Il y a les éditorialistes, écrivains, académiciens, universitaires, journalistes, bloggeurs, fast-thinkers et même militants des droits de l’homme (l’inénarrable Robert Ménard en France, ou le consternant Belge Edouard Delruelle, président démissionnaire du Centre (belge francophone) d’égalité des chances qui exprime son antiracisme en soutenant une interdiction totale des signes religieux – traduction en français courant: du hijab) qui énoncent, légitiment et diffusent l’islamophobie. Et comme dans tout phénomène social, il y a les manoeuvres, travailleurs manuels et autres hommes à tout faire besogneux qui mettent en oeuvre les plans, idées et stratégies de ceux mieux placés qu’eux dans l’organisation sociale, et donc exemptés de ce fait de la mise en oeuvre physique et concrète de leurs idées, tout comme l’urbaniste n’a pas à ramasser les poubelles ou déboucher les égoûts.
Et donc voilà – puisqu’il faut bien que des faibles d’esprits tirent les conséquences logiques du discours excommunicatoire contre les femmes voilées qui est devenu un des préjugés les mieux partagés dans la bonne société occidentale amatrice de raï, admiratrice de Mandela et consommatrice de thé à la menthe et cornes de gazelle – que la mise au ban de la société des musulmans voilées quitte le domaine purement rhétorique puis administratif dans lequel il était jusqu’ici cantonné. La laïcité, doctrine valable en tous temps et en tous lieux, se doit désormais d’être appliquée au quotidien par des personnes pas toujours conscientes de ses subtilités, un peu comme des Sudistes trop enthousiastes mettaient en oeuvre, de manière très concrète, la législation « Jim Crow », non sans embarasser leurs coreligionnaires plus bourgeois et mieux éduqués, aussi peu habitués aux conséquences de leurs actes que le consommateur de viande l’est des réalités des abattoirs.
Ce sont donc deux femmes voilées à Argenteuil qui ont récemment découvert que la laïcité n’était pas qu’un mot:
Argenteuil, le 6 juin. C’est rue du Nord dans le quartier des Coteaux à Argenteuil que Rabia, 17 ans, a été agressée le lundi de Pentecôte.
Sous le choc. Ce jeudi matin, Rabia, jeune fille voilée de 17 ans, habitante d’Argenteuil, a du mal à cacher son traumatisme. Le 20 mai dernier, dans la rue du Nord, dans le quartier pavillonnaire des Coteaux, elle a été agressée par deux jeunes hommes. «Il était près de 21 heures, se remémore-t-elle. J’ai croisé deux personnes d’environ 30 ans.
L’un d’eux m’a insultée. J’ai accéléré le pas car j’ai eu peur, mais les hommes ont fait demi-tour, l’un d’eux a arraché mon voile, m’a mise à terre puis m’a rouée de coups tout en me traitant de sale arabe, de sale musulmane, raconte cette étudiante en bac pro comptabilité. L’autre homme rigolait».
«Sans l’intervention d’un passant qui a arrêté les agresseurs, je ne sais pas ce qui se serait passé», souffle son père Abdelkrim, qui a déposé plainte. La jeune victime s’est vu prescrire sept jours d’arrêt par un médecin.
L’Observatoire contre l’islamophobie a annoncé jeudi qu’il allait se constituer partie civile. La ville d’Argenteuil a aussi condamné ces violences. Les agresseurs sont toujours recherchés. (Le Parisien 6/6/2013)
La laïcité s’exercant le lundi de Pentecôte – cela montre que ses militants ne sont pas si sectaires qu’on se complait à la répéter.
Saine émulation, c’est dans cette même ville que des policiers avaient procédé au contrôle d’une femme portant le niqab:
De violents affrontements ont opposé mardi soir plusieurs dizaines de policiers à des habitants d’Argenteuil (Val-d’Oise) après le contrôle d’une femme de 25 ans portant le voile intégral, a-t-on appris mercredi. Alors que les policiers procédaient au contrôle d’identité de cette femme, dans une rue semi-piétonne du centre-ville d’Argenteuil, un attroupement s’est formé et a dégénéré en affrontement, mardi vers 19 heures.
