L’attaché militaire marocain à Washington assiste aux adieux officiels de l’attaché militaire israëlien

Un bref article du Yedioth Ahronoth nous apprend que l’attaché militaire israëlien aux Etats-Unis – Benny Gantz – vient de quitter ses fonctions pour rejoindre son poste de chef d’état-major adjoint de l’armée israëlienne. Lors de son drink de départ, le chef d’état-major étatsunien, l’amiral Mike Mullen, a ainsi déclaré « the US will always stand by Israel’s side » – « les Etats-Unis seront toujours âux côtés d’Israël« . La cérémonie, qui a eu lieu à la résidence de l’ambassadeur israëlien, a connu la participation des attachés militaires égyptien et marocain (« the military attachés of Egypt and Morocco were also on hand« ), dont le journaliste ne précise s’ils ont applaudi à la déclaration de l’amiral Mullen ou versé des larmes en prenant congé de leur collègue, ami et allié Benny Gantz. Ces émouvants adieux ne doivent pas nous surprendre.

Le Maroc a théoriquement suspendu ses relations diplomatiques avec Israël dès le déclenchement de l’intifada de 2000 – le bureau de liaison israëlien à Rabat a ainsi été fermé, et le chef de ce bureau, l’israëlo-marocain David Dadoun, avec statut de chef de mission diplomatique, est rentré dans sa patrie d’adoption (il est natif de Marrakech).

Récemment, pour une raison totalement inexpliquée, il semblerait que les Etats-Unis – et donc l’Obama idolâtré comme un vulgaire candidat de la Star Ac par beaucoup trop de Marocains et d’Arabes (un peu comme le défunt sénateur ted Kennedy, grand ami d’Israël et du Polisario) (1) – aurait demandé aux pays arabes dits modérés, c’est à dire soumis aux Etats-Unis, de faire un geste envers Israël. Idée brillantissime, qui propose de faire ce que les Arabes avaient fait en 1993, à la signature des accords d’Oslo, à savoir donner à Israël normalisation et reconnaissance en échange de… rien du tout – ou plutôt si, une extension de la colonisation de la Palestine…

Voici donc ce qu’a écrit récemment The Guardian:

Israel, in return for a deal on settlements, is seeking not only a tougher line over Iran but normalisation of relations with Arab states, such as overflight rights for its airline El Al, establishment of trade offices and embassies, and an end to the ban on travellers with Israeli stamps in their passports.

Bahrain, Qatar, the United Arab Emirates and Morocco have so far tentatively agreed. Saudi Arabia has refused, saying Israel has had enough concessions.

The Times dit à peu près la même chose:

The US wants Arab states, such as the UAE, Kuwait, Bahrain, Morocco and Oman, to accept Israel, such as opening up their airspace to Israeli commercial flights.

On notera l’absence de cette liste officieuse de la Tunisie, autre féal de Washington, et de la Mauritanie, qui avait des relations diplomatiques avec Israël – en dépit de la deuxième intifada de 2000 – mais les a rompues en mars 2009, à l’initiative du général putschiste Mohamed ould Abdel Aziz. Mais les sources divergent, et d’autres mentionnent la Mauritanie et la Tunisie, tout en évoquant une visite de Netanyahu au Maroc:

Les autres pays sur lesquels Washington exerce des pressions sont le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie, trois pays qui avaient des relations diplomatiques avec Israël mais qui les ont coupées pour protester contre l’action de Tsahal dans les territoires. Le dernier de ces pays à avoir rompu ses relations avec Israël a été la Mauritanie, là aussi suite à l’opération Plomb durci.

Il y a quelques jours, plusieurs journaux marocains (et blogs) l’affirment: « selon certaines sources israéliennes et arabes, il se fait de plus en plus probable que Benjamin Netanyahu soit le premier officiel israélien à être invité au Maghreb… Plus précisément au Maroc« .

Mais voilà, un petit signe assez amusant de ce que la servilité n’est jamais appréciée à sa juste valeur: Israël estimerait qu’une normalisation avec le Maroc et les pays du Golfe précités (Qatar et Oman notamment) ne serait pas suffisante:

A senior government official said that merely renewing ties with countries such as Qatar, Oman, and Morocco, would not be considered adequate compensation for Israel’s concessions unless the Arab League would cease its embargo and allow Israeli planes to fly over Arab airspace, and allow banking, tourism, and trade with Israel. Israel also demands that the Arab countries take deeper strides in fighting terror, stop incitement, and begin talks without preconditions.

Un analyste égyptien partage cet avis:

Khalil el Anani, an analyst with the Al Ahram Center for Political and Strategic Studies in Cairo, describes improved relations with countries such as Qatar and Morocco as irrelevant to Israel’s regional goals.

« Saudi Arabia is the real prize, » he says. « But I don’t think Saudi Arabia can open the subject with their own people about normalization. »

Qatar hosted a longstanding Israeli trade mission for years and only severed relations in January over Israel’s siege of Gaza. Morocco has long had quietly warm relations with the Jewish state, although never a formal treaty. Then-Israeli Prime Minister Ehud Barak attended the funeral for Morocco’s King Hassan II in 1999.

Déjà, en juillet, dans sa lettre adressée au Roi Mohammed VI, Barack Obama avait demandé ,au Maroc d’assumer un rôle de pionnier dans la normalisation avec Israël (Obama to Morocco: End Israel’s isolation):

In an apparent effort to get the Arab world to make some gestures toward Israel, US President Barack Obama has sent a letter to Morocco’s King Mohammed VI, saying he hoped Rabat would « be a leader in bridging gaps between Israel and the Arab world. »

Etonnamment, dans cette lettre au Roi Mohammed VI, Obama semblait revenir sur l’aval donné par l’administration Bush au plan d’autonomie pour le Sahara marocain, une démarche surprenante lorsqu’en même temps une normalisation avec Israël, extrêmement impopulaire dans l’opinion publique marocaine, est demandée…

Les rapports entre Maroc et Israël ont depuis l’avènement au trône de Hassan II toujours été étroits au niveau gouvernemental: coopération sécuritaire sous Oufkir et militaire sous Dlimi, visite de Shimon Peres à Ifrane en 1986, puis de Itzhak Rabin et Shimon Peres en 1993, présence d’Ehud Barak aux funérailles de Hassan II, échanges commerciaux substantiels à défaut d’être importants (48 millions de dollars d’importations en 2006, et ce uniquement pour les produits en plastique; contrats de sous-traitance et formation d’ingénieurs marocains en Israël), sans compter le tourisme israëlien au Maroc (en dépit de l’alerte terroriste récemment déclarée pour les touristes israëliens au Maroc par les autorités israëliennes, qui a provoqué le courroux des autorités marocaines). Le site du State department US, dans un geste qui montre à quel point il est difficile de distinguer les Etats-Unis d’Israël, évoque ainsi les relations maroco-israëliennes dans sa présentation du Maroc:

Morocco is active in Maghreb, Arab, and African affairs. It supports the search for peace and moderation in the Middle East. In 1986, then-King Hassan II took the daring step of inviting then-Israeli Prime Minister Peres for talks, becoming only the second Arab leader to host an Israeli leader. Following the September 1993 signing of the Israeli-Palestinian Declaration of Principles, Morocco accelerated its economic ties and political contacts with Israel. In September 1994, Morocco and Israel announced the opening of bilateral liaison offices. These offices were closed in 2000 following sustained Israeli-Palestinian violence, but Moroccan-Israeli diplomatic contacts continue.

Il faut dire que le Maroc semble, depuis sa décision de fermer le centre de liaison israëlien à Rabat, amèrement regretter ce geste, tant les autorités brûlent d’envie de renouer enfin officiellement avec Israël, indépendamment de la situation en Palestine:

– « Le roi du Maroc cherche à renouer des relations diplomatiques avec Israël » (2003);
– « Maroc – Israël. Soupçons de normalisation » (2005);
rencontre au Maroc entre le Roi Mohammed VI et le ministre israëlien de la défense Amir Peretz, d’origine marocaine (2006);
Patrouilles communes entre les marines marocaine, algérienne et israëlienne (2006);
– « Normalisation des relations ? Un cambriolage du bureau israélien à Rabat » (2006);
rencontre entre les ministres des affaires étrangères Mohammed Benaïssa et Tzipi Livni (2007)

-« Israel-Maroc: Netanyahu bientôt à Rabat ? » (2009)
participation commune des marines marocaine, algérienne et israëlienne à un exercice anti-terroriste de l’OTAN (2009)

(1) Voici ce qu’écrit The Jewish Journal sur les liens entre Ted Kennedy et Israël:

But, then, there was the Israel-Lover Kennedy.

