ne parle même de la surprise qui doit étreindre quiconque a jamais lu la Constitution marocaine, dont toutes les versions successives font du chef de l’Etat le Commandeur des croyants et font de l’islam la religion de l’Etat.

Puis ce morceau d’anthologie:

« Cela commence par quelques prêches moralisants et finit par des décrets et des lois (fatwas) qui gouvernent la vie quotidienne des citoyens. Il empêche de penser ou mieux pense à la place des citoyens. A quoi bon penser, douter, débattre puisque tout est écrit d’avance. »

Bref: chez ces gens-là, monsieur, on ne pense pas, monsieur, on prie, comme chantait l’autre. Chacun sait que le PJD – puisque c’est son arrivée à la primature qui terrifie Benjelloun – ne pense pas, ne doute pas et ne débat pas. Bernard Lewis serait fier de Tahar.

Un autre qui doit être fier de Tahar, c’est le chef de l’Etat:

Que s’est-il passé ? Je ne crois pas à l’effet domino, car la situation de la Tunisie n’a rien à voir avec ce que vit le Maroc, depuis l’arrivée du roi Mohammed VI.

Et je ne peux m’empêcher de citer notre Pic de la Mirandole quand il torture la logique telle la DST à Temara: « les autres partis, les traditionnels et les nouveaux, qui sont tous musulmans mais ont plutôt un comportement laïque » – je répète pour les mal-comprenants, des partis musulmans mais laïcs – oui, vous avez bien lu partis, et non pas individus, la laïcité benjellounienne accepte les partis confessionnels pourvu qu’ils ne soient pas islamistes.

Concluons: « Le Maroc n’a pas eu le temps de cultiver la démocratie dans les esprits. ». Le Maroc? C’est qui, le Maroc, Tahar, le Mouvement du 20 fébrier ou la DST? Laanigri, Majidi, Benslimane, Mansouri, El Himma, Azoulay, Fassi Fihri ou Amine, Raydi, Bougrine, Bensaïd, Boubker Jamaï, Assidon, Abdelmoumni, Akesbi? A qui la faute, Tahar, tes amis ou les autres?

Les consloups chassant en meute, on aussi eu droit à Jeannette – (ben oui, il faut s’appeler Jeannette ou manger du jambon pour être un politicien d’origine arabe en France) – Bougrab, politicienne UMP harkie (j’aurais bien écrit maghrébine, mais c’est la cause harkie qui semble marquer le plus l’engagement identitaire de Bougrab), qui s’est vantée de sa piètre connaissance de l’aire culturelle de ses ancêtres: « Je ne connais pas d’islamisme modéré« . Pas de différence donc entre Recep Tayyep Erdogan, qui écarte l’application du droit musulman et vante la laïcité, et le Mollah Omar. Et c’est au nom de son opposition à toute « restriction des droits et libertés » qu’elle déclare que « je suis d’ailleurs contente de voir qu’à Alger une loi est adoptée pour interdire la constitution de partis politiques par les anciens du FIS« .

Là où son entretien devient indécent c’est ici, elle dont je n’ai pas souvenir qu’elle aie jamais dénoncé la torture en Tunisie sous Benali:

« Je trouve choquant que ceux qui ont les droits et libertés ici aient donné leur voix à un parti religieux. Je pense à ceux qui, dans leur pays, ont été arrêtés, torturés pour défendre leurs convictions. On leur a en quelque sorte volé la révolution« .

Que Jeannette Bougrab croie juste de montrer patte blanche pour le bien de sa carrière, soit. Qu’elle instrumentalise les victimes d’une dictature totalitaire pour servir son ambition est obscène – citons par exemple Abdelnacer Naït-Liman, ancien sympathisant et détenu politique d’Ennahda:

«Ils m’ont conduit de l’aéroport au ministère de l’Intérieur, se souvient-il. Là, ils m’ont amené à la «salle d’opération». Il y avait des traces de sang partout, des cheveux et des bouts de peau étaient collés sur les murs. Ils m’ont déshabillé. Comme je résistais, ils m’ont laissé mon caleçon, puis ils m’ont mis dans la position du «rôti». Les jambes sont coincées entre les bras attachés, on passe un bâton sous les genoux et on le pose entre deux tables. Puis on vous torture avec des câbles électriques, des battes de baseball et d’autres châtiments dont je n’arrive pas à parler.»

Citons aussi Hamadi Ben Abdelmalek, arrêté et torturé pour avoir été ami d’un militant d’Ennahda:

Ce 25 janvier, un autre homme, Hbib S., est interrogé dans les locaux du ministère. Il conduit les policiers à l’hôtel de l’Algérien, celui à qui ont été remis les 150 dinars. Une confrontation est alors organisée. Les coups pleuvent sur Hamadi. Les insultes aussi. « Tu es un metteur en scène toi ! Tu prétends que tu ne le connais pas ? Tu l’as vu au café ! Avoue ! » J’ai reconnu Ali mais j’ai répété que je ne le connaissais pas plus que ça. « Tais toi ! Tais toi ! » Ils m’ont frappé. »

Qui est Ali ? Quels sont ses liens avec Tlili ? Pourquoi lui, agriculteur, fréquente-t-il Tlili ? Après 48 heures d’interrogatoire, un homme important débarque dans le bureau. C’est le directeur de la sûreté de l’Etat, Ezzedine Jenayah. Il s’installe. Hamadi se souvient de son regard, plein de mépris. Ce jour-là, il se contente de lui poser des questions.

Le lendemain, Hamadi commence à faiblir et les policiers à s’impatienter, les coups ne suffisent plus. « Ils m’ont déshabillé puis ils m’ont ligoté les pieds. J’avais les mains attachées derrières les genoux. J’étais gros, c’était difficile de me mettre dans la position du “poulet rôti”. » Ou de « l’hélicoptère ».

Cette sinistre technique de torture de la police tunisienne consiste à immobiliser la victime en coinçant un bâton derrière ses genoux. Les chevilles et les poignets sont liés.

« Ils m’ont coincé entre deux bureaux. Je les ai vus apporter une barre de fer. On m’a frappé, frappé toute la journée. De temps en temps, Jeniyah entrait, le cigare à la bouche, et demandait : “Il a pondu ? Non ? Bon, il va pondre.” Moi, j’avais la tête par terre et les pieds en l’air. »

Je souhaiterais que Bougrab soit confrontée à Naït-Liman ou Hamadi Ben Abdelmalek. Malheureusement, rares sont les faiseurs d’opinion politiques et médiatiques confrontés aux coût humain de leurs mensonges, hypocrisies, effets de manche et petits calculs. Consolons-nous avec notre insondable mépris, c’est bien le moins.

Adieu Abraham, notre frère

Serfaty avant sa détention

Le Maroc a perdu coup sur coup deux monuments, l’un dans le domaine littéraire et l’autre dans le domaine politique. Il s’agit bien sûr d’Edmond Amran el Maleh et d’Abraham Serfaty. Si les deux méritent autant d’attention et de commémoration, je compte m’attarder ici sur le cas d’Abraham Serfaty. Ce n’est pas seulementla mort qui les rapproche, mais aussi leur parcours politique – les deux militèrent en effet en même temps au sein du Parti communiste marocain (PCM), et tous deux se sont fait connaître au-delà de nos frontières pour leurs prises de position antisionistes. Serfaty semble d’ailleurs laisser entendre qu’ils se connaissaient à l’époque de la lutte pour l’indépendance – les deux, nationalistes convaincus, étaient fortement déçus par le caractère timoré de la réaction initiale du PCM, qui parlait encore en 1946 d’indépendance dans le cadre de l’Union française – cf. Abraham Serfaty & Mikhaël Elbaz, « L’insoumis: Juifs, Marocains et rebelles« , Desclée de Brouwer, Paris, 2001, p. 109 et surtout p. 126:

Serfaty: – (…) En fait, le noyau du Parti était constitué d’enseignants français suivant aveuglément les directives du PCF [Parti communiste français], jusqu’à dénoncer le Manifeste pour l’indépendance. C’est tout dire sur le PC et la question coloniale. Ali Yata met en avant la notion d’indépendance dans le cadre de l’Union française, en 1946.

Elbaz: – L’universalisme primait-il sur le nationalisme?

Serfaty: – Les deux pouvaient se rejoindre.

Elbaz: – Cela était-il pensable dans une société clientèliste, semi-féodale?

Serfaty: – Nous pouvions rêver de cela. Tel fut le cas d’Edmond Amran el Maleh qui vécut des années de clandestinité très éprouvantes, de 1952 jusqu’à l’indépendance. Il risquait, avec d’autres, sa vie. C’est dire que les luttes n’étaient pas contradictoires.

Né à Casablanca en 1926 d’un père marocain émigré au Brésil puis revenu au Maroc en 1922, Abraham Serfaty a eu l’honneur d’être exilé de force tant sous le Protectorat français que sous le régime de Hassan II. Militant communiste dès la fin de la seconde guerre mondiale, il sera illégalement expulsé du Maroc par les autorités françaises en 1952, ne revenant au Maroc qu’en 1956. L’ingénieur qu’il était il aura eu une brillante carrière au sein de l’Office chérifien des phosphates (OCP) puis de l’Ecole Mohammedia des ingénieurs, carrière que seul son militantisme communiste empêchera d’aboutir pleinement – il refusa même l’offre qui lui fut faite par le légendaire patron italien de l’ENI, Enrico Matteï, de venir travailler pour lui.

Longtemps désabusé de la ligne officielle du PCM, qui oscillait – après l’indépendance – entre nationalisme istiqlalien (1) et aveuglement pro-soviétique, Serfaty le quitta finalement (il était devenu entretemps le PLS) en 1970, pour fonder ce qui deviendra la plus connue – à défaut de la plus grande – organisation de l’extrême-gauche marocaine, Ilal amam (En avant). Passé à la clandestinité en 1972 après avoir été brièvement arrêté avec Abdellatif Laabi, il sera finalement arrêté le 10 novembre 1974 et sauvagement torturé (sa garde à vue dura… 14 mois!), puis condamné lors d’un inique et célèbre procès politique à Casablanca en 1977 à la réclusion criminelle à perpétuité pour atteinte à la sécurité de l’Etat. Sa soeur, Evelyne, mourra des suites des tortures infligées par la police marocaine sans avoir jamais trahi la cachette de son frère alors en clandestinité, tandis que son fils Maurice – qui était l’ami de Malika Oufkir (fille du général) ainsi que d’Ouzzin Aherdane, fils de Mahjoubi Aherdane –  sera également arrêté et torturé.

Une des répliques les plus absurdes des années de plomb marocaines il y aura droit de la bouche du juge d’instruction devant lequel il fut convoqué après des mois de détention clandestine et de torture quotidienne. Face à un Serfaty portant les stigmates physiques de la torture, le juge lui déclara « vous avez de la chance que nous soyions en démocratie » (2). Inutile de s’attarder sur ces propos, l’Instance équité et réconciliation étant passée par là.

En 1990/91, en conséquence du véritable séisme politico-diplomatique que fut la publication en France de « Notre ami le Roi » de Gilles Perrault (il n’aurait cependant pu être écrit sans les informations transmises notamment par Christine Daure-Serfaty, Perrault ayant principalement prêté sa notoriété à une entreprise militante), Tazmamart fut fermé et ses 28 survivants libérés, la majeure partie des prisonniers politiques libérés et parmi ceux-ci Abraham Serfaty, cependant immédiatement expulsé du Maroc – en 1991 -au prétexte farfelu de sa nationalité prétendument brésilienne (3)…

Serfaty en 1991, à sa sortie de prison

Petite parenthèse juridique:  il est un adage du droit marocain selon lequel la nationalité marocaine ne se perd ni ne s’acquiert. C’est faux depuis le Code de la nationalité de 1958, qui reconnaît à la fois la naturalisation et la déchéance de la nationalité marocaine. Le droit de la nationalité marocaine antérieure à cette loi best assez clair pour ce qui est de la perte de la nationalité:

« Le droit marocain a-t-il prévu ces cas de perte de la nationalité? Aucunement. Nous savons par ailleurs que la nationalité marocaine est dominée par le principe de l’allégeance perpétuelle (…). Or, l’allégeance perpétuelle exige qu’un individu conserve, sa vie durant, sa nationalité d’origine, quelle que soit la nature des événements qui influent sur le cours de son existence, quelle que soit l’aptitude de cet individu à revendiquer le bénéfice d’une naturalisation étrangère. On peut donc immédiatement poser en principe que la nationalité marocaine est indélébile et que, lorsqu’elle s’est annexé un individu, elle ne perd jamais ses droits. (…) La jurisprudence des tribunaux du Maroc, qui est déjà très riche de décisions en la matière, semble fixée dans le sens de la stricte application du principe de l’allégeance perpétuelle (…) » (Germain Chauvel, « Les notions d’Etat et de nationalité au Maroc », Librairie Farairre, Casablanca, 1937, pp. 174-175, 181)

De fait, le Sultan avait la possibilité d’accorder à titre individuel la faculté de renoncer à la nationalité marocaine – ces décisions, rares avant le Protectorat, furent systématiquement refusées sous le Protectorat. Le père d’Abraham Serfaty, né au Maroc, choisit, comme de nombreux juifs marocains du début du XXe, d’émigrer au Brésil avant de retourner au Maroc. Pour qu’il ne soit pas Marocain, il aurait fallu – alors même que le Code de la nationalité n’existait pas – qu’il soit autorisé à perdre la nationalité marocaine par le Sultan, c’est-à-dire par dahir. Cela ne fut pas le cas. Abraham Serfaty est donc né au Maroc d’un père marocain, et rien n’autorisait les autorités à ne pas le considérer comme marocain. Pour son inextinguible honte, la Cour suprême marocaine, ou prétendue telle, a  avalisé en 1998 ce déni de justice indigne d’un mauvais étudiant en première année de droit.

Serfaty de retour d'exil, à l'aéroport de Salé, le 30 septembre 1999

Il fallut attendre deux mois après la mort de Hassan II pour qu’Abraham Serfaty puisse retrouver sa patrie, le Maroc, le 30 septembre 1999. Dans ce premier geste symbolique de rupture avec son père, Mohammed VI allait réserver un acceuil officiel à Serfaty à l’aéroport de Salé, où il fut accueilli par Fouad Ali el Himma et Rochdi Chraïbi. Le Roi allait ensuite le nommer, en septembre 2000, conseiller auprès de l’Office National de Recherches et d’Exploitations Pétrolières (ONAREP) – Serfaty s’illustra par une clairvoyance remarquable face au « hype » entourant les éventuelles découvertes  réserves d’hydrocarbures au Maroc, et notamment le gisement – qui s’est avéré imaginaire – de Talsint.

Qu’a représenté Abraham Serfaty pour le Maroc? Il est difficile de porter un jugement sur le plan politique, d’autant qu’Abraham Serfaty n’a jamais exercé de pouvoir politique – et pour cause, puisque ce n’est qu’à son retour d’exil, en 1999, à l’âge de 73 ans, qu’il était en mesure de militer librement au sein d’un parti politique reconnu défendant ses idées – en l’occurence, Annahj addimoqrati, successeur d’Ilal amam.

C’est à travers l’idéal de justice sociale et de libération nationale face au colonialisme, à l’impérialisme et au sionisme qu’Abraham Serfaty est venu au communisme dès son adolescence, en février 1944. Il se réclama du marxisme-léninisme jusqu’à son exil parisien de 1991-99, qui le convertit à un socialisme libertaire. Ceci signifie que durant sa période de militantisme au Maroc, que ce fut en liberté, en clandestinité ou emprisonné, Serfaty prôna des solutions institutionnelles et économiques marxistes-léninistes aux problèmes marocains, « solutions » qui n’eurent pas que des effets heureux dans les pays qui eurent la faiblesse de les appliquer effectivement. Ce n’est donc pas forcément pour les mesures concrètes qu’ils se proposaient de prendre, lui et les milliers de militants progressistes à ses côtés, qu’on a admiré et respecté Serfaty – et ce constat est également valable pour Mehdi Ben Barka par ailleurs.

Sur plan organisationnel, Ilal amam ne fut jamais en mesure d’atteindre la phase révolutionnaire. L’organisation et ses cadres fut quasi entièrement démantelée par l’Etat, sans compter ceux morts sous la torture ou exilés. Sa meilleure implantation, Ilal amam ne fut en mesure de l’atteindre que parmi les lycéens et les étudiants. Son écho dans les classes populaires fut marginal (faute notamment de réel relais syndical), son assise rurale nulle. Cette carence n’était sans doute pas le seul fait de la répression féroce – voire  barbare – du pouvoir. Les très nombreux emprisonnés à la maison centrale de Kénitra eurent vite fait de se diviser, l’année 1979, soit à peine deux ans après le procès de Casablanca de 1977, étant particulièrement éprouvante – « l’année la plus dure de ma vie » selon Serfaty lui-même (Serfaty & Elbaz, op. cit, p. 179) ou, comme le rapporte un ancien d’Ilal amam, Mustapha Kharmoudi:

Abraham restait pour nous une boussole, un phare. Il en sera autrement dès lors que nous nous retrouverons sans lui, sans ses conseils et sans sa clairvoyance : à peine tombait-il aux mains de ses tortionnaires que déjà nous ne savions plus que faire. Je me souviens : on aurait dit que nos divisions couvaient depuis fort longtemps. Un ancien camarade, décédé en Hollande depuis fort longtemps, me disait que la siba travaillait encore notre inconscient… Et ce n’était pas que pour en rire…

Son retour d’exil allait sceller la séparation – à l’amiable – avec ses anciens camarades, regroupés dans Annahj addimoqrati:

Lors de la cérémonie d’accueil qui lui a été organisé au complexe culturel du Maârif, le 9 octobre 1999, la question aurait pris une nouvelle tournure. Ce jour-là, M. Serfaty avait déclaré qu’il voulait prendre part à l’édification de l’État de droit et qu’il salue les efforts déployés par les formations politiques de la Koutla Il a mis un terme, pour ainsi dire, à une éventuelle prise de responsabilité au sein du nouveau parti.La suite des événements peut bien amener des surprises, mais cela n’est pas le propos ici. Ce qui est par contre sûr c’est que des divergences existent entre Serfaty et ses compagnons de route. Ces derniers n’auraient pas apprécié l’attitude de leur camarade et ses déclarations parfois hors toute coordination. (Maroc Hebdo, 1999)

“Le jour de son retour d’exil, le 30 septembre 1999, nous sommes allés nombreux l’accueillir à l’aéroport de Rabat-Salé. Il y avait notamment tous les membres du comité qui avait milité au Maroc pour que l’Etat mette fin à son bannissement. Ne le voyant pas sortir de l’aéroport, je me suis introduit dans les lieux pour arriver jusqu’à la voiture officielle où il était installé avec sa femme Christine. Je lui ai demandé de rejoindre le comité d’accueil des militants. Il m’a regardé gêné. J’ai alors compris qu’il avait subi des pressions pour ne pas nous suivre. J’ai protesté auprès de Hassan Aourid, porte-parole du Palais à l’époque, insistant sur le fait que c’était nous qui avions bataillé pour le retour de Serfaty, et non pas les officiels présents. Par la suite, nous avons rejoint Abraham à l’hôtel Hilton où on l’avait logé. Toute la nomenklatura politique, du Makhzen aux forces de gauche, faisait la queue pour le rencontrer dans sa chambre d’hôtel. Comme beaucoup de militants voulaient le voir, Abraham Serfaty est finalement descendu dans le hall de l’hôtel où l’attendaient 300 à 400 personnes. Il a pris la parole, évoquant Mohammed VI et la nouvelle ère qui s’ouvrait, selon lui. Il nous a affirmé croire que la monarchie et les forces du progrès pouvaient collaborer pour bâtir une démocratie au Maroc. Il avait une analyse trop optimiste du nouveau règne, comptant beaucoup sur Mohammed VI. Il rêvait un peu à une expérience similaire à celle du roi Juan Carlos dans l’Espagne de l’après-Franco. Beaucoup de gens, dont moi-même, sont restés interloqués devant ce discours. Je lisais même une sorte de désespoir sur certains visages. Je me rappelle notamment la mine de Abdelaziz Menebhi, ancien président de l’UNEM. A l’écoute des propos d’Abraham Serfaty, il s’est écrié : “Allah iâaouna ou iâaounek”, avant de quitter les lieux. Une fois les propos d’Abraham achevés, je me suis levé et j’ai pris la parole pour lui rendre hommage. C’était un discours totalement improvisé où j’ai insisté sur le nationaliste qui militait pour l’indépendance au sein du Parti communiste marocain, le haut cadre à l’OCP qui a sacrifié sa carrière pour se solidariser avec les mineurs de Khourbiga. J’ai évoqué aussi le militant qui a été l’un des organisateurs du mouvement révolutionnaire marocain, et n’a jamais parlé sous la torture. Je pense avoir traduit le sentiment général de l’assistance, prise entre la joie et la déception. Abraham Serfaty n’a rien dit, mais il avait compris le message. Le jour de son retour d’exil a vraiment marqué une rupture entre les militants de l’extrême gauche et lui”. Abdelhamid Amine, ancien d’Ila Al Amam, codétenu d’Abraham Serfaty (septembre 79-Août 1984), dans Tel Quel (2008).