«La jeune femme avait dans un premier temps accepté le contrôle. Mais un passant s’en est mêlé, pour dire que le contrôle était à ses yeux illégitime. Il a commencé à s’en prendre aux policiers», a indiqué une source proche du dossier. Un rassemblement d’une soixantaine de personnes s’est alors formé autour de la jeune femme et des policiers, qui ont appelé des renforts.
Une scène d’émeute
«Les policiers ont été pris à partie. Ils ont été insultés et ont reçu des coups, notamment des coups de poing», a assuré la source proche du dossier, évoquant une scène d’«émeute». Selon un habitant d’Argenteuil qui a assisté à la scène, les policiers ont utilisé des bombes lacrymogènes et des tirs de flash-ball pour disperser la foule.
Deux hommes — le passant et un cousin de la jeune femme — ont été interpellés. Agés de 23 et 37 ans, ils ont été placés en garde à vue pour «provocation à l’attroupement», «violences sur personne dépositaire de l’ordre public», «outrage» et «rébellion».
Une quarantaine de policiers ont été mobilisés pour ramener le calme après les échauffourées. La situation n’est revenue à la normale que vers 20h30. (Le Parisien 12/6/2013)
La situation a dégénéré mardi soir à Argenteuil. Il est environ 20 h 30, devant la Basilique, entre les rues de l’Eglise et Paul-Vaillant-Couturier, au centre-ville, quand une patrouille de police souhaite procéder au contrôle d’une femme portant le niqab. « La loi interdit le port du voile intégral sur la voie publique », précise une source proche du dossier.
Alors que le début du contrôle d’identité se déroule normalement, un passant s’en mêle.
«L’homme de 23 ans est très agressif et fait des amalgames en rapport avec la religion», précise une source policière.
Le ton monte. « Cette femme de 25 ans a alors changé de ton », insiste cette même source. Dans le même temps, des témoins de la scène affirment le contraire et assurent qu’elle a accepté de montrer son visage aux policiers. « Elle a enlevé son voile mais la police a voulu quand même l’embarquer », raconte une femme. Un attroupement d’environ 80 personnes se forme autour de la jeune femme et des fonctionnaires. La femme est finalement embarquée et conduite au commissariat alors que des renforts sont appelés. Mais la situation ne cesse de s’échauffer. «La scène était très violente», rapporte une source policière et d’autres témoins. La présence des médiateurs de la ville d’Argenteuil n’y fait rien. Des projectiles sont lancés sur les policiers qui essuient également des insultes. Les fonctionnaires utilisent des bombes lacrymogènes et tirent au flash-ball pour disperser la foule. En vain. La scène a duré plus d’une heure. Deux fonctionnaires de police ont été blessés et deux hommes ont été interpellés dans la soirée et sont toujours en garde à vue ce mercredi matin. L’une d’elles a reconnu avoir participé à ces affrontements. Une enquête est en cours. (Le Parisien 12/6/2013)
Des citoyens semblent ensuite avoir pris dès le lendemain le relais des forces dites de l’ordre dans le pourchas des infractions à la laïcité:
Une jeune femme voilée de 21 ans, enceinte, aurait été agressée ce jeudi matin rue de Calais, à Argenteuil (Val-d’Oise). Les enquêteurs se montraient toutefois circonspects sur son récit qui présente, selon une source proche du dossier, des «incohérences».
Alors qu’elle se rendait dans un laboratoire médical où elle venait retirer des résultats d’examen, elle dit avoir été abordée par deux hommes au crâne rasé rue Antonin-Georges-Belin.
Ces individus l’ont traîné rue de Calais où il «lui ont arraché son voile et lui ont coupé des cheveux», a expliqué le parquet de Pontoise. D’après un homme ayant pu discuter avec la famille de la victime, des coups lui ont été portés au ventre.
Les deux hommes ont pris la fuite par la rue de Calais, endroit muni d’une caméra de surveillance. La jeune femme a aussitôt appelé sa sœur et le mari de celle-ci. Elle se trouvait assise par terre, tétanisée, choquée quand elle a été récupérée. Elle a ensuite été emmenée aux urgences de l’hôpital d’Argenteuil, d’où elle est ressortie quelques heures plus tard. Sur place, elle a pu être entendue par les enquêteurs. Mais jeudi soir, la jeune femme n’avait pas encore porté plainte, son mari invoquant la fatigue et assurant qu’elle avait l’intention de le faire vendredi.
