Ali Anouzla et l’article 133 du Code pénal marocain

La détention de Ali Anouzla accusé de diverses infractions à la législation anti-terroriste – et le sort des deux sites d’information Lakome.com et lakome.fr, le dernier étant géré par Aboubakr Jamaï, ont déclenché un torrent de commentaires, rumeurs, altercations, procès d’intentions, insultes, reproches et postures moralisatrices. Ceux que cette aspect des choses intéresse ne trouveront malheureusement pas leur bonheur ici. Indépendamment des péripéties que je viens de citer, j’estime en effet que quelqu’un qui est en liberté – même relative dans le cas d’un citoyensujet marocain – n’a aucun droit à donner des leçons de morale à un détenu politique qui cherche à quitter la détention, dans les conditions de détention que l’on connaît au Maroc. Il serait donc indécent de ma part de commenter les choix d’Ali Anouzla dans le cadre d’une défense s’inscrivant dans un procès politique où les considérations juridiques sont, au Maroc, secondaires. D’autre part, l’intéressé étant enfermé, nul ne peut réellement savoir ce qu’il pense ou ce qu’il a déclaré sur les différents aspects de son affaire. Enfin, et beaucoup l’oublient, le problème fondamental n’est pas qui a dit quoi sur qui ou qui pense quoi de qui, mais plutôt qu’un journaliste est enfermé depuis plus d’un mois pour avoir posté un lien dans un article de presse. Mais il faut croire que, une fois de plus, le tberguig prend le pas sur le politique…

Mais faisons un retour à la politique-fiction: faisons comme si le Maroc était un Etat de droit avec une justice indépendante et comme si le droit était une considération déterminante dans l’affaire Anouzla.

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La question de l’intention criminelle – je prends ici crime au sens large d’infraction, et non pas dans l’acception qu’en fait l’article 16 du Code pénal –  est fondamentale en droit pénal. En effet, sans intention criminelle, pas de responsabilité pénale. C’est ainsi que les mineurs et les « aliénés mentaux« , pour utiliser la terminologie délicieusement obsolète de notre Code pénal ne sont pas punissables, en raison du manque de discernement dont ils souffrent et qui est réputé alors écarter la possibilité de reconnaître à leurs actes – même commis en violation de la loi pénale – un caractère intentionnel. Si l’élément matériel de l’infraction (c’est-à-dire l’acte ou l’omission punissable par la loi pénale – actus reus pour utiliser la terminologie pénaliste anglo-saxonne) existe, le défaut d’élément moral ou intentionnel (c’est-à-dire l’intention de commettre l’acte ou l’omission réprimée par la loi – mens rea) empêche l’application d’une sanction pénale (1).

Le Code pénal marocain reprend ces principes bien connus du droit pénal, en écartant toute sanction pénale pour les mineurs et les personnes n’étant pas saines d’esprit.

Les mineurs tout d’abord (notons que la minorité absolue est très basse, seulement douze ans, avec un régime intermédiaire d’irresponsabilité partielle pour les mineurs entre douze et dix-huit ans):

SECTION III DE LA MINORITE PENALE

Article 138
Le mineur de moins de douze ans est considéré comme irresponsable pénalement par défaut de discernement.

Il ne peut faire l’objet que des dispositions du livre III de la loi relative à la procédure pénale .

Article 139
Le mineur de douze ans qui n’a pas atteint dix-huit ans est, pénalement, considéré comme partiellement irresponsable en raison d’une insuffisance de discernement.

Le mineur bénéficie dans le cas prévu au premier alinéa du présent article de l’excuse de minorité, et ne peut faire l’objet que des dispositions du livre III de la loi relative à la procédure pénale .

Article 140
Les délinquants ayant atteint la majorité pénale de dix-huit ans révolus, sont réputés pleinement responsables.

Les « aliénés » ensuite:

SECTION II DE L’ALIENATION MENTALE

Article 134
N’est pas responsable et doit être absous celui qui, au moment des faits qui lui sont imputés, se trouvait par suite de troubles de ses facultés mentales dans l’impossibilité de comprendre ou de vouloir.

En matière de crime et de délit, l’internement judiciaire dans un établissement psychiatrique est ordonné dans les conditions prévues à l’article 76.

En matière de contravention, l’individu absous, s’il est dangereux pour l’ordre public, est remis à l’autorité administrative.

Article 135
Est partiellement irresponsable celui qui, au moment où il a commis l’infraction, se trouvait atteint d’un affaiblissement de ses facultés mentales de nature à réduire sa compréhension ou sa volonté et entraînant une diminution partielle de sa responsabilité.

En matière de crime et de délit, il est fait application au coupable des peines ou mesures de sûreté prévues à l’article 78.

En matière de contravention, il est fait application de la peine, compte tenu de l’état mental du contrevenant.

Article 136
Lorsqu’une juridiction d’instruction estime qu’un inculpé présente des signes manifestes d’aliénation mentale, elle peut, par décision motivée, ordonner son placement provisoire dans un établissement psychiatrique en vue de sa mise en observation et, s’il y a lieu, de son hospitalisation dans les conditions prévues par le dahir n° l-58-295 du 21 chaoual 1378 (30 avril 1959) relatif à la prévention et au traitement des maladies mentales et à la protection des malades mentaux .

Le chef du parquet général de la cour d’appel devra être avisé par le psychiatre traitant de la décision de sortie, dix jours au moins avant qu’elle ne soit exécutée. Il pourra exercer un recours contre cette décision dans les conditions fixées par l’article 28 du dahir précité. Ce recours sera suspensif.

En cas de reprise des poursuites, et de condamnation à une peine privative de liberté, la juridiction de jugement aura la faculté d’imputer la durée de l’hospitalisation sur celle de cette peine.

Article 137
L’ivresse, les états passionnels ou émotifs ou ceux résultant de l’emploi volontaire de substances stupéfiantes ne peuvent, en aucun cas, exclure ou diminuer la responsabilité.

Les coupables peuvent être placés dans un établissement thérapeutique conformément aux dispositions des articles 80 et 81.

Mais ces deux cas ne sont que des manifestations particulières du principe général, exprimé aux articles 132 et 133 du Code pénal, applicable de manière générale aux personnes autres que les mineurs et les « aliénés« :

CHAPITRE II DE LA RESPONSABILITE PENALE
(Articles 132 à 140)
SECTION I DES PERSONNES RESPONSABLES
(Articles 132 et 133)

Article 132
Toute personne saine d’esprit et capable de discernement est personnellement responsable :
-Des infractions qu’elle commet;
-Des crimes ou délits dont elle se rend complice;
-Des tentatives de crimes;
-Des tentatives de certains délits qu’elle réalise dans les conditions prévues par la loi.

Il n’est dérogé à ce principe que lorsque la loi en dispose autrement.

Article 133
Les crimes et les délits ne sont punissables que lorsqu’ils ont été commis intentionnellement.

Les délits commis par imprudence sont exceptionnellement punissables dans les cas spécialement prévus par la loi.

Les contraventions sont punissables même lorsqu’elles ont été commises par imprudence, exception faite des cas où la loi exige expressément l’intention de nuire.

S’agissant d’Ali Anouzla, rédacteur en chef du site d’actualité arabophone Lakome.com, arrêté le 17 septembre et détenu depuis sur la base d’accusation d’apologie et d’incitation au terrorisme – il avait publié un lien vers une vidéo d’Al Qaïda au Maghreb islamique menaçant le Maroc dans un article consacré à cette vidéo  (« Pour la première fois, AQMI s’attaque à Mohammed VI« )- on peut présumer qu’il n’est ni mineur ni « aliéné« . Il est poursuivi sous le coup de la législation anti-terroriste pour apologie et incitation au terrorisme:

Le parquet général a chargé le juge d’instruction près la cour d’appel de Rabat d’enquêter sur la base d’accusations d' »assistance matérielle« , « d’apologie » et « d’incitation à l’exécution d’actes terroristes« , a indiqué le procureur général du roi dans un communiqué. « L’enquête va se poursuivre dans le cadre de la loi antiterroriste« , avant une éventuelle mise en examen, a précisé une de ses avocats, Naïma Guellaf. (Le Monde)

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Les dispositions pénales en question sembleraient donc être les articles 218-2, 218-4, 218-5 et 218-6 du Code pénal, reproduits ci-après:

Article 218-2

Est puni d’un emprisonnement de 2 à 6 ans et d’une amende de 10.000 à 200.000 dirhams, quiconque fait l’apologie d’actes constituant des infractions de terrorisme, par les discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou les réunions publics ou par des écrits, des imprimés vendus, distribués ou mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics soit par des affiches exposées au regard du public par les différents moyens d’information audio-visuels et électroniques.