From his first year in the Senate, 1962, until his last votes, Kennedy was a stalwart Israel supporter. It is likely in this, too, he was living the values of his older brother.
« Israel will endure and flourish« , John F. Kennedy once said. « It can neither be broken by adversity nor demoralized by success. It carries the shield of democracy and it honors the sword of freedom« .

According to one tally, Ted Kennedy voted 100 percent in concert with positions taken by Aipac, the American Israel Public Affairs Committee. Tom Dine, who served as Aipac’s executive director from 1980-93, was a defense and foreign policy advisor to Kennedy.

In the run-up to his tough 1994 Senate campaign against Mitt Romney, Kennedy accumulated some $45,000 from pro-Israel political action committees over the years, according to former Aipac legislative director Doug Bloomfield, « and presumably a lot more from individual pro-Israel donors, considering his long record of support for U.S. taxpayer aid for Israel« .

« Bah, s’il faut sacrifier 50.000 hommes »

Difficile de lire une histoire de la presse française sans tomber sur le personnage de Pierre Lazareff, ancien patron de France Soir, passé d’un tirage de 1,5 millions d’exemplaires quotidiens en 1955 à environ 30.000 aujourd’hui. Dans le dernier numéro du Canard enchaîné (26/8/2009, p.6), on peut lire une critique d’une biographie de Pierre Lazareff, qui relate l’épisode suivant:

Dans ses Mémoires, pas plus mentionnées, Edgar Faure, encore lui, rapporte qu’en 1955, alors qu’il se débat, à Matignon, avec la sanglante crise marocaine, il manque de tomber de son fauteuil en entendant Lazareff glisser: « Bah, s’il faut sacrifier 50.000 hommes« . Edgar, intrigué: « Pour parvenir à un accord avec [le sultan] Ben Youssef (père de Hassan II, chef des nationalistes et exilé à Madagascar par un précédent gouvernement)?« . Pas du tout. Chaudement installé au 100, rue Réaumur, Pierrot-les-Bretelles est prêt à laisser « sacrifier 50.000 hommes » pour maintenir en l’état le protectorat marocain!

Bien évidemment, cet épisode-là n’est que rarement mentionné et ne ternit pas la réputation de ce Julius Streicher light, autre partisan journalistique du meurtre de masse.

PS: Le Ben Youssef dont il s’agit est Mohammed V, vous aurez rectifié de vous-mêmes – il s’agit du nom donné au Roi par les Français, sans doute pour atténuer le caractère royal du personnage et la longue lignée dynastique dans laquelle il s’inscrivait.

La réforme judiciaire au Maroc est déjà en marche

réforme de la justice

La réforme de la justice marocaine vient à peine d’être annoncée dans un dicours par le Roi Mohammed VI, et déjà les premiers signes s’en font sentir, notamment s’agissant de l’objectif « de consolider la confiance dans une justice efficiente et équitable et d’en conforter la crédibilité » conformément au « besoin pressant des citoyens de sentir de près, et à brève échéance, l’impact positif direct de la réforme« , ainsi que de la nécessité « d’appliquer les peines de substitution« . Voici donc ce que l’on a pu lire dans Le Soir de ce lundi 24 août:

Condamné à 16 ans de prison pour détournements de fonds et dilapidation de deniers publics, Slimani n’a passé que 5 ans derrière les barreaux.

Abdelmoughit Slimani retrouve la liberté de ses mouvements. L’ancien président de la commune urbaine a bénéficié d’une grâce royale pour « raisons de santé » à l’occasion de la fête de la révolution du roi et du peuple. Condamné à 16 ans de prison pour détournements de fonds et dilapidation de deniers publics, Slimani n’a en effet passé que 5 ans derrière les barreaux. Une des figures de l’ère Basri, le procès de Slimani était par truchement le procès de l’ancien ministre d’État de l’Intérieur. Depuis quelques mois, Abdelmoughit Slimani était admis aux services cardiologies de l’hôpital Ibn Rochd à Casablanca. Une mesure souvent accordée à des personnalités aux solides réseaux de soutien dans l’administration afin d’échapper aux affres des conditions de vie carcérale. Cette grâce Royale au profit de l’ancien président de la Communauté urbaine marque la fin des poursuites judiciaires contre les hommes de Driss Basri; Juin dernier, c’est Abdelaziz Laâfoura, l’ancien gouverneur de Hay Hassani, qui a quitté la prison de Salé après avoir purgé sa peine. La grâce royale accordée à Abdelmoughit Slimani n’a pas fait que des heureux, des sources avancent que de sa cellule à la prison d’Oukacha, Abderrahim Kanir architecte condamné dans la même affaire, a crié haut et fort son dépit de voir Slimani bénéficier d’une grâce royale.

Ses antécédents? Détournement de deniers publics, faux et usage de faux et trafic d’influence, alors qu’il présidait la Communauté urbaine de Casablanca, en mascopie avec son comparse Abdelaziz Laafora:

Slimani a été pourtant, aux côtés de l’ex-gouverneur Abdelaziz Laâfoura, une des figures emblématiques d’un des procès les plus retentissants du nouveau règne.
Un procès où l’ombre de Driss Basri, l’ex-ministre de l’Intérieur 1979-1999, a plané en permanence. Ce dernier meurt, en août 2007 à Paris, sans jamais être convoqué par la Cour, ne serait-ce que pour témoigner, alors même que son nom a été cité et que les avocats de la défense l’ont sollicité à plusieurs reprises.
Quoi qu’il en soit, les deux coaccusés, Laâfoura et Slimani, des proches de Basri, sont au cœur de l’affaire des projets immobiliers El Fouarate et Ouled Ziane et accusés de dilapidation de deniers publics. Ils ne sont pas les seuls. Plus d’une dizaine d’autres personnes sont poursuivies notamment un ingénieur en BTP et promoteur, Abderahim Kanir. Il écopera, d’ailleurs, en première instance, de la plus lourde peine (7 ans) après celle de l’ex-président de la Communauté urbaine de Casablanca. Kanir croupit encore derrière les barreaux. Ses biens ont été saisis également.
Nous sommes en février 2007. Le procès de Slimani & Laâfoura s’est ouvert depuis deux ans exactement devant le tribunal de première instance de Casablanca. Un indice sur l’ampleur de l’affaire: le rapport d’instruction à lui seul compte plus de 1.000 pages. Slimani sera condamné en appel à 16 ans de prison ferme, soit six ans de plus que le jugement rendu en première instance. La Cour, présidée par Lahssen Tolfi, le condamnera à payer également près de 15 millions de DH à l’Etat et a ordonné la confiscation de ses biens ainsi que ceux de son épouse et de ses enfants. La partie civile est représentée par l’Etat et la ville de Casablanca.

Le choix conjugal de sa soeur aura été déterminant pour sa carrière politique:

Abdelmoughit Slimani est un ancien petit fonctionnaire à la CNSS dont la vie a pris une dimension exceptionnelle quand sa sœur a eu la bonne idée de se marier à Driss Basri, homme-lige du système Hassan II. Dans les années 80, Slimani découvre ainsi la  » politique  » et rejoint les rangs d’un parti créé initialement pour servir d’aire de stationnement pour les serviteurs du Makhzen : l’UC. Rapidement, il est promu député, président de commune (celle des Roches-Noires) et patron de la CNSS ! En 1992, l’homme est bombardé à la tête de la CUC (communauté urbaine du Grand Casablanca), et pousse le luxe jusqu’à devenir le vice-président de la prestigieuse Association des maires francophones, ou AMF, où il côtoie les plus grands.

Abdelmoughit Slimani a ensuite fait preuve d’un sens de l’initiative qui aurait gagné à être plus judicieusement orienté:

L’histoire remonte au début des années 1990. Lovat, un homme d’affaires suisse s’installe au Maroc et se lance dans la construction immobilière. Son premier projet, c’est l’hôtel Oasis qu’il construit à Agadir en 1991. Une année après, il fait la connaissance de l’ex-patron de la communauté urbaine de Casablanca (CUC), Abdelmoughit Slimani. Beau-frère de l’ex-ministre de l’Intérieur, Driss Basri, Slimani proposa à l’investisseur suisse, selon la plainte déposée par ce dernier, de se charger de la construction de l’hôtel Tivoli à Agadir. Toutefois, la construction de l’hôtel ne sera qu’un simple appât. Les deux ex-patrons de la capitale économique auraient attiré Lovat dans leurs filets afin de l’utiliser en tant que couverture de plusieurs projets immobiliers relevant des marchés publics à Casablanca.

Il se retrouve ainsi impliqué dans des affaires de détournements et des affaires de malversations allant jusqu’à des millions de DH. il s’agit notamment des deux projets Ouled Ziane et Fouarate.