Fin mai, une jeune fille de 17 ans, voilée, avait déjà été victime de violences. Alors qu’elle rentrait chez elle, rue du Nord, dans le quartier pavillonnaire des Coteaux, deux hommes lui avaient arraché son voile, l’avait insultée puis jetée à terre avant de la rouer de coups. Elle s’était vue prescrire sept jours d’incapacité. (Le Parisien 13/6/2013) (1)
Ailleurs en France, la police marseillaise, impuissante à contrer la violence meurtrière des bandes criminelles des quartiers nords réglant leurs comptes à coup d’armes de combat, se conforte en arrêtant des femmes portant le niqab:
Une femme voilée de 37 ans a été interpellée jeudi en fin d’après-midi dans le centre-ville de Marseille pour incitation à l’émeute et outrages à agents de la force publique, alors qu’elle conduisait sa voiture avec ses quatre fillettes à l’intérieur, a-t-on appris vendredi de source proche de l’enquête.
Arrêtée par une patrouille de la brigade VTT de la Sécurité publique, la mère de famille, vêtue d’un niqab et dont on ne voyait que les yeux, a refusé le contrôle d’identité tout en déclarant garder son voile, avant de demander à des passants de s’en prendre aux forces de l’ordre, selon la même source.Placée en garde à vue à la division Centre, elle a ensuite proféré plusieurs insultes à l’égard des fonctionnaires et cette native de Montbéliard a dit regretter d’être née en France, a ajouté la même source.
Remise en liberté vendredi après-midi, elle a avalé la photo de son permis de conduire, après que ses quatre enfants ont été remis à leur père.
Une convocation à passer devant un magistrat en décembre, lui a remise par un officier de police judiciaire.
Plusieurs associations musulmanes, notamment à Marseille, se sont déclarées prêtes à payer les amendes des femmes voilées contrôlées par la police, selon une autre source proche de l’enquête. (Le Parisien 14/6/2013)
Priver de liberté une mère de famille accompagnant ses enfants pour cause de tenue vestimentaire idéologiquement inconvenante, on imagine quelles eurent été les réactions si l’incident avait eu lieu à Tunis, au Caire ou à la place Taksim. Fort heureusement, les intermittents de l’indignation grandiloquente étaient de relâche cette fois-çi. Au contraire même, puisque droite et syndicats policiers ont demandé plus de fermeté encore – comparution directe notamment (la comparution directe est une forme sommaire – dans tous les sens du terme – de justice; ou plutôt une justice expéditive, réservé aux métèques, voleurs de poule et ivrognes sur la voie publique: présomption d’innocence et droits de la défense n’y entravent pas exagérément la répression sociale):
Le syndicat Alliance (second syndicat de gardiens de la paix) s’est étonné samedi de la réponse judiciaire dans l’affaire de la femme voilée interpellée jeudi à Marseille pour incitation à l’émeute et outrages à agents de la force publique.
« Quel signal donné par la justice à une personne comme cette femme qui incite à l’émeute et outrage des fonctionnaires lorsque cette dernière n’est convoquée qu’au mois de décembre! Fallait-il attendre que nos collègues, qui n’ont fait qu’appliquer la loi, soient blessés, pour qu’enfin la justice daigne les protéger… », s’est insurgé auprès de l’AFP David-Olivier Reverdy, le délégué départemental du syndicat policier.« Alliance Police Nationale et nos collègues s’interrogent sur le fait qu’aucune comparution immédiate n’ait été délivrée à l’encontre de cette personne qui bafoue ouvertement la loi républicaine », a-t-il ajouté, réclamant « l’indispensable soutien de l’autorité judiciaire ».
Arrêtée par une patrouille de la brigade VTT de la Sécurité publique, une mère de famille, vêtue d’un niqab et dont on ne voyait que les yeux, a refusé jeudi le contrôle d’identité tout en déclarant garder son voile, avant de demander à des passants de s’en prendre aux forces de l’ordre.
Placée en garde à vue à la division Centre, elle a ensuite proféré plusieurs insultes à l’égard des fonctionnaires et cette native de Montbéliard a dit regretter d’être née en France, selon une source proche de l’enquête. Une convocation à passer devant un magistrat en décembre lui a remise par un officier de police judiciaire.