Contrairement aux propos de circonstance, notamment à l’étranger (voir par exemple le blog du Monde Diplomatique, ou El Pais, qui l’a qualifié dans sa nécrologie de « defensor a ultranza de la autodeterminación del pueblo saharaui« , ou encore le quotidien communiste français L’Humanité), peignant Serfaty sous les traits de l’opposant immuable au trône alaouite et du partisan de toujours au séparatisme sahraoui, la réalité est plus nuancée.

Certes,  en 2004 il écrivait encore, dans une réplique cinglante à son sinistre tortionnaire Driss Basri, alors en disgrâce auprès de Mohammed VI,  « il serait trop long de faire le bilan des exactions d’Hassan II contre les peuples marocain, sahraoui et algérien« , « il est vrai qu’Hassan II avait une haine particulière contre les Rifains« , « Hassan II a été l’allié sûr des forces les plus rétrogrades du capitalisme français et européen« , « on ne peut pas oublier que les années du règne d’Hassan II furent jalonnées de massacres » et encore « il serait trop long de parler ici des exactions d’Hassan, prince héritier« . Cependant, déjà en 1998, soit du vivant de Hassan II et avant son retour au Maroc, il évoquait la « vision politique et généreuse » de Hassan II sur le problème du Sahara. Plus récemment, dans un entretien accordé en 2009 à Reda Benjelloun sur 2M, il tenait des propos que ne renieraient pas l’USFP, affirmant que la révision constitutionnelle n’était pas une priorité, que le Maroc était impregné de religion et que la laïcité n’était pas d’actualité, et notant les progrès enregistrés dans les premières années du règne de Mohammed VI – son épouse et surtout sa compagnonne de lutte depuis quatre décennies, Christine Daure-Serfaty, partageait, en 2008 (!) le même optimisme: « Un vent de liberté souffle au Maroc« . A sa mort, Amina Bouayach, présidente de l’OMDH et réputée proche de l’USFP, a ainsi pu justifier son admiration d’Abraham Serfaty par les propos positifs tenus par lui sur l’évolution récente du Maroc:  « J’ai perdu un ami et quelqu’un qui avait le courage de dire ses idées par rapport au changement de la politique et des institutions« …

Dans ce même ordre d’idées, ce qui a fait sa célébrité à l’étranger, dans les milieux communistes et d’extrême-gauche ainsi que ceux acquis à la cause séparatiste sahraouie, ce sont ses propos tenus lors de son procès en 1977, propos qu’il a souvent qualifié d’honneur de sa vie:

« Vive la république sahraouie, vive la république marocaine, vive l’union des deux peuples sahraoui et marocain, vive la révolution marocaine, vive la révolution arabe » (Serfaty & Elbaz, op. cit., p. 159).

Il est paradoxal que l’image de Serfaty comme partisan du séparatisme sahraoui soit demeuré si vivace aujourd’hui, alors qu’elle cadre mal avec ses propos tenus depuis l’exil, où il a peu ou prou affirmé l’option de la confédération puis explicitement défendu le principe de l’autonomie proposé par l’Etat marocain aux séparatistes.

Cette prise de position d’Abraham Serfaty, plus émotionnelle que politique, allait causer ou du moins aggraver les tiraillements internes au mouvement marxiste-léniniste marocain, dont faisaient également partie le Mouvement du 23 mars (dont une partie fonda ensuite l’OADP) et Linakhdoum ach-chaab (maoïste). L’ancien détenu et militant d’Ilal amam Abdelaziz Tribak, dans un livre – « Ilal amam, autopsie d’un cadavre« , Saad Warzazi Editions, Tanger, 2010 – qui fait figure de réquisitoire, est d’une violence extrême – j’ai même dû couper un passage malséant vu les circonstances – contre Serfaty sur ce point:

L’évocation de la question du Sahara avait enveloppé l’ambiance de lourds nuages (…). C’est le moment que choisit Serfaty pour accomplir « l’honneur de sa vie« . Le Camarade Suprême fixait comme date limite au régime de Hassan II l’année 1979. (…) « Vive la RASD, vive le peuple sahraoui! » s’est-il écrié lors de son passage à la barre, en plus dans un arabe qu’il n’avait jamais maîtrisé auparavant. Cette position n’était ni celle de l’ensemble des autres détenus de Ilal amam, notamment ceux de Aïn Borja, ni celle des membres du 23 mars jugés avec nous, ni celle des camarades en France (ceux-là connaissaient la réalité du Polisario pour avoir été au congrès de Bir Lahlou!). (…)

Cette position lancée sous forme de slogans creux, dans les conditions politiques du moment, signifiait-il l’anéantissement du groupe. Serfaty avait-il le droit de le faire contre la volonté des autres camarades, quitte à entraîner les autres dans sa chute? (…) Nous n’avions pas signé pour une organisation kamikaze, mais pour une alternative censée travailler sur le long terme au sein des masses populaires. Or le camarade dirigeant s’était livré à un véritable hara-kiri, totalement injustifié d’après les données mêmes de cette année 1977. Ilal amam n’avait aucune alliance politique avec le Polisario (…). Et puis, ne valait-il pas mieux épargner le maximum de camarades lors de ce procès, pour leur donner l’occasion de continuer leur lutte dehors? (…) (Tribak, op. cit., pp. 220-221)

Du point de vue politique, les propos de Serfaty, en dépit du grand courage personnel qu’il eût à les tenir, n’eurent aucun effet sur le plan interne, aucune organisation politique ou syndical d’importance n’ayant embrayé, pendant qu’Ilal amam allait se déchirer, sur ce sujet et sur d’autres. Reprise par Annahj addimoqrati mais de manière plus radicale, sans mention de confédération ou d’autonomie, cette position n’a pu servir, à la marge, que de baume au coeur des séparatistes du Polisario et de leurs donneurs d’ordre algériens, lesquels ont exagéré – c’est de bonne guerre – un dérisoire signe de division au sein de la classe politique marocaine. Sans compter que l’évolution de Serfaty après son exil, et surtout au-delà, est allée vers une position finalement proche de celle de l’Etat marocain, fondée sur une large autonomie du Sahara marocain:

· Que pensez-vous des manuvres du Front Polisario qui tente de saboter le référendum maintenant qu’il a toutes les chances de clore le dossier de nos Provinces du Sud en faveur du Maroc?
– L’analyse des Accords de Houston, telle qu’elle a été menée au Maroc sous l’impulsion de Driss Basri, n’a pas saisi le désastre pour notre pays auquel conduit la politique étroite et manipulatrice qui sous-tend cette analyse, à l’opposé de la vision politique et généreuse qu’avait exprimée SM le Roi dès les années 80 en déclarant: « Qu’on me laisse le timbre et le drapeau, et tout le reste est négociable ».

· Quel sens précis donnez-vous à la déclaration de Sa Majesté sur le timbre et le drapeau sur laquelle vous fondez votre raisonnement?
– SM le Roi avait laissé cette déclaration ouverte dans toutes ses potentialités, et le moment décisif actuel montre qu’il avait eu raison. Cela dit, sur la base des éléments que j’ai résumés dans ma réponse, éléments fondés sur une analyse précise des Accords de Houston, et aussi de la situation internationale dans ses incidences avec le Maghreb, je précise que, pour éviter la catastrophe où le Maroc perdrait tout et entrerait dans une période d’instabilité aux conséquences imprévisibles, il nous faut préparer une solution « ni vainqueur, ni vaincu » dont la limite maximale pourrait être une Confédération, et la limite minimale pourrait être l’offre faite au Polisario par le Prince Héritier Sidi Mohammed au nom de son Père, début septembre 1996, offre s’inscrivant dans le cadre du projet de Constitution soumis ce même mois à référendum, la négociation appuyée par l’Union européenne permettant de fixer une telle solution dans le cadre de ces limites. Les bouleversements de la scène internationale et la volonté des États-Unis à régenter le monde font que seule une solution « ni vainqueur, ni vaincu » dans l’esprit de la déclaration de SM le Roi, solution qui pourrait être appuyée par l’Union européenne, permettrait à notre pays d’éviter ce désastre.

· Un référendum, par définition, exclut une issue formulée sur l’axiome « ni vainqueur ni vaincu ». N’est-ce pas là pour vous une manière d’éluder la question de la marocanité du Sahara?
– Les canaux de la diplomatie peuvent résoudre la difficulté effective que vous signalez. J’ajoute qu’il ne s’agit pas pour moi d’éluder quelque question que ce soit sur le Sahara. Je n’ai jamais tout au long de ma vie éludé aucune question. Mais je tiens compte des fautes commises, notamment en 1958, qui ne permettent pas de résoudre la question par une intégration pure et simple. Je suis convaincu que SM le Roi avait tenu compte de cette difficulté lorsqu’il avait fait cette déclaration. Je pense que les forces politiques nationales, dont les dirigeants ont vécu cette période, sauront se rallier à cette voie de sagesse devenue indispensable aujourd’hui. Car cette voie est la seule qui pourra convaincre l’électorat sahraoui, dûment identifié par les commissions ad hoc sur la base des Accords de Houston, de demeurer librement dans la mouvance marocaine ; par là même, cet électorat pourra échapper au danger d’hégémonie des pétroliers américains sur la région. (Maroc Hebdo, 1998)

Quelle est votre position, aujourd’hui, sur le Sahara ?

Le principe de l’union du Maroc et du Sahara reste valable ! Je suis pour ce qu’on appelle la troisième voie.

En d’autres termes : je ne suis ni pour une simple annexion, ni pour une véritable indépendance. Ma position participe de la même optique que celle défendue actuellement par les autorités marocaines: une autonomie effective aux Sahara sous souveraineté du Maroc. Les partis politiques qui parlent de provinces du Sud font de la surenchère un peu bête. Ils feraient mieux de se rallier à la troisième voie et de concentrer leur énergie en se battant pour l’autonomie du Sahara. (Aujourd’hui le Maroc, 2004)

MHI: Dans ce climat d’ouverture, comment voyez-vous l’acharnement des médias marocains contre Ali Lmrabet après sa visite aux camps de Tindouf?
– Abraham Serfaty : Je ne suis pas partisan de tout ce que fait Ali Lmrabet, un journaliste un peu aventureux, mais je pense que nous avons encore au Maroc à faire un pas en avant sur la question du Sahara, car on voit toujours ce que j’appelle le chauvinisme. Le Sahara doit être accordé au royaume du Maroc et pas au Maroc proprement dit, c’est à dire avec un statut spécial comme le stipule l’ONU.
MHI: Avez vous changé votre position, quelque peu sécessioniste, sur le sort du Sahara marocain pour pouvoir rentrer au Maroc?
– Abraham Serfaty : Mon retour au Maroc s’est fait sans condition et j’ai les documents qui le prouvent. D’autre part, j’avais dit le jour de mon jugement en 1977: “Vive la république sahraouie, vive la république marocaine et vive l’union du Maroc et du Sahara!” Les termes républiques sont un peu trop avancés pour l’époque. En revanche, j’avais dit “vive l’union du Maroc et du Sahara” et c’est encore mon point de vue. L’association entre le Sahara occidental et le Maroc sous l’égide du roi Mohammed VI, mais pas du parlement marocain, est une solution nécessaire du conflit du Sahara.
MHI: Accepteriez-vous de visiter les camps de Tindouf ?
– Abraham Serfaty : Les manquements à l’unité du Maroc remontent à 1956 quand le Maroc a failli à son devoir d’aider l’armée de libération marocaine et sahraouie afin de lutter ensemble pour l’indépendance. Donc il y a eu une faute de la part de ceux qui prétendent aujourd’hui être plus marocains que nécesaire. Le Polisario, qui était au début un mouvement de libération, s’est de plus en plus mis sous la coupe de l’Algérie. Donc, je ne suis pas partisan d’aller aujourd’hui dans les camps de Tindouf. (Maroc Hebdo, 2005)

Signe des temps: l’agence de presse des séparatistes du Polisario – Sahara Press Service – n’a pas, jusqu’à aujourd’hui lundi 22 novembre, trouvé le temps de signaler la disparition d’Abraham Serfaty…

L’analyse politique de la situation marocaine faite par Serfaty a donc évolué, principalement parce que cette situation est elle même devenue radicalement différente de celle des années 70, où le régime fut miraculeusement sauvé en 1971/72 et où la situation internationale (conflit armé au Sahara marocain et guerre froide entre Etats-Unis et Union soviétique) pouvait faire espérer que la situation interne ne soit pas figée, y compris sur le plan institutionnel. L’échec de la pitoyable tentative de lutte armée – option jamais sérieusement mise en oeuvre par Ilal amam – en 1973, puis de la grève générale en juin 1981, alliés au ralliement de l’USFP et du PPS puis du mouvement du 23 mars (OADP) au parlementarisme, tout cela rendait chimérique l’option révolutionnaire – du moins celle à inspiration socialiste, puisque l’islamisme radical a repris le flambeau de lutte armée (avec le même constat d’échec, d’ailleurs partagé par les séparatistes sahraouis ainsi que tous ceux qui ont, depuis l’indépendance, pris les armes contre le pouvoir…).

Abraham Serfaty de retour dans son pays

Difficile de tenir rancune à Abraham Serfaty de son revirement (ou inflexion, selon l’appréciation qu’on en fait): plus que la plupart de ses compagnons d’infortune, il a souffert dans sa chair de la répression barbare du régime makhzénien. Sa soeur Evelyne est morte sous la torture; son fils Maurice a été arrêté et torturé; sa mère est morte alors qu’il était emprisonné (il ne fut pas autorisé à assister aux obsèques); le colosse qu’il était fut réduit à passer les deux dernières décennies de sa vie en chaise roulante. Et c’est en chaise roulante et âgé de 73 ans qu’il retrouva la liberté dans son patrie, soucieux qu’il était, comme le rapporte Mustapha Kharmoudi, de rentrer mourir au pays:

Ce jour-là, un journaliste lui avait demandé son vœu le plus cher. Je m’attendais à ce qu’il réponde quelque chose comme la fin de la tyrannie au Maroc, ou la venue d’un Etat palestinien, enfin quelque chose de ce genre. Je me souviens de sa réplique acerbe : « je veux retourner mourir dans mon pays ». A vrai dire, j’en étais choqué, même si j’étais en exil moi-même, en situation de le comprendre…

Il n’a jamais versé dans l’opportunisme politique voire dans le reniement, contrairement à certains de ses anciens compagnons de lutte. On peut ne pas partager son appréciation trop optimiste de la situation au Maroc depuis 1999 – c’est certainement mon cas – et reconnaître qu’il ne s’est jamais départi de sa dignité, appelant notamment à la démission du premier ministre USFP Abderrahim Youssoufi, qu’il estimait, lors des premiers procès contre Le Journal en 2000. Les quelques avantages qui lui ont été concédés par l’Etat marocain en 1999 (logement provisoire) et 2000 (poste de conseiller à l’ONAREP) n’avaient rien d’extravagant par rapport aux souffrances physiques et morales vécues par lui.

Si son parcours politique est légitimement ce qui domine dans sa biographie, il serait criminel de passer sous silence son rôle au sein de cette admirable épopée intellectuelle collective que fût la revue Souffles (4), dont il fût un des animateurs aux côtés d’Abdellatif Laabi, également camarade d’Ilal amam. Lire la liste des contributeurs à cette revue c’est passer en revue le gotha de la vie culturelle et intellectuelle marocaine de ces dernières décennies – seuls – si j’ose dire – Abdallah Laroui, Fatima Mernissi et Paul Pascon manquent au palmarès. Par la forme, et par le contenu, Souffles n’a jamais été dépassé depuis. C’est là que Serfaty développa sa réflexion sur les questions identitaires, qui allaient jalonner son parcours à Ilal amam ainsi que ses écrits de prison, principalement sur la Palestine mais aussi sur le Maroc, où il reconnut les sentiments identitaires sahraouis, berbères et juifs, dans une démarche originale dans le contexte marocain de l’époque – elle conserve une certaine originalité toujours aujourd’hui.

Serfaty aura du reste toujours reconnu avoir fait partie d’une élite privilégiée, tout en la combattant et en renoncant aux avantages du renoncement et de la comprommission:

Serfaty (…) ajoutera plus tard (…) une autocritique dont l’honnêteté l’honore: « A Rabat, nous avions fait partie de ce que l’on appelerait l’élite qui, dans son assise culturelle et idéologique, reposait sur une prolongation artificielle d’un mythe, celui de la construction du Maroc indépendant. Ce mythe maintenait l’unité hétérogène et superficielle d’un monde aisé où loups sanguinaires, prédateurs sans scrupules et hommes d’affaires cyniques côtoyaient des technocrates civils et militaires qui vivaient dans une schizophrénie dorée le déchirement entre leur idéal national et professionnel et la décomposition morale toujours plus affirmée des classes dominantes, tandis que leurs épouses, idéalistes ou blasées, prenaient leur parti de cette décomposition. Ce fut cette unité qui allait éclater lors des tentatives de coup d’Etat de 1971 et 1972. Pour la connaître de l’intérieur, nous sentions tous, mes camarades et moi, qu’elle ne pourrait tenir. D’où sans doute le sentiment confus que ce pouvoir était fragile, ce qui nous entraîna à quelque peu idéaliser la tâche révolutionnaire« . En effet, au sein d’une classe dirigeante issue de la lutte pour l’indépendance, le meilleur et le pire coexistent en se mélengeant. (…) Cette cohésion nationaliste, vécue quotidiennement sur un mode paradoxalement très francophile, explique aussi le naturel avec lequel, par exemple, Maurice Serfaty et Malika Oufkir se fréquentent.  Le fils unique de l’opposant marxiste et la fille aînée du ministre de l’intérieur, élevée au Palais, sont du même monde. C’est ce monde qui éclate comme une bulle de savon à l’été 1971. (Stephen Smith, « Oufkir, un destin marocain« , Calmann-Lévy, Paris, 1999, pp. 278-279)

Sa proximité avec les Marocains d’origines diverses ne se démentira pas – les scènes de ses obsèques le montrent, mêlant conseiller du Roi ou ministres et anciens militants d’apparence modeste. L’ingénieur juif casablancais francophone, symbole de résistance, sera perçu comme tel même par ceux peu au fait des méandres du mouvement marxiste-léniniste marocain:

Ce soir-là, la maison est envahie. Debout, assis, une vingtaine d’hommes et quelques femmes mangent Serfaty des yeux. L’un d’entre eux l’a côtoyé en prison ; pour les autres, c’est un inconnu célèbre, un symbole qu’ils viennent fêter et honorer. Ils représentent tout ce que Mohammedia, la ville la plus proche, compte comme syndicats, partis de gauche, associations progressistes, ouvres sociales, etc. Il y a même une petite fille, cartable sur le dos, qui a accompagné papa et se présente, rougissante.  » Je m’appelle Nidal.  » Ce qui signifie  » Lutte  » et met Christine et Abraham en joie. « Camarade Serfaty, au nom de Dieu, nous vous souhaitons la bienvenue« , s’enflamme le porte-parole de cette délégation plurielle, encombré d’un énorme bouquet de fleurs. Un militant me confie que « quelles que soient les divergences que nous pouvons avoir avec lui, c’est un honneur pour Mohammedia d’accueillir ce grand résistant« . Ils repartent assez vite, ne veulent pas déranger, l’un d’entre eux glisse quand même à Serfaty que  » demain, une manifestation est prévue en ville contre les abus patronaux « . D’ailleurs, actuellement, une banderole barre l’entrée d’un des plus grands hôtels de Mohammedia. Il y est écrit, en arabe et en français :  » Le personnel de l’hôtel Miramar réclame son droit légitime : 18 mois de salaire.  » (…) Des anonymes aussi veulent l’aider : le petit artisan venu installer l’antenne parabolique a décidé que  » pour Serfaty  » ce serait absolument gratuit. (L’Humanité, 1999)

Un camarade de Serfaty embrasse son cercueil

Plus étonnant, le témoignage de Mustapha Kharmoudi, rappelant l’accueil fait à Serfaty, alors en exil, par des travailleurs marocains en France:

Par la suite, Serfaty était venu à notre rencontre dans notre belle Franche-Comté, plus exactement au pays de Peugeot. Le samedi matin, nous l’avions habillé chaudement car c’était l’hiver, et nous l’avions entraîné dans un marché arabe. Alertés par les médias locaux (avec à leur tête une radio arabe), beaucoup de Marocains se pressaient de le saluer, même la peur au ventre. Certains lui baisant parfois la main ou l’épaule. Abraham avait tout le temps les larmes aux yeux. Plus tard, je l’avais moqué : quoi, un marxiste handicapé et juif tolérant le baisemain ? Je me souviens qu’il en avait ri, d’un rire presque enfantin.