Article 218-4

Constituent des actes de terrorisme les infractions ci-après :
– le fait de fournir, de réunir ou de gérer par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, des fonds, des valeurs ou des biens dans l’intention de les voir utiliser ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, en vue de commettre un acte de terrorisme, indépendamment de la survenance d’un tel acte ;
– le fait d’apporter un concours ou de donner des conseils à cette fin.
Les infractions visées au présent article sont punies :
* pour les personnes physiques, de cinq à vingt ans de réclusion et d’une amende de 500.000 à 2.000.000 de dirhams ;
* pour les personnes morales, d’une amende de 1.000.000 à 5.000.000 de dirhams, sans préjudice des peines qui pourraient être prononcées à l’encontre de leurs dirigeants ou agents impliqués dans les infractions.

La peine est portée à dix ans et à trente ans de réclusion et l’amende au double :
– lorsque les infractions sont commises en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle ;
– lorsque les infractions sont commises en bande organisée ;
– en cas de récidive.

La personne coupable de financement du terrorisme encourt, en outre, la confiscation de tout ou partie de ses biens.

Article 218-5

Quiconque, par quelque moyen que ce soit, persuade, incite ou provoque autrui à commettre l’une des infractions prévues par le présent chapitre, est passible des peines prescrites pour cette infraction.

Article 218-6

Outre les cas de complicité prévus à l’article 129 du présent code, est puni de la réclusion de dix à vingt ans, quiconque, sciemment, fournit à une personne auteur, coauteur ou complice d’un acte terroriste, soit des armes, munitions ou instruments de l’infraction, soit des contributions pécuniaires, des moyens de subsistance, de correspondance ou de transport, soit un lieu de réunion, de logement ou de retraite ou qui les aide à disposer du produit de leurs méfaits, ou qui, de toute autre manière, leur porte sciemment assistance.

Toutefois, la juridiction peut exempter de la peine encourue les parents ou alliés jusqu’au quatrième degré, inclusivement, de l’auteur, du coauteur ou du complice d’un acte terroriste, lorsqu’ils ont seulement fourni à ce dernier logement ou moyens de subsistance personnels.

Les chefs d’inculpation retenus sont très larges, objectif par ailleurs des législations anti-terroristes qui pullulent de par le monde, et pas seulement depuis le 11 septembre: le droit anti-terroriste est généralement un droit d’exception visant soit à réprimer des actes généralement non-réprimés, soit à étendre la culpabilité pour terrorisme à des actes préparatoires, soit à aggraver les peines applicables, soit, comme au Maroc, à cumuler tous ces objectifs.

Mais pour déterminer s’il y a apologie de terrorisme, encore faut-il définir ce qu’est le terrorisme. Si c’est une définition notoirement difficile à cerner sur le plan international, le législateur marocain en a fait la définition à l’article 218-1 – adopté le 28 mai 2003, dans la foulée des attentats du 16 mai 2003:

Article 218-1

Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence, les infractions suivantes :
1) l’atteinte volontaire à la vie des personnes ou à leur intégrité, ou à leurs libertés, l’enlèvement ou la séquestration des personnes ;
2) la contrefaçon ou la falsification des monnaies ou effets de crédit public, des sceaux de l’Etat et des poinçons, timbres et marques, ou le faux ou la falsification visés dans les articles 360, 361 et 362 du présent code ;
3) les destructions, dégradations ou détériorations ;
4) le détournement, la dégradation d’aéronefs ou des navires ou de tout autre moyen de transport, la dégradation des installations de navigation aérienne, maritime et terrestre et la destruction, la dégradation ou la détérioration des moyens de communication ;
5) le vol et l’extorsion des biens ;
6) la fabrication, la détention, le transport, la mise en circulation ou l’utilisation illégale d’armes, d’explosifs ou de munitions ;
7) les infractions relatives aux systèmes de traitement automatisé des données ;
8) le faux ou la falsification en matière de chèque ou de tout autre moyen de paiement visés respectivement par les articles 316 et 331 du code de commerce ;
9) la participation à une association formée ou à une entente établie en vue de la préparation ou de la commission d’un des actes de terrorisme ;
10) le recel sciemment du produit d’une infraction de terrorisme.

De manière classique, le législateur a prévu une liste d’infractions matérielles lesquelles constituent des actes de terrorisme si elles sont commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective visant à porter gravement atteinte à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence. Les infractions terroristes figurant aux articles 218-2 à 218-8 découlent, quant à leur caractérisation de « terroristes« , de cette définition-là.

Toutes ces infractions sont soit des délits (c’est-à-dire des infractions punissables d’un mois à cinq ans de détention – cf. article 17 du Code pénal) soit des crimes (infractions punissables de cinq ans ou plus de réclusion, ou de la peine capitale – cf. article 16 du Code pénal). Elles tombent donc sous l’empire de l’article 133 du Code pénal cité plus haut: « les crimes et les délits ne sont punissables que lorsqu’ils ont été commis intentionnellement« . Ne peut donc commettre un crime ou délit à caractère terroriste que celui qui en avait l’intention clairement exprimée. L’imprudence n’est pas punissable – l’alinéa 3 de l’article 133 prévoit ainsi que « les contraventions sont punissables même lorsqu’elles ont été commises par imprudence, exception faite des cas où la loi exige expressément l’intention de nuire« . Ceci veut dire qu’a contrario, les infractions autres que conventionnelles ne sont pas punissables lorsque’elles ont été commises par imprudence – sauf si bien évidemment la loi en dispose autrement.

Il en découle donc qu’a supposer que la matérialité des faits reprochés à Ali Anouzla soit établie – ce qui est discutable, nous allons le voir – encore faut-il prouver qu’Ali Anouzla ait eu l’intention de commettre les infractions qui lui sont reprochées – apologie du terrorisme (article 218-2 du Code pénal), incitation à la commission d’actes terroristes (article 218-5 du Code pénal) et soutien matériel au terrorisme (article 218-4 ou 218-6 du Code pénal). Le comparatiste notera au passage que la notion de soutien matériel est identique à la notion de « material support » qui a cours en vertu de l’US Patriot Act étatsunien.

Il faudrait donc que la publication du lien vers le site de Lakome.fr ayant publié la vidéo ait été faite par Ali Anouzla dans le but de faire l’apologie, d’inciter à l’accomplissement ou de soutenir matériellement les actes terroristes d’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dont ces derniers menacaient le Maroc dans cette vidéo. Pour déterminer si tel était son but, il faudrait bien évidemment prouver qu’il soutienne les buts terroristes d’AQMI, et qu’en publiant ce lien vers leur vidéo il entendait soit les soutenir, soit faire l’apologie de leurs activités terroristes, soit inciter ses lecteurs à commettre des actes terroristes. Un commentaire objectif des menaces d’un groupe terroriste et l’indication d’un lien vers la vidéo dans laquelle celui-ci proférait ces menaces ne constitue ni apologie (« discours ou écrit glorifiant un acte expressément réprimé par la loi pénale«  selon Larousse) ni incitation (« action d’inciter, de pousser à faire quelque chose » toujours selon Larousse).

Or, le texte de l’article litigieux se borne à présenter la « vidéo de propagande » – tels sont les termes utilisés par Lakome.com –  d’AQMI, d’indiquer qu’elle menace explicitement et pour la première fois tant le Maroc que son Roi, et énumérant les motifs donnés par AQMI pour ces menaces, dont la coopération sécuritaire avec les Etats-Unis.L’article s’achevait en relevant qu’AQMI n’avait jamais frappé le Maroc, et évoquait l’attentat de l’Argana à Marrkech en mai 2011 pour souligner qu’AQMI accusait les autorités marocaines d’en être les instigatrices. On a vu mieux comme appel au jihad – et on notera l’absence de tout remarque positive, laudatrice ou appelant à suivre l’appel d’AQMI dans le chef de Lakome.

Bref, face à des juges indépendants et impartiaux, non seulement Ali Anouzla ne serait jamais condamné mais il serait en toute probabilité jamais poursuivi. A titre de comparaison, on peut comparer avec la pratique française de ces dernières années – je ne partage pas l’obsession marocaine pour tout ce qui est français, mais il se trouve qu’une comparaison intéressante est possible.