Le premier, entamé en 1992, est un complexe résidentiel qui compte plus de 600 appartements, un centre commercial, une école et une mosquée.
L’initiative de sa construction revient à l’ex-commune urbaine de « Roches noires » alors dirigée par Slimani. Mais, le projet qui avait un caractère social et devait aider les citoyens à accéder au logement, a été détourné de son objectif et devint une source d’enrichissement illégal profitant à des spéculateurs et des privilégiés de l’entourage des deux ex-patrons de Casablanca. Aussi doit-on rappeler que ce projet avait bénéficié d’un prêt de plusieurs milliards accordé par le Crédit Immobilier et Hôtelier (CIH) et n’a jamais été remboursé bien que tous les bénéficiaires aient payé leur dû. Quant au deuxième projet, dit Fouarate, il n’a jamais démarré et les fonds qui lui étaient réservés se sont évaporés. Outre ces deux dossiers, plusieurs affaires de détournement de fonds, de mauvaise gestion des affaires communales, des fraudes dans l’attribution et la passation de marchés publics, la dilapidation de deniers publics, l’abus de pouvoir dans le but de faciliter l’obtention de financement de certains marchés particuliers devraient revenir au premier plan à l’occasion du procès des personnes mises en état d’arrestation vendredi. Aussi, des enquêtes parallèles sont en cours dans d’autres communes urbaines dont celle de Hay Hassani où une commission de la cour des comptes devrait élaborer son rapport final avant la fin du mois courant. Cette commune, rappelons-le, était gérée par l’un des présidents de commune les plus proches de l’ex-président de la CUC à savoir Mohamed Kemmou.

Il n’y au Maroc pas de temps minimum devant être purgé avant de pouvoir bénéficier d’une grâce royale. Le dahir n° 1-57-387 du 16 rejeb 1377 (6 février 1958) relatif aux grâces (modifié en 1977 pour permettre la grâce même avant toute condamnation (!)) donne toute latitude au Roi, seul détenteur du droit de grâce. S’il existe une commission des grâces présidée par le ministère de la justice, l’article 9 n’est pas très clair sur le fait de savoir si cette commission doit obligatoirement être réunie et consultée sur toute décision de grâce, qu’elle soit demandée par l’intéressé ou prise à l’initiative du Roi. L’article 12 est cependant très clair sur le caractère purement consultatif de la commission des grâces:

La commission examine les requêtes ou propositions qui lui sont transmises en s’entourant de tous renseignements utiles; elle émet un avis qui est adressé au cabinet royal pour être statué ce qu’il appartiendra par Notre Majesté Chérifienne

On notera, et la question est d’actualité dans le cadre de la supplique de Rachid Nini au Roi relative à sa condamnation à 6 millions de dirhams de dommages-intérêts, que l’article 7 dispose que « la grâce, en aucun cas, ne porte atteinte aux droits des tiers » – or les dommages-intérêts en question bénéficient aux quatre procureurs de Ksar el Kébir, accusés par Rachid Nini – avec le professionalisme qu’on lui reconnaît – d’être homosexuels. Ces dommages-intérêts ne peuvent donc être effacés par une grâce royale – mais comme les procureurs dépendant hiérarchiquement du ministre de la justice, ils sauront sans doute se montrer compréhensifs si le souhait en est formulé en haut lieu…

Abdelmoughit Slimani, beau-frère du regretté ministre de l’intérieur Driss Basri, aura donc purgé cinq des seize années d’emprisonnement auxquelles il fût condamné par la Cour d’appel de Casablanca. C’est en invoquant des problèmes cardiaques qu’il a réussi à sortir une première fois de prison et être admis à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca. On s’en rappelera lorsqu’on lira les comptes-rendus de terroristes suspectés « morts de maladie » en détention, comme Abdelhaq Bentassir alias Moul Sebbat au lendemain du 16 mai 2003.

On notera enfin qu’en vertu de l’article 5 du dahir, « la grâce n’a pas d’effet (…) en matière de confiscation sur les dévolutions déjà intervenues en vertu de la décision de confiscation« . Cela semblerait signifier que la confiscation n’est pas couverte par la grâce si les biens confisqués ont été dévolus (donnés) à un tiers antérieurement à celle-ci. Difficile de dire si c’est le cas de Slimani.

Finalement, il ne semble pas avoir eu tort de faire confiance en la justice de son pays, tout comme Abdelaziz Laafora, son comparse, acquitté en appel par la Cour suprême en 2008 après quatre années de détention provisoire:

Abdelmoughit Slimani n’a pas choisi cette fuite, confiant qu’il est dans la justice marocaine qui ne manquera pas, en appel, de revoir l’ensemble de ce dossier. L’Etat de droit, qui est à l’ordre du jour, est un projet de société auquel tous les Marocains adhèrent. Il implique que la justice qui est le garant des droits de tous soit emblématique de ce vaste chantier national au programme du Nouveau Règne.

Lecture complémentaire: « Affaire Slimani. Les bonnes questions » (Tel Quel n° 223, 2006)

Communiqué du ministère du protocole royal: le Roi Mohammed VI en convalescence de 5 jours

Je viens d’avoir ce communiqué (merci Najlae):

MAROC-MONARCHIE
SM LE ROI EN CONVALESCENCE DE 5 JOURS, MAIS SON ÉTAT DE SANTÉ NE JUSTIFIE AUCUNE INQUIÉTUDE

Rabat, 26 août (MAP)

Le ministère du protocole et de la chancellerie annonce mercredi dans un communiqué que «  »Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’Assiste, présente une infection à rotavirus avec signes digestifs et déshydratation aiguë nécessitant une convalescence de cinq jours.

L’état de santé de Sa Majesté le Roi ne justifie aucune inquiétude.

Signé : Professeur Abdelaziz Maaouni, médecin personnel de Sa Majesté le Roi et directeur de la clinique du Palais Royal.

Que Dieu préserve l’auguste personne de Sa Majesté le Roi, accorde longue vie à notre Souverain sous Son aile protectrice et Le gratifie de bonne santé, de bien-être et de bonheur.

Que Le Très Haut Le comble en la personne de Son Altesse Royale le Prince Héritier Moulay El Hassan, avec le soutien de Son frère SAR le Prince Moulay Rachid et l’ensemble de la famille royale » ». (MAP).

Prompt rétablissement!

Omerta dans la presse marocaine sur la grève des pilotes de la RAM

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Voilà un pays dont la compagnie nationale connaît cinq grèves des pilotes de ligne en deux mois, en pleine période estivale et touristique, sachant que les rentrées de devises de ses ressortissants à l’étranger ainsi que des touristes sont les deux principales rentrées de devises du pays. Or, parcourez la presse, et vous lirez le plus souvent des communiqués de quelques lignes.

De quel pays s’agit-il – Libye, Biélorussie, Cuba? Non, c’est du Maroc dont il s’agit, et l’absence de couverture médiatique n’est – une fois n’est pas coutume – en rien le résultat d’une pression des pouvoirs publics, mais plutôt le résultat du pouvoir de l’argent.

Le conflit social dont il s’agit concerne la Royal Air Maroc, où les pilotes de lignes, dans un des mouvements de grève les plus suivis de ces dernières années au Maroc (avec un taux de grévistes frôlant les 90%), font grève non pas pour des motifs salariaux mais pour obtenir que les commandants de bord de la filière ex-low cost Atlas Blue soient de nationalité marocaine. En effet, dans un objectif qui est sans doute moins la réduction des coûts (les commandants de bord étrangers sont payés en euros, et il n’est même pas sûr que l’Etat marocain prélève des impôts sur leurs salaires) que de briser le dernier bastion syndical combatif de la RAM (même si l’Association marocaine des pilotes de ligne est une association et non pas un syndicat), la RAM a recruté environ 40 commandants de bord étrangers sur sa filière Atlas Blue, alors même que la RAM compte 130 co-pilotes marocains ayant généralement plus d’heures de vol que leurs collègues étrangers et dont certains attendent le passage au grade de commandant de bord depuis treize ans.

Bref: un conflit social opposant syndicat (que l’AMPL m’excuse de les considérer ainsi) combatif et direction braquée (pour ne pas dire bornée), dans un secteur vital pour l’économie du pays, que des millions de Marocains utilisent ou ont utilisé, on pourrait croire que des marées d’encre noire se déverseraient dans les colonnes de nos journaux nationaux. Faux, archi-faux: si Le Soir a interviewé Jalal yaacoubi, président de l’AMPL et la Vie Economique Driss Benhima, PDG de la RAM, et si L’Economiste a consacré une page entière à couvrir un assemblée générale de l’AMPL ainsi que, c’est à peu près tout. Et ne comptez bien évidemment pas lire reportages sur les passagers en colère (sauf deux articles dans L’Economiste, qui a pris position pour la direction de la RAM dans un éditorial de Nadia Salah) (1), les grévistes, les non-grévistes, ou des interviews avec les pilotes étrangers d’Atlas Blue, et bien évidemment ne vous attendez à aucun article de fond sur la création et l’échec d’Atlas Blue – vous vous croyez où, en Suède?