Ce qui reste d’Abraham Serfaty, et qui survivra probablement aux péripéties et rebondissements politiques de l’histoire politique marocaine de ces dernières trois ou quatre décennies, c’est le symbole. Le symbole du refus de la dictature makhzénienne, du refus de l’exploitation économique, sociale et culturelle des Marocains, du refus du chauvinisme, du colonialisme, du post-colonialisme et du sionisme, le refus de l’humiliation, de la résignation et de la faiblesse.

Ce refus est inscrit dans le parcours personnel d’Abraham Serfaty, qui est fondamentalement un homme contre:  petit-bourgeois casablancais sous le Protectorat, il rejoint le parti communiste; juif, il devient anti-sioniste; francophone, il devient résistant nationaliste contre le colonialisme français; haut fonctionnaire, il rejoint l’opposition radicale au makhzen; Marocain viscéralement attaché à son pays, il s’oppose publiquement, et à quel prix, à l’union nationale largement réalisée sur la question du Sahara;  non-berbère, il sera un des premiers hommes politiques à reconnaître les revendications identitaires berbères; non-musulman, il dialogue en détention avec les islamistes radicaux de la Chabiba islamiya. Allant contre son intérêt personnel, ou celui de sa famille, de son groupe social, voire ethnique, il a agi en conscience, en individu libre, courageux et altruiste.  C’est le symbole du refus de la tyrannie, de l’oppression, de l’occupation et de la misère qui restera dans la conscience collective du Maroc, bien plus que les objectifs spécifiques qu’il se proposait d’atteindre.

Interrogé, un jour, par un journaliste, sur cette détermination à poursuivre son combat et sur sa fidélité à l’idéal communiste malgré l’écroulement des pays de l’Est, Abraham Serfaty, répondit  » celui qui vit, c’est celui qui lutte « . (L’Humanité, 1991)

Ou comme l’exprimait un citoyen anonyme, non-militant, venu assiter au meeting saluant le retour au pays de Serfaty en 1999:

Mais il n’y a pas que des militants, aussi divers soient-ils, dans cette salle. Un homme, trente ans peut-être, me confie :  » J’ai appris la tenue de ce meeting par la presse. Je ne suis membre d’aucun parti, d’aucune association. Simplement amoureux de la liberté, venu rendre hommage à un homme d’exception qui nous a montré le chemin de la résistance.  » (L’Humanité, 1999)

Une mention spéciale est nécessaire ici pour la Palestine. Abraham Serfaty était un militant anti-impérialiste convaincu, combattant les différentes formes d’impérialisme: nazisme, colonialisme, néo-colonialisme et sionisme.

Des proches de Serfaty portant son cercueil, sur lequel figurent le drapeau marocain et un keffieh palestinien

Sa position sur le sionisme était catégorique:

“ Le sionisme est avant tout une idéologie raciste. Elle est l’envers juif de l’hitlérisme.”

Il concluait son important essai « Le judaïsme marocain et le sionisme » (publié dans Souffles en 1969) ainsi:

Dans la lutte du peuple palestinien pour une Palestine laïque, unifiée et démocratique se dresse, entre autres, la figure du Palestinien William Nassar, commandant du secteur de Jérusalem de Al-Assifah, torturé par les sionistes, de père chrétien, de mère juive.

Sa réflexion sur le sionisme, le judaïsme marocain et la Palestine ne l’avait pas abandonné en prison, où il écrivit « Ecrits de prison sur la Palestine« . Dans les faits, il s’était progressivement rallié à ce qui est devenu l’option majoritaire du mouvement national palestinien, à savoir la coexistence d’un Etat palestinien et d’un Etat palestinien.

Un drapeau palestinien déployé devant la tombe d'Abraham Serfaty

Son judaïsme lui était souvent jeté à la figure, tant par le régime que par des « camarades » – et Abraham Serfaty relevait le gant, ne reniant rien de sa judéité, y compris sur le plan religieux. Ainsi, à la mort de sa mère, alors qu’il était en détention à la maison centrale de Kénitra, certains codétenus s’irritèrent de la prière du mort, Kadoch, tenue le trentième jour de deuil, et « la majorité ne toléra point cette cérémonie » (Serfaty & Elbaz, op. cit., p. 182). Du côté du pouvoir, le dignitaire sahraoui Khalli Henna Ould Rachid, qui fut ministre à la fin des années 80, avait cru bon traiter Serfaty de sioniste à la Chambre des représentants en mai 1989, accusant l’USFP de connivence avec ce sioniste notoire… Le résultat en fut saisissant: lors d’une manifestation pro-palestinienne à Rabat le 5 juin commémorant le déclenchement de la guerre des six jours, la foule scanda « Khalli Henna sioniste, Serfaty palestinien » (cf. Serfaty & Elbaz, op. cit., pp. 183-84).

De même après les attentats du 16 mai 2003:

« Après les attentats du 16 mai, j’ai fait le choix de défiler avec la communauté juive. Les juifs originaires des pays arabes devraient comprendre que leur intérêt stratégique est de s’allier avec les Palestiniens contre les racistes venus des noyaux fondateurs du sionisme européen. Il faut saper les fondements mêmes du sionisme. Comme André Azoulay, je suis marocain et juif, sans vouloir gommer la religiosité inhérente au monde méditerranéen. C’est peut-être de cela que je traiterais, s’il m’arrivait d’écrire. Je réfléchis à ce que pourrait redevenir le judaïsme quand le sionisme sera dépassé ! Pour le reste, je n’ai pas de comptes à régler. » (Jeune Afrique, 2004)

En pointe dans son anti-sionisme, option certes majoritaire au Maroc (à défaut de l’être dans les couloirs du pouvoir), Serfaty fut en butte au rejet de la part du leadership communautaire juif – les fameux juifs de Cour (auxquels l’historien marocain Michel Abitbol a consacré un ouvrage fort intéressant, « Tujjar al-Sultan – Les commerçants du Roi« ).

Parmi ceux-ci, il faut réserver une place spéciale à Robert Assaraf, ancien fonctionnaire puis cadre de l’ONA avant de quitter le Maroc pour la France, où il a fondé une radio communautaire juive, Radio Shalom (5), et été l’actionnaire principal de l’hebdomadaire Marianne. Sioniste convaincu et ayant quitté le Maroc pour affaires et non pas sur décision arbitraire, Robert Assaraf a longtemps poursuivi Abraham Serfaty de sa vindicte, mesquine et respirant l’ignorance.

Dès le retour d’exil de Serfaty en 1999, Assaraf a ainsi commis une lettre ouverte, publiée par Maroc Hebdo sous le titre « Baroukh haba, mais…« , où l’ignorance se le disputait à la hargne, mais dont certains passages relèvent de la comédie burlesque plutôt que de la discussion politique:

« Après avoir participé aux premiers efforts de construction du Maroc indépendant et au développement des phosphates, puis de l’enseignement technique supérieur, il s’est retrouvé à la tête d’un parti d’extrême gauche, non pas marxiste-léniniste mais réellement maoïste: Ilal Imam; car il n’était plus d’accord avec la grande majorité des communistes marocains favorables au retour du Sahara au Maroc »

Faux. Ilal amam n’était pas maoïste – Assaraf doit confondre avec Linakhdoum ach-chaab, qui l’était. Assaraf fait au passage une opposition, qui n’a pas lieu d’être, entre maoïste et marxiste-léniniste. Enfin et surtout, Serfaty créa avec plusieurs camarades du PCM/PLS (aujourd’hui PPS) Ilal amam en 1970, soit 5 années avant la Marche verte, et alors que la revendication du Sahara marocain par le makhzen était cantonnée aux chancelleries diplomatiques et n’avait rien du débat public des années 1975 et suivantes.

« En compagnie de sept autres intellectuels marocains, il lance après la Marche Verte de Novembre 1975 un mouvement révolutionnaire maoïste appelant à la « République démocratique et populaire du Maroc » (certains tracts dit- on, précisaient: « Président Abraham Serfaty »). Parmi ses compagnons de la révolution populaire, on retrouve le fils d’Ahmed Balafrej, ancien chef de l’Istiqlal et ancien Président du Conseil (1958), ainsi qu’un autre « juif-arabe » portant le nom de famille prédestiné de Sion. »

La Marche verte de 1975 n’avait pas rendu Serfaty maoïste, et l’histoire ne garde pas de trace du « mouvement révolutionnaire maoïste » évoqué par Assaraf. Quant aux années 1975/76, elles furent des années de torture en garde à vue (qui dura 14 mois pour Serfaty) à Derb Moulay Chérif et en détention provisoire, dans des conditions qu’on imagine peu propices au lancement de mouvement révolutionnaire, fut-il maoïste. Anis Balafrej militait lui à Linakhdoum ach-chaab, organisation réellement maoïste. Je ne suis pas sûr qu’il y aut eu une grande coordination entre Ilal amam et Linakhdoum ach-chaab à l’époque. Quant aux tracts dont Assaraf n’affirme pas avoir vu la trace, on peut sans doute en douter, surtout si la paternité en revenait au « mouvement révolutionnaire maoïste« . Quant au « juif-arabe » (le terme fait presque figure d’insulte dans la bouche d’Assaraf) Sion, il s’agit sans doute du militant d’Ilal amam Sion Assidon, dont Sion est le prénom et non pas le nom de famille et qui est lui aussi antisioniste, le pauvre…

Continuons:

Tout le groupe est arrêté en 1977, dans un village du sud du Maroc, avec des documents compromettants et des armes légères. Ils sont tous condamnés après un procès public, assistés de leurs avocats, à une peine d’emprisonnement à perpétuité: pour atteinte à la Sécurité de l’État, mais, aussi pour leur soutien déclaré au Polisario et à une « République provisoire démocratique et populaire Sahraoui ». Malgré la guerre entre le Polisario et les Forces Armées Royales, le marxisme-léniniste, « démocratique et populaire », était pour eux primordial et essentiel
C’est cette dernière position permanente que Hassan II ­comme toute l’opinion publique et politique marocaine- a condamné sans appel. Il n’en demeure pas moins que Hassan II acceptera de mettre les huit compagnons du Groupe Serfaty, au bout de quelques années, en surveillance allégée, d’où ils essaieront de s’évader.

C’est là une révélation révolutionnaire: le reste du monde, à commencer par Serfaty, est persuadé qu’il a été arrêté le 10 novembre 1974, et certainement pas au sud du Maroc. Or non, nous révèle Sherlock Assaraf: c’était en 1977. De plus, alors que personne même dans la presse makhzénienne la plus vendue n’a jamais prétendu que Serfaty ait jamais été en possession d’armes, Assaraf nous apprend qu’il possédait des armes légères. En outre, alors que c’est l’accusation d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat qui valut à Serfaty sa condamnation à perpétuité, Assaraf affirme que c’est le soutien au Polisario, plutôt constitutive d’atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat, qui lui aurait valu sa condamnation. Enfin, on apprend que la maison centrale de Kénitra constitue un lieu de « surveillance allégée« , et on apprend que Serfaty aurait tenté de s’évader autrement que par la pensée.

Abraham Serfaty, toujours animé ou bloqué par la femme qu’il a connue en détention, Christine Daure, refusera de signer une lettre de grâce et encore moins revenir sur son soutien au Polisario et sur sa conviction républicaine. C’est là la rancoeur de Hassan II à son égard. C’est là que se trouve le « coin de jardin » de Hassan II qui ne peut comprendre la position anti-nationale d’un militant de l’indépendance et d’un juif marocain, même s’il se dit juif-arabe, alors que les Juifs, au Maroc, ne peuvent être que berbères, castillans ou sahraouis pour un grand nombre.

Maintenant, c’est au tour de « cherchez la femme« . Et par coin de jardin Assaraf fait allusion au fameux « jardin secret » évoqué par Hassan II pour désigner Tazmamart et le sort de la famille Oufkir. Enfin, de l’ethnologie de bazar, refusant à Serfaty ou tout autre juif marocain le droit de s’identifier comme juif arabe…

Puis Assaraf se fait exégète du droit de la nationalité:

Hassan II acceptera cependant, en 1991, de laisser partir Abraham Serfaty du Maroc. Le ministère de l’Intérieur, aidé par une personnalité de la communauté juive, a découvert que sa famille bénéficiait de la double nationalité marocaine et brésilienne. En fait, la famille d’Abraham Serfaty, était brésilienne par un parent ayant émigré au Brésil à la fin du 19ème siècle comme des centaines de Juifs du Maroc depuis Safi jusqu’à Tétouan en passant par Rabat et Fès. À leur retour au Maroc, certains de ces émigrés réclamaient, régulièrement, d’abord la « protection du Brésil » ensuite la nationalité brésilienne à partir du Protectorat en 1912.

(…) Cette nationalité, concernant Abraham Serfaty, n’est pas une invention de Hassan II ni de Driss Basri, mais une interprétation de la loi sur la nationalité marocaine, qui va permettre, dans ce cas exceptionnel, de régler un problème de Droit de l’Homme concernant un prisonnier politique- voire militaire, dans l’optique de Hassan II- devenu pesant.

On aimerait bien connaître le nom de la « personnalité de la communauté juive » ayant soufflé à Driss Basri qu’un parent d’Abraham avait la double nationalité marocaine et brésilienne – Robert Assaraf, Serge Berdugo ou André Azoulay (les deux derniers ayant assité aux obsèques d’Abraham)? On aimerait aussi savoir si Assaraf est en mesure de produire un seul exemple de jurisprudence – abondante sous le Protectorat – relative à la possibilité de perdre la nationalité marocaine dans ce cas de figure, cette nationalité étant alors liée directement à l’allégeance personnelle et perpétuelle au Sultan. On rappelera à Assaraf que les capitulations bénéficiant aux étrangers (6) prirent fin en 1956, soit 35 ans avant l’expulsion de Serfaty. Enfin, on notera qu’Assaraf fait de Serfaty un « prisonnier militaire« , ce que même Driss Basri n’avait jamais osé avancer.

Serge Berdugo dialoguant avec André Azoulay devant le cercueil d'Abraham Serfaty

Mais le summum du pêché politique commis par Serfaty est son antisionisme:

L’autre vérité concerne un Juif, dit arabe. Pourquoi arabe et non sahraoui? Pourquoi pas berbère ou andalous? Ou simplement fassi? Abraham Serfaty souhaitait faire un procès en diffamation à un journal qui l’a qualifié de « sioniste »? C’est son droit. Mais, il doit admettre, qu’il est une fois encore très minoritaire en niant Israël au lieu de refuser simplement la politique d’Israël.
Tous les Juifs du Maroc, à quelques très rares exceptions, ont été impliqués dans la vie de la communauté juive du Maroc. Ils se souviennent de la campagne menée vers les années 1973-1974, par Abraham Serfaty contre les dirigeants communautaires, contre les Juifs marocains tous assimilés au monde des affaires, contre certaines familles juives y compris celle de Rothschild! Il faut pour cela relire la série d’articles de Victor Malka publiée à l’époque dans la revue mensuelle, l’Arche, pour constater à quel point Serfaty croyait devoir rejeter sa communauté juive parce qu’il était en faveur des Palestiniens et contre Israël. Comme il croyait devoir être contre la cause nationale du Sahara parce qu’il était maoïste et pour une démocratie populaire même si elle était théorique en Algérie ou à Tindouf.

On doute qu’Assaraf ait été en mesure de déterminer si la position antisioniste de Serfaty – qu’il caricature, car Serfaty s’était rallié à la solution, aujourd’hui chimérique, d’un Etat palestinien sur les territoires occupés en 1967 – était si minoritaire que ça au Maroc. On notera qu’Assaraf semble particulièrement fâché avec les faits, puisque l’Arche, mensuel communautaire, avait à ma connaissance cessé de paraître en 1964, et que Victor Malka, journaliste depuis exilé de son plein gré en France, avait quitté le Maroc a la même période. Surtout, il répète le mensonge absolu et infâmant d’un Serfaty rejetant sa communauté, ce qui n’a jamais été le cas, l’inverse étant probablement plus proche de la vérité, du moins si par communauté on entend leadership communautaire.

Dans son ouvrage partial, « Une certaine histoire des Juifs du Maroc » (2005), et dont au peut craindre de l’exactitude factuelle au vu de la pléiade d’erreurs relevées dans sa lettre ouverte à Serfaty de 1999, Assaraf se fait le porte-parole de la communauté juive marocaine, affirmant au sujet de la Marche verte que « la communauté juive (…) était loin de reconnaître comme l’un des siens – et celui-ci lui rendait la pareille – l’encombrant militant d’extrême-gauche Abraham Serfaty » (Robert Assaraf, « Une certaine histoire des Juifs du Maroc », Jean-Claude Gawsewitch Editeur, Paris, 2005, p. 749) – affirmation fausse voire injurieuse du moins dans sa partie relative à l’identification totale d’Abraham Serfaty à la communauté juive marocaine, qu’il n’a jamais reniée. Assaraf poursuit en regrettant qu’Ilal amam ait été dirigé par un juif (p. 747).

Assaraf réserve là aussi sa hargne à l’antisionisme de Serfaty, qu’il estime insupportable, s’attardant sur l’appel public fait par quelques juifs antisionistes au lendemain de la guerre des six jours en juin 1967. En guise de protestation contre l’agression israëlienne, l’UMT, principal syndicat à l’époque, appela au boycott des intérêts économiques  « sionistes » au Maroc, allusion en fait aux opérateurs économiques juifs marocains. Des appels à limoger des fonctionnaires « sionistes » reprenaient en fait les fonctionnaires marocains de confession juive. Serfaty a condamné cette campagne comme étant du racisme (cf. Serfaty & Elbaz, op. cit., p. 205). A l’époque, avec d’autres militants progressistes juifs, il avait néanmoins tenu à marquer une distance entre judaïsme (au sens identitaire) et sionisme, et avait appelé la communauté juive marocaine à en faire de même:

L’agression d’Israël contre les Etats arabes, sa politique expansionniste, l’occupation et l’annexion de nouveaux territoires (…) soulèvent la colère légitime des masses populaires. Le sionisme est la négation des idéaux qui ont, depuis des siècles durant, fait de la question juive une partie de la cause de la démocratie et de l’anti-racisme.

Nous estimons de notre devoir de rappeler ces principes parce que nous restons persuadés qu’en cette heure cruciale où le Maroc a besoin de tous ses fils, le devoir de tout Marocain juif éclairé est de se solidariser par tous les moyens avec son peuple, de combattre l’idéologie et la politique sionistes au sein de la minorité juive, afin d’y promouvoir une conscience nationale et entière. C’est la voix de la raison et de la sagesse, celle de l’honnêteté et de la loyauté. C’est la seule voie qui permettra à notre communauté de s’épanouir au sein de sa propre nation. (Assaraf, op. cit., p. 737)

On mesure ici la gravité du manquement idéologique reproché à Serfaty par Assaraf…

Des sites sionistes ont jugé bon de cracher sur le cadavre encore chaud d’Abraham Serfaty, à l’instar de JSS News:

Triste personnage Abraham Serfaty, Juif marocain renégat, qui renie son Histoire, les siens et sa patrie Israël.

Qu’il meurt dans l’oubli !

On mesure donc l’ironie qu’il y a à voir Serge Berdugo, ancien ministre du tourisme et secrétaire général de la Conseil des communautés israëlites du Maroc, et André Azoulay, conseiller du Roi,  assister à ses obsèques, eux auxquels on ne peut reprocher d’avoir fait du zèle en matière de militantisme, que ce soit au Maroc ou en Palestine…

L’ironie est encore appuyée, dans un autre registre, non seulement par la présence d’un conseiller du Roi (qui est conseiller du Roi depuis… 1991, l’année de l’expulsion de Serfaty), mais par celle de deux ministres du gouvernement, Amina Benkhadra et Mohammed Lyazghi (USFP), et les propos élégiaques du ministre de la communication et porte-parole du gouvernement Khalid Naciri:

Le ministre de la Communication Khalid Naciri, qui avait milité avec Abraham Serfaty au sein du Parti communiste marocain, a lui aussi rendu hommage à un militant «de la première heure qui s’est battu d’abord pour l’indépendance de son pays». «Progressiste convaincu, a ajouté le ministre,Abraham Serfaty a pu diverger avec ses camarades de combat mais, personnage honnête, il a pu porter un regard positif sur le nouveau Maroc qui se construit».  (Libération.fr, 2010)

Même Le Matin du Sahara s’est fendu d’une mention neutre des obsèques de Serfaty, mais Moulay Ahmed Alaoui avait, avec Fouad Ali el Himma, Rochdi Chraïbi, Mohamed M’jid et quelques autres dignitaires, accueilli Serfaty au pied de l’avion le ramenant chez lui le 30 septembre 1999…

Le makhzen a pu briser le corps d’Abraham Serfaty, l’enfermer puis l’exiler, mais il n’a pas eu raison de sa conscience et de sa volonté. Cet exemple vivra dans les consciences des Marocain-e-s tant qu’ils seront attachés à la liberté et à la révolte contre la tyrannie et la misère.