Caroline Pozmentier, adjointe au maire (UMP) en charge de la Sécurité, a également demandé « dans cette affaire, comme dans d’autres cas, l’application stricte de la loi, et rien que cette application ». « A l’heure où l’on apprend que des associations sous couvert de religieux se déclarent prêtes à payer les amendes de celles qui deviennent de fait des contrevenantes, le respect de nos valeurs républicaines est plus qu’impératif… », a déclaré l’élue.
Plusieurs associations musulmanes, notamment à Marseille, se sont déclarées prêtes à payer les amendes des femmes voilées contrôlées par les policiers, lesquels auraient eu pour consigne d’agir avec discernement pour éviter de jeter de l’huile sur le feu. Moins de six cas ont ainsi été relevés dans le centre de Marseille depuis le début de l’année, selon une autre source proche de l’enquête.
En septembre, le tribunal correctionnel de Marseille avait condamné à six mois de prison, dont quatre avec sursis, une jeune femme intégralement voilée de 18 ans, qui avait mordu une policière lors d’un contrôle d’identité fin juillet. (Le Parisien 15/6/2013)
Les sociologues et criminologues souhaitant étudier comment la société crée de la délinquance, surtout s’agissant d’une infraction sans victime comme le fait de porter le voile intégral en public, y trouveront dans l’application de la loi scélérate du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public un cas d’école: voilà une loi visant de facto les seules femmes, et n’interdisant de facto, parmi toutes les utilisations de masques de visage, que celles à motivation religieuse (donc islamique); et qui transforme des mères de famille en délinquantes; et dont la mise en oeuvre par la police aboutit, contexte de tension islamophobe aidant, à créer des scènes d’émeutes.
Quant à la mise en oeuvre citoyenne et spontanée de la loi d’interdiction du voile intégral par de braves citoyens d’Argenteuil, on peut présumer que leurs actes ne seront pas la priorité des officiers de police judiciaire locaux, sans doute plus prompts à identifier et poursuivre les citoyens impliqués dans la protestation musclée contre l’interpellation d’une femme en niqab. Si par malheur, et par maladresse extraordinaire, les auteurs de ces deux agressions devaient être identifiés, ils seront sans doute condamnés – certes, pas lourdement, mais condamnés quand même. Car c’est d’une islamophobie raisonnable (voire rationnelle), mesurée et policée que le législateur et ses donneurs d’ordres idéologiques veulent – la version skinhead ou lepeniste de cette islamophobie, plus assumée et moins hypocrite, ne peut s’attendre aux faveurs de la légitimité.
Ceux qui – par leur production médiatique, idéologique, discursive et législative – auront légitimé l’islamophobie, et particulièrement contre les femmes voilées, au sommet de la hiérarchie ou au service de l’Etat, ne seront pas poursuivis de complicité: mal dégrossis et trop peu subtils, ils paieront leur enthousiasme excessif à suivre le mot d’ordre de rejet des femmes voilées de l’espace public.
Un Geoffroy Didier, candidat malheureux de l’UMP aux élections législatives dans le Val d’Oise en 2012, actuellement en butte à des allégations qui l’embarrassent, ne sera donc pas poursuivi pour cette affiche électorale:
Un candidat UMP a donc le droit de demander que le Val d’Oise soit « burqarein », des électeurs ont le droit de voter pour celui-ci, mais gare à celui qui le prendrait au mot et voudrait mettre en application ce mot d’ordre…
(1) Je dois à l’honnêteté de préciser que les circonstances de cette agression, telles que rapportées il est vrai par le procureur, ne sont pas univoques: « Selon Yves Jannier, la jeune femme, qui se trouvait seule au moment des faits, a dit ne pas connaître ses agresseurs. Alors que son entourage avait décrit la veille des hommes au crâne rasé, «elle n’a pas parlé de skinheads», a précisé le procureur. «Au départ, elle a pensé qu’ils voulaient lui voler son téléphone», a indiqué Yves Jannier. «Il n’y a pas eu de propos islamophobes, de propos en lien avec sa religion au vu de son profil vestimentaire», a-t-il ajouté » (Le Parisien 14/6/2013).
PS: les photos dans ce post ne représentent pas les femmes mentionnées dans celui-ci.
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