Certes, chacun connaît la tradition débilissime de la presse hebdomadaire marocaine de carrément fermer les portes pendant 4 ou 5 semaines durant le mois d’août, mois de l’années où leur lectorat a peut-être plus le temps de les lire, et où des MRE revenant au bled aiment à se tenir informés de l’actualité du pays. Cette débilité confine au Nobel de la c… lorsque le mois d’août coïncide partiellement avec le ramadan, période de l’année où la lecture, et pas seulement du Coran, est en hausse.

On pourrait également faire porter le chapeau à ceux qui nous gouvernent: je ne connais pas beaucoup de pays où Premier ministre, ministre des transports et conseillers du chef de l’Etat continueraient tranquillement leurs petites vacances au pied de l’eau alors que des grèves clouent au sol des avions de la compagnie nationale et coûtent des millions d’euros par jour (entre 1,5 et 2 millions d’euros de coût supplémentaire par jour de grève pour la RAM selon les estimations). Faites une recherche frénétique: vous ne trouverez aucune déclaration de Karim Ghellab, d’Abbas el Fassi ou d’un quelconque conseiller du Roi (puisque c’est de toute façon là que les choses sérieuses se décident au Maroc).

Mais il y a aussi une autre explication, financière et publicitaire celle-là: la RAM est un important annonceur dans la presse écrite marocaine, et elle est sans doute le premier acheteur de journaux du Maroc, journaux qu’elle achète par milliers pour les offrir à ses passagers. Il va de soi que dans un contexte médiatique dur – baisse des tirages (cf. le site de l’OJD), baisse des recettes publicitaires, voire même cessation de parution de certains magazines (La Gazette du Maroc) – le journal qui souhaiterait couvrir les tenants et les aboutissants de la crise sociale qui traverse la RAM ne pourrait le faire qu’au risque de perdre un annonceur et un client…

Comme ce n’est pas dans la presse que vous pourrez trouver une discussion du contexte et des tenants et aboutissants de ce gravissime conflit social, je publierai ces jours-ci un post avec 10 questions à Karim Ghellab, ministre de tutelle de la RAM.

(1) C’est dans l’édition du 19 août:

Premièrement, les pilotes de la RAM sèment un désordre coûteux dans le transport aérien national pour préserver les avantages importants (c’est un euphémisme!) qu’ils avaient réussi à obtenir avant le traité international d’open-sky.

(…) Dans ces trois cas, ce qui compte c’est que le service public (lequel devrait être pensé uniquement comme un «service au public») soit maintenu sous la coupe de petits intérêts privés.

Les arguments sont toujours séduisants et trompeurs: avec des explications technicistes et partielles, les argumentaires négligent l’objectif de l’intérêt général, ou pis, ils le kidnappent et le détournent pour maintenir ou développer des avantages localisés, envers et contre le bon fonctionnement de l’Etat, envers et contre les efforts de mise à niveau économique et politique du Royaume.

Nadia SALAH

J’ai été braqué à la machete en plein Casa cette nuit

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Nous nous étions rencontré, cinq bloggeurs, pour discuter et passer du temps ensemble après le ftour. Après être allé du Casablanca Boulevard Moulay Youssef au café Champs-Elysées rond-point Mers-Sultan, nous avions fini par nous faire éjecter de ce dernier, bien au-delà de la fermeture. N’ayant pas terminé la discussion, nous sommes restés près de dix minutes à papoter devant le café, entourés de marchands et badauds. Ainsi que de cinq ou six salopards armés de machetes, transportés sur deux scooters, qui nous avaient repérés – l’un d’entre nous avait même fait attention à eux.

J’avais ma sacoche avec mon lap-top, et un autre bloggeur un sac-bandoulière où l’on met portefeuille et papiers. C’est nous que les salopards visèrent: l’un d’entre eux, par derrière, tira ma sacoche. Me retournant, je vis un petit type de vingt ans, pantalon et blouson noir, agitant une machete, entouré de comparses, quatre peut-être, deux ou trois avec des machetes. J’ai eu le réflexe de lâcher tout de suite, la sacoche ne contenant que mon laptop, une clé USB et un chargeur pour mon mobile. Rien de bien grave, d’autant que le laptop était un laptop d’appoint ne contenant pas grand chose. En fait, c’est surtout la perte de livre Héros sans gloire de Mehdi Bennouna, que je m’étais enfin décidé à lire, qui m’a énervé.

Le plus amusant dans tout ça c’est justement que j’avais vidé ma sacoche de tout autre contenu juste avant de rejoindre les amis, me disant que Casa n’était pas sûre un soir de ramadan vers 22h. J’avais ainsi enlevé le livret de famille et les extraits d’acte de naissance de mes filles ainsi que leur carnet de santé respectif. Bien évidemment, comme à chaque fois que je sors le soir, je n’avais pas mon portefeuille, mais uniquement un peu de cash et ma carte nationale dans la poche de mon bermuda.

A. a eu moins de chance. Il avait une petite sacoche-bandoulière, avec ses papiers d’identité et son permis de conduire, ainsi qu’un peu d’argent. Il a eu le réflexe diamétralement opposé au mien: il a voulu se débattre, face à trois assaillants armés de machetes – j’avais quant à moi reculé instinctivement, auprès de mes trois autres comparses. Il a été traîné à terre, avant d’être atteint à l’arcade sourcilière par un coup de machete. Heureusement, la blessure semble superficielle mais il a saigné. Toute l’agression a peut être duré vingt secondes, c’est en tout cas allé très vite, et à part le réflexe de remettre la sacoche sans résister à mon agresseur j’ai eu aucune latitude pour réflechir ou agir, étant totalement tétanisé.

Nous avons ensuite tenté de prendre en course ces connards, sans réussite, après deux croisements nous étions largués. Nous sommes alors allés au commissariat central Boulevard Brahim Roudani pour déposer plainte. Cest quelque chose un commissariat de police au Maroc: deux flics en civil derrière un guichet en bois sali, l’un deux derrière une machine à écrire de vingt ans d’âge, des locaux ressemblant à un squat, aucun équipement plus récent que les années 60, sinon les GSM persos des flics. Il prend nos deux dépositions – les trois autres, ceux sans sacoche, n’ayant pas été agressés. En arrivant aux objets volés, plus de papier dans la machine à écrire (je me demande d’ailleurs comment ils se fournissent en ruban, intercalaires en carbone etc – ça se fabrique encore, ces trucs-là?). Le flic continue donc à la main, et finira le PV plus tard, sans nous donner de copie donc. Il nous faudra de toute façon faire une déclaration de perte, qui ne servira strictement à rien en ce qui me concerne, n’ayant perdu aucune pièce administrative ou carte bancaire ou chéquier. Car il est évident que la police ne fera rien -et je serais moi-même asbolument incapable de reconnaître celui qui m’a arraché ma sacoche sous la menace d’une machete.

En y réflechissant, j’ai noté la présence d’aucun uniforme policier lors de notre périple de quelques heures au centre de Casa, et surtout au rond-point Mers-Sultan – peut-être est-ce la fermeture, ramadan oblige, des bars, cabarets et hôtels de passe environnants qui a fait disparaître les rares flics affectés d’office à ces hauts lieux de la vie nocturne casablancaise.

J’ai bien évidemment changé tous les mots de passe sur mes différents comptes – les connards pourraient y avoir accès en allumant l’ordinateur.

Tout compte fait, ce qu’il y a de mieux à dire c’est hamdulillah. Cela aurait pu être pire, y compris pour A.

PS: je me suis défoulé sur Twitter en rentrant à la maison, à 200m de l’agression. Le meilleur réconfort m’est venu de Mohammed Dahlan (eh oui, je suis oecuménique):

@ibnkafka i suggest 2 u some DAHLAN-style justice! i putting my underwear army on 1st plane 2 casablanca. they will bring paper 4 typewriter
about 2 hours ago from web in reply to ibnkafka

Pour comprendre la référence aux sous-vêtements, voir ceci.

Baisemain et protocole royal

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On peut trouver des infos intéressantes même dans des magazines qui ne paient pas de mine, comme l’hebdo casablancais Finances News Hebdo du 30 juillet 2009. En effet, entre des dizaines de pages de panégyrique sur les dix années de règne, quelques pubs et une chronique où la journaliste Imane Bouhrara révèle qu’elle fait 1m78 pour 70 kg, on y trouve une interview très intéressante de Nadia Yassine, ainsi qu’un entretien avec le chercheur universitaire Aziz Chahir portant sur le protocole royal au cours de ces dix dernières années.