Lectures complémentaires:

– Abraham Serfaty, « Le judaïsme marocain et le sionisme« , Souffles, 1969;

– « Abraham Serfaty: rétrospective de combat« , d’Ahmed Amri;

– « Hommage à Abraham Serfaty: adieu, mon camarade« ,par Mustapha Kharmoudi, ancien compagnon de lutte de Serfaty;

– « Hommage à Edmond Amran el Maleh et Abraham Serfaty, honneur du judaïsme marocain« , par le journaliste progressiste libanais René Naba;

– « Mort d’Abraham Serfaty, opposant historique de Hassan II« , de Pierre Haski de Rue89, qui couvra la répression politique au Maroc lors de ses débuts à Libération;

– « Abraham Serfaty, le Mandela marocain » d’Ali Amar, article publié sur le site de Marianne, et dont j’ose espérer qu’Ali Amar n’a pas choisi le titre – à la différence de Serfaty, Mandela a remporté son combat politique en renversant pacifiquement le régime de l’apartheid et en dirigeant son pays après avoir été triomphalement élu lors d’élections libres;

– « Serfaty est mort, ne le tuons pas une seconde fois!« , un post du blog de son ancien compagnon de lutte et codétenu Abdelaziz Mouride, lucide sur la récupération éhontée de Serfaty par le pouvoir;

– « Chronique des années de plomb au Maroc, troisième partie: Abraham Serfaty« , entretien audio réalisé par Mohamed Lotfi;

– « Serfaty: On ne se réconcilie pas avec son tortionnaire« , entretien accordé à Aujourd’hui le Maroc (2004);

– « Obsèques, hier, du militant Abraham Serfaty à Casablanca: les combats d’un siècle marocain« , article de Narjiss Rerhaye dans Libération du 20 novembre 2010;

un clip de France 24 (en arabe) sur les obsèques d’Abraham Serfaty;

– « L’avantage comparatif du Maroc, expliqué par Abraham Serfaty« , post du blog Misères francophones;

– « Hommage du Conseil d’administration du MRAP en sa réunion du samedi 20 novembre 2010 à la mémoire d’Abraham SERFATY« , communiqué officiel du MRAP;

– « Je me souviens…« , de Bernard Langlois, rédacteur en chef de Politis, qui introduisit clandestinement une caméra dans la cellule de Serfaty à la maison centrale de Kénitra, permettant à ce dernier de filmer les conditions de sa détention;

– « Abraham Serfaty, communist, anti-Zionist, democracy activist, Moroccan Jew, dies aged 84« , sur le blog anti-sioniste Jews sans Frontières;

– « Disparition d’Abraham Serfaty, un ami du droit et de la Palestine« , Association de solidarité France Palestine;

– « Abraham Serfaty, l’homme inlassablement juste, nous a quittés« , Al Oufok;

(1) Il est intéressant de voir comment le PCM et ses successeurs, le PLS et le PPS, ont semblé compenser le pêché initial du PCM – qui fut créé par des communistes français, qui s’appelait Parti communiste du Maroc jusqu’en 1946 et qui avait une position louvoyante par rapport à l’indépendance – par un surcroît de nationalisme, dont le manque apparent lui fut longtemps reproché non pas par le makhzen mais par le reste du Mouvement national marocain. Le pêché initial était aggravé par l’origine ethnique hétérodoxe du leadership – le premier secrétaire général du PCM ût le juif tunisien Léon Sultan, auquel succéda, en 1944, Ali Yata qui, s’il était musulman, était aussi d’origine algérienne, alors que bon nombre de militants, du moins jusqu’en 1946, étaient français. Il est piquant de constater que les deux adversaires politiques que furent Ali Yata et Abraham Serfaty furent tous deux expulsés du Maroc sous le Protectorat ainsi qu’après l’indépendance – pour Ali Yata, son statut juridique fut réglé en 1960…

(2) Je me rappelle cette citation de mémoire, mais elle provient de « Notre ami le Roi » de Gilles Perrault, que je n’ai malheureusement pas sous la main. Si quelqu’un a la citation et les références exactes, j’en serais reconnaissant!

(3) Le mérite de la libéralisation du régime ne revient pas exclusivement à « Notre ami le Roi », même s’il en fut l’élément déclencheur. Outre la lutte continue des militants marocains, les soucis de santé du Roi Hassan II (laissant voir une succession proche), la volonté de raffermir le trône et surtout la chute du Mur de Berlin et donc la fin des dividendes de la guerre froide pour le fidèle vassal des puissances occidentales qu’est le Maroc.

(4) On peut espérer que la thèse de Kenza Sefrioui – « La revue Souffles (1966-1973) – espoirs de révolution culturelle au Maroc » – trouvera une maison d’édition, de préférence au Maroc.

(5) On comprendra la vigueur des reproches faits par Assaraf à Serfaty en lisant cet auto-descriptif de Radio Shalom:

Radio Shalom, par la diversité de ses émissions, a pour vocation de favoriser la connaissance et la transmission du patrimoine historique, culturel et cultuel du peuple juif et d’Israël.

(6) Sur le régime des capitulations, voir André de laubadère, « Le statut international du Maroc depuis 1955« , Annuaire français de droit international, 1956, pp. 142-144.

La torture vue d’Europe (et du Maroc)

Cet article est le deuxième d’une série de posts sur la torture au Maroc.

Le Maroc officiel claironne sa volonté de s’arrimer à l’Europe – sous Hassan II, le Maroc avait même demandé son adhésion à ce qu’on appelait alors les Communautés européennes – et ne cesse de s’aligner, sur le plan diplomatique, économique ou sécuritaire, sur la shopping list de ses partenaires occidentaux. Il est sans doute un domaine dans lequel le Maroc officiel parvient à tempérer son enthousiasme – celui des droits de l’homme, compétence du Conseil de l’Europe, organisation européenne que les plus érudits d’entre vous distinguent sans peine de l’Union européenne. Dans le Royaume dont Fodaïl Aberkane et Hassan Zoubaïri furent des sujets jusqu’au jour funeste où ils furent arrêtés par la police, la torture et sa répression n’est pas au hit-parade des sujets de colloque pour les adeptes marocains et étrangers de la diplomatie pastilla.

Un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) (arrêt du 5 octobre 2010 dans l’affaire Ghiga Chiujdea contre Roumanie) donne une excellente illustration de ce qu’est la jurisprudence de cette cour – probablement la plus respectée de par le monde dans ce domaine – en matière de torture. Ce ne sont pas les arrêts en la matière qui manquent cependant, et on retiendra notamment le premier arrêt rendu (arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978), qui aboutit à la condamnation du Royaume-Uni pour torture de suspects arrêtés pour terrorisme en Irlande du Nord en raison de l’utilisation de méthodes dites de privation sensorielle, sans compter le célébrissime arrêt Selmouni contre France du 28 juillet 1999, première condamnation de la France pour torture d’une personne ayant « subi des violences répétées et prolongées, réparties sur plusieurs jours d’interrogatoires » lors de sa garde à vue – je vous en cite un passage, on se croirait au Maroc n’était-ce l’absence de bouteilles:

102.  La Cour a pu se convaincre de la multitude des coups portés à M. Selmouni. Quel que soit l’état de santé d’une personne, on peut supposer qu’une telle intensité de coups provoque des douleurs importantes. La Cour note d’ailleurs qu’un coup porté ne provoque pas automatiquement une marque visible sur le corps. Or, au vu du rapport d’expertise médicale réalisé le 7 décembre 1991 par le docteur Garnier (paragraphes 18-20 ci-dessus), la quasi-totalité du corps de M. Selmouni portait des traces des violences subies.

103.  La Cour relève également que le requérant a été tiré par les cheveux ; qu’il a dû courir dans un couloir le long duquel des policiers se plaçaient pour le faire trébucher ; qu’il a été mis à genoux devant une jeune femme à qui il fut déclaré « Tiens, tu vas entendre quelqu’un chanter » ; qu’un policier lui a ultérieurement présenté son sexe en lui disant « Tiens, suce-le » avant de lui uriner dessus ; qu’il a été menacé avec un chalumeau puis avec une seringue (paragraphe 24 ci-dessus). Outre la violence des faits décrits, la Cour ne peut que constater leur caractère odieux et humiliant pour toute personne, quel que soit son état.

104.  La Cour note enfin que ces faits ne peuvent se résumer à une période donnée de la garde à vue au cours de laquelle, sans que cela puisse aucunement le justifier, la tension et les passions exacerbées auraient conduit à de tels excès : il est en effet clairement établi que M. Selmouni a subi des violences répétées et prolongées, réparties sur plusieurs jours d’interrogatoires (paragraphes 11-14 ci-dessus).

105.  Dans ces conditions, la Cour est convaincue que les actes de violence physique et mentale commis sur la personne du requérant, pris dans leur ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances « aiguës » et revêtent un caractère particulièrement grave et cruel. De tels agissements doivent être regardés comme des actes de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

Soyons honnêtes néanmoins : c’est la Turquie qui est l’Etat européen au palmarès le plus chargé en matière de torture – 24 condamnations à ce titre depuis 1995, et 175 condamnations au titre du traitement inhumain et dégradant (voir le tableau statistique des condamnations par pays, pp. 14/15).

Le présent arrêt concerne lui un Roumain – Alin Narcis Ghiga Chiujdea – accusant la police de son pays de l’avoir battu et malmené lors de son arrestation puis de sa garde à vue, alors qu’il était soupçonné d’avoir commis un vol dans un poste de police (il fût condamné à 5 ans de prison pour cela). Si trois codétenus confirmaient l’avoir vu blessé et sanguinolent de retour des interrogatoires,  quatre autre témoins, dont deux policiers, un greffier mais surtout son propre avocat, affirmaient n’avoir vu sur lui aucune trace de violence. Un certificat médical figurait au dossier, indiquant aucune trace de violences à l’issue de sa garde à vue, mais Ghiga Chiujdea affirma que ce certificat médical avait été établi en son absence et qu’il n’avait été autorisé à voir un médecin lors de sa garde à vue en dépit de demandes réitérées, chose confirmée par trois codétenus (points 8 et 9 de l’arrêt).

Ghiga Chiujdea porta plainte contre les officiers de police qui l’avaient arrêté et interrogé, sans obtenir finalement gain de cause malgré quatre années de procédures variées, les tribunaux roumains estimant finalement que l’éventuelle agression qu’il aurait subie était prescrite.

C’est l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui interdit la torture :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

La Cour EDH a précisé l’étendue de cette interdiction : « lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 » (cf. l’arrêt Tekin contre Turquie du 9 juin 1998, points 52 et 53). Notons que la notion de traitement inhumain et dégradant est plus vaste que celle de la torture, qui constitue donc un cas particulièrement aggravé de traitement inhumain et dégradant, les deux notions étant distinctes.

La jurisprudence très fournie de la Cour EDH en la matière distingue entre le volet substantiel de l’article 3 CEDH et le volet procédural de ce même article. L’aspect substantiel de l’article 3 CEDH interdit aux Etats européens partie à cette convention de torturer ou de soumettre à des peines ou traitements inhumains ou dégradants des personnes sous leur juridiction. L’aspect procédural va plus loin encore : il impose à ces Etats de conduire un « enquête officielle et effective » lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi un traitement contraire à l’article 3 CEDH des mains d’un agent de l’Etat, et ce afin de permettre l’identification et la punition de l’auteur de cette torture ou de ce traitement inhumain ou dégradant (voir notamment l’arrêt Assenov et autres contre Bulgarie du 28 octobre 1998).

La lecture de la jurisprudence de la Cour EDH nous apprend qu’il est plus facile d’obtenir la condamnation d’un Etat pour violation de ses obligations procédurales au titre de l’article 3 CEDH – en gros, pour avoir bâclé une enquête sur un cas de torture – que pour violation de son obligation substantielle – en clair, pour avoir directement torturé ou fait torturer un individu. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Cour EDH a – de manière très contestable – estimé que le critère de preuve requis pour condamner un Etat pour avoir violé le volet substantiel de l’article 3 CEDH était celui d’ « au-delà de tout doute raisonnable » (voir l’arrêt Selmouni contre France précité, point 88). C’est contestable parce que ce critère de preuve est celui typiquement utilisé dans les pays anglo-saxons et quelques autres (la Suède par exemple) en matière pénale, alors même que les affaires portées devant la Cour EDH ne sont pas des affaires portant sur la responsabilité pénale d’individus mais sur la violation éventuelle de ses obligations internationales (en l’occurrence la CEDH et ses protocoles additionnels) par un Etat, laquelle responsabilité internationale est tout au plus sanctionnée par un dédommagement pécuniaire à la victime de cette violation. Un autre critère de preuve, plus proche de ce qui est utilisé en matière de responsabilité civile (« more likely than not ») ou administrative, aurait été plus adapté.

C’est donc à la victime de la torture de prouver au-delà de tout doute raisonnable qu’il a été victime de torture aux mains de l’Etat. Cette preuve est souvent difficile (même si elle n’est pas impossible) : en l’occurrence, dans le cas présent, Ghiga Chiujdea n’a pas réussi à convaincre la Cour EDH au-delà de tout doute raisonnable qu’il avait bien été torturé par les policiers qui l’avaient arrêté puis interrogé. Certes, les allégations du plaignant étaient très détaillées, et les témoignages de ses codétenus – qui confirmaient ses dires – étaient concordants, les témoignages en sens contraire des policiers l’étant moins (cf. point 44 de l’arrêt : « la Cour a des doutes quant à l’impartialité de ces témoins, vu leur implication directe dans les événements… »); néanmoins, tout cela s’avère insuffisant aux yeux de la Cour.

Par contre, la Cour EDH a estimé que les autorités roumaines n’ont pas mené une enquête efficace suffisamment prompte et diligente pour tirer au clair s’il y avait bien eu torture ou non. Ce raisonnement peut sembler déconcertant au premier abord mais il se tient : la Cour EDH n’est pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’il y a bien eu torture, mais elle estime que c’est à l’Etat concerné de tirer cela au clair – et quand l’enquête officielle (lorsqu’elle existe, comme dans ce cas) ne l’a pas permis car insuffisamment efficace ou diligente, l’Etat est condamné pour avoir failli à cette obligation d’éclaircissement des faits.

La Cour EDH se montre ici exigeante, et rappelle les principes désormais bien établis dans sa jurisprudence :

  • Chaque fois qu’un individu « affirme de manière défendable que des agents de l’Etat lui ont fait subir» de la torture ou des traitements inhumains et dégradants, les autorités compétentes doivent conduire une « enquête officielle et effective » (cf. arrêt Assenov et autres contre Bulgarie du 28 octobre 1998) ;
  • En l’absence d’une enquête officielle et effective, « l’interdiction légale générale de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants serait… inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux qui sont soumis à leur contrôle » (cf. arrêt Caloc contre France du 20 juillet 2000) ;
  • Une telle enquête doit être approfondie, menée de bonne foi, « sans négliger les preuves pertinentes ou s’empresser de mettre fin à l’enquête en s’appuyant sur des constats mal fondés ou hâtifs », et elle doit recueillir les preuves nécessaires, y compris les dépositions de témoins ou preuves matérielles (cf.  arrêt Zelilof contre Grèce du 24 mai 2007) ;
  • La prescription des faits de torture ou de mauvais traitements imputables à un agent de l’Etat est en principe incompatible avec l’article 3 CEDH (cf. arrêt Erdogan et autres contre Turquie du 14 octobre 2008) ;

On ne peut que constater à quel point le Maroc est loin, très loin de s’approcher de ces standards européens : sans même parler de l’impunité assurée et assumée par l’Etat marocain aux tortionnaires de la période 1956-1999 dans le cadre du happening médiatique que fût l’Instance équité et réconciliation, on ne peut que constater l’absence totale d’enquêtes impartiales, effectives et exhaustives sur les cas de torture où des victimes donnent des indications suffisamment étayées pour permettre aux autorités de mener une enquête. Quelle enquête a ainsi été menée sur les allégations de torture émanant des sept militants d’Al adl wal ihsan de Fès, qui affirment de manière crédible avoir été enlevés et torturés cet été ? Quelle enquéte a été ouverte sur les allégations de torture des membres « non-politiques » du réseau Belliraj ?

Et je ne parle même pas ici des cas de personnes décédées lors de leur garde à vue ou détention, comme Abdelhaq Bentasser alias « moul sebbat », Mohamed Bounit, Hassan Dardari, Mohamed Aït Sirahal, Hassan Zoubaïri ou Fodaïl Aberkane. Si par extraordinaire un policier ou gendarme tortionnaire est condamné pour faits de torture, la peine n’est pas exécutée, comme avec le commissaire Mohamed Kharbouch, condamné en première instance et en appel à de la prison ferme pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, avant de voir sa condamnation cassée par la Cour suprême –  l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Marrakech où elle attend d’être jugée.

Il est heureux que la CEDH ne soit pas applicable au Maroc – comme pour l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, car la jurisprudence de la Cour EDH est particulièrement exigeante quant à l’obligation des Etats de justifier les cas de morts en détention, comme le montre cet extrait de l’arrêt Salman contre Turquie du 27 juin 2000:

97.  L’article 2, qui garantit le droit à la vie et définit les circonstances dans lesquelles il peut être légitime d’infliger la mort, se place parmi les articles primordiaux de la Convention et ne souffre aucune dérogation. Avec l’article 3, il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe. Les circonstances dans lesquelles il peut être légitime d’infliger la mort doivent dès lors s’interpréter strictement. L’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, requièrent également que l’article 2 soit interprété et appliqué d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (arrêt McCann et autres c. Royaume-Uni du 27 septembre 1995, série A no 324, pp. 45-46, §§ 146-147).

98.  Pris dans son ensemble, le texte de l’article 2 démontre qu’il ne vise pas uniquement l’homicide intentionnel mais également les situations où un usage légitime de la force peut conduire à donner la mort de façon involontaire. Le caractère délibéré ou intentionnel du recours à la force meurtrière n’est toutefois qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte dans l’appréciation de la nécessité de cette mesure. Tout recours à la force doit être rendu « absolument nécessaire » pour atteindre l’un des objectifs mentionnés aux alinéas a) à c). L’emploi des termes « absolument nécessaire » indique qu’il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui normalement employé pour déterminer si l’intervention de l’Etat est « nécessaire dans une société démocratique », au sens du paragraphe 2 des articles 8 à 11 de la Convention. En conséquence, la force utilisée doit être strictement proportionnée aux buts légitimes susvisés (arrêt McCann et autres précité, p. 46, §§ 148-149).

99.  Compte tenu de l’importance de la protection de l’article 2, la Cour doit examiner de façon extrêmement attentive les cas où l’on inflige la mort, en prenant en considération non seulement les actes des agents de l’Etat mais également l’ensemble des circonstances de l’affaire. Les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et les autorités ont le devoir de les protéger. Par conséquent, lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible sur l’origine des blessures (voir, parmi d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999-V). L’obligation qui pèse sur les autorités de justifier le traitement infligé à un individu placé en garde à vue s’impose d’autant plus lorsque cet individu meurt.

100.  Pour apprécier les preuves, la Cour a généralement adopté jusqu’ici le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 64-65, § 161). Toutefois, une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure ou décès survenu pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante.

Si cette jurisprudence, somme toute fort logique, s’appliquait au cas marocain, les autorités auraient donc à justifier de la mort de personnes placées en détention, la charge de la preuve s’en trouvant ainsi renversée.

En outre, l’Etat a également le devoir de mener une enquête effective sur les causes de morts en détention:

104.  La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction  les droits et libertés définis [dans] la (…) Convention », implique et exige de mener une forme d’enquête effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme (voir, mutatis mutandis, les arrêts McCann et autres, précité, p. 49, § 161, et Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 329, § 105).

Revenons-en au cas du tortionnaire de Mohammed Aït Si Rahal, torturé à mort au commissariat de Djemaa el Fnaa, patrimoine culturel de l’humanité rappelons-le: Mohammed Kharbouch, officier de police, a certes été condamné, mais contrairement au Marocain moyen condamné à dix ans de prison pour homicide involontaire, il a été placé en liberté en attendant sa condamnation définitive, la Cour d’appel de Marrakech s’étant prononcée à deux reprises sur sa culpabilité (une fois en première instance, une fois en appel) et la Cour suprême à une reprise, en attendant un troisième jugement de la Cour d’appel. Pendant tout ce temps, l’officier de police tortionnaire a été maintenu dans ses fonctions, alors même qu’une condamnation pénale n’est nullement une condition de révocation d’un fonctionnaire de police.  Et encore ce cas-ci est-il exceptionnel: dans les autres cas précités de morts en détention, il n’y a que rarement des poursuites pénales contre les agents de l’Etat coupables de ces violences meurtrières. La mort en détention jouit donc au Maroc d’une tolérance de fait. Qui ose encore prétendre que le Maroc n’est pas un pays tolérant?