On notera tout d’abord l’arrestation récente – le 20 septembre, soit trois jours après Ali Anouzla –  d’un Français converti à l’islam pour apologie de terrorisme. Avait-il publié un lien vers une vidéo d’Al qaïda? Non: il était l’administrateur d’un site jihadiste Ansar al haqq et traducteur de la version française de la revue électronique d’Al Qaïda, Inspire… Si Romain L., alias alias Abou Siyad al Normandi a certes publié des communiqués d’AQMI sur le forum qu’il administrait, on peut présumer que le contexte de ces publications – de par l’idéologie de Romain L et des visiteurs du forum qu’il animait – pouvait amener à donner à ces publications un caractère apologétique. Mais ce sont surtout ses traductions pour Inspire ainsi que sa diffusion de ce magazine d’Al Qaïda qui ont suscité l’intérêt du ministère public:

« L’enquête démontre que Romain L. a en outre et surtout eu un rôle actif dans la traduction en langue française et la diffusion du dixième et onzième opus de la revue électronique Inspire, revue de propagande anglophone destinée à toucher une audience des plus larges, créée le 2 juillet 2010 par Al Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA), relayant des écrits de cadres d’AQPA tout à la fois apologétiques, incitatifs et opérationnels« , a ajouté le parquet.

« La revue Inspire contient des articles théologiques, des récits de combattants exhortant au jihad, mais aussi des cibles et des manuels pratiques, comme « Comment construire une bombe dans la cuisine de votre mère ». « L’émergence d’une communauté jihadiste virtuelle, qui attire un public de plus en plus large et de plus en plus jeune, vecteur de propagande, de radicalisation et de recrutement, à l’origine du basculement d’individus isolés dans le terrorisme, est au coeur des préoccupations en matière de lutte contre le terrorisme« , a souligné le parquet de Paris. (Tendance Ouest)

Abou Siyad al Normandi n’était donc pas un rédacteur en chef d’un site d’actualité généraliste et non-partisan, couvrant de manière neutre et objective l’actualité, y compris celle en relation avec le terrorisme. Il n’était pas un rédacteur en chef n’ayant jamais déclaré son appartenance idéologique et n’ayant pas exprimé de sympathie pour l’idéologie du groupe terroriste dont il a diffusé des communiqués. Il n’a pas non plus qualifié les communiqués d’Al Qaïda de « propagande« .

Autre cas, plus célèbre celui-là, et critiqué en doctrine: l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2008 dans l’affaire Leroy contre France. Rappel des faits: un caricaturiste basque signant sous le nom de plume Guezmer (alais Denis Leroy) publia dans la revue indépendantiste franco-basque Ekaitza une caricature le 13 septembre 2001 avec pour légende « NOUS EN AVIONS TOUS RÊVÉ … LE HAMAS L’A FAIT ». Poursuivi pour apologie du terrorisme, il fût condamné à 1.500 euros d’amende. Ayant succombé tant en appel qu’en cassation, il se tourna vers la Cour EDH, invoquant l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme – sans succès:

41. La Cour relève d’emblée que les actes tragiques du 11 septembre 2001 qui sont à l’origine de l’expression litigieuse ont entraîné un chaos mondial et que les questions abordées à cette occasion, y compris l’interprétation qu’en fait le requérant, relèvent du débat d’intérêt général.

42. La Cour note que le dessin montrant la destruction des tours accompagné de la légende « nous en avions tous rêvé, le Hamas l’a fait », pastichant un slogan publicitaire d’une grande marque, a été considéré par les juridictions nationales comme constitutif de complicité d’apologie du terrorisme. Selon les autorités, même non suivie d’effet, la publication litigieuse revendique l’efficacité de l’acte terroriste en idéalisant les attentats perpétrés le 11 septembre. Ainsi, la cour d’appel a jugé « qu’en faisant une allusion directe aux attaques massives dont Manhattan a été le théâtre, en attribuant ces événements à une organisation terroriste notoire, et en idéalisant ce funeste projet par l’utilisation du verbe rêver, donnant une valorisation non équivoque à un acte de mort, le dessinateur justifie le recours au terrorisme, adhérant par l’emploi de la première personne du pluriel (« nous » à ce moyen) de destruction, présenté comme l’aboutissement d’un rêve et en encourageant indirectement en définitive le lecteur potentiel à apprécier de façon positive la réussite d’un fait criminel ». Le requérant reproche à la cour d’appel d’avoir nié sa véritable intention, qui relevait de l’expression politique et militante, celle d’afficher son antiaméricanisme à travers une image satirique et d’illustrer le déclin de l’impérialisme américain. Selon lui, les éléments constitutifs de l’apologie du terrorisme n’étaient pas réunis en l’espèce pour justifier une restriction à la liberté d’expression.

43. La Cour ne partage pas l’analyse du requérant. Elle estime au contraire que le critère mis en œuvre par la cour d’appel de Pau pour juger du caractère apologétique du message délivré par le requérant est compatible avec l’article 10 de la Convention. Certes, l’image des quatre immeubles de grande hauteur qui s’effondrent dans un nuage de poussière peut en soi démontrer l’intention de l’auteur. Mais vue ensemble avec le texte qui l’accompagne, l’œuvre ne critique pas l’impérialisme américain, mais soutient et glorifie sa destruction par la violence. A cet égard, la Cour se base sur la légende accompagnant le dessin et constate que le requérant exprime son appui et sa solidarité morale avec les auteurs présumés par lui de l’attentat du 11 septembre 2001. De par les termes employés, le requérant juge favorablement la violence perpétrée à l’encontre des milliers de civils et porte atteinte à la dignité des victimes. La Cour approuve l’avis de la cour d’appel selon laquelle « les intentions du requérant étaient étrangères à la poursuite » ; celles-ci n’ont d’ailleurs été exprimées que postérieurement et n’étaient pas de nature, au vu du contexte, à effacer l’appréciation positive des effets d’un acte criminel. Elle relève à cet égard que la provocation n’a pas à être nécessairement suivie d’effet pour constituer une infraction (voir, paragraphe 14 ci-dessus ; voir également le paragraphe 19, et particulièrement l’article 8 de la Convention pour la prévention du terrorisme).

44. Certes, cette provocation relevait de la satire dont la Cour a dit qu’il s’agissait d’une « forme d’expression artistique et de commentaire social [qui] par ses caractéristiques intrinsèques d’exagération et de distorsion de la réalité, (…) vise naturellement à provoquer et à susciter l’agitation (Vereinigung Bildender Künstler, précité, § 33). Elle a ajouté aussi que toute atteinte au droit d’un artiste de recourir à pareil mode d’expression doit être examinée avec une attention particulière (ibidem). Toutefois, il n’en reste pas moins que le créateur, dont l’œuvre relève de l’expression politique ou militante, n’échappe pas à toute possibilité de restriction au sens du paragraphe 2 de l’article 10 : quiconque se prévaut de sa liberté d’expression assume, selon les termes de ce paragraphe, des « devoirs et responsabilités».

45. A cet égard, si les juridictions internes n’ont pas pris en compte l’intention du requérant, elles ont en revanche, en vertu de l’article 10, examiné si le contexte de l’affaire et l’intérêt du public justifiaient l’éventuel recours à une dose de provocation ou d’exagération. Force est de constater à cet égard que la caricature a pris une ampleur particulière dans les circonstances de l’espèce, que le requérant ne pouvait ignorer. Le jour des attentats, soit le 11 septembre 2001, il déposa son dessin et celui-ci fut publié le 13 septembre, alors que le monde entier était sous le choc de la nouvelle, sans que des précautions de langage ne soient prises de sa part. Cette dimension temporelle devait passer, selon la Cour, pour de nature à accroître la responsabilité de l’intéressé dans son compte rendu ‑ voire soutien ‑ d’un événement tragique, qu’il soit pris sous son angle artistique ou journalistique. De plus, l’impact d’un tel message dans une région politiquement sensible n’est pas à négliger ; nonobstant son caractère limité du fait de sa publication dans l’hebdomadaire en question, la Cour constate cependant que celle-ci entraîna des réactions (paragraphe 10 ci-dessus), pouvant attiser la violence et démontrant son impact plausible sur l’ordre public dans la région.

46. La Cour parvient en conséquence à la conclusion que la « sanction » prononcée contre le requérant repose sur des motifs « pertinents et suffisants ».

47. La Cour note aussi que le requérant a été condamné au paiement d’une amende modérée. Or, la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence.

Dans ces circonstances, et eu égard en particulier au contexte dans lequel la caricature litigieuse a été publiée, la Cour estime que la mesure prise contre le requérant n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi.