Dans un article qui accompagne cet entretien, Finance News Hebdo relève que si « les règles protocolaires sont restées pratiquement sans changements majeurs dans les relations du Souverain avec le corps des agents d’autorité« , le Roi serait moins protocolaire au contact de la foule lors de ses déplacements – « les mesures protocolaires durant le règne de Mohammed VI ne sont pas aussi imposantes que par le passé » (à vérifier, à mon sens).

Dans l’entretien, Aziz Chahir analyse l’instrumentalisation du protocole: « je pense que malgré le changement d’époque et des hommes, l’objectif du protocole royal demeure indéniablement le même, à savoir le maintien de la suprématie politique et symbolique du monarque à travers sa présence physique parmi ses sujets« .

Cette analyse est à contraster avec l’étonnant texte de Mohamed Ennaji, historien et sociologue qui fût disciple et collègue de l’immense Paul Pascon, avec lequel il écrivit « Le Makhzen et le Sous al-aqsa : la correspondance politique de la maison d’Illigh« , et qui a récemment fait parler de lui avec deux ouvrages récents, « L’amitié du Prince » et « Le sujet et le mamelouk« , dans lesquels il tente de démontrer la racine islamique de la sujétion. De manière assez étonnante, il dit s’être détourné de l’étude du makhzen (« C’est une certaine insatisfaction ressentie après tous les travaux sur le Makhzen et ne rendant pas fondamentalement compte de la sujétion au Maroc, qui est à l’origine de ce travail« , Economia, juin/sep 2008) et privilégie désormais une approche anthropologique s’écartant du contexte spécifiquement marocain.

Les mauvaises langues diront sans doute que cet éloignement de l’étude spécifique de la sujétion makhzénienne tombe bien, puisque Mohammed Ennaji est le fondateur et l’organisateur du festival des Alizés, qui se tient annuellement à Essaouira sous le regard bienveillant du conseiller royal André Azoulay, de même que le festival des Andalousies atlantiques (ah, ces noms de festival…) dans la même ville (1), et qu’il vient d’organiser le festival Awtar à Benguerrir pour le compte de la fondation Rhamna de Fouad Ali El Himma, répondant à un journaliste l’interrogeant sur sa proximité avec moul traktor que « je l’ai dit et écrit à plusieurs reprises : au Maroc, on ne peut pas organiser un festival sans passer par les relais du Pouvoir. Mais je peux vous assurer que j’ai eu une totale liberté pour la programmation« …

Comparons les deux textes – tout d’abord, l’entretien avec Aziz Chahir:

Entretien: « Le protocole adapté au style du Souverain »
Dans cet entretien, Aziz Chahir, enseignant-chercheur à la Faculté de droit de Casablanca, pense que le protocole royal n’a pas réellement changé malgré les différences de forme constatées.
Finances News Hebdo du 30/7/2009, p. 40

Finances News Hebdo: Quels sont, d’après vous, les grands indicateurs de la réduction des mesures protocolaires durant ces dix ans de règne de Mohammed VI?

Aziz Chahir: Après dix ans de règne, je crois personnellement que le Roi n’a pas mis sur pied un « nouveau » protocole royal. Au contraire, celui-ci demeure, au fond, intact puisqu’il continue à fonctionner selon les anciennes modalités (rites, codes, cérémonies,…). Je me rappelle à cet égard d’une déclaration du monarque à Paris Match au cours de laquelle il affirmait son engagement à préserver la spécificité et la rigueur du protocole marocain, à la condition toutefois qu’il soit adapté à son style de gouvernement. C’est dire tout l’attachement du Souverain à la tradition monarchique et en particulier à « la culture de Cour » qui s’installe au coeur même des Etats et des sociétés modernes, pour reprendre ici une idée de Norbert Elias.

Cependant, je crois que le monarque a tenté malgré tout d’adapter le système protocolaire à son style de direction qui se veut moderne et ouvert sur la société. Le Souverain a décidé ainsi d’opérer un allègement du lourd protocole royal en rendant, par exemple, facultatif le baisemain et en bannissant les militaires de la cérémonie d’allégeance. Et dans un élan plus réformiste, le Roi a même autorisé son épouse officielle à paraître en public et même à l’accompagner dans certains de ses déplacements officiels. En lui accordant le statut privilégié de « princesse », le monarque a accordé ainsi à son épouse une place inexistante jusqu’alors dans le protocole.

Finances News Hebdo: En sa qualité d’Amir al mouminine, des continuations subsistent certainement entre SM le Roi et les sultans alaouites. Est-ce que cela n’influence pas sur une réduction plus poussée des mesures protocolaires?

Aziz Chahir: Le protocole royal fait partie intégrante d’un modèle louis-quatorzien de Cour assez uniforme. Celui d’une institution minutieusement réglée au sein d’une monarchie de type dynastique. Pour preuve, il existe même un ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie. C’est dire toute l’importance accordée par la monarchie au système protocolaire dont la mission est d’assurer au Souverain sa double légitimité politique et symbolique à la tête de la Nation. Il est ainsi à la fois Commandeur des croyants et chef de l’Etat, détenteur d’un pouvoir spirituel et temporel.

L’exercice de ces pleins pouvoirs passe inéluctablement par une ritualisation des conduites du monarque grâce à un système protocolaire bien ancré d’ailleurs dans l’histoire de la dynastie alaouite. Par exemple, à l’époque de Moulay Ismaïl, le protocole royal a été érigé en culture politique et avait contribué à sacraliser la personne du Roi devenue, le temps aidant, inviolable et inacessible. Plus, la moindre apparition en public ou déplacement du Souverain est devenu un rite de passage pour marquer la suprématie et la domination royales.

Ceci étant dit, après des décennies de règne alaouite, le protocole n’a pas tellement changé malgré les différences de forme, par exemple entre la m’hala vulgarisée par le sultan Moulay Ismaïl, qui sillonnait le Royaume sur le dos de son cheval suivi d’esclaves et de fidèles, et le cortège royal en limousines blindées qui roulent sur des centaines de mètres de tapis même lorsqu’il pleut.

Je crois que malgré le changement d’époque et des hommes, l’objectif du protocole royal demeure indéniablement le même, à savoir le maintien de la suprématie politique et symbolique du monarque à travers sa présence physique parmi ses sujets. Pour ce faire, le Roi tient impérativement à renouer le lien avec le peuple grâce au rituel politique de la « baya » à travers laquelle les sujets manifestent leur allégeance au sultan. La symbolique de cet acte renforce ainsi l’autorité du monarque et lui permet de monopoliser les usages protocolaires pour consolider son pouvoir politico-religieux.

Finances News Hebdo: Enfin, est-ce que vous pensez que la nouvelle tradition inaugurée par le Roi sera un exemple à suivre pour les futurs rois du Maroc?

Aziz Chahir: Je crois que le monarque est plus que jamais conscient que la pérennisation de la monarchie passe inéluctablement par la préservation des fondements historiques de la dynastie alaouite. A l’instar de ses ancêtres, le Souverain tente ainsi de réinventer la tradition suivant laquelle, pour légitimer le protocole royal par exemple, il peut être utile de démontrer sa pertinence culturelle comme partie intégrante d’une civilisation ancestrale. A cela, il faudra ensuite adapter le protocole au contexte politique actuel et aux contraintes de la modernité. Par exemple, à l’ère de la mondialisation et de la communication de masse, il paraît insensé d’arrêter le pays pour regarder, en temps réel, sur place, ou à travers une télévision qui suspend ses programmes, un cortège royal qui mettrait le monde hors du temps.

Ceci étant dit, je crois que la protocole royal, tel qu’il a été recadré par le Souverain, sera vraisemblablement un exemple à suivre pour les futurs rois du Maroc. Ces derniers auront certainement du aml à abandonner un système protocolaire enraciné dans l’imaginaire collectif. Au contraire, les futurs monarques vont essayer de rationaliser le sytème protocolaire afin de sécuriser davantage les cortèges royaux, surtout avec la recrudescence de la menace terroriste.

Ensuite, l’article de Mohammed Ennaji publié dans la Gazette du Maroc, que je reproduis ici:

Le scoop du baisemain, de l’Histoire aux histoires
Mohamed Ennaji
La Gazette du Maroc 24 Juillet 2009

A la une du journal al-Massae, un auteur nous livre en avant première un scoop. Ce serait El Youssoufi, l’ancien Premier Ministre socialiste, l’ancien résistant en personne, qui aurait insisté auprès du Roi pour maintenir le rituel du baisemain ! L’information, on le voit, vaut son poids d’or. Par surcroît, elle n’est pas le fruit de spéculations théoriques, loin de là, elle sort du sanctuaire lui-même. C’est un homme de la maison fortunée qui aurait distillé la nouvelle au politologue. On imagine le Roi en colloque avec le Premier Ministre, débattant de la monarchie et de ses rites à haute voix : Qu’en pensez-vous maître ? Oui Majesté, on garde ceci et on abandonne cela ! Et convaincu par l’argumentaire infaillible d’un militant ayant vécu sa vie loin des rituels palatins, le Roi tient conseil avec ses serviteurs de l’intérieur pour les tenir informés de son décret concernant le rituel en question. Et notre auteur chanceux a la primeur de ces conciliabules ! Il n’y a pas à dire, la connaissance historique avance à grands pas !