Lectures complémentaires:
– l’excellent guide sur la jurisprudence de la Cour EDH en matière de droit à la vie – « The right to life: A guide to the implementation of Article 2 of the European Convention on Human Rights » – de Douwe Korff (2006);
– le communiqué de l’ASDHOM « Commissariats et gendarmeries au Maroc : Des zones de non droit« , (8 octobre 2010);

Rétroacte:

– « Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement« ;

« Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement »

Ceci est le premier billet d’une série sur la torture au Maroc.

Comme toute maxime, celle-ci (elle est de Saint-Just) est excessive si on l’entend de manière générale et absolue, mais dans le cas présent elle révèle ce truisme que détenteur du monopole de la violence légitime, l’Etat peut être tenté ou amené à en abuser – c’est le cas en démocratie et c’est le cas dans des régimes qui n’en sont pas, comme le Maroc par exemple. Et pour excessive qu’elle puisse paraître, elle ne représente que la réalité de ce qu’a vécu Fodail Aberkane.

On a donc appris la semaine dernière la mort en détention du slaoui Fodail Aberkane, âgé de 37 ans. Selon les informations communiquées à Libération par son frère, Mustapha, Fodail aurait été arrêté le 11 septembre à Salé pour possession de stupéfiants pour consommation personnelle. Détenu par la police, il fut présenté au procureur du Roi qui décida, le 13 septembre, de le remettre en liberté. Revenu au commissariat pour récupérer ses effets personnels, dont un téléphone portable et une mobylette, il se vit opposer un refus au motif qu’il ne disposait pas d’une assurance en règle pour sa mobylette. Revenu le 15 septembre avec un certificat d’assurance en règle, il se vit opposer un refus dilatoire par la police. Excédé, il insulta le policier, ce qui amena son arrestation et un passage à tabac en règle en plein couloir du commissariat, sous les yeux de son frère qui était venu l’accompagner dans ses démarches. Détenu dans les locaux de police, son état de santé empira très rapidement, et il fût transpiré à la prison Zaki le 17 septembre au soir avant d’être transféré vers l’hôpital Ibn Sina de Rabat après à peine six heures – il est mort le 18 septembre avant d’avoir d’atteindre l’hôpital.

Ses funérailles, qui ont eu lieu le 21 septembre, ont été suivies par des centaines d’amis et de voisins. L’AMDH, l’OMDH et – une fois n’est pas coutume – l’USFP (par le biais de son quotidien francophone et sa Jeunesse ittihadia) ont manifesté leur indignation – on peut supposer que l’absence de caractère politique dans cette affaire de brutalité policière a permis à ce parti gouvernemental de se rappeler des souvenirs lointains de sa dénonciation sans faiblesse de l’appareil policier du makhzen.

La torture est structurellement présente dans le quotidien policier et judiciaire marocain, et ce depuis l’indépendance. Si la période allant de 1956 jusqu’au début des années 90 a été marquée par des violations massives des droits de l’homme, de la répression sauvage de la révolte du Rif de 1958 ou des émeutes de 1965, 1981, 1984 et 1990 à Tazmamart et aux disparitions forcées, la niveau de la répression a baissé depuis la libéralisation initiée en 1991/94, avec la fermeture de Tazmamart et la libération des survivants, la libération de la majorité des prisonniers politiques et le retour de la majorité des exilés. Depuis la fin des années de plomb (1), l’intensité de la répression a baissé en termes quantitatifs et sans doute aussi qualitatifs – on est passé de crimes contre l’humanité (Tazmamart Kelaat M’Gouna, Agdz) et des meurtres et disparitions forcées à la routine de la torture, des brutalités policières, des arrestations et détentions illégales, débouchant sur des procès inéquitables et des condamnations arbitraires.

Le passage d’une répression de haute intensité à une répression de basse intensité a des causes bien connues:

  • les années de plomb, oeuvre principalement d’Oufkir et Dlimi, alliées à l’ingéniérie politique de Driss Basri, ont partiellement atteint leur objectif: affaiblir substantiellement le mouvement national – en l’absence d’opposition réellement dangereuse pour le régime, les coûts politiques et diplomatiques de la répression pure et dure dépassent largement les avantages politiques;
  • on peut tourner les choses comme on le veut, mais ce sont principalement les circonstances externes qui ont contraint le pouvoir marocain à se libéraliser – la fin de la guerre froide a rendu le poids stratégique du Maroc (et pas seulement de lui) moins important, et le soutien de ses alliés et bailleurs de fonds étrangers moins certain – ce n’est pas une coïncidence que la cessez-le-feu au Sahara date de 1991, année qui marqua la libération d’Abraham Serfaty et de la famille Oufkir et la fermeture du bagne infernal de Tazmamart, sans compter celle de ceux de Kalaat M’Gouna; dans ce contexte, impossible de minimiser le rôle déterminant de « Notre ami le Roi » de Gilles Perrault et Christine Daure-Serfaty, qui aboutit à l’annulation de l’année du Maroc en France en 1990 et fit prendre conscience au régime du coût diplomatique et médiatique intolérable des méthodes des années de plomb;
  • bien évidemment, les considérations de politique intérieure  ont aussi joué un rôle: la longue maladie de Hassan II et le souci de la succession l’ont incité à renouer les liens avec l’USFP, distendus depuis l’opposition de cette dernière au référendum au Sahara ainsi que la grève générale déclenchée par la CDT en 1981; pour ce faire, l’alternance s’imposa et avec elle quelques gestes symboliques qui, au fond, n’affectaient en rien l’équilibre des pouvoirs dans le système institutionnel marocain – finalement, nul besoin de Tazmamart ou de déchéance de nationalité (Serfaty) pour que le Palais impose ses vues.

Aujourd’hui donc, la torture et les brutalités policières sont la principale manifestation de l’arbitraire makhzénien. Comme les autres manifestations de l’arbitraire, leur fréquence et probabilité varie selon les caractéristiques personnelles des détenus et autres personnes entre les mains des services policiers et sécuritaires: si par exemple les responsables politiques impliqués dans l’abracadabrantesque affaire Belliraj n’ont pas subi de violences, tel ne fût pas le cas d’Abdelkader Belliraj, belgo-marocain d’origine modeste et connu des services de police belges, qui a de manière plausible affirmé avoir été torturé par la police marocaine. Les suspects impliqués dans des affaires de terrorisme sont violentés de manière routinière, de même que ceux impliqués, des rangs de l’extrême-gauche, des séparatistes ou des islamistes, dans des affaires à caractère politique. Dans les affaires de droit commun, là aussi, un dealer de shit de Diour Jamaa risque plus d’être invité à s’asseoir sur une bouteille lors de sa garde à vue qu’un délinquant en col blanc de Hay Riad.

Quelle est l’étendue du problème? On peut mesurer l’affaiblissement relatif de la répression au fait qu’un On peut se reporter aux rapports des principales ONG et des organes onusiens. Tout d’abord, quelques cas individuels:

– Younes Zarli, soupçonné par les autorités de participation à des activité terroristes, a disparu le 11 avril 2010 à Casablanca après avoir été arrêté par un agent de la DST à , faisant craindre à Amnesty sa probable torture – craintes confirmées par l’avocat de Zarli, qui déféré devant un juge le 6 mai, soit trois semaines après son enlèvement durant lesquelles il affirme avoir été torturé; Saïd Ezziouani fût lui enlevé à Casablanca le 12 avril et déféré devant le même tribunal le 6 mai, dans le cadre de la même affaire terroriste;

– Zahra Boudkour, militante d’Annahj addimoqrati et dix autres militants étudiants à Marrakech, ont été torturés ou soumis à des traitements inhumains et dégradants pendant trois jours après leur arrestation le 15 mai 2008, sans qu’aucune enquête judiciaire ne soit ordonnée sur la torture dont ils se sont plaints auprès du procureur du Roi;

– Yahya Mohamed El Hafed, militant séparatiste convaincu, arrêté dans sa boutique à Tan-Tan le 29 février 2008, et qui affirme avoir été torturé à la fois lors de sa garde à vue que lors de sa détention provisoire, et qui été poursuivi et condamné sur la base des « aveux » ainsi extorqués;

Rachid Chrii, militant AMDH à Safi, fût violéinvité à s’asseoir sur une bouteille et torturé par des policiers de cette ville en avril 2003 après avoir dénoncé le tabassage en pleine rue d’un homme en état d’arrestation- il fût condamné en mai 2003 à 18 mois de prison pour outrage à fonctionnaire public avant d’être grâcié par le Roi et de rejoindre… le PAM en 2008!

Bien évidemment, c’est dans la répression du terrorisme islamiste et de personnes soupçonnées – à tort ou à raison – d’y appartenir, que les autorités donnent la mesure de leurs talents:

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

La longue période que passent les détenus coupés du monde extérieur les expose au risque d’être torturés ou soumis à d’autres formes de mauvais traitements. Amnesty International continue de recevoir des informations inquiétantes selon lesquelles des agents des forces de sécurité marocaines infligeraient des actes de torture et d’autres mauvais traitements à des personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme dans un centre de détention non reconnu, probablement celui de Témara, qui est situé dans une zone boisée à une quinzaine de kilomètres de Rabat. Parmi les méthodes de torture les plus fréquemment signalées figurent les coups, la suspension dans des postures contorsionnées et les menaces de viol ou d’autres violences sexuelles à l’encontre de parentes du détenu. Les autres actes de torture commis comprennent le viol par l’introduction d’objets dans l’anus, la privation de sommeil, les brûlures de cigarette et l’application d’électrodes sous tension sur le corps. L’objectif de ces sévices semble être d’obtenir des informations sur des réseaux terroristes, notamment ceux qui cherchent à recruter des Marocains pour rejoindre des groupes armés en Irak ou en Afghanistan, ou bien d’extorquer des « aveux ». D’après les données dont dispose Amnesty International, la plupart des suspects sont contraints à signer des procès-verbaux après avoir été transférés de la détention par les forces de sécurité à celle aux mains de la police judiciaire, lors de laquelle ils sont menacés d’être renvoyés au centre de Témara s’ils n’obtempèrent pas. Généralement, on ne leur permet pas de lire les déclarations qu’ils signent.

Un détenu de la prison de Salé, Youssef al Tabai, a été arrêté le 28 mars 2010 dans une rue de Casablanca par quatre hommes en civil qui n’auraient pas présenté de mandat d’arrêt. Selon les informations obtenues par Amnesty International, on l’a forcé à monter dans un véhicule et on lui a bandé les yeux. Les interrogatoires ont commencé dès son arrivée dans un centre de détention non reconnu, qui semble être celui de Témara. Des agents des forces de sécurité l’auraient arrosé avec de l’eau glacée avant d’allumer la climatisation, frappé avec des fils électriques et privé de nourriture, de sommeil et de prière pendant 48 heures. Il a été remis à la police judiciaire à Casablanca le 26 avril avec une trentaine d’autres personnes. Le jour-même, l’agence de presse officielle du Maroc, Maghreb Arabe Presse (MAP), a annoncé le démantèlement d’un réseau terroriste et l’arrestation de 24 personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme. Amnesty International croit savoir que Youssef al Tabai a passé 11 jours supplémentaires en détention aux mains de la police judiciaire et qu’il a alors signé un procès-verbal sous la menace d’être renvoyé au centre de Témara s’il refusait. L’enquête le concernant est en cours, mais il est accusé d’« appartenance à une association de malfaiteurs » dont le but était de porter atteinte à la sécurité nationale et d’abriter des personnes recherchées par les autorités. Il semblerait que d’autres personnes mises en cause dans cette affaire aient également été torturées ou soumises à d’autres mauvais traitements pendant leur détention au secret dans un lieu inconnu.

Mohamed Gatit aurait lui aussi été torturé dans le centre de détention de Témara, où il est resté environ 18 jours en novembre 2009. Il aurait été livré à des membres des forces de sécurité marocaines par leurs homologues algériens début novembre. D’après les informations recueillies par Amnesty International, une fois arrivé au centre de détention, il a été immédiatement conduit dans une salle d’interrogatoire et frappé sur tout le corps, principalement à coups de poing et de pied, alors qu’il était menotté et avait les yeux bandés. Il aurait perdu connaissance et saigné du nez à cause de ces coups. On pense que cet homme, qui reconnaît avoir participé à des combats armés en Irak, a été interrogé au sujet d’autres Marocains présents en Irak. Il aurait été arrêté en Algérie en mars 2009, incarcéré dans un centre de détention non reconnu qui était probablement celui de Ben Aknoun, à Alger, pendant environ huit mois sans inculpation ni procès, et soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements par des agents des forces de sécurité algériennes.

Bien que la torture soit érigée en infraction dans la législation marocaine, les allégations de torture font rarement l’objet d’une enquête. À la connaissance d’Amnesty International, aucun fonctionnaire de la DST n’a jamais été poursuivi pour torture ou autres mauvais traitements envers des détenus. Dans le quatrième rapport périodique présenté au Comité contre la torture en avril 2009, les autorités marocaines ont indiqué que des poursuites judiciaires avaient été engagées contre 13 fonctionnaires soupçonnés d’avoir soumis des détenus à des actes de torture ou d’autres mauvais traitements en 2007 et 2008. Cependant, le rapport ne précise pas leurs fonctions, ni si ces poursuites ont abouti à des condamnations. (« Au Maroc, les personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme continuent d’être victimes d’atteintes aux droits humains« , 2010)

Au lendemain du 16 mai 2003, deux personnes soupçonnées de participation à ces attentats terroristes – Abdelhak Bentasser alias Moul sebbat et Mohamed Bounnit – ont trouvé la mort alors qu’elles étaient en détention;

Depuis le 16 mai 2003, des interpellations massives – comprises entre 2000 et 5000- ont eu lieu dans des conditions mal définies. La délégation de la FIDH a eu connaissance de la pratique de mauvais traitements et tortures (coups, électricité, sévices sexuels) au cours de la phase de l’enquête de police et ce, d’une manière courante, en particulier dans les locaux de la DST à Temara où transitent la plupart des islamistes interpellés.

Deux personnes, Abdelhak Bentasser de Fès et Mohamed Bounnit de Taroudant, ont par ailleurs trouvé la mort de manière suspecte après leur interpellation. Malgré les enquêtes et autopsies officiellement effectuées, de multiples contradictions subsistantes démontrent que les circonstances exactes de ces deux décès restent à élucider. A cet égard, la FIDH déplore que l’impunité paraisse demeurer la règle lorsque se produisent des exactions et bavures policières. (rapport de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), l’Observatoire marocain des prisons, Association Bayti, Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), « LA VIOLENCE ETATIQUE AU MAROC« , 2003)

Parmi les cas de torture récents, le plus emblématique concerne sans doute celui des septs militants d’Al adl wal ihsan de Fès, arrêtés le 28 juin et qui affirment avoir été torturés pendant trois jours par la police:

Mohamed Sleimani, Abdalla Balla, Bouali Mnaouar, Hicham el Hawari, Izaddine Sleimani, Hicham Sabbah et Tarek Mahla sont actuellement détenus à la prison d’Ain el Qadous, à Fès. Tous membres d’Al Adl wal Ihsan (Justice et bienfaisance), un groupe islamiste autorisé par la loi, ils sont accusés d’avoir enlevé et torturé un ancien membre de cette organisation. Ils ont été déférés le 1er juillet devant un juge d’instruction pour « appartenance à une association non autorisée », « formation d’association de malfaiteurs », « enlèvement et détention d’une personne » et « torture ».

Ces sept hommes ont été arrêtés le 28 juin à Fès par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ). Ils ont été conduits au centre de détention de la BNPJ à Casablanca et placés dans des cellules séparées pendant 72 heures. Durant cette période, ils affirment avoir été laissés nus, menottés et les yeux bandés, sans nourriture et avec très peu d’eau.Tous disent avoir été torturés, et notamment – pour au moins cinq d’entre eux – violés à l’aide de stylos et d’autres objets introduits de force dans leur anus. Selon leurs dires, ils ont été contraints à signer des déclarations qu’on ne leur a pas laissé lire, sous la menace d’être jetés par une fenêtre s’ils refusaient. Leurs proches ont pu leur rendre visite, pour la première fois depuis leur arrestation, le 5 juillet et ont alors remarqué qu’ils présentaient des traces de torture et d’autres mauvais traitements.

Ils ont indiqué que les détenus éprouvaient des difficultés à voir et à entendre et qu’ils avaient des ecchymoses et d’autres marques visibles vraisemblablement causées par la torture. Ceux qui auraient été violés saignaient des suites de ces sévices. Les sept hommes n’ont été examinés par un médecin que le 12 juillet et aucun soin ne leur a, semble-t-il, été prodigué pour leurs blessures. Cet examen médical, dont les résultats n’ont pas encore été divulgués par les autorités marocaines, avait été ordonné par le juge enquêtant sur leur cas après qu’ils se furent plaints lors de leur comparution devant lui le 1er juillet d’avoir été torturés. Par ailleurs, Mohamed Sleimani est atteint d’une grave affection cardiaque et Abdalla Balla souffre de diabète. Ils ont tous deux besoin d’un traitement médicamenteux quotidien et d’un suivi médical. Ils ne bénéficient ni de l’un ni de l’autre en détention. (Amnesty International, « SEPT DÉTENUS DISENT AVOIR ÉTÉ TORTURÉS AU MAROC« )

Le talent de la DST et la police marocaine ont traversé les frontières, jusqu’à atteindre l’autre côté de l’Atlantique: un des éléments fondamentaux de la « guerre contre la terreur » – menée par le gouvernement des Etats-Unis sous la présidence Bush puis celle de brack Obama – a été (c’est un des rares éléments auquel Obama semble avoir renoncé) la politique de transferts illégaux de suspects de terrorisme, arrêtés par les Etats-Unis ou leurs alliés, et remis illégalement, en dehors de toute procédure d’extradition, et remis à des pays, tels le Maroc, le Pakistan, la Jordanie, l’Egypte et la Syrie, pratiquant systématiquement et impunément la torture.

Le cas le plus emblématique de cette politique, parmi les plus connus, est celui de l’Ethiopien Binyam Mohamed, probablement la victime la plus connue de la torture et de la détention illégale sous la « guerre contre la terreur« . Arrêté à l’aéroport de Karachi le 10 avril 2002, il fût détenu en Afghanistan, au Maroc et encore en Afghanistan (à Bagram), avant d’être envoyé à Guantanamo le 19 septembre 2004. Il en fût libéré le 23 février 2009 et retourna au Royaume-Uni où il avait résidé avait son arrestation et sa détention illégale.

Inutile sans doute que Yassir Znagui le contacte pour demander sa participation à une campagne de promotion de la destination Maroc: son séjour en Maroc, du 22 juillet 2002 au 21 janvier 2004 (voir sur le site de l’ACLU pour le détail des vols) lui a sans doute laissé un souvenir impérissable, mais pour les bonnes raisons.

Early on the morning of July 22, 2002, a Gulfstream V aircraft, then registered with the FAA as N379P, flew Mohamed to Rabat, Morocco where he was interrogated and tortured for 18 months. In Morocco his interrogators routinely beat him, sometimes to the point of losing consciousness, and he suffered multiple broken bones. During one incident, Mohamed was cut 20 to 30 times on his genitals. On another occasion, a hot stinging liquid was poured into open wounds on his penis as he was being cut. He was frequently threatened with rape, electrocution and death. He was forced to listen to loud music day and night, placed in a room with open sewage for a month at a time and drugged repeatedly.

Under this torture, Mohamed was interrogated about Al Qaeda and suspected Al Qaeda members. He was told that the U.S. wanted him to testify against individuals then in U.S. custody, including Jose Padilla, Khalid Sheik Mohamed, Abu Zubaydah and Ibn Shiekh Al Libi. Mohamed was told to repeat what he was told: that he was a top Al Qaeda official; that he had met with Osama Bin Laden and 25 other Al Qaeda leaders on multiple occasions; and that he had told Bin Laden about places that should be attacked.

On January 21, 2004, approximately 18 months after he was unlawfully rendered to Morocco, Mohamed was again handcuffed, blindfolded, placed in a van and driven to an airfield. He was stripped, photographed extensively and told the photos were « to show Washington » that his wounds were healing. (ACLU)

Pour les non-anglophones, mentionnons simplement que Binyam Mohamed aurait été tailladé sur les organes génitaux, drogué et battu jusqu’à l’évanouissement.