Là aussi, on est très loin du cas de figure de Ali Anouzla: Denis Leroy a été condamné pour avoir publié un dessin se réjouissant ouvertement des attentats terroristes du 11 septembre à New York. Il ne s’agissait pas d’information factuelle, mais de journalisme d’opinion par le truchement d’une caricature. Mais même dans ce cas, Denis Leroy ne fût jamais privé de liberté, sa seule sanction pénale étant une amende modérée. Cet arrêt a cependant été critiqué (ici par exemple), ce qui peut se comprendre si on se réfère aux conclusions des experts du Conseil de l’Europe en matière de terrorisme (réunis au sein du CODEXTER), consignées dans un rapport de 2004, cité dans l’arrêt Leroy contre France:

« (…) Le CODEXTER-Apologie a décidé de se concentrer sur les expressions publiques de soutien à des infractions terroristes et/ou à des groupes terroristes ; le lien de causalité – direct ou indirect – avec la perpétration d’une infraction terroriste ; la relation temporelle – antérieure ou postérieure – avec la perpétration d’une infraction terroriste.

Le comité s’est donc concentré sur le recrutement de terroristes et la création de nouveaux groupes terroristes ; l’instigation de tensions ethniques et religieuses qui peuvent servir de base au terrorisme ; la diffusion de « discours de haine » et la promotion d’idéologies favorables au terrorisme, tout en accordant une attention particulière à la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme concernant l’application du paragraphe 2 de l’article 10 de la CEDH et à l’expérience des Etats dans la mise en œuvre de leurs dispositions nationales sur « l’apologie du terrorisme » et/ou « incitement to terrorism » afin d’analyser attentivement le risque potentiel de restriction des libertés fondamentales. (…)

La question est de savoir où se trouve la limite entre l’incitation directe à la commission d’infractions terroristes et l’expression légitime d’une critique, et c’est cette question que le CODEXTER a examinée. (…)

La provocation directe ne soulève pas de problème particulier, dans la mesure où elle est déjà érigée, sous une forme ou une autre, en infraction pénale dans la plupart des systèmes juridiques. L’incrimination de la provocation indirecte vise à combler les lacunes existantes en droit international ou dans l’action internationale en ajoutant des dispositions dans ce domaine.

Les Parties disposent d’une certaines latitude en ce qui concerne la définition de l’infraction et sa mise en œuvre. Par exemple la présentation d’une infraction terroriste comme nécessaire et justifiée pourrait être constitutive d’une infraction d’incitation directe.

Toutefois, cet article ne s’applique que si deux conditions sont réunies. En premier lieu, il doit y avoir une intention expresse d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, critère auquel s’ajoutent ceux énoncés au paragraphe 2 (voir ci-dessous), à savoir que la provocation doit être commise illégalement et intentionnellement.

Deuxièmement, l’acte considéré doit créer un risque de commission d’une infraction terroriste. Pour évaluer si un tel risque est engendré, il faut prendre en considération la nature de l’auteur et du destinataire du message, ainsi que le contexte dans lequel l’infraction est commise, dans le sens établi par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. L’aspect significatif et la nature crédible du risque devraient être pris en considération lorsque cette disposition est appliquée, conformément aux conditions établies par le droit interne. (…) »

En l’occurence, dans l’affaire Denis Leroy, il n’est pas sûr que ces deux dernières conditions aient été réunies. Que dire alors d’un cas comme celui de Ali Anouzla, même si la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas applicable? On notera ainsi que c’est sur le site de Lakome.fr, dirigé par Aboubakr Jamaï, que la vidéo fût publiée la première fois – mais Jamaï n’a pas été poursuivi. On relévera également que Ali Anouzla a déjà été dans le collimateur du makhzen, et que cette affaire a abouti à la plus grande opération de censure d’Internet de l’histoire de la répression au Maroc

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Pas étonnant donc que le Maroc soit classé 136e au classement RSF – certes non scientifique – sur la liberté de la presse dans le monde, soit après l’Afghanistan…

En savoir plus:

– « Affaire Ali Anouzla. Communiqué de Lakome« ;
– « Communiqué d’Aboubakr Jamaï« , Lakome;
– « In Morocco, Why is a Journalist Really Behind Bars?« , Eric Goldstein, HRW;
– « MOROCCO: JOURNALIST HELD FOR ARTICLE ON AQIM VIDEO: ALI ANOUZLA« , Amnesty International;
– « Maroc: pour Aboubakr Jamaï, l’arrestation d’Ali Anouzla est «un attentat contre la liberté d’expression»« ;
– « Le journaliste Ali Anouzla dans les griffes du pouvoir« , par Moulay Hicham;
– « USFP : la députée Hassnae Abou Zaid dénonce les accusations de Karim Ghellab dans l’affaire Anouzla« ;
– « Karim Tazi : Ali Anouzla «paie le prix» du DanielGate« ;
– « Ali Anouzla, le messie d’une aube nouvelle » par Ali Amar;
– « A quoi sert un bon journaliste au Maroc? » par Driss Ksikes;
– « Ali Anouzla, un journaliste trop libre toujours en prison« par Ali Sbaï de Lakome;
– « Maroc : Plus de 60 organisations appellent à la libération d’Ali Anouzla« , Yabiladi.com;
– « Affaire Ali Anouzla. Mobilisation sans précédent des journalistes marocains« , Lakome;
– « Website editor held for posting Al Qaeda video« , RSF;
– « Nous sommes tous Ali Anouzla« , Goud.ma (mais ça date de ce printemps et il s’agissait alors du Sahara…).

Quelques considérations juridiques sur la notion d’apologie du terrorisme et la lutte anti-terroriste au Maroc:
– « “Apologie du terrorisme” et “Incitement to terrorism”« , du Comité des experts sur le terrorisme du Conseil de l’Europe;
– « Speaking of terror: A survey of the effects of counter-terrorism legislation on freedom of the media in Europe » de David Banisar, pour le compte du Conseil de l’Europe;
– « RECUEIL DE LA JURISPRUDENCE PERTINENTE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME SUR L’APOLOGIE DU TERRORISME (2004-2008)« , Conseil de l’Europe;
– « International Commission of Jurists: Response to the European Commission Consultation on Inciting, Aiding or Abetting Terrorist Offences« , International Commission of Jurists;
– « BACKGROUND PAPER ON Human Rights Considerations in Combating Incitement to Terrorism and Related Offences« , Organisation for Security and Co-operation in Europe, Office for Democratic Institutions and Human Rights;
– « Freedom of Speech, Support for Terrorism, and the Challenge of Global Constitutional Law« , Daphne Barak-Erez et David Scharia, Harvard National Security Joiurnal;
– « MILITANT SPEECH ABOUT TERRORISM IN A SMART MILITANT DEMOCRACY« , Clive Walker, Mississippi Law Journal;
– « Incitement to Terrorism: A Matter of Prevention or Repression?« , The International Centre for Counter‐Terrorism;
– « The effects of counter-terrorism legislation on freedom of speech in Europe« , Mathias Vermeulen;
– « LES AUTORITES MAROCAINES A L’EPREUVE DU TERRORISME : LA TENTATION DE L’ARBITRAIRE: Violations flagrantes des droits de l’Homme dans la lutte anti-terroriste« , FIDH.

(1) Vous trouverez ici une explication très pédagogique des notions d’actus reus et de mens rea, en français et sur base du droit pénal canadien.

Mon programme ministériel: briser en mille morceaux l’appareil judiciaire existant

Quand on est juriste, on ne refuse pas l’offre du poste de ministre de la justice. J’accepte donc ma nomination à ce poste des mains de Moorish Wanderer, sous quelques conditions que je vais vous détailler, mais il me semble également correct de vous fournir mon programme d’action ministériel.

Je n’accepte le ministère de la justice que s’il inclut la tutelle du Secrétariat général du gouvernement (SGG). Le SGG devrait garder  son rôle et son autonomie administrative, mais il est inconcevable que l’organe gouvernemental en charge du respect du formalisme juridique – sans compter le bric-à-brac de tâches dévolues tel que la tutelle des pharmacies et le contrôle de la déclaration d’utilité publique des associations – dans la production réglementaire et législative ne soit pas dans le périmètre du ministère de la justice. Qui nommer à ce poste? L’âpreté, l’opiniâtreté, le goût des tâches ingrates et un certain penchant vers l’ésotérisme sont des qualités nécessaires à ce poste. Discuter de l’opération Ecouvillon à Paris un samedi soir autour d’un pack de Kro témoigne des ressources morales et intellectuelles nécessaires à une telle tâche – je désigne donc le Cercle des jeunes débiles marocains comme secrétaire général du gouvernement.

D’autre part, il est évidemment hors de question d’accepter un poste de ministre de la justice qui n’inclurait pas également la tutelle des réformes constitutionnelles indispensables sans lesquelles cette fonction ne serait que l’équivalent de la charge de chef de l’orchestre du Titanic en train de sombrer. Un ministre délégué affecté exclusivement à cette tâche est indispensable, et je ne vois que abmoul pour cela.