Mais où est l’Histoire dans tout cela  ? C’est que les rituels du protocole de cours, à vrai dire, ne naissent ni ne meurent d’une décision prise à la légère du jour au lendemain. Ils naissent d’une lente accumulation fruit de la pratique quotidienne du pouvoir, de l’obligation où se trouve l’autorité de s’entourer d’une aura. Ils condensent en eux les péripéties de la formation du statut du chef. Ils expriment le contenu du lien d’autorité impliquant, il ne faut guère l’oublier, deux parties : le maître et ses sujets. Ils évoluent et disparaissent parce que les sociétés changent ainsi que les mentalités qui vont avec et donc le vécu du rapport au pouvoir. Le baisemain est dans ce cadre un produit historique. Il ne naît pas de la fantaisie d’un despote qui lui dicterait de tendre la main à tout propos à ses sujets. Il est le produit d’un rapport de force qui fait que le plus faible se soumet au plus fort parce que ce dernier lui tord le cou ou est en mesure de le faire. La main, avec le temps, devient le symbole de cette puissance parce qu’elle en fut initialement l’organe fondateur. Elle recueille les redditions qui, dans les sociétés pacifiées, se nomment allégeances. Dans celles-ci le chef n’est pas plus puissant uniquement parce qu’il concentre la force mais aussi le prestige et la richesse qu’il a pu engranger grâce à elle.

On s’approche de lui, on le courtise sans doute parce qu’on le craint, mais aussi et surtout pour en toucher les dividendes. En plus de ses trésors, l’autorité fascine les populations qui lui courent derrière, profitent de n’importe quelle occasion pour l’approcher. Le chef est adoré, sollicité, supplié, non pas seulement par les nécessiteux mais par les riches aussi qui s’agglutinent autour de lui, se jettent sur sa main, à ses pieds et les embrassent goulûment. Nous dirions aujourd’hui, comme le font les grands notables, pour la photo.

C’est ainsi que se forme et se consolide la servitude comme contenu d’un lien d’autorité tissé de contrainte et d’adoration. La main dans les rituels des palais trahit cette relation dont elle laisse deviner les origines guerrières mais aussi affectives et sacrées. Sans ce dernier aspect, on ne comprendrait pas le baiser déposé de nos jours encore en Occident sur la main du pape, par des personnes qu’on dit pourtant libérées par la modernité. On prend conscience, avec cette parenthèse, de la vivacité d’une telle pratique qui a la ressource de se lever jusque dans des recoins de la société moderne où le sacré lui donne refuge. De cette servitude nous avons, pour la plupart d’entre nous qui observons de l’extérieur, une vision simpliste et réductrice. L’enceinte du palais cache à nos yeux des secrets qui réduisent les volontés et font les sujets se prosterner sous la contrainte. Que de gens «très progressistes» vous raconteront comment peu à peu le mystère qui a présidé à leur accès à la maison fortunée, les a acculées, malgré elles, à baiser la main du monarque sans qu’elles y aient songé un seul instant auparavant. Or il suffit d’examiner de près le sentiment des serviteurs au Roi, pour se rendre compte que le baisemain traduit largement une volonté de celui qui l’accomplit.

Nous baisons bien la main de nos pères et de nos bien-aimées. Baiser la main du chef devant lequel on sent le trouble nous envahir comme dans le sentiment amoureux n’est pas plus compliqué. Le serviteur tient au plus haut point à manifester sa fidélité, son attachement et n’a de moyen plus indiqué de le faire, en présence du Roi, qu’en apposant un baiser sur sa main fortunée, al-maymouna. Le baisemain est un moment de proximité unique, qui explique que tant de responsables l’éternisent avec fierté par une photo qu’ils ont toujours bien en vue à leur bureau comme à la maison.

Vu ainsi, le baisemain, en tant que rapport entre deux parties consentantes, ne peut disparaître définitivement qu’en cas de changement radical du lien d’autorité. Dès lors, et vu son contenu et l’empressement de nombreux sujets à s’y appliquer, ce n’est pas au roi qu’il revient de l’interdire. C’est grand-pitié en effet d’empêcher un sujet de donner libre cours à ses effusions sincères. A ma connaissance, le Roi Mohammed VI ne contraint personne de nos jours à s’y conformer. Et personne parmi ceux qui ne baisent pas sa main n’a été livré jusqu’à présent à la solitude de l’exil.

C’est qu’un roi n’a pas besoin du baisemain pour conforter sa puissance, sa main en réalité est partout présente, elle s’est démultipliée avec l’appareil d’Etat. Déjà à l’entrée en audience, les présents sont, comme le dit l’expression en cours, entre ses mains, bayna yadayh, sans qu’ils aient à les toucher.
C’est qu’il a, pour reprendre les vocables en usage, la main haute et longue. Et puis nous ne sommes plus dans une petite communauté où le chef a besoin de bomber le torse pour se faire obéir.
Dans les sociétés complexes le chef délègue pour mieux contrôler, et justement pour mieux avoir en mains. Il éloigne de lui la fonction répressive notamment parce qu’elle porte ombrage à sa personne auguste et clémente.

C’est pour cela qu’on dit que Dieu n’a pas de main gauche dont il laisse le soin à l’ange de la mort. Il suffit pour mieux nous faire entendre à ce sujet de citer un exemple terrestre qui nous fut naguère familier, en se remémorant le cas du défunt Driss Basri qui en fut dépositaire dans le règne précédent et en supporta, à sa disgrâce, tous les désagréments. Aussi se fixer sur la main «physique» du monarque c’est faire fausse route et se refuser à bien comprendre un système dans sa complexité.

Mais c’est aussi une façon de se débarrasser de sa part de responsabilité dans un rituel dont nous sommes partenaires. Attendre du palais de rendre caduc le baisemain et lui en tenir force rigueur à lui seul pour cette pratique relève de la myopie. A supposer par ailleurs qu’il le fasse, il y aura toujours des serviteurs plus zélés que d’autres, ou plus adorateurs, qui ne pourront pas se retenir encore et toujours de baiser sa main à l’envers et à l’endroit.

La différence d’approche entre ces deux articles est frappante: le chercheur Aziz Chahir explique l’instrumentalisation politique et symbolique du protocole royal, élément parmi d’autres de la formation d’une identité politique marocaine marquée par la suprématie royale, tandis que Mohammed Ennaji, ancien disciple de Paul Pascon et ex-sympathisant d’Ilal amam, s’offusque de manière inexplicable de ce que l’ancien premier ministre Abderrahmane Youssoufi aurait conseillé à Mohammed VI le maintien du baisemain – et à le lire, on a l’impression que cela relèverait de la lèse-majesté. Si Ennaji a raison de dire que les rites et cérémonies relevant du protocole royal s’inscrivent dans le long terme, il termine son article en soulignant le caractère mystérieux, adorateur et volontaire du baisemain:

Que de gens «très progressistes» vous raconteront comment peu à peu le mystère qui a présidé à leur accès à la maison fortunée, les a acculées, malgré elles, à baiser la main du monarque sans qu’elles y aient songé un seul instant auparavant. Or il suffit d’examiner de près le sentiment des serviteurs au Roi, pour se rendre compte que le baisemain traduit largement une volonté de celui qui l’accomplit.
Nous baisons bien la main de nos pères et de nos bien-aimées. Baiser la main du chef devant lequel on sent le trouble nous envahir comme dans le sentiment amoureux n’est pas plus compliqué. Le serviteur tient au plus haut point à manifester sa fidélité, son attachement et n’a de moyen plus indiqué de le faire, en présence du Roi, qu’en apposant un baiser sur sa main fortunée, al-maymouna. Le baisemain est un moment de proximité unique, qui explique que tant de responsables l’éternisent avec fierté par une photo qu’ils ont toujours bien en vue à leur bureau comme à la maison.
Vu ainsi, le baisemain, en tant que rapport entre deux parties consentantes, ne peut disparaître définitivement qu’en cas de changement radical du lien d’autorité. Dès lors, et vu son contenu et l’empressement de nombreux sujets à s’y appliquer, ce n’est pas au roi qu’il revient de l’interdire. C’est grand-pitié en effet d’empêcher un sujet de donner libre cours à ses effusions sincères. A ma connaissance, le Roi Mohammed VI ne contraint personne de nos jours à s’y conformer. Et personne parmi ceux qui ne baisent pas sa main n’a été livré jusqu’à présent à la solitude de l’exil.