L’extraordinaire rapport du parlementaire suisse de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (rien à voir avec l’Union européenne, inutile – je l’espère – de le préciser) mentionne les propos de Binyam Mohamed sur la torture subie au Maroc:

205. Binyam a relaté à son avocat plusieurs phases dans les sévices subis au Maroc : un  « adoucissement » initial a fait place à un  cycle de tortures de routine, puis à des violences  sévères, consistant en des supplices mentaux et des blessures physiques. Au cours des premières semaines de sa détention, il a été suspendu de manière répétée aux murs et aux plafonds, enchaîné et battu violemment : Ils entraient dans la pièce et me menottaient les mains derrière le dos. Arrivaient ensuite trois hommes portant des masques de ski noirs, qui laissaient seulement entrevoir leurs yeux… Deux d’entre eux tenaient mes épaules et le troisième me donnait des coups de poing dans le ventre. Le premier coup… a tout retourné à l’intérieur. J’avais envie de vomir. Je voulais rester debout, mais j’avais tellement mal que je tombais à genoux. Ils me relevaient et me frappaient à nouveau. Ils me rouaient de coups de pieds dans les cuisses quand je me levais. Ils m’ont passé à tabac cette nuit-là… Je me suis effondré, et ils sont partis. Je suis resté sur le sol un long moment avant de perdre connaissance. Je ne sentais plus mes jambes. Je ne pouvais plus bouger. Je me vomissais et m’urinais dessus.

206. Le paroxysme de la torture consistait à mettre Binyam nu et à utiliser un scalpel de médecin pour faire des incisions sur son torse et sur d’autres parties de son corps : L’un d’eux a pris mon pénis dans sa main et a commencé à faire une entaille. Ils sont restés une minute à observer ma réaction. J’étais à l’agonie, je pleurais, je tentais désespérément de me retenir, mais j’hurlais malgré tout. Ils ont dû le faire vingt ou trente fois, en peut-être deux heures. Il y avait du sang partout. Ils ont tailladé mes parties intimes. L’un d’eux a dit qu’il vaudrait mieux carrément tout couper, puisque de toute façon, je n’engendrerai que des terroristes.

207. Finalement, Binyam a commencé à coopérer pendant les séances d’interrogatoires, afin d’éviter les tortures : Ils ont dit que si je donnais leur version des faits, je serais juste appelé au tribunal comme témoin et que toutes ces tortures cesseraient. Je n’en pouvais plus… J’ai fini par répéter ce qu’ils me lisaient à voix haute. Ils m’ont dit de dire que j’avais vu Ben Laden cinq ou six fois, ce qui est bien évidemment faux. Ils ont continué avec deux ou trois interrogatoires par mois. Il ne s’agissait pas vraiment d’interrogatoires, mais plutôt d’entraînements, en vue de me préparer à ce que je devrais dire.

208. Binyam déclare avoir fait l’objet d’une seconde restitution lors de la nuit du 21 au 22 janvier 2004. Après qu’on lui ait mis des menottes, bandé les yeux et transporté environ une demi-heure dans un van, il a été débarqué dans ce qui lui semble être un aéroport. Une fois de plus, la description de Binyam correspond à la méthodologie employée pour la restitution, décrite plus haut dans ce rapport : Ils ne m’ont pas parlé. Ils ont lacéré mes vêtements. Il y avait une femme blanche avec des lunettes – elle a pris les photos. L’un d’eux tenait mon pénis tandis qu’elle prenait des photos numériques. Elle a eu le souffle coupé en voyant mes blessures. Elle a dit : « Oh, mon Dieu ! Regardez ça ». (Projet de rapport AS/Jur (2006) 16 Partie II du 07 juin 2006, Allégations de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus concernant des États membres du Conseil de l’Europe)

Inutile de dire que la pratique de la torture et l’assurance de l’impunité ont été des motifs déterminants du choix du Maroc et des autres pays concernés, comme l’a confirmé le rapport

74. Mr Vincent Cannistraro, former head of counter-espionage in the CIA is reported to have said that a Guantánamo detainee suspected of belonging to Al-Qaeda and who was refusing to co-operate provided better information after being « rendered » to Egypt: « They promptly tore his fingernails out and he started to tell things« 19. Mr Cannistraro also reportedly said that Egyptian prisons were full of men without finger and toenails. « It’s crude, but highly effective, although we could never condone it publicly. The Egyptians and Jordanians are not that squeamish« 20. Lastly, he also said that only someone « deaf, dumb and blind » could believe that the Syrians did not used torture, despite their claims to the contrary. (Rapport de Dick Marty soumis au Comité des affaires juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe le 22 janvier 2006)

La pratique de la torture au Maroc est donc structurelle, et elle est même instrumentalisée afin de se rapporcher d’alliés étrangers, comme les Etats-Unis, on l’a vu. Les déclarations et appréciations générales sur la torture au Maroc, émanant d’ONG ou instances onusiennes, en témoignent:

Amnesty International:
Amnesty International est préoccupée par l’augmentation considérable du nombre de cas signalés d’actes de torture ou de mauvais traitements dans le cadre des mesures de «lutte contre le terrorisme» appliquées au Maroc-Sahara occidental depuis 2002. Parmi les centaines d’islamistes ou d’islamistes présumés arrêtés et placés en détention parce qu’ils étaient soupçonnés d’appartenir à des «bandes organisées de criminels» ou de participer à la planification ou à l’exécution d’actions violentes, un grand nombre auraient été soumis à des tortures ou à d’autres formes de mauvais traitements. Beaucoup ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement et plus d’une dizaine à la peine capitale, sur la base de déclarations qui auraient été obtenues par la torture ou par des mauvais traitements. La torture ou les mauvais traitements auraient en général été pratiqués dans les locaux de détention des forces de sécurité, en particulier de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et de la police, pour obtenir des aveux ou des renseignements, ou pour contraindre le détenu à signer de son nom ou du pouce des déclarations dont il rejetait, réfutait ou ignorait la teneur. Le nombre de cas signalés de torture ou de mauvais traitements sur la personne d’islamistes présumés faisant l’objet d’interrogatoires a diminué depuis 2005, mais Amnesty International reste préoccupée par l’impunité dont continuent de bénéficier les auteurs de ces violations. (Cité dans le résumé des rapports des ONG par le lors de l’examen périodique universel du Maroc devant le Comité des droits de l’homme en 2008)

Encore Amnesty:

Amnesty International reconnaît recevoir moins d’informations faisant état de graves violations, notamment d’actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements ainsi que de détentions secrètes et non reconnues ayant eu lieu dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », depuis le pic observé après les attentats à l’explosif perpétrés à Casablanca en 2003. Cependant l’organisation demeure préoccupée par l’impunité quasi totale dont bénéficient les membres des forces de sécurité accusés d’avoir commis de graves atteintes aux droits humains.

D’après les informations recueillies, la torture et les autres mauvais traitements infligés dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » ont généralement lieu aux mains des forces de sécurité, en particulier de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et de la police. Le centre de détention de Témara, géré par la DST, est l’un des principaux lieux où des actes de torture sont signalés. Des dizaines de personnes y ont été maintenues en détention secrète et non reconnue dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, en violation de la législation marocaine, du

Des promesses non tenues. L’Instance équité et réconciliation et le suivi de ses travaux MDE 29/001/2010 Amnesty International 16 droit international relatif aux droits humains et des normes internationales en la matière. Les agents de la DST, n’étant pas considérés comme des membres de la police judiciaire, ne sont pas autorisés à arrêter des suspects ni à les détenir ou les interroger.

À la connaissance d’Amnesty International, dans la majorité des cas où une plainte a été déposée au sujet d’actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements, l’enquête n’a pas été ouverte, a été close sans qu’une réelle investigation ait été menée ou n’a pas donné lieu à des poursuites contre les auteurs présumés de ces sévices. Un certain nombre de détenus affirment qu’ils n’ont pas pu bénéficier d’examens médicaux pour corroborer leur plainte et demander réparation. Ainsi, plusieurs centaines de militants islamistes condamnés à la suite des attentats commis à Casablanca en 2003 continuent de réclamer leur libération ou un réexamen de leur procès. Beaucoup se sont plaints d’avoir été contraints de faire des « aveux » sous la torture, mais leurs allégations n’ont fait l’objet d’aucune enquête. En signe de protestation, des centaines d’entre eux ont lancé des grèves de la faim tout au long de l’année 2009 dans diverses prisons du Maroc afin d’attirer l’attention sur leur sort.

Amnesty International est préoccupée par les informations indiquant que nombre des personnes arrêtées en février 2008, en lien avec le réseau terroriste présumé dirigé par le ressortissant belgo-marocain Abdelkader Belliraj ont été détenues au secret et soumises à des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Selon certaines sources, plusieurs de ces détenus ont été arrêtés par des fonctionnaires de la DST et incarcérés dans le centre de détention de Témara. Par ailleurs, Amnesty International a appris qu’un certain nombre de personnes soupçonnées d’activités liées au terrorisme avaient été arrêtées par la DST en septembre et novembre 2009 et détenues au secret à Témara. Dans au moins cinq cas, leur famille n’a pas été informée de leur arrestation et de leur lieu de détention.

Enfin, Ahmed Mahmoud Haddi, un militant politique sahraoui accusé d’activités criminelles, aurait également été détenu et torturé à Témara, sans avoir aucun contact avec le monde extérieur, entre le 28 octobre et le 15 novembre 2009. Amnesty International, qui ces dernières années avait constaté une baisse du nombre des violations commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, estime que ces allégations représentent une régression particulièrement inquiétante. Elle exhorte les autorités marocaines à veiller à ce que les agents de la DST respectent la loi et cessent de procéder à des arrestations et de détenir des personnes au centre de Témara ou ailleurs, ainsi qu’à mener des enquêtes sur toutes les allégations de torture et d’autres formes de mauvais traitements.

La persistance des atteintes aux droits humains dans un climat d’impunité quasi totale pour les violations commises par le passé et actuellement, met en doute l’engagement pris par les autorités marocaines en faveur des droits fondamentaux; elle risque de réduire à néant toutes les avancées réalisées par la création, les travaux et les recommandations de l’IER et accroît le besoin urgent de mettre en oeuvre sans délai ces recommandations. (« DES PROMESSES NON TENUES: L’INSTANCE ÉQUITÉ ET RÉCONCILIATION ET LE SUIVI DE SES TRAVAUX« , 2009)

Human Rights Watch, dans son rapport de 2004 sur les rafles postérieures aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003:

Moroccan human rights activists, lawyers representing detainees, family members of detainees, and several journalists all told Human Rights Watch of detainees whom they said had been tortured in police custody following the May 16 bombings. Local and international human rights organizations have also raised these concerns.

Human Rights Watch did not have direct access to prisoners currently in prison. Their allegations were conveyed to us by their lawyers and family members who visited them after their transfer to pre-trial detention. In November 2003, the U.N. Committee against Torture expressed its concern regarding “the increase, according to some information, in the number of arrests for political reasons…., the increase in the number of detainees and prisoners in general, including political prisoners, and the increase in the number of allegations of torture and cruel, inhuman or degrading treatment or punishment, allegations implicating the National Surveillance Directorate (DST).”

Moroccan authorities must address these allegations of torture in accordance with the country’s commitments under international human rights law, particularly under the Convention against Torture.

Defense lawyers told Human Rights Watch that because detainees have the right to be examined by a medical expert only when they are first presented before the public prosecutor, the judicial police typically wait for the traces to disappear before presenting detainees to the prosecutor and the investigative judge. (« MOROCCO: Human Rights at a Crossroads« , 2004)

Irène Khan, présidente d’Amnesty, a ainsi mentionné la torture et les mauvais traitements en détention comme principal souci d’Amnesty en Maroc, après avoir reconnu des progrès par ailleurs (pas d’accord avec elle sur ce point) lors de sa première visite officielle au Maroc en 2009:

Referring to Amnesty International’s reports of human rights violations in the context of counter-terrorism since 2003 and the climate of impunity, she called for independent investigations into allegations of torture and other ill-treatment, in particular in the case of Binyam Mohamed. He was reported to have been held in secret detention and tortured in Morocco for 18 months prior to being transferred to Guantanamo Bay in September 2004. (« MOROCCO/WESTERN SAHARA: IRENE KHAN ACKNOWLEDGES POSITIVE STEPS AND CALLS FOR MORE PROGRESS« )

L’OMDH:

Pratique de la torture. La réforme introduite dans le code pénal par l’incrimination de la torture n’a pas mis fin à la torture dans les lieux de détention préventive ou pendant les interrogatoires de la police judiciaire. L’OMDH a relevé plusieurs cas de torture au cours des deux dernières années, ayant entraîné parfois des décès. Elle enregistre également que certaines poursuites ont abouti à des condamnations des responsables, comme c’est le cas de l’officier de Laayoune, condamné à 10 ans de prison. Mais d’autres instructions ouvertes, suite à sa mission d’enquête, n’ont pas connu de suite tel le cas de Abdelghafour Haddad à Salé, de Zoubairi à Marrakech.

L’OMDH et la FIDH recommandent :

°L’arrêt immédiat des pratiques de torture et de mauvais traitement.

°La conduite d’enquêtes impartiales sans délai sur toutes les allégations de torture, telle que recommandée par le Comité contre la torture en 2003 et le Comité des droits de l’Homme en 2004.

°que le Maroc reconnaisse la compétence du Comité de l’ONU contre la torture pour l’examen de plaintes étatiques et individuelles (articles 21 et 22 de la convention des Nations-Unies contre la torture).

°La ratification du protocole facultatif de la convention des Nations-Unies contre la torture, telle que recommandée par le Comité contre la torture en 2003.

°La levée des réserves sur l’article 20 de ladite convention, telle que recommandée par le Comité contre la torture en 2003 .

°L’instauration d’un mécanisme de contrôle national indépendant des lieux de détention susceptible de mener des inspections inopinées a des lieux de détention et d’ordonner, le cas échéant, une autopsie médicale pour vérifier si des actes de torture ont été pratiqués, tel que recommandé par le Comité des droits de l’Homme en 2004. (OMDH/FIDH, Commentaires émis en 2007 à l’occasion de l’examen périodique universel du Maroc devant le Comité des droits de l’homme en 2008)

On notera au passage, pour tempérer les affirmations de progrès et de bonne foi parfois faites au sujet des autorités marocaines, qu’elles n’ont pas hésité à mentir comme des arracheurs de dents:

Le ministre de la Justice a assuré Amnesty International que des enquêtes avaient été récemment ouvertes sur plusieurs cas de torture présumés qu’elle avait signalés. Il a déclaré que nul n’était détenu illégalement au siège de la Direction de la surveillance du territoire (DST) de Témara, où plusieurs personnes ont affirmé avoir été placées en détention secrète, en 2002 et 2003. Mohamed Bouzoubâa a également fait part aux délégués de l’organisation des dernières initiatives en date prises par le gouvernement pour lutter contre la torture, et en particulier d’un nouveau projet de loi reflétant les normes internationales. (Amnesty International, « Un débat plus ouvert en matière de droits humains« , 2005)

Cette déclaration de feu Mohamed Bouzoubâa sur l’absence de détention illégale sur le site de la DST à Témara faisait suite au rapport d’Amnesty International de 2004 sur ce même site de détention illégale et de torture, « Lutte contre le terrorisme et recours à la torture : le cas du centre de détention de Témara »:

Le présent rapport examine en détail les allégations faisant état du recours à la torture et à la détention secrète dans le centre de Témara, qui constituent probablement le cas le plus préoccupant de violations systématiques des droits humains commises dans le cadre des mesures « antiterroristes » prises au Maroc et Sahara occidental. Il se limite à l’une des questions abordées dans les Observations d’Amnesty International au Comité contre la torture qui traitent également d’autres sujets de préoccupation, notamment la Loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme du 28 mai 2003, le recours à la torture et aux mauvais traitements à l’encontre de militants marocains et sahraouis, les cas récents de mort en détention et l’absence d’enquêtes sur les violations graves et systématiques des droits humains perpétrées au cours des décennies précédentes.

Les cas de cinq personnes arrêtées en 2002 et en 2003 et qui auraient été torturées ou maltraitées pendant leur détention dans le centre de Témara sont exposés en annexe 1 à titre d’exemple. Ces cas figuraient dans la communication adressée par Amnesty International le 18 février 2004 aux autorités marocaines, mais celles-ci n’ont fait aucun commentaire à ce propos dans leur réponse en date du 2 avril 2004. L’organisation a effectué des recherches et recueilli des informations détaillées sur une douzaine d’autres cas de personnes arrêtées et placées en détention à Témara en 2002 et 2003, et au sujet desquels des allégations similaires de torture et de mauvais traitements ont été formulées. Elle a appris que plusieurs dizaines d’autres personnes détenues dans ce centre durant la même période avaient été soumises à des traitements similaires.

Le présent rapport répond aux arguments du gouvernement marocain, largement repris par les médias locaux et étrangers, selon lesquels les allégations de torture et de détention secrète dans le cadre des mesures « antiterroristes » sont infondées. L’organisation montre, en particulier, comment une série de violations de la législation marocaine et des normes internationales relatives aux droits humains a permis d’empêcher tout examen approfondi par les autorités judiciaires des agissements des forces de sécurité et toute enquête. Le rapport répond également aux observations formulées par les autorités marocaines dans leur lettre du 2 avril 2004. En conclusion, l’organisation prie les autorités de manifester une détermination égale à celle dont elles ont fait preuve pour régler d’autres problèmes endémiques liés aux droits humains en prenant une série de mesures en vue de lutter contre la torture et les mauvais traitements.

La torture est donc un instrument de pouvoir dont le régime marocain ne tient pas à se passer, mais dont il tient seulement à limiter les effets nocifs sur sa réputation, nationale et internationale. En l’absence de contre-pouvoirs politiques et institutionnels sérieux en interne, ce sont principalement les retombées médiatiques et diplomatiques externes qui pèsent sur les choix sécuritaires du makhzen – on peut estimer sans s’aventurer que c’est à ces considérations que les six dirigeants politiques impliqués – de manière contestable – dans le prétendu réseau Belliraj doivent de ne pas avoir été torturés, contrairement à leurs co-accusés issus de milieux populaires ordinaires. Et d’où sans doute l’indifférence prévisible qui accueillera la mort de Fodail Aberkane, dans les seuls cercles ayant de l’importance pour les décideurs marocains, à savoir les médias et chancelleries étrangères, qui ne s’intéressent au Maroc qu’à travers l’optique orientalisme-islamisme-terrorisme – et dans cette optique, Fodail Aberkane ne remplit pas de fonction utile.

(1) Amnesty International en fait une bonne définition:

LES « ANNÉES DE PLOMB »

Si toute la période comprise entre l’indépendance du Maroc en 1956 et la fin du règne de Hassan II en 1999 a été marquée par la répression des opposants politiques, c’est au cours des « années de plomb », entre les années 60 et le début des années 90, que le nombre de violations des droits humains qui ont eu lieu a été le plus élevé. Le recours systématique à la torture et aux autres formes de mauvais traitements, les disparitions forcées et la détention arbitraire de milliers de personnes ont caractérisé cette sombre époque.

Des centaines de personnes ont disparu entre les mains des services de sécurité marocains entre le milieu des années 60 et le début des années 90, notamment lorsque les autorités marocaines se sentaient menacées par l’opposition à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Parmi les victimes figuraient des personnes favorables à un coup d’État, des militants de partis d’opposition, des syndicalistes et même des agriculteurs qui avaient été à la tête de manifestations. Les Sahraouis, personnes originaires du Sahara occidental, ont été particulièrement touchés. (« ASSEZ DE DEMI-MESURES: FAIRE FACE AUX DISPARITIONS FORCÉES AU MAROC ET AU SAHARA OCCIDENTAL », 2009)

http://fr.alkarama.org/index.php?option=com_content&view=category&id=53&Itemid=100

Création d’un collectif marocain contre la torture

Plusieurs ONG marocaines se sont liguées pour former un collectif national contre la torture au Maroc:

Maroc:un « Comité contre la torture » créé
AFP 26/06/2009 | Mise à jour : 17:45
Onze ONG de défense des droits de l’Homme au Maroc ont annoncé hier la création d’un Comité marocain contre la torture à l’occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture.Les onze organisations ont, au cours d’une conférence de presse, également lancé un appel au roi du Maroc Mohammed VI pour que soit fermé le centre de détention de Témara, à une vingtaine de km au sud de Rabat, soupçonné d’être un lieu de torture et d’exactions.

Les ONG ont aussi demandé à l’Etat marocain de bannir l’enlèvement et séquestration de personnes.Elles ont en outre demandé au gouvernement marocain de ratifier le protocole facultatif annexe à la convention de lutte contre la torture et le statut de la Cour pénale internationale (CPI).

L’AMDH (Association marocaine des droits de l’Homme), le FMVJ (Forum marocain Vérité et Justice), l’Association justice, le CMDH (Centre marocain des droits de l’Homme), Amnesty Maroc, l’Association de réhabilitation des victimes de la torture figurent parmi les ONG signataires de cette charte. Dans son rapport pour l’année 2008, l’AMDH a signalé de nombreux cas de torture et de pratiques humiliantes à l’encontre des prisonniers au Maroc.