Enfin, impossible de réformer la justice marocaine si on ne créée pas le nouveau juriste marocain de demain. Pour cela, il est indispensable de mener des réformes radicales de l’enseignement juridique dans les facultés marocaines. Un ministre délégué à l’enseignement du droit est donc nécessaire, et je ne vois que lionne d’Atlas pour cette tâche.

Ces préalables posés, mon programme ministériel serait le suivant, sous réserve des consultations d’envergure avec le monde judiciaire et la population qui seront indispensables pour réformer la justice en la rendant rapide, respectueuse des droits, intègre et proche du citoyen :

  • Dans les tous premiers jours de mon mandat, présentation à la Chambre des représentants d’un projet de loi dont l’article premier dirait ceci « Les actes, à portée générale ou individuelle, du Roi, du premier ministre, des ministres et des secrétaires d’Etat peuvent faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir ou de plein contentieux devant le tribunal administratif de Rabat . Par acte on entend toute décision contraignante, qu’elle prenne la forme ou non d’un dahir, d’un décret ou d’un arrêté». Les gens cultivés d’entre vous reconnaîtront ici l’enterrement première classe de la funeste jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour suprême de 1970 Société propriété agricole Abdelaziz, selon laquelle les actes royaux, quel que soit leur forme, sont insusceptibles de tout recours et donc de tout contrôle judiciaire. Cette loi, ou du moins le principe de contrôle juridictionnel de tout acte royal,  serait ensuite reprise dans la Constitution révisée.
  • Les dispositions constitutionnelles et législatives au sujet du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) seront réformées, au nom de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice : la présidence du chef de l’Etat rendue purement honorifique, la présidence effective étant transférée à un président élu par les membres du CSM ; le ministre de la justice perd son statut de membre et n’est plus qu’un observateur avec faculté de participer aux débats et de faire des propositions ; la composition du CSM étendue aux professions judiciaires, aux facultés de droit et à Diwan al madhalim ; le pouvoir de prendre les décisions concernant l’avancement, la carrière et le régime disciplinaire des magistrats transféré au CSM ;
  • Création de nouveaux types de recours : introduction d’un équivalent du writ of habeas corpus permettant à toute personne privée de liberté de saisir à tout moment la justice pour obtenir sa libération ; introduction d’un recours en amparo, sur le mode hispanique, permettant à toute personne d’obtenir du juge une injonction de faire ou de ne pas faire pour la protection de ses droits et libertés constitutionnels ;
  • Suppression progressive mais néanmoins rapide des différents ordres de juridiction – tribunaux de droit commun, tribunaux administratifs, tribunaux du commerce devront être fusionnés en un ordre juridictionnel unique avec des chambres spécialisées – ceci dans un souci de simplification, les conflits de juridiction étant évités et le justiciable n’ayant plus à se demander quel ordre juridictionnel est compétent pour traiter de son affaire ;
  • Extension de la procédure de consultation du public préalablement à l’adoption de textes réglementaires et législatifs, actuellement réservé aux seuls textes affectant l’Accord de libre-échange avec les Etats-Unis, à tous les textes, cette consultation étant rendue obligatoire et inscrite dans la Constitution ;
  • Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, suppression de la démarcation entre domaine de compétence législatif, réservé au Parlement, et du domaine réglementaire, réservé au gouvernement, au profit d’une compétence législative générale (la loi pouvant cependant autoriser le gouvernement à prendre des actes réglementaires nécessaires à son exécution), ceci au nom du principe de souveraineté parlementaire ;
  • Nettoyage intégral du droit marocain en vue d’éradiquer toute trace des distinctions ethniques (indigène, européen, français), des références au droit français (renvoi dans certains textes toujours en vigueur au Code pénal français, mention de « francs », etc) et de renvois à des institutions obsolètes (arrêté viziriel, zone française du protectorat au Maroc). Ce nettoyage aura lieu à droit constant, sauf à supprimer les dispositions obsolètes (nécessité d’avoir la nationalité française pour être notaire par exemple). Une loi rectificative d’ensemble sera présentée au bout de six mois, après un travail de révision mené par des dizaines de contractuels recrutés parmi les étudiants en thèse de doctorat en droit ou les titulaires de DES juridique ;
  • Lancement d’une codification intégrale du droit marocain sur le modèle de l’United States Code, regroupant l’intégralité des dispositions législatives en vigueur. Ceci permettrait de regrouper la totalité des textes législatifs (notion qui dans mon esprit regroupe les textes réglementaires selon la distinction constitutionnelle actuelle) en un seul endroit, facilement accessible tant pour les praticiens du droit que pour les justiciables ; par la même occasion, abrogation des textes obsolètes ou inusités à l’aide de la task-force évoquée au point précédent ;
  • Publication intégrale et gratuite sur Internet de tous les textes législatifs et de toute la jurisprudence des cours supérieures (cours d’appel et Cour suprême), voire de celle des tribunaux inférieurs, en version arabe ; publication dans les langues nationales ainsi que certaines langues étrangères (français et anglais), pour les textes législatifs et les arrêts de la Cour suprême ;
  • Admettre de plein droit le recours aux langues nationales par les justiciables devant les tribunaux selon des modalités pratiques à définir en tenant compte de critères économiques et géographiques, de la nature juridique de la procédure (distinction entre affaires pénales et les autres) et de moyens humains de l’appareil judiciaire ;
  • Audit juridique et administratif des différentes procédures judiciaires (comprenant la consultation des justiciables, des professions judiciaires et de la « société civile ») en vue de déterminer comment réduire les délais, le nombre d’actes de procédure et les situations facilitant la corruption, et réforme des codes de procédure civile et pénale en conséquence ;
  • Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, reconnaissance explicite de la supériorité des traités internationaux ratifiés et publiés au Bulletin officiel sur les textes législatifs;
  • Refonte de la composition, du mode de nomination et du rôle du Conseil constitutionnel, rebaptisé Cour constitutionnelle, en vue d’en permettre la saisine par le justiciable selon des modalités à étudier (saisine directe ou par le tribunal devant lequel son affaire est pendante) ; suppression du contrôle ex ante des lois en faveur d’un contrôle ex post sur saisine directe ou indirecte de justiciable par voie d’exception d’anti-constitutionnalité, ou sur saisine d’organes constitutionnels ; extension de son rôle pour trancher les conflits entre institutions constitutionnelles ;
  • Réforme radicale du rôle, du fonctionnement et de la composition de la Cour suprême, aujourd’hui composée d’une pléthore de magistrats traitant de milliers d’affaires par an, ce qui nuit à son rôle unificateur de la jurisprudence et d’interprétation qualitative du droit. La Cour suprême serait composée de trois chambres spécialisées (chambre administrative, chambre pénale, chambre civile et commerciale), les affaires particulièrement importantes ou manifestant des divergences d’interprétation entre le chambres spécialisées seraient portées devant l’assemblée plénière de la Cour. Un système de filtrage strict des recours devant la Cour sera instauré, sur le modèle étatsunien ou suédois ; pourraient être nommés à la Cour suprême avocats et professeurs de droit ayant vingt années d’expérience professionnelle du droit ;
  • Création d’un Conseil législatif, sur le modèle du lagrådet suédois, composé de trois magistrats, d’un professeur de droit et d’un avocat, chargé d’examiner la conformité avec la Constitution et les traités internationaux des lois votées par le parlement préalablement à leur promulgation ; leur avis est consultatif, mais en cas d’exception d’anti-constitutionnalité contre une disposition législative ayant fait l’objet d’un avis négatif du Conseil législatif, cette disposition sera présumée être anti-constitutionnelle ;
  • Instauration progressive d’un système d’aide légale assurant une prise en charge par l’Etat des frais d’avocats d’accusés démunis – pour commencer, ceux accusés de crimes emportant la réclusion perpétuelle ou la mort ;
  • Concertation avec le secteur des assurances et l’Ordre des avocats afin de développer, répandre et rendre financièrement accessible l’usage de contrats d’assurance couvrant les risques judiciaires ;
  • Changement de technique de rédaction des lois, passant du style plus général et abstrait d’inspiration française à une rédaction plus précise, inspirée du droit anglais, et assurant en théorie une meilleure sécurité juridique pour le justiciable et limitant le pouvoir d’appréciation arbitraire du juge ;
  • Réflexion sur les avantages et inconvénients de l’adoption du système anglo-saxon – repris par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour internationale de justice et les tribunaux pénaux internationaux – des opinions individuelles des juges – lors d’une affaire jugée par une collégialité de juges, les opinions discordantes sont publiées, assurant une transparence du raisonnement juridique et permettant de responsabiliser les magistrats et d’afficher publiquement les différences ou difficultés d’interprétation des textes législatifs ;