On ne comprend cependant plus très bien le raisonnement d’Ennaji: initialement, il s’indigne de ce que l’on ait pu croire que le Roi puisse s’abaisser à s’entendre donner conseil sur le baisemain par son Premier ministre. Ensuite, il explique que le rituel du baisemain s’inscrit dans la durée, qu’il n’est pas imposé, qu’il est volontaire et répond à l’affection ou l’adoration ressentie pour le Roi (miroir de celle que l’on ressent pour son père ou sa femme), y compris, mystérieusement, par des anciens progressistes – ce doit être autobiographique là… De deux choses l’une: soit le baisemain est imposé, et effectivement on voit mal le Roi en discuter avec un Premier ministre aussi peu farouche que’Abderrahmane Youssoufi, soit le baisemain est volontaire et reflète l’adoration des sujets pour leur Roi, et alors on comprend mal ce que cela aurait de choquant que le Premier ministre en parle avec le Roi adoré…

Tout juste pourra-t-on en conclure que la servitude volontaire ne se manifeste pas seulement par le baisemain, et que le fait d’avoir été un ancien disciple de Paul Pascon et ancien sympathisant d’Ilal amam n’est en rien une protection efficace.

(1) Ce festival des Andalousies atlantiques est organisé en coopération avec la fondation Tres Culturas del Mediterraneo, fondation qui associe le Maroc, le gouvernement de la province autonome d’Andalousie, Israël (par le biais du Centre Pérès pour la paix), et l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas et Mohammed Dahlan – que du beau monde, on le voit… Petit détail: André Azoulay est président-délégué de cette fondation. Le comité de parrainage comprend, du côté israëlien, le boucher de Qana Shimon Peres, Shlomo Ben Ami, David Rosen (directeur de la fameuse Anti-Defamation League) et Ron Pundak du Centre Peres pour la paix. Du côté marocain, c’est une véritable dream team qui est déployée: Ahmed Herzenni, les frères Fassi Fihri (Ali et Taïeb), Driss Benhima (RAM), Leïla Benjelloun (l’épouse d’Othmane Benjelloun), Fadel Benyaïch du Palais et sa soeur Karima (ambassadeur du Royaume à Lisbonne), Zoulikha Nasri (conseillère royale), Touria Jabrane et – who else? – l’inénarrable, l’incomparable et l’irremplacable Khalid Naciri.

Lettre de supplication de Rachid Nini au Roi Mohammed VI?

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Je n’ai aucune sympathie pour Rachid Nini, éditorialiste et propriétaire d’Al Masae, et j’ai critiqué ici sa condamnation loufoque à 6 millions de dirhams d’amende pour avoir accusé les procureurs de Ksar el Kébir d’homosexualité (cette accusation est infâmante en droit marocain, les relations homosexuelles étant un crime réprimé par l’article 489 du Code pénal). Ses positions critiques vis-à-vis de Fouad Ali El Himma, qualifié de moul traktor, ont pu le faire passer pour un éditorialiste critique et indépendant, en dépit de ses évidentes lacunes en terme de déontologie journalistique – sa condamnation pour diffamation des procureurs de Ksar el Kébir était ainsi absolument méritée quant à l’incrimination (mais excessive quant au montant de l’amende), puisqu’il n’avait évidemment pas l’ombre du commencement du début d’une preuve que ces procureurs se livraient à des relations homosexuelles. 

Pour le quotidien le plus vendu du Maroc (environ 80.000 exemplaires vendus quotidiennement, contre 100.000/120.000 il y a un an), que Rachid Nini a développé en entreprise de presse avec le lancement d’un quotidien francophone Le Soir et le contrôle de la distribution de ses journaux, cette condamnation équivalait à une condamnation à mort financière si elle devait être exécutée.

Rachid Nini vit légitimement fort bien de cette florissante entreprise de presse (dans le contexte ravagé de la presse marocaine, où Le Matin du Sahara ou L’Opinion vendent 18.000 exemplaires, Al ittihad al ichtiraki autour de 6.000, Al Ahdath al Maghribia environ 15.000, Libération 3.000, Le Soir et Aujourd’Hui Le Maroc 5.000 exemplaires, pour ne citer que ceux-là), comme peuvent en témoigner ceux qui l’ont aperçu à la gare Casa Port s’asseoir à l’arrière de sa 4×4 conduite par un chauffeur pour l’amener au siège d’Al Masae, à quelques minutes de là. On peut dès lors concevoir qu’il souhaite éviter l’exécution de la condamnation judiciaire en question.

Et il se dit actuellement que Rachid Nini aurait adressé une supplique au Roi – vous l’avez peut-être lue sur certains sites arabophones, mais rien ne permet d’en garantir l’authenticité – dans laquelle il demande l’absolution des pêchés – en clair, la grâce pour son journal. Rien ne permet de garantir cette information, qui en soi n’est pas infâmante, ni la persistante rumeur que pour prouver sa bonne volonté, il s’apprêterait à consacrer le même traitement que celui réservé à Benchemsi dernièrement à une liste de personnalités peu en cour – la liste va d’Abdelhamid Amine, ex président de l’AMDH, à Khalid Jamaï, chroniqueur du Journal et père de Boubker Jamaï, en passant par Me Abderrahim Berrada, Fouad Abdelmoumni et quelques autres nihilistes. Là encore, vu les options idéologiques de Rachid Nini, cela n’aurait rien d’étonnant et entrerait dans la ligne idéologique de son journal tout en faisant plaisir à certains décideurs.

A suivre…

Khalid Naciri, ou le post-communisme à la marocaine

livre
Comme l’a fait remarquer Abmoul, depuis l’alternance, les ministres de la Communication successifs – Nabil Benabdallah de 2002 à 2007 et Khalid Naciri depuis cette date – sont issus du PPS (1), ex-PLS, ex-Parti communiste marocain – un des rares partis communistes au monde à accepter la monarchie, déjà à l’époque de la patrie du socialisme – Ali Yata, son président de 1944 à 1997. Ce parti, créé en 1974 et descendant direct du Parti communiste du Maroc puis du Parti communiste marocain puis enfin du Parti de la libération et du socialisme (PLS), a connu, sous ses différents acronymes, une persécution certaine des pouvoirs en place, français ou marocain: interdit en 1952 par les autorités coloniales, il le fût à nouveau sous le gouvernement Abdallah Ibrahim en 1959 (interdiction prononcée sur la seule base d’un discours radiophonique du Roi Mohammed V) puis lors du début des années de plomb (en 1969).

La presse de ce parti ne fût pas en reste: dans la brochure « Presse démocratique au Maroc: bilan et difficultés » (Editions Al Bayane, Casablanca, 1982), Ali Yata, leader historique du parti sous ses différentes dénominations de 1944 à 1997 (date de sa mort accidentelle), recense ainsi El Watan (paru clandestinement en 1942, sous le régime de Vichy), Egalité (paru clandestinement en 1944), Espoir (interdit en même temps que le PCM en 1952, paru clandestinement de 1945 jusqu’en 1956), Hayet ech-Chaab (interdit de parution mais publié clandestinement de 1945 à 1956, les autorités coloniales ne voulant pas d’une publication communiste arabophone, puis saisi et interdit en 1959 sous le gouvernement Abdallah Ibrahim), Les Nouvelles Marocaines (interdit en 1951), La Nation (suspendue par le PCM pour « raisons politiques« ), Al Jamahir (interdit en 1959 sous le gouvernement d’Abdallah Ibrahim en même temps que fût prononcée la dissolution du PCM), Al Moukafih (interdit en 1960 puis autorisé en 1961, puis saisi et interdit en 1964 sous le gouvernement d’Ahmed Bahnini), Al Kifah al watani (paru en 1965 puis interdit en 1969) et enfin Al Bayane (saisi à de multiples reprises, dont trois fois en 1981, suspendu trois semaines en février 1981 et en juin 1981) – sans compter la censure, devenue « monnaie courante avec l’accentuation des luttes de classe, d’une façon illégale, notamment à partir de 1972 » (Ali Yata, op. cit., p.74).

 ali yata presse démocratique au Maroc

Pour ceux qui découvriraient la scène politique marocaine, le PPS de 2009 a autant à voir avec le PPS de ces années de plomb que l’USFP d’Abdelouahed Radi avec l’USFP/UNFP des Mehdi Ben Barka, Omar Benjelloun ou Abderrahim Bouabid. C’est dire que plus rien aujourd’hui ne relie le PPS (ou l’USFP) persécuté des annnées de plomb à celui persécuteur de cet an de grâce 2009, sinon la trahison et le reniement, ultimes rappels de partis qui militèrent pour la démocratie.