On compte également l’Observatoire marocain des prisons, l’Association Adala (Justice), l’Ordre des avocats du Maroc et la Ligue marocaine de défense des droits de l’homme (somnolente et d’obédience istiqlalienne) parmi les fondateurs de ce comité.

Al Bayane précise que ce Comité marocain contre la torture préparera un plan d’action national de lutte contre ce phénomène que le Maroc connaît trop bien.

Tel Quel interviewe Mohammed Sebbar, avocat et président du Forum Vérité et Justice et un des fondateurs du Comité, qui précise que le Comité accompagnera les victimes sur le plan judiciaire (bravo!) et publiera un rapport annuel sur la torture au Maroc:

Mohamed Sebbar. “La torture, encore”
Tel Quel n°380, 6 juillet 2009
A l’occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture, le 25 juin, onze ONG ont annoncé la création d’un Comité marocain contre la torture. Explications de Mohamed Sebbar, président du Forum vérité et justice (FVJ).

Le FVJ fait partie des ONG de droits de l’homme à l’origine de la création du Comité marocain contre la torture. De quoi s’agit-il au juste ?
C’est une entité qui coordonnera l’action de différentes associations (Amnesty Maroc, AMDH, Adala, CMDH, etc.). Car, aujourd’hui, aucune association ne planche spécifiquement sur la question de la torture. A cet effet, un Observatoire de la torture au Maroc devrait voir le jour au mois de décembre 2009.

A quoi servira cet observatoire ?
Il devra produire des rapports annuels sur la torture au Maroc, parce qu’aujourd’hui il est difficile de déterminer l’ampleur du phénomène. L’Observatoire devra aussi accompagner les victimes sur le volet psychologique et juridique.

Quel bilan faites-vous des 10 ans de règne de Mohammed VI au niveau des droits de l’homme ?
Le Maroc de Mohammed VI fait parfois un pas en avant, souvent deux pas en arrière. Moralité, il y a quelques avancées, c’est indéniable, mais pas véritablement de rupture. Dans l’appel que nous avons lancé au roi, nous réclamons aussi que la lumière soit faite sur les exactions du passé. Aujourd’hui, il existe une loi censée punir les tortionnaires, mais pour l’instant, le texte n’est pas appliqué. Il est temps que cela change.
Propos recueillis par Youssef Ziraoui

Fait surprenant: l’OMDH n’est pas donnée comme faisant partie de ce collectif – mais ce serait, selon Al Bayane, dans l’attente d’une décision en ce sens de son conseil national. J’espère que c’est simplement une question de forme, car je ne peux imaginer que quiconque puisse avoir des réticences à éradiquer la torture…

A lire:
– « Le retour de la torture« , Le Journal hebdomadaire (2009)
– un mémorandum de The Association for the Prevention of Torture, « La criminalisation de la torture au Maroc: Commentaires et recommandations » (2008)
– « Torture. A-t-on vraiment tourné la page ?« , Tel Quel n° 280 (2007)
– « Torture : «le Maroc a fait des progrès mais…»« , entretien avec Mohamed Sektaoui, SG d’Amnesty International section marocaine (2006)
– « L’impunité au Maroc: entretien avec Fouad Abdelmoumni« , Confluences-Méditerranée (2004);
– « Observations et recommandations relatives au rapport gouvernemental du Maroc en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants« , rapport conjoint de l’OMDH et de la FIDH présenté devant le Comité contre la torture de l’ONU (2003);
– « LA VIOLENCE ÉTATIQUE AU MAROC: UN RAPPORT ALTERNATIF AU TROISIÈME RAPPORT GOUVERNEMENTAL PRÉSENTÉ AU COMITÉ CONTRE LA TORTURE« , rapport de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), l’Observatoire marocain des prisons (OMP) et de l’Association Bayti (2003)

« North Africa has provided neither sufficient threat nor reward to draw sustained attention »

Lu sous la plume de Jon Alterman dans World Politics Review:

The Arab-Israeli conflict seems to be settling into a standoff between a strong Israel, a weak but unbowed Palestinian community, and Arab governments who feel loyalty to the Palestinian cause but only hostility toward Hamas. The bilateral relationship with Egypt is important but not central, Lebanon no longer fires the imagination of avid democratizers, and North Africa has provided neither sufficient threat nor reward to draw sustained attention. The problems are known, and yet they seem unlikely to go away.

C’est vrai depuis la double présidence de Reagan, ou peut-être celle de Bush 41, lors desquelles la Libye était à l’ordre du jour. Depuis, l’importance du Maghreb est marginale. Bien évidemment, le zèle du vassal marocain fait plaisir à voir vu de Foggy Bottom ou d’AIPAC, et permet de rajouter un pays arabo-musulman à la liste des supplétifs indigènes de Washington, mais cette liste est désormais longue, et la valeur de l’abnégation zélée quoique maladroite du Maroc n’est sans doute plus ce qu’elle était en 1979 par exemple.

L’Algérie? Il y a belle lurette (1997? 1998?) que la guerre civile, désormais de basse intensité, n’intéresse plus personne, et de toute façon les Etatsuniens n’ont jamais été inquiétés. Le gaz? Certes, mais la Norvège et les Pays-Bas en ont aussi, et les Etats-Unis n’en importent pas.

La Tunisie ne compte guère, la Mauritanie guère plus en attendant la confirmation des découvertes pétrolières, et la Libye est un sketch des Monty Python qui n’en finit plus.

Bien évidemment, les Etats-Unis ont des intérêts commerciaux dans tous ces pays, et un accord de libre-échange avec le Maroc. Ce n’est pas ça qui réveillera Barack Obama au milieu de la nuit.

Il est improbable que le conflit du Sahara bouge de manière déterminante: le statu quo n’est pas vraiment en défaveur du Maroc, et le coût diplomatique d’une reprise des combats serait sans aucun doute disproportionnée pour l’Algérie, qui devrait connaître le contrecoup – momentané sans doute – de la chute du prix des hydrocarbures. Le plan d’autonomie devrait continuer à ronronner gentiment, et un référendum marocain sera probablement organisé lors du premier mandat d’Obama afin d’avaliser l’autonomie régionale sahraouie.

Sur le plan sécuritaire, pas de bouleversement, alors que je m’attendais à un embarras marocain: en effet, on aurait pu croire que l’arrivée d’Obama à la Maison Blanche impliquerait la fin des restitutions illégales, notamment au Maroc, qui s’est ainsi rendu utile en torturant ceux que les Etats-Unis lui remettaient à cette fin (voir les rapports du Parlement européen et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – le fameux rapport du parlementaire suisse Dick Marty). J’ai été trop optimiste: si Guantanamo sera fermé et ses prisonniers transférés – pas forcément libérés – ailleurs, et les « military commissions » suspendues, les restitutions illégales continueront, et l’administration Obama adopte la même politique que l’administration Bush en matière de secret de ces restitutions illégales. J’en connais à Rabat qui doivent en roter d’aise.

Toutes choses étant égales par ailleurs: chacun des régimes maghrébins étant autocratique, tout changement de personnel à la tête de l’Etat implique plus d’instabilité que dans un régime démocratique. Les forces de la nature pourraient agir les années à venir: Ben Ali est né en 1936, Bouteflika en 1937 et Kadhafi en 1942, et les deux premiers sont entourés de rumeurs de maladies graves – le roi Mohammed VI est par contre né en 1963. Si bouleversement il y aura au Maghreb dans les années à venir, ce ne sera pas dû à Obama.

Poudrière marocaine et violences policières d’Ifni

Il est heureux de voir que le cas des étudiants de Marrakech, sauvagement violentés – l’un d’entre eux, Abdelkebir El Bahi, est paralysé à vie suite aux violences policières – par les forces dites de l’ordre, retenir l’attention de la presse étrangère – en l’occurence le Monde Diplomatique – même si le beidaoui Ignacio Ramonet n’est pas si étranger que ça au Maroc, et même si ce n’est pas dans la version papier de ce mensuel mais sur son site. L’article mérite en tout cas d’être repris dans son intégralité:

mardi 9 septembre 2008
Poudrière marocaine
Elle s’appelle Zahra Boudkour, elle est étudiante à l’université de Marrakech, elle a vingt ans. Pour avoir participé à une marche pacifique de protestation, elle a été brutalement frappée par la police, conduite avec des centaines de ses camarades au sinistre commissariat de la Place Jemaa-El-Fna, et sauvagement torturée. Durant plusieurs jours, les policiers l’ont contrainte à demeurer nue, alors qu’elle avait ses règles, devant les autres détenus. Pour dénoncer cet ignoble traitement, Zahra a commencé, en juin dernier, une grève de la faim. Elle est actuellement dans le coma. Sa vie ne tient qu’à un fil (1).

Quelqu’un, en Europe, a-t-il entendu parler de cette jeune étudiante ? Nos médias ont-ils au moins cité la dramatique situation de Zahra ? Pas un mot. Rien non plus sur un autre étudiant, Abdelkebir El Bahi, jeté par la police du haut d’un troisième étage et cloué désormais, pour le restant de ses jours, à un fauteuil roulant à cause d’une fracture de la colonne vertébrale… Zéro information également à propos de dix-huit autres étudiants de Marrakech, camarades de Zahra, qui, pour dénoncer leurs conditions de détention dans la funeste prison de Boulmharez, sont aussi en grève de la faim depuis plus de deux mois. Certains ont dû être hospitalisés, d’autres ne tiennent plus debout, quelques-uns sont en train de perdre la vue, plusieurs vomissent du sang…

De telles atteintes aux droits de la personne humaine ont lieu dans l’indifférence et le silence général. Seuls les parents ont exprimé leur horreur et leur solidarité — ce qui a été considéré par les autorités comme un inacceptable geste de rébellion. Résultat : eux aussi ont été odieusement bastonnés.

Tout cela ne se produit pas dans un Etat lointain ou mal connu, comme peuvent l’être le Tibet, la Colombie ou l’Ossétie du Sud. Mais à seulement quatorze kilomètres de l’Europe. Dans un pays, le Maroc, que des millions d’Européens visitent chaque année, où nombre d’intellectuels européens de renom résident, et dont le régime bénéficie, dans nos médias et de la part de nos dirigeants politiques, d’étranges prévenances et indulgences.

Depuis un an, le Maroc connaît une flambée de protestations et de violences : révoltes urbaines contre la vie chère et jacqueries paysannes contre toutes sortes d’abus se multiplient. L’émeute la plus meurtrière s’est produite le 7 juin dernier à Sidi Ifni, lorsqu’une paisible manifestation contre le chômage — endémique dans cette ville — a été réprimée avec une excessive férocité. Ce qui a entraîné une véritable insurrection urbaine avec des barricades de rues, des incendies de bâtiments publics et un début de lynchage de certains responsables locaux. En riposte, les forces de l’ordre ont déclenché une hallucinante répression, faisant des dizaines de blessés et de nombreux prisonniers (parmi ceux-ci : Brahim Bara, responsable du comité local d’Attac). En outre, Malika Khabbar, de l’Organisation marocaine des droits de l’homme, a dénoncé « les viols de femmes (2) » ; et, selon la chaîne arabe d’information Al-Jazeera, il y aurait eu « de un à cinq morts ».

Les autorités démentent. Elles ont imposé une « version officielle » sur les « événements d’Ifni », et sanctionnent tout média qui diffuse une information différente. Une Commission parlementaire a certes été constituée, mais ses conclusions ne serviront, comme d’habitude, qu’à enterrer le problème.

Les espérances nées il y a neuf ans, lors de la montée sur le trône du jeune roi Mohammed VI, se sont peu à peu évanouies. Quelques petits changements indispensables ont été apportés pour que tout demeure en l’état : la vieille recette du « tout changer pour que rien ne change ». Quelques couches superficielles de peinture ont modifié l’aspect de l’édifice, mais ses sinistres souterrains et ses passages secrets demeurent identiques.

Les timides avancées en matière de libertés n’ont pas transformé la structure du pouvoir politique : le Maroc reste le royaume de l’arbitraire, une monarchie absolue dans laquelle le souverain est le véritable chef de l’exécutif. Et où le résultat des élections (toujours truquées) est déterminé, en dernière instance, par le souverain, qui, de surcroît, désigne selon son bon vouloir les ministres principaux, dits « ministres de souveraineté ».

La structure de la propriété, pour l’essentiel, n’a pas non plus été modifiée. Le Maroc demeure un pays féodal où quelques dizaines de familles, presque toutes proches du trône, contrôlent — grâce à l’héritage, au népotisme, à la corruption et à la répression — les principales richesses.

Actuellement, l’économie se porte plutôt bien, avec une croissance du PIB prévue pour 2008 de 6,8 % (3), en raison surtout des millions d’émigrés et de leurs envois de devises qui constituent la ressource principale du pays, avec le tourisme et l’exportation des phosphates. Mais les pauvres sont de plus en plus pauvres. Les inégalités n’ont jamais été aussi énormes, le climat de frustration aussi palpable. Et l’explosion de nouvelles révoltes sociales aussi imminente.

Car il existe, aussi, une formidable vitalité au sein de la société civile. Des associations actives et audacieuses qui n’ont pas peur de défendre les droits et les libertés. Nombre de ces associations sont laïques. D’autres sont islamistes. Ces dernières relèvent d’un islamisme très vivace qui se nourrit de la très grande frustration sociale et qui, de fait, constitue la première force politique du pays.

Le mouvement Al-Adl Wal-Ihsane (Justice et Bienfaisance, non reconnu mais toléré), que dirige le cheikh Abdessalam Yassine, ne participe pas aux élections. Avec le Parti de la justice et du développement (PJD), qui a obtenu le plus de suffrages lors des dernières élections législatives de septembre 2007, ces deux formations dominent très largement la carte politique. Mas le pouvoir, soutenu par ses protecteurs européen et américain, ne leur permet pas de gouverner.

Un tel déni de démocratie pousse des groupes minoritaires à choisir la voie de la violence et du terrorisme. Que les autorités combattent par tous les moyens, y compris la torture, couramment pratiquée. Et toujours avec le soutien intéressé de l’Union européenne et des Etats-Unis (4). Cette alliance objective conduit nos dirigeants et nos médias à fermer les yeux devant les violations des droits humains que l’on continue à y pratiquer.

Comme si les chancelleries occidentales disaient aux autorités de Rabat : en échange de votre lutte contre l’islamisme, nous vous pardonnerons tout, y compris votre lutte contre la démocratie.

Ignacio Ramonet
(1) Le Journal hebdomadaire, Casablanca, 26 juillet 2008.

(2) Ibid, 12 juillet 2008.

(3) Le Monde, 10 août 2008.

(4) Washington construit en ce moment une immense base militaire dans la région de Tan-Tan, au nord du Sahara Occidental, pour y installer le siège de l’Africom, le Commandement Afrique de ses forces armées, avec pour mission la surveillance et le contrôle militaire du continent, et en particulier du Sahel. Le récent coup d’Etat en Mauritanie serait lié à ce projet.

On pourrait compléter par les vidéos des violences policières à Ifni publiées sur le site de Bakchich

Droit d’asile: La Cour d’appel fédérale canadienne ne veut pas se fâcher avec le voisin étatsunien

J’avais évoqué ici le jugement de la Cour fédérale du Canada ne considérant pas les Etats-Unis comme un pays sûr en matière d’asile, vers lequel des demandeurs d’asile pourraient être refoulés. J’avais aussi indiqué que le gouvernement canadien avait fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel fédérale du Canada.

Pour simplifier beaucoup, la Cour d’appel fédérale estime, dans son arrêt, que le juge fédéral de première instance a apprécié la légalité d’une disposition de droit interne canadien mettant en oeuvre une convention bilatérale de copération avec les Etats-Unis en matière d’examen des demandes d’asile en utilisant un standard d’appréciation – « reasonableness » – trop sévère, trop intrusif. La Cour fédérale estime que le standard d’appréciation applicable était « correctness » (cf. pp. 27-28 de l’arrêt). Ce qui est déterminant cependant c’est la révérence accordée par la Cour d’appel à l’appréciation par le gouvernement canadien comme quoi les Etats-Unis sont un pays sûr au regard de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Pour la Cour d’appel, seule la mauvaise foi avérée du gouvernement canadien, ou le fait qu’il serait motivé par un objectif impropre, pourraient permettre au juge d’écarter l’appréciation gouvernementale canadienne selon laquelle un pays tiers, en l’occurence les Etats-Unis, sont un pays sûr aux yeux de la Convention de 1951 (point 78 de l’arrêt).

Ce n’est donc pas tant quant au fond – les Etats-Unis respectent-ils, oui ou non, leurs obligations internationales au regard de la Convention de 1951 précitée ou de la Convention de 1984 contre la torture – que la Cour fédérale d’appel canadienne se prononce, mais sur la forme – la Cour fédérale avait-elle le pouvoir de faire l’appréciation de légalité qu’elle a entrepris?

C’est donc sur une approche formelle et procédurale que le gouvernement canadien, et son allié étatsunien, se voient sauvés de l’opprobre judiciaire. Et dire que mon prof de droit et procédure pénale disait et répétait, citant von Jhering, que la forme (la procédure) était la soeur jumelle de la liberté…

Sidi Ifni et les normes marocaines et internationales en matière de maintien de l’ordre

Suite à la brutale répression des manifestations et émeutes de Sidi Ifni, voici quelques textes de référence intéressants en la matière – notons au passage que le Maroc n’a pas de cadre juridique global et contraignant réglementant l’usage de la force par la sûreté nationale (1), les forces auxiliaires ou la gendarmerie royale (2) – et encore moins l’armée, qui est intervenue en 1965, 1981 et 1990 – carence inacceptable notamment s’agissant de l’emploi des armes à feu par les forces de l’ordre.

Le Maroc dispose cependant de dispositions légales sur la répression des attroupements illégaux, qu’ils soient armés ou non. On retrouve ces dispositions dans le dahir n° 1-58-377 du 15 novembre 1958 (3 joumada I 1378 ) relatif aux rassemblements publics (B.O. 27 novembre 1958 ) (2).

S’agissant des manifestations et émeutes de Sidi Ifni, il s’agirait d’attroupement, c’est-à-dire un rassemblement de personnes ne constitutant ni une réunion publique, ni une manifestation sur la voie publique autorisées. Cet attroupement était-il armé ou non? Sachant que de nombreux attroupements ont eu lieu sur une période de plus d’une semaine, on ne peut répondre de manière globale. Certains attroupements étaient sans doute non-armés au sens des articles 21 et 22 du dahir de 1958. Pour d’autres, notamment ceux ou les grosses pierres visibles sur les photos prises à Sidi Ifni, on peut se demander si la définition d’attroupement armé à l’article 18 n’est pas constitué:

Article 18 :
L’attroupement est réputé armé dans les cas suivants :

a) quand plusieurs des individus qui le composent sont porteurs d’armes apparentes ou cachées, d’engins ou d’objets dangereux pour la sécurité publique ;

b) quand un seul de ces individus, porteurs d’armes ou d’engins dangereux apparents, n’est pas immédiatement expulsé de l’attroupement par ceux-là mêmes qui en font partie.

Le dahir de 1958 ne donne pas de définition exacte d' »objet dangereux« . Le Code pénal en donne par contre:

Article 303 :
Sont considérées comme armes pour l’application du présent code, toutes armes à feu, tous explosifs, tous engins, instruments ou objets perçants, contondants, tranchants ou suffoquants.

Article 303 bis:
Sans préjudice des peines prévues en cas d’infraction à la législation relative aux armes, munitions et engins explosifs, est puni d’un emprisonnement de un mois à un an et d’une amende de 1.200 à 5.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque a été arrêté, dans des circonstances constituant une menace à l’ordre public, à la sécurité des personnes ou des biens, alors qu’il était porteur d’un engin, instrument ou objet perçant, contondant, tranchant ou suffoquant, si le port n’est pas justifié par l’activité professionnelle du porteur ou par un motif légitime.

Problème: ces définitions ne sont données que « pour l’application du présent code« , c’est-à-dire du Code pénal. Néanmoins, en l’absence de toute définition précise dans le dahir de 1958, elles peuvent servir de source d’inspiration, et une grosse pierre est un objet contondant. Il y aurait donc attroupement armé pour les attroupements où les manifestants auraient été munis de gros projectiles pouvant être considérés comme des objets contondants.

Voici en tout cas ce que dit le dahir de 1958 sur les attroupements armés:

Article 17 :
Tout attroupement armé formé sur la voie publique est interdit. Est également interdit sur la voie publique tout attroupement non armé qui pourrait troubler la sécurité publique.