Le ministre de la justice virtuel que je suis prendrait également deux mesures excessivement impopulaires mais tout autant indispensables :

  1. Réforme de l’enseignement dans les facultés de droit : le droit doit redevenir une discipline de pointe et les facultés de droit se doivent de produire, à défaut de brillants esprits, du moins de bons techniciens du droit. Il y aura donc introduction d’un numerus clausus dans les facultés de droit selon des modalités à définir (dès l’inscription ou après la première année). L’enseignement à proprement parler augmentera la part des travaux dirigés autour d’études de cas et réduira les cours magistraux. L’enseignement des langues étrangères, français et anglais, sera renforcé, de même que l’étude du droit international et comparé. Le diplôme de base, la licence en droit, sera octroyé après cinq années d’études. Nul ne dispose d’un droit à étudier le droit à l’université ou à obtenir un diplôme de droit s’il ne dispose du minimum des qualités et capacités requises – les facultés de droit n’ont pas vocation à servir de garderie pour adultes ou de voie d’accès à la profession de diplômé-chômeur.
  2. Une loi constitutionnelle transitoire sera soumise en urgence à référendum afin de mettre à la retraite d’office la totalité des magistrats (qu’ils soient juges ou procureurs) d’ici un délai de deux (ou trois) ans, par dérogation au principe de l’inamovibilité des magistrats, sur le modèle de la réforme judiciaire vénézuelienne de 1999. Des comités de sélection extraordinaires, sous la tutelle du CSM, siégeront pour dresser la liste des magistrats autorisés à repostuler pour leurs postes. Les magistrats pour lesquels des soupçons d’indélicatesse financière ou de violation flagrante des droits de la défense ou des principes fondamentaux d’un Etat de droit ne pourront repostuler. Seront admis à postuler les titulaires d’une licence en droit ayant exercé une profession judiciaire (avocat, notaire, huissier) pendant au moins dix années, ou les professeurs de droit ayant enseigné le droit pendant au moins dix années. Les titulaires d’une licence en droit ayant exercé une autre activité juridique pendant quinze ans, en entreprise, au sein d’une administration ou au sein d’une organisation internationale, seront également admis à postuler. Cette épuration – appelons les choses par leur nom – serait faite en demandant l’appui et les conseils d’instances onusiennes spécialisées, du Conseil de l’Europe (je pense surtout à la Commission dite de Venise) et de l’OSCE.

La seule réforme judiciaire qui vaille au Maroc est la politique de la table rase. Les quelques traditions judiciaires qui existent ne valent pas la peine d’être sauvegardées. Il faut briser en mille morceaux l’appareil judiciaire existant pour empêcher que les morceaux soient recollés à l’identique, et empêcher toute autre issue que la création d’un ordre juridique nouveau et de pratiques radicalement nouvelles. Les magistrats qui ne pourraient ou ne voudraient accompagner cette réforme seront remerciés pour leurs bons et loyaux services.

Bien évidemment, ces réformes institutionnelles devront s’accompagner d’autres réformes dans le domaine du droit pénal et civil – je pense notamment à la suppression de la garde à vue, au remplacement – en matière pénale – du système de preuve de l’intime conviction par celui d’au-delà de tout doute raisonnable, sans compter le recours aux peines alternatives à l’emprisonnement pour les infractions autres que les atteintes aux personnes et certaines atteintes aux biens (vols avec effraction, escroquerie). Une refonte de fond en comble de notre droit est nécessaire, mais elle ne pourra intervenir efficacement qu’après la réforme de notre justice.

La torture vue d’Europe (et du Maroc)

Cet article est le deuxième d’une série de posts sur la torture au Maroc.

Le Maroc officiel claironne sa volonté de s’arrimer à l’Europe – sous Hassan II, le Maroc avait même demandé son adhésion à ce qu’on appelait alors les Communautés européennes – et ne cesse de s’aligner, sur le plan diplomatique, économique ou sécuritaire, sur la shopping list de ses partenaires occidentaux. Il est sans doute un domaine dans lequel le Maroc officiel parvient à tempérer son enthousiasme – celui des droits de l’homme, compétence du Conseil de l’Europe, organisation européenne que les plus érudits d’entre vous distinguent sans peine de l’Union européenne. Dans le Royaume dont Fodaïl Aberkane et Hassan Zoubaïri furent des sujets jusqu’au jour funeste où ils furent arrêtés par la police, la torture et sa répression n’est pas au hit-parade des sujets de colloque pour les adeptes marocains et étrangers de la diplomatie pastilla.

Un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) (arrêt du 5 octobre 2010 dans l’affaire Ghiga Chiujdea contre Roumanie) donne une excellente illustration de ce qu’est la jurisprudence de cette cour – probablement la plus respectée de par le monde dans ce domaine – en matière de torture. Ce ne sont pas les arrêts en la matière qui manquent cependant, et on retiendra notamment le premier arrêt rendu (arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978), qui aboutit à la condamnation du Royaume-Uni pour torture de suspects arrêtés pour terrorisme en Irlande du Nord en raison de l’utilisation de méthodes dites de privation sensorielle, sans compter le célébrissime arrêt Selmouni contre France du 28 juillet 1999, première condamnation de la France pour torture d’une personne ayant « subi des violences répétées et prolongées, réparties sur plusieurs jours d’interrogatoires » lors de sa garde à vue – je vous en cite un passage, on se croirait au Maroc n’était-ce l’absence de bouteilles:

102.  La Cour a pu se convaincre de la multitude des coups portés à M. Selmouni. Quel que soit l’état de santé d’une personne, on peut supposer qu’une telle intensité de coups provoque des douleurs importantes. La Cour note d’ailleurs qu’un coup porté ne provoque pas automatiquement une marque visible sur le corps. Or, au vu du rapport d’expertise médicale réalisé le 7 décembre 1991 par le docteur Garnier (paragraphes 18-20 ci-dessus), la quasi-totalité du corps de M. Selmouni portait des traces des violences subies.

103.  La Cour relève également que le requérant a été tiré par les cheveux ; qu’il a dû courir dans un couloir le long duquel des policiers se plaçaient pour le faire trébucher ; qu’il a été mis à genoux devant une jeune femme à qui il fut déclaré « Tiens, tu vas entendre quelqu’un chanter » ; qu’un policier lui a ultérieurement présenté son sexe en lui disant « Tiens, suce-le » avant de lui uriner dessus ; qu’il a été menacé avec un chalumeau puis avec une seringue (paragraphe 24 ci-dessus). Outre la violence des faits décrits, la Cour ne peut que constater leur caractère odieux et humiliant pour toute personne, quel que soit son état.

104.  La Cour note enfin que ces faits ne peuvent se résumer à une période donnée de la garde à vue au cours de laquelle, sans que cela puisse aucunement le justifier, la tension et les passions exacerbées auraient conduit à de tels excès : il est en effet clairement établi que M. Selmouni a subi des violences répétées et prolongées, réparties sur plusieurs jours d’interrogatoires (paragraphes 11-14 ci-dessus).

105.  Dans ces conditions, la Cour est convaincue que les actes de violence physique et mentale commis sur la personne du requérant, pris dans leur ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances « aiguës » et revêtent un caractère particulièrement grave et cruel. De tels agissements doivent être regardés comme des actes de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

Soyons honnêtes néanmoins : c’est la Turquie qui est l’Etat européen au palmarès le plus chargé en matière de torture – 24 condamnations à ce titre depuis 1995, et 175 condamnations au titre du traitement inhumain et dégradant (voir le tableau statistique des condamnations par pays, pp. 14/15).

Le présent arrêt concerne lui un Roumain – Alin Narcis Ghiga Chiujdea – accusant la police de son pays de l’avoir battu et malmené lors de son arrestation puis de sa garde à vue, alors qu’il était soupçonné d’avoir commis un vol dans un poste de police (il fût condamné à 5 ans de prison pour cela). Si trois codétenus confirmaient l’avoir vu blessé et sanguinolent de retour des interrogatoires,  quatre autre témoins, dont deux policiers, un greffier mais surtout son propre avocat, affirmaient n’avoir vu sur lui aucune trace de violence. Un certificat médical figurait au dossier, indiquant aucune trace de violences à l’issue de sa garde à vue, mais Ghiga Chiujdea affirma que ce certificat médical avait été établi en son absence et qu’il n’avait été autorisé à voir un médecin lors de sa garde à vue en dépit de demandes réitérées, chose confirmée par trois codétenus (points 8 et 9 de l’arrêt).

Ghiga Chiujdea porta plainte contre les officiers de police qui l’avaient arrêté et interrogé, sans obtenir finalement gain de cause malgré quatre années de procédures variées, les tribunaux roumains estimant finalement que l’éventuelle agression qu’il aurait subie était prescrite.

C’est l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) qui interdit la torture :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

La Cour EDH a précisé l’étendue de cette interdiction : « lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 » (cf. l’arrêt Tekin contre Turquie du 9 juin 1998, points 52 et 53). Notons que la notion de traitement inhumain et dégradant est plus vaste que celle de la torture, qui constitue donc un cas particulièrement aggravé de traitement inhumain et dégradant, les deux notions étant distinctes.

La jurisprudence très fournie de la Cour EDH en la matière distingue entre le volet substantiel de l’article 3 CEDH et le volet procédural de ce même article. L’aspect substantiel de l’article 3 CEDH interdit aux Etats européens partie à cette convention de torturer ou de soumettre à des peines ou traitements inhumains ou dégradants des personnes sous leur juridiction. L’aspect procédural va plus loin encore : il impose à ces Etats de conduire un « enquête officielle et effective » lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi un traitement contraire à l’article 3 CEDH des mains d’un agent de l’Etat, et ce afin de permettre l’identification et la punition de l’auteur de cette torture ou de ce traitement inhumain ou dégradant (voir notamment l’arrêt Assenov et autres contre Bulgarie du 28 octobre 1998).

La lecture de la jurisprudence de la Cour EDH nous apprend qu’il est plus facile d’obtenir la condamnation d’un Etat pour violation de ses obligations procédurales au titre de l’article 3 CEDH – en gros, pour avoir bâclé une enquête sur un cas de torture – que pour violation de son obligation substantielle – en clair, pour avoir directement torturé ou fait torturer un individu. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Cour EDH a – de manière très contestable – estimé que le critère de preuve requis pour condamner un Etat pour avoir violé le volet substantiel de l’article 3 CEDH était celui d’ « au-delà de tout doute raisonnable » (voir l’arrêt Selmouni contre France précité, point 88). C’est contestable parce que ce critère de preuve est celui typiquement utilisé dans les pays anglo-saxons et quelques autres (la Suède par exemple) en matière pénale, alors même que les affaires portées devant la Cour EDH ne sont pas des affaires portant sur la responsabilité pénale d’individus mais sur la violation éventuelle de ses obligations internationales (en l’occurrence la CEDH et ses protocoles additionnels) par un Etat, laquelle responsabilité internationale est tout au plus sanctionnée par un dédommagement pécuniaire à la victime de cette violation. Un autre critère de preuve, plus proche de ce qui est utilisé en matière de responsabilité civile (« more likely than not ») ou administrative, aurait été plus adapté.

C’est donc à la victime de la torture de prouver au-delà de tout doute raisonnable qu’il a été victime de torture aux mains de l’Etat. Cette preuve est souvent difficile (même si elle n’est pas impossible) : en l’occurrence, dans le cas présent, Ghiga Chiujdea n’a pas réussi à convaincre la Cour EDH au-delà de tout doute raisonnable qu’il avait bien été torturé par les policiers qui l’avaient arrêté puis interrogé. Certes, les allégations du plaignant étaient très détaillées, et les témoignages de ses codétenus – qui confirmaient ses dires – étaient concordants, les témoignages en sens contraire des policiers l’étant moins (cf. point 44 de l’arrêt : « la Cour a des doutes quant à l’impartialité de ces témoins, vu leur implication directe dans les événements… »); néanmoins, tout cela s’avère insuffisant aux yeux de la Cour.

Par contre, la Cour EDH a estimé que les autorités roumaines n’ont pas mené une enquête efficace suffisamment prompte et diligente pour tirer au clair s’il y avait bien eu torture ou non. Ce raisonnement peut sembler déconcertant au premier abord mais il se tient : la Cour EDH n’est pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’il y a bien eu torture, mais elle estime que c’est à l’Etat concerné de tirer cela au clair – et quand l’enquête officielle (lorsqu’elle existe, comme dans ce cas) ne l’a pas permis car insuffisamment efficace ou diligente, l’Etat est condamné pour avoir failli à cette obligation d’éclaircissement des faits.

La Cour EDH se montre ici exigeante, et rappelle les principes désormais bien établis dans sa jurisprudence :

  • Chaque fois qu’un individu « affirme de manière défendable que des agents de l’Etat lui ont fait subir» de la torture ou des traitements inhumains et dégradants, les autorités compétentes doivent conduire une « enquête officielle et effective » (cf. arrêt Assenov et autres contre Bulgarie du 28 octobre 1998) ;
  • En l’absence d’une enquête officielle et effective, « l’interdiction légale générale de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants serait… inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux qui sont soumis à leur contrôle » (cf. arrêt Caloc contre France du 20 juillet 2000) ;
  • Une telle enquête doit être approfondie, menée de bonne foi, « sans négliger les preuves pertinentes ou s’empresser de mettre fin à l’enquête en s’appuyant sur des constats mal fondés ou hâtifs », et elle doit recueillir les preuves nécessaires, y compris les dépositions de témoins ou preuves matérielles (cf.  arrêt Zelilof contre Grèce du 24 mai 2007) ;
  • La prescription des faits de torture ou de mauvais traitements imputables à un agent de l’Etat est en principe incompatible avec l’article 3 CEDH (cf. arrêt Erdogan et autres contre Turquie du 14 octobre 2008) ;

On ne peut que constater à quel point le Maroc est loin, très loin de s’approcher de ces standards européens : sans même parler de l’impunité assurée et assumée par l’Etat marocain aux tortionnaires de la période 1956-1999 dans le cadre du happening médiatique que fût l’Instance équité et réconciliation, on ne peut que constater l’absence totale d’enquêtes impartiales, effectives et exhaustives sur les cas de torture où des victimes donnent des indications suffisamment étayées pour permettre aux autorités de mener une enquête. Quelle enquête a ainsi été menée sur les allégations de torture émanant des sept militants d’Al adl wal ihsan de Fès, qui affirment de manière crédible avoir été enlevés et torturés cet été ? Quelle enquéte a été ouverte sur les allégations de torture des membres « non-politiques » du réseau Belliraj ?

Et je ne parle même pas ici des cas de personnes décédées lors de leur garde à vue ou détention, comme Abdelhaq Bentasser alias « moul sebbat », Mohamed Bounit, Hassan Dardari, Mohamed Aït Sirahal, Hassan Zoubaïri ou Fodaïl Aberkane. Si par extraordinaire un policier ou gendarme tortionnaire est condamné pour faits de torture, la peine n’est pas exécutée, comme avec le commissaire Mohamed Kharbouch, condamné en première instance et en appel à de la prison ferme pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, avant de voir sa condamnation cassée par la Cour suprême –  l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Marrakech où elle attend d’être jugée.

Il est heureux que la CEDH ne soit pas applicable au Maroc – comme pour l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, car la jurisprudence de la Cour EDH est particulièrement exigeante quant à l’obligation des Etats de justifier les cas de morts en détention, comme le montre cet extrait de l’arrêt Salman contre Turquie du 27 juin 2000:

97.  L’article 2, qui garantit le droit à la vie et définit les circonstances dans lesquelles il peut être légitime d’infliger la mort, se place parmi les articles primordiaux de la Convention et ne souffre aucune dérogation. Avec l’article 3, il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe. Les circonstances dans lesquelles il peut être légitime d’infliger la mort doivent dès lors s’interpréter strictement. L’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, requièrent également que l’article 2 soit interprété et appliqué d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (arrêt McCann et autres c. Royaume-Uni du 27 septembre 1995, série A no 324, pp. 45-46, §§ 146-147).

98.  Pris dans son ensemble, le texte de l’article 2 démontre qu’il ne vise pas uniquement l’homicide intentionnel mais également les situations où un usage légitime de la force peut conduire à donner la mort de façon involontaire. Le caractère délibéré ou intentionnel du recours à la force meurtrière n’est toutefois qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte dans l’appréciation de la nécessité de cette mesure. Tout recours à la force doit être rendu « absolument nécessaire » pour atteindre l’un des objectifs mentionnés aux alinéas a) à c). L’emploi des termes « absolument nécessaire » indique qu’il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui normalement employé pour déterminer si l’intervention de l’Etat est « nécessaire dans une société démocratique », au sens du paragraphe 2 des articles 8 à 11 de la Convention. En conséquence, la force utilisée doit être strictement proportionnée aux buts légitimes susvisés (arrêt McCann et autres précité, p. 46, §§ 148-149).

99.  Compte tenu de l’importance de la protection de l’article 2, la Cour doit examiner de façon extrêmement attentive les cas où l’on inflige la mort, en prenant en considération non seulement les actes des agents de l’Etat mais également l’ensemble des circonstances de l’affaire. Les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et les autorités ont le devoir de les protéger. Par conséquent, lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible sur l’origine des blessures (voir, parmi d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999-V). L’obligation qui pèse sur les autorités de justifier le traitement infligé à un individu placé en garde à vue s’impose d’autant plus lorsque cet individu meurt.

100.  Pour apprécier les preuves, la Cour a généralement adopté jusqu’ici le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 64-65, § 161). Toutefois, une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure ou décès survenu pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante.

Si cette jurisprudence, somme toute fort logique, s’appliquait au cas marocain, les autorités auraient donc à justifier de la mort de personnes placées en détention, la charge de la preuve s’en trouvant ainsi renversée.

En outre, l’Etat a également le devoir de mener une enquête effective sur les causes de morts en détention:

104.  La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction  les droits et libertés définis [dans] la (…) Convention », implique et exige de mener une forme d’enquête effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme (voir, mutatis mutandis, les arrêts McCann et autres, précité, p. 49, § 161, et Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 329, § 105).

Revenons-en au cas du tortionnaire de Mohammed Aït Si Rahal, torturé à mort au commissariat de Djemaa el Fnaa, patrimoine culturel de l’humanité rappelons-le: Mohammed Kharbouch, officier de police, a certes été condamné, mais contrairement au Marocain moyen condamné à dix ans de prison pour homicide involontaire, il a été placé en liberté en attendant sa condamnation définitive, la Cour d’appel de Marrakech s’étant prononcée à deux reprises sur sa culpabilité (une fois en première instance, une fois en appel) et la Cour suprême à une reprise, en attendant un troisième jugement de la Cour d’appel. Pendant tout ce temps, l’officier de police tortionnaire a été maintenu dans ses fonctions, alors même qu’une condamnation pénale n’est nullement une condition de révocation d’un fonctionnaire de police.  Et encore ce cas-ci est-il exceptionnel: dans les autres cas précités de morts en détention, il n’y a que rarement des poursuites pénales contre les agents de l’Etat coupables de ces violences meurtrières. La mort en détention jouit donc au Maroc d’une tolérance de fait. Qui ose encore prétendre que le Maroc n’est pas un pays tolérant?

Lectures complémentaires:
– l’excellent guide sur la jurisprudence de la Cour EDH en matière de droit à la vie – « The right to life: A guide to the implementation of Article 2 of the European Convention on Human Rights » – de Douwe Korff (2006);
– le communiqué de l’ASDHOM « Commissariats et gendarmeries au Maroc : Des zones de non droit« , (8 octobre 2010);

Rétroacte:

– « Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement« ;

Machination policière au Maroc: communiqué d’Ali Amar et Zineb el Rhazaoui

Le Maroc est en train de virer en plein mode benalien – la Tunisie sous Ben Ali s’est faite la spécialiste de mises en scène et machinations tendant à présenter dissidents politiques et médiatiques comme de vulgaires délinquants de droit commun. La fermeture du Journal hebdomadaire de Boubker Jamaï et Ali Amar, habilement faite sous couvert non pas d’atteinte aux sacralités mais de non-paiement de cotisations sociales à la CNSS, a montré la voie.

Ali Amar justement: le voilà pris dans ce qui semble à première vue être une machination policière assez grossière. La police a pénétré son domicile, où il se trouvait avec une autre personne en odeur de sainteté auprès du régime, Zineb el Rhazaoui, fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) et fameuse pique-niqueuse du ramadan dernier. La porte de son appartement a été défoncée à 5.45 du matin, soit en dehors de la plage horaire légale en matière de perquisitions.

Voici le texte intégral du communiqué d’Ali Amar et de Zineb el Rhazaoui:

Communiqué 

Casablanca, le 05 juin 2010

Violation de domicile et arrestation illégale de Zineb El Rhazoui et Ali Amar

Vendredi 4 juin 2010 à 5h45 du matin, le chef de la Police Judiciaire, ainsi que le chef de la brigade préfectorale de Casablanca, accompagnés d’environ 15 officiers et agents de la Police Judiciaire marocaine, ont défoncé la porte de l’appartement casablancais de Zineb El Rhazoui, journaliste indépendante et co-fondatrice du Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles (Mali) qui s’y trouvait en compagnie d’Ali Amar, journaliste indépendant, fondateur et ancien directeur du Journal hebdomadaire (interdit par le pouvoir marocain en janvier 2010), et auteur du livre « Mohammed VI, le grand malentendu » (Calmann-Levy 2009), ouvrage censuré au Maroc. Les dits agents d’autorité ont refusé de décliner leur identité ou de présenter leur carte professionnelle. Ils n’étaient pas non plus munis d’un mandat de perquisition ou d’amener. Zineb El Rhazoui et Ali Amar n’avaient pas reçu de convocation préalable. Dès qu’ils ont franchi le pas de la porte, les policiers ont commencé à photographier les deux journalistes et les recoins de l’appartement et les ont interrogés sur la nature de leur relation, question à laquelle ils ont refusé de répondre. Les deux journalistes qui se trouvaient dans le salon, ont reçu l’ordre de se soumettre à une mise en scène en s’asseyant sur le lit de la chambre à coucher de Zineb El Rhazoui pour y être photographiés ensemble, alors qu’ils étaient en tenue de ville. Devant le refus de ces derniers de s’exécuter, trois agents se sont rués sur Ali Amar et l’ont menotté. Les deux journalistes ont alors été immobilisés par deux agents, alors que d’autres s’affairaient à fouiller de fond en comble l’appartement, sans pour autant donner la moindre explication de ce qui justifie un tel assaut. Les agents ont continué à prendre de multiples photos, notamment du reste d’un dîner dont deux bouteilles de vin rouge vides. Ils ont ensuite démantelé les ordinateurs et les périphériques informatiques des deux journalistes qui venaient de terminer une séance de travail consistant à la rédaction d’articles pour la presse internationale. Les agents ont compulsé leur documentation de travail, ont fouillé leurs sacs, papiers et effets personnels. L’un des officiers a ordonné à un agent d’examiner la vidéothèque de Zineb El Rhazoui pour vérifier s’il s’agit de films pornographiques. L’un des photographes (qui s’est révélé plus tard être un technicien de la police scientifique) s’est rendu dans la salle de bain pour prendre des photos en plan serré d’une pastille de bain effervescente de marque Sephora qu’il a faussement identifiée comme étant un préservatif. Ce n’est qu’après les protestations répétées des deux journalistes que l’un des officiers a finalement donné quelques bribes d’explications. Il a justifié cette violation de domicile par la recherche d’un ordinateur supposément volé et le dépôt d’une plainte à ce sujet contre Ali Amar pour vol et Zineb El Rhazoui pour complicité. Lorsque Ali Amar a fourni la facture d’achat de ce matériel informatique qui attestait de sa propriété, la police a ignoré le document et saisi l’ordinateur. Les agents ont également essayé de saisir l’ordinateur portable de Zineb El Rhazoui et son disque dur avant d’y renoncer face à ses protestations. Ils ont tout de même saisi la carte mémoire de son appareil photo numérique, ainsi que les deux bouteilles de vin vides qui seront considérées comme des pièces à conviction. Avant d’embarquer les deux journalistes à la préfecture de Police de Casablanca pour les soumettre à un interrogatoire qui a duré 12 heures et demie (de 7h à 19h30), Zineb El Rhazoui a demandé à se rendre aux toilettes, les policiers lui ont répondu qu’elle pouvait le faire uniquement si elle laissait la porte grande ouverte. Bien qu’il n’y ait pas eu de violence physique ou verbale dans les locaux de la police judiciaire, de nombreuses questions ont été posées aux deux journalistes sur les aspects relatifs aux mœurs. Le Procès-verbal de Zineb El Rhazoui fait mention de la consommation de vin et indique la présence d’un préservatif chez elle. Dans celui d’Ali Amar, la police a refusé de faire mention de la facture prouvant l’origine légale de l’ordinateur. Zineb El Rhazoui et Ali Amar ont été relâchés vers 19h30. Ali Amar a été verbalement convoqué à se représenter ce jour (samedi 5 juin 2010) à 10h30 à la Préfecture