Pour remuer le couteau dans la plaie, on peut citer ce qu’écrivait feu Ali Yata sur la saisie administrative de la presse dans cette brochure:

« En effet, le ministre de l’intérieur peut faire saisir un ou plusieurs numéros de n’importe quel journal, s’il considère que ce ou ces numéros portent atteinte à l’ordre public. Dans ce domaine, le ministre n’a donc à rendre de compte à personne, ni n’est contrôlé par quiconque. Il est libre d’apprécier à sa façon les articles publiés, de les interpréter comme bon lui semblera, de considérer qu’un article déterminé, un paragraphe de celui-ci, voire une simple phrase – quand il ne s’agit pas d’un seul mot! – sont de nature à troubler l’ordre public. (…) Il s’agit donc là d’un pouvoir discrétionnaire d’une portée dangereuse, porteur d’injustices potentielles et qui revêt le caractère d’une atteinte aux libertés d’opinion et d’expression. (…)

En conclusion, on doit donc dire que la presse libre et démocratique au Maroc rencontre des difficultés d’ordre politique, et ce en fonction de l’évolution générale de la situation politique. C’est pourquoi il convient de poursuivre le combat avec persévérance et fermeté jusqu’à ce que la liberté de publication et d’expression soit pleine et entière, qu’elle soit débarassée de ses entraves, comme le garantit la Constitution et le prévoit la loi » (op.cit., pp. 69-70, 78)

Le tournant ouvertement légaliste du PPS fût acté en 1975, lors du 1er congrès national du PPS, dans le programme du parti « La démocratie nationale, étape historique vers le socialisme« , qui déclarait notamment que « la reconnaissance pleine et entière du libre exercice des libertés par le peuple, afin de lui permettre d’exprimer ses aspirations et ses revendications, est une nécessité impérieuse » (PPS, « La démocratie nationale, étape historique vers le socialisme – Programme du Parti du progrès et du socialisme adopté par le Congrès national des 21, 22 et 23 février 1975 – Casablanca« , Imprimerie Al Maarif, Casablanca, sans date, p.220).

Mais le ver était déjà dans le fruit, dès cette époque: dans la grande tradition stalinienne, le rapport présenté lors de ce congrès national par Ali Yata (« Pour le triomphe de la révolution nationale démocratique et l’ouverture de la voie vers le socialisme« , Imprimerie Al Maarif, Casablanca, sans date), on pouvait lire les passages suivants:

« il en résulte un mécontentement, qui se signale d’abord dans les rangs de la classe ouvrière (…). Ce mécontentement (…) a également favorisé les tendances anarchistes et gauchistes dans les luttes politiques ont aggravé la situation, en affaiblissant les organisations politiques, en perturbant les liens des partis avec les masses populaires et en accroissant l’inquiétude générale et l’incompréhension. Ces tendances ont fait, objectivement, le jeu de l’ennemi impérialiste et néo-colonialiste, le jeu de la réaction » (op.cit., pp. 98-9)

ali yata pour le triomphe de la révolution

Plus loin dans ce même rapport, on retrouve le passage suivant:

« Il convient d’aborder ici un problème un peu particulier, celui du gauchisme. (…) C’est une utopie dangereuse qui flatte démagogiquement certains éléments et tente de les entraîner à sous-estimer l’impérialisme et la réaction. En fait, le gauchisme n’a aucune audience auprès de la classe ouvrière et cela s’exprime aisément, car la classe ouvrière est en confrontation immédiate et quotidienne avec l’impérialisme et peut difficilement se laisser distraire. Mais vis-à-vis des éléments inexpérimentés de la frange de la jeunesse qui n’est pas directement confrontée avec l’impérialisme, ils ont pu acquérir quelqu’audience (…)

Le gauchisme a sa filiation étrangère bien connue: c’est une résurgence de l’anarchisme qui est remis en vogue depuis une vingtaine d ‘années, surtout en Europe occidentale et tout particulièrement en France (…). Le fait est d’importance en ce qui nous concerne, puisqu’une grande partie de nos étudiants vivent en France et qu’ils y sont encouragés à mêler à leurs justes revendications et luttes des propos fracassants et irresponsables, certains allant même jusqu’à se considérer comme des exilés, en exil doré bien sûr.

Le gauchisme n’est pas seulement une resucée de Proudhon ou de Bakounine et d’un éventail éclectique et mal digéré de différents auteurs révolutionnaires et même contemporains, il est aussi alimenté de façon beaucoup plus moderne par des penseurs politiques bourgeois, américains ou d’Europe occidentale, philosophes, économistes ou sociologues d’un pessimisme apocalyptique (…). De la même manière, l’anarchiste Bakounine prétendait, à propos des colonies, qu’il faut faire la révolution sociale avant la révolution nationale et condamnait le patriotisme.

Le gauchisme répond également à certaines particularités historiques du développement du Maroc et exprime à la fois l’impatience et l’impuissance de la petite bourgeoisie, sa crainte de la discipline et de l’ordre, ses difficultés culturelles, sa peur du peuple et sa paralysie face à l’impérialisme, en même temps qu’une volonté d’hégémonie. (…) Il convient cependant de faire une distinction entre, d’une part, les jeunes qui ont été entraînés par leur enthousiasme, par une énergie qui n’a pas trouvé d’autre exuoire, parce que leur inexpérience et leur ignorance ont été abusées, et, d’autre part, les responsables chevronnés, qui nuisent consciemment et délibérément à la cause progressiste pour des motifs inavouables. » (op.cit., pp. 140-2)

Ca vous rappelle quelque chose, vous aussi? Cette jonction rhétorique entre le stalinisme et le discours néo-makhzénien, à 34 années de distance, n’est peut-être pas si étonnante que ça, pour qui connaît le caractère conservateur, moraliste et xénophobe du stalinisme. Mais même le stalinisme, version beldie (la version soviétique originale était autrement plus barbare), avait l’avantage sur la rhétorique néo-makhzénienne d’une certaine décence, apparemment perdue en gravissant les marches du pouvoir:

« Nous sommes et demeurons contre la répression qui s’abat sur les gauchistes persécutés pour leurs idées, tant qu’il s’agit d’idées car si on n’a pas le droit de commettre des actes nuisibles et d’insutler, on peut se tromper et cela ne constitue pas un délit » (op.cit., p. 142)

Hat-tip: Karim pour l’icône.

(1) Pas tout à fait en fait: l’Istiqlalien Mohamed Larbi Messari fût ministre de la communication du gouvernement Youssoufi I (1998-2000), et l’USFP Mohammed Achaari fût titulaire de ce même poste dans le gouvernement Youssoufi II (2000-2002).

Question à Khalid Naciri: Sharon Stone, nihiliste sublimée ou sincère?

Le complot ourdi par Jean-Pierre Tuqoi et cie atteint désormais les rives pourtant amies de Hachette, avec l’habituellement très peu subversif Paris Match, qui publie cette semaine une couverture ouvertement nihiliste, mais dont on peut néanmoins s’interroger pour savoir si elle procède du nihilisme sublimé, du nihilisme destructeur ou du nihilisme sincère.

SHARON~1

J’en laisse l’appréciation finale à l’expert és nihilisme du gouvernement marocain, Khalid Naciri, auteur du célèbre appel à tous les nihilistes sincères, dont un sosie affirmait au mois de mai 2009 que le choix de la liberté d’expression au Maroc était un processus irréversible:

Morocco says expansion of freedom of expression ‘irreversible’ choice
MAP Saturday, 30 May 2009

Communication Minister Government Spokesman Khalid Naciri

The expansion of the scope of the freedom of expression is a fundamental and totally irreversible choice for Morocco, Communication Minister, Government Spokesman, Khalid Naciri, affirmed on Thursday. Speaking at the opening session of a debate on the audiovisual industry in Morocco, Naciri pointed out that this strategic choice is evidenced by the « liberalisation of the audiovisual sector and its opening onto private operators, » adding that so far about ten radio stations were granted licence.

The Moroccan official considered that the newly-established radio stations, both public and private ones, work with a lot of professionalism.

He recalled that the audiovisual liberalisation and the diversification of its products have also allowed for the launch of several specialised TV channels (Assadissa, Arrabia, Arriyadia, Aflam TV…). He noted that a parliamentary as well as a Berber television will be launched soon.

Naciri stated that his department is currently endeavouring to define the contours of « a well constructed plurality » and to establish « audience measurement » mechanisms that are meant to map the conception of a modern and democratic society. »

Hat-tip pour la couverture légèrement modifiée de Paris-Match: Hisham.

Addendum: j’aurais bien aimé mettre la une de la version marocaine de Paris-Match en vis-à-vis afin de permettre à chacun de se convaincre de la perfidie des nihilistes français de Hachette et cie, mais je ne souhaiterais pas fournir à Si Khalid une occasion rêvée de me faire voir Oukacha de l’intérieur.