Article 18 :
L’attroupement est réputé armé dans les cas suivants :
a) quand plusieurs des individus qui le composent sont porteurs d’armes apparentes ou cachées, d’engins ou d’objets dangereux pour la sécurité publique ;
b) quand un seul de ces individus, porteurs d’armes ou d’engins dangereux apparents, n’est pas immédiatement expulsé de l’attroupement par ceux-là mêmes qui en font partie.

Article 19 :
Lorsqu’un attroupement armé se sera formé en violation des dispositions de l’article 17 ci-dessus sur la voie publique, le commissaire de police ou tout autre agent dépositaire de la force publique et du pouvoir exécutif portant les insignes de ses fonctions se rendra sur le lieu de l’attroupement. Un porte-voix prononcera l’arrivée de l’agent de la force publique. L’agent dépositaire de la force publique intime l’ordre à l’attroupement de se dissoudre et de se retirer et donne lecture des sanctions prévues à l’article 20 de la présente loi.

Si la première sommation reste sans effet, une deuxième et une troisième sommation doivent être adressées dans la même forme par ledit agent qui la termine par l’expression suivante :  » L’attroupement sera dispersé par la force « . En cas de résistance, l’attroupement sera dispersé par la force.

Article 20 :
Quiconque aura fait partie d’un rassemblement armé sera puni comme il suit :
1° si l’attroupement s’est dissipé après sommation et sans avoir fait usage de ses armes, la peine sera de six mois à un an d’emprisonnement ;
2° si l’attroupement est formé pendant la nuit, la peine sera de d’un à deux ans d’emprisonnement ;
3° si l’attroupement ne s’est dissipé que devant la force ou après avoir fait usage de ses armes, la peine sera de cinq années d’emprisonnement au plus.

Dans les cas prévus aux paragraphes 2° et 3° du premier alinéa du présent article, l’interdiction de séjour pourra être prononcée contre les coupables.

On notera qu’en l’absence même de toute violence et malgré une dispersion à la première sommation des forces de l’ordre, une peine d’emprisonnement d’un an est encourue pour simple participation à un attroupement, indépendamment d’actions violentes et donc délictuelles ou criminelles ayant pu être commises à titre individuel – cf l’article 23 du dahir:

Article 23 :
Les poursuites intentées pour faits d’attroupements ne feront pas obstacle aux poursuites pour crimes ou délits qui auraient été commis au milieu des attroupements.

La peine maximale pour participation à un attroupement armé est donc de 5 ans si l’attroupement a fait usage de ses armes, sans préjudice bien évidemment de peines plus sévères pour les actes individuels que chaque participant à l’attroupement armé aura pu commettre: coups et blessures volontaires, dégradation de propriété publique, etc…

S’agissant d’attroupement non-armé, le dahir de 1958 dit ceci:

Article 21 :
Tout attroupement non armé sera dispersé dans les mêmes formes prévues à l’article 19 après lecture des sanctions prévues à l’alinéa suivant.

Quiconque faisant partie d’un attroupement non armé ne l’aura pas abandonné après première, deuxième et troisième sommations sera puni d’un emprisonnement de un à trois mois et d’une amende de 1.200 à 5.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement.

Si l’attroupement n’a pu être dissous que par la force, la peine sera de un à six mois d’emprisonnement.

Contrairement à ce qui est le cas pour les attroupements armés, la simple participation à un attroupement non-armé n’est punie que si l’attroupement ne s’est pas dispersé après trois sommations des forces de l’ordre.

Certaines dispositions du Code pénal sont également pertinentes en matière de répression d’émeutiers ayant commis des actes de violence contre les forces de l’ordre:

Article 267 :
Est puni de l’emprisonnement de trois mois à deux ans, quiconque commet des violences ou voies de fait envers un magistrat, un fonctionnaire public, un commandant ou agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice.

Lorsque les violences entraînent effusion de sang, blessure ou maladie, ou ont lieu soit avec préméditation ou guet-apens, soit envers un magistrat ou un assesseur-juré à l’audience d’une cour ou d’un tribunal, l’emprisonnement est de deux à cinq ans.

Lorsque les violences entraînent mutilation, amputation, privation de l’usage d’un membre, cécité, perte d’œil ou autre infirmité permanente, la peine encourue est la réclusion de dix à vingt ans.

Lorsque les violences entraînent la mort, sans intention de la donner, la peine encourue est la réclusion de vingt à trente ans.

Lorsque les violences entraînent la mort, avec l’intention de la donner, la peine encourue est la mort.

Le coupable, condamné à une peine d’emprisonnement peut, en outre, être frappé de l’interdiction de séjour pour une durée de deux à cinq ans.

L’incrimination de rebéllion pourrait également être retenue:

Article 300 :
Toute attaque ou toute résistance pratiquée avec violence ou voies de fait envers les fonctionnaires ou les représentants de l’autorité publique agissant pour l’exécution des ordres ou ordonnances émanant de cette autorité, ou des lois, règlements, décisions judiciaires, mandats de justice, constitue la rébellion.

Les menaces de violences sont assimilées aux violences elles-mêmes.

Article 301 :
La rébellion commise par une ou par deux personnes est punie de l’emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 60 à 100 dirhams.

Si le coupable ou l’un d’eux était armé, l’emprisonnement est de trois mois à deux ans et l’amende de 100 à 500 dirhams.

Article 302 :
La rébellion commise en réunion de plus de deux personnes est punie de l’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 100 à 1 000 dirhams.

La peine est l’emprisonnement de deux à cinq ans et une amende de 100 à 1 000 dirhams si dans la réunion plus de deux individus étaient porteurs d’armes apparentes.

La peine édictée à l’alinéa précédent est individuellement applicable à toute personne trouvée munie d’arme cachée.

La simple participation à une rebéllion ou réunion séditieuse lors de laquelle des violences auraient entraîné la mort ou des blessures est également punissable, même si la personne poursuivie n’a pas personnellement commis les actes de violence en question – dans le cas de Sidi Ifni, en l’absence de mort d’homme, deux ans de prison sont encourus par les émeutiers, même en l’absence d’actes violents de leeur part.

Article 405 :
Quiconque participe à une rixe, rébellion ou réunion séditieuse au cours de laquelle sont exercées des violences ayant entraîné la mort dans les conditions prévues à l’article 403, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans à moins qu’il n’encoure une peine plus grave comme auteur de ces violences.

Les chefs, auteurs, instigateurs, provocateurs de la rixe, rébellion ou réunion séditieuse sont punis comme s’ils avaient personnellement commis lesdites violences.

Article 406 :
Quiconque participe à une rixe, rébellion ou réunion séditieuse au cours de laquelle il est porté des coups ou fait des blessures, est puni de l’emprisonnement de trois mois à deux ans, à moins qu’il n’encoure une peine plus grave comme auteur de ces violences.

Les chefs, auteurs, instigateurs, provocateurs de la rixe, rébellion ou réunion séditieuse sont punis comme s’ils avaient personnellement commis lesdites violences.

Et les violences commises par les forces de l’ordre contre manifestants ou émeutiers?

Tout d’abord, les actes arbitraires ou attentatoires à la liberté individuelle émanant d’un fonctionnaire ou agent public – donc d’un membre des forces de l’ordre – sont punis:

Article 225 du Code pénal :
Tout magistrat, tout fonctionnaire public, tout agent ou préposé de l’autorité ou de la force publique qui ordonne ou fait quelque acte arbitraire, attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d’un ou plusieurs citoyens, est puni de la dégradation civique.

S’il justifie avoir agi par ordre de ses supérieurs hiérarchiques dans un domaine de leur compétence, pour lequel il leur devait obéissance, il bénéficie d’une excuse absolutoire. En ce cas, la peine est appliquée seulement aux supérieurs qui ont donné l’ordre.

La sanction consiste en une peine spéciale, la dégradation civique:

Article 26 du Code pénal:
La dégradation civique consiste :

1° Dans la destitution et l’exclusion des condamnés de toutes fonctions publiques et de tous emplois ou offices publics ;

2° Dans la privation du droit d’être électeur ou éligible et, en général, de tous les droits civiques et politiques et du droit de porter toute décoration ;

3° Dans l’incapacité d’être assesseur-juré, expert, de servir de témoin dans tous les actes et de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements ;

4°. Dans l’incapacité d’être tuteur ou subrogé-tuteur, si ce n’est de ses propres enfants ;

5° Dans la privation du droit de porter des armes, de servir dans l’armée, d’enseigner, de diriger une école ou d’être employé dans un établissement d’enseignement à titre de professeur, maître ou surveillant.

La dégradation civique, lorsqu’elle constitue une peine principale, est, sauf disposition spéciale contraire, prononcée pour une durée de deux à dix ans.

Article 27 :
Toutes les fois que la dégradation civique est prononcée comme peine principale, elle peut être accompagnée d’un emprisonnement dont la durée doit être fixée par la décision de condamnation sans jamais pouvoir excéder cinq ans.

Lorsque la dégradation civique ne peut être infligée parce que le coupable est un Marocain ayant déjà perdu ses droits civiques, ou un étranger, la peine applicable est la réclusion de cinq à dix ans.

Autrement dit, outre la privation de certains droits civiques, le fonctionnaire coupable d’acte arbitraire ou attentatoire à la liberté individuelle encourt 5 ans de prison. Mais des peines plus lourdes sont applicables en cas de violences illégitimes:

Article 231 du Code pénal:
Tout magistrat, tout fonctionnaire public, tout agent ou préposé de l’autorité ou de la force publique qui, sans motif légitime, use ou fait user de violences envers les personnes dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, est puni pour ces violences et selon leur gravité, suivant les dispositions des articles 401 à 403 ; mais la peine applicable est aggravée comme suit :

S’il s’agit d’un délit de police ou d’un délit correctionnel, la peine applicable est portée au double de celle prévue pour l’infraction ;

S’il s’agit d’un crime puni de la réclusion de cinq à dix ans, la peine est la réclusion de dix à quinze ans ;.

S’il s’agit d’un crime puni de la réclusion de dix à vingt ans, la peine est la réclusion de vingt à trente ans.

La répression des faits de torture émanant de fonctionnaires fait l’objet d’autres dispositions, distinctes des dispositions de droit commun: la torture commise par un particulier qui n’est pas faite « pour l’exécution d’un fait qualifié crime » est punie, selon les distinctions édictées aux articles 400 à 403 du Code pénal des peines de un an pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité. La torture commise pour l’exécution d’un fait qualifié crime – par exemple un viol – peut par contre être puni de mort (article 399 du Code pénal).

Les faits de torture commis par des fonctionnaires ou autres agents de l’Etat sont soumis à des peines renforcées, en vertu d’une réforme législative de 2006 qui a modifié l’article 231 du Code pénal et introduit huit nouveaux articles (articles 231-1 à 231-8 ): à titre d’exemple, les actes de torture commis par de simples particuliers, qui constituent des coups et blessures volontaires visés à l’article 401 du Code pénal, sont punis « d’un emprisonnement d’un à trois ans (…) lorsque les blessures ou les coups ou autres violences ou voies de fait ont entraîné une incapacité supérieure à vingt jours« , alors que la torture commise par un fonctionnaire ou agent public est punie de 5 à 15 ans de réclusion (article 231-1 du Code pénal), sans préjudice des peines plus sévères édictées si certaines circonstances aggravantes sont réunies (cf. articles 231-1 à 231-8 ) (4).

Mentionnons également la violation de domicile par un fonctionnaire, réprimée à l’article 230 du Code pénal:

Article 230 : Tout magistrat, tout fonctionnaire public, tout agent ou préposé de l’autorité ou de la force publique qui, agissant comme tel, s’introduit dans le domaine d’un particulier, contre le gré de celui-ci, hors les cas prévus par la loi, est puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 50 à 500 dirhams.

Enfin, s’agissant des agressions à caractère sexuel dont l’existence même fait débat, précisons que l’outrage public à la pudeur (qui ne doit pas nécessairement avoir lieu sur la voie publique, puisqu’il suffit qu’il y ait des témoins involontaires ou mineurs) est puni d’un mois à deux ans de prison (article 483 du Code pénal), l’attentat à la pudeur avec violence de 5 à 10 ans de réclusion criminelle (article 485) et le viol aussi de 5 à 10 ans de réclusion criminelle (article 486) – ces deux derniers crimes pouvant voir la sanction aggravée en cas de circonstances aggravantes édictées par la loi (si la victime est un mineur, un incapable au sens légal du terme, un handicapé, une personne connue pour ses capacités mentales faibles ou une femme enceinte).

Inutile bien évidemment de se faire d’illusions, tant on connaît notre justice: si effectivement deux ou trois mroud pourraient être lâchés en pâture pour avoir cassé une télé, volé une tirelire ou pincé les fesses d’une habitante de Sidi Ifni lors de la répression des manifestations populaires, il est peu probable que les responsables des très nombreux actes de tortures dont les résultats innondent le web sous forme de photos de corps suppliciées, comment espérer que les autorités – les vraies, celles qui détiennent le pouvoir et qui ont décidé que la priorité, c’était de couper la tête aux porteurs de mauvaises nouvelles

Il peut quand même être intéressant d’examiner les textes internationaux applicables. On peut se rapporter notamment à la compilation de principes effectuée par Amnesty International sur base de divers textes internationaux – « Dix Règles Fondamentales relatives aux Droits Humains à l’intention des responsables de l’application des Lois« .

Cette présentation des principes applicables est fondée notamment sur plusieurs textes ayant le caractère de soft law, c’est-à-dire sans valeur juridique contraignante mais pouvant servir à l’interprétation de textes de valeur contraignante mais moins précis, comme par exemple le PIDCP ou la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984. Parmi ces textes, on trouve:
– la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir adopté en 1985 par l’Assemblée générale de l’ONU;
– le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 1979;
– les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane en 1990;
– les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane en 1990
– la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de 1993

Dans un domaine encore plus directement en rapport avec les événéments d’Ifni, du moins pour la partie concernant les manifestations non-violentes (on ne sait d’ailleurs toujours pas quand les manifestants ont commencé à manifester violemment: était-ce avant ou après les brutalités policères?), des lignes directrices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur la liberté de réunion. Cette organisation régionale a également adopté des Benchmarks for Laws related to Freedom of Assembly and List of International Standards, fondés principalement sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Voir enfin l’étude fouillée – « Parades, protests and policing » – de la Northern Ireland Human Rights Commission sur les parades et marches protestantes, causes de nombreux troubles à l’ordre public, qui contient un examen minutieux du droit international, et particulièrement européen, sur les différents aspects de la liberté de réunion.

(1) Le dahir portant création de la Sûreté nationale est d’une lecture rapide:

Dahir du 16 m ai 1956 (5 chaoual 1375) relatif à la direction générale de la Sûreté nationale (publié au B.O. du 25 mai 1956).

Article Premier : Il est créé une direction générale de la sûreté nationale, qui est rattachée au ministère de l’intérieur.

Article 2 (Modifié par le dahir n° 1-58-164 du 17 juillet 1958 – 29 hija 1377) – La direction générale de la sûreté nationale est placée sous l’autorité directe du directeur général de la sûreté nationale. Celui-ci exerce les pouvoirs de décision réglementaire et individuelle qui appartenaient auparavant au directeur des services de sécurité publique.

Il peut déléguer sa signature dans les conditions fixées par le dahir du 9 ramadan 1376 (10 avril 1957) relatif aux délégations de signature des ministres, secrétaires d’Etat et sous-secrétaires d’Etat.

Article 3 : Le service de l’administration pénitentiaire est placé sous l’autorité du ministre de la justice.

(2) Le dahir n° 1-57-280 du du 14 janvier 1958 – 22 joumada II 1377 – sur le service de la Gendarmerie royale marocaine (publié au B.O. du 28 février 1958 ) (le voici:dahir-1958-gendarmerie-royale) modifié une seule fois depuis, comporte cependant des indications sur les cas légitimes d’usage de la force par les éléments de la Gendarmerie royale, à l’article 61:

Article 61 : En l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, les officiers, gradés et gendarmes ne peuvent faire usage de leurs armes que dans les cas suivants :

Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;

Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue autrement que par la force des armes ;

Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie« , faits à haute voix, cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations, ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes et dont la fuite caractérisée est précédée ou accompagnée d’éléments généraux ou particuliers qui établissent ou font présumer leur participation quasi certaine à un crime ou délit grave ;

Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas aux sommations indiquées ci-dessus et aux signaux qui doivent les accompagner.

Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que herses, hérissons, câbles, etc., pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations.

A première vue, et excepté le cas de violences, voies de fait ou menaces d’individus armés (on notera donc que la Gendarmerie peut faire usage de ses armes en dehors du cas de la légitime défense, beaucoup plus strictement défini que les cas visés à l’article 61) , la Gendarmerie peut faire usage de ses armes en cas d’émeute pour défendre un terrain, un poste ou des personnes qui lui sont confiées – ces motifs justifiant l’usage de ses armes par la Gendarmerie sont particulièrement larges et généreux pour elle…

(3) En voici une copie mise à jour:dahir-1958-relatif-aux-rassemblements-publics .

(4) Voici les articles relatifs à la torture commise par des agents de l’Etat, introduits dans le Code pénal en 2006:

Article 231 :
Tout magistrat, tout fonctionnaire public, tout agent ou préposé de l’autorité ou de la force publique qui, sans motif légitime, use ou fait user de violences envers les personnes dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, est puni pour ces violences et selon leur gravité, suivant les dispositions des articles 401 à 403 ; mais la peine applicable est aggravée comme suit :

S’il s’agit d’un délit de police ou d’un délit correctionnel, la peine applicable est portée au double de celle prévue pour l’infraction ;

S’il s’agit d’un crime puni de la réclusion de cinq à dix ans, la peine est la réclusion de dix à quinze ans ;.

S’il s’agit d’un crime puni de la réclusion de dix à vingt ans, la peine est la réclusion de vingt à trente ans.

Article 231-1 :
Au sens de la présente section, le terme  » torture  » désigne tout fait qui cause une douleur ou une souffrance aiguë physique ou mentale, commis intentionnellement par un fonctionnaire public ou àson instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, infligé àune personne aux fins de l’intimider ou de faire pression sur elle ou de faire pression sur une tierce personne, pour obtenir des renseignements ou des indications ou des aveux, pour la punir pour un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis ou lorsqu’une telle douleur ou souffrance est infligée pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit.

Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales ou occasionnées par ces sanctions ou qui leur sont inhérentes.

Article 231-2 :
Sans préjudice de peines plus graves, est puni de la réclusion de cinq à quinze ans et d’une amende de 10.000 à 30.000 dirhams tout fonctionnaire public qui a pratiqué la torture prévue à l’article 231-1 ci-dessus.

Article 231-3 :
Sans préjudice de peines plus graves, la peine est la réclusion de dix à vingt ans et l’amende de 20.000 à 50.000 dirhams si la torture est commise :

– sur un magistrat, un agent de la force publique ou un fonctionnaire public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ;

– sur un témoin, une victime ou une partie civile soit parce qu’il a fait une déposition, porté plainte ou intenté une action en justice soit pour l’empêcher de faire une déposition, de porter plainte ou d’intenter une action en justice ;

– par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteurs ou de complices ;

– avec préméditation ou avec usage ou menace d’une arme.

Article 231-4 :
La peine est la réclusion à perpétuité :

– lorsque la torture est commise sur un mineur de moins de 18 ans ;

– lorsqu’elle est commise sur une personne dont la situation vulnérable, due à son âge, à une maladie, à un handicap, à une déficience physique ou psychique est apparente ou connue de l’auteur de la torture ;

– lorsqu’elle est commise sur une femme enceinte dont la grossesse est apparente ou connue de l’auteur de la torture ;

– lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie d’agression sexuelle.

– La même peine est applicable lorsque la torture est exercée de manière habituelle.

Article 231-5 :
Sans préjudice de peines plus graves, lorsqu’il résulte de la torture une mutilation, amputation, privation de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un oeil ou toutes autres infirmités permanentes la peine est la réclusion de dix à vingt ans.

En cas de préméditation ou d’usage d’arme, la peine est la réclusion de vingt à trente ans.

Article 231-6 :
Sans préjudice de peines plus graves, toute torture qui a entraîné la mort sans intention de la donner est punie de la réclusion de vingt à trente ans.

En cas de préméditation ou d’usage d’armes, la peine est la réclusion perpétuelle.

Article 231-7 :
Dans tous les cas prévus aux articles 231-2 à 231-6, la juridiction doit, lorsqu’elle prononce une peine délictuelle, ordonner l’interdiction de l’exercice d’un ou plusieurs des droits civiques, civils ou de famille visés à l’article 26 du présent code pour une durée de deux à dix ans.

Article 231-8 :
Dans tous les cas prévus aux articles 231-2 à 231-6 ci-dessus, la juridiction doit en prononçant la condamnation, ordonner :

– la confiscation des choses et objets utilisés pour commettre la torture ;

– la publication et l’affichage de sa décision conformément aux dispositions de l’article 48 du présent code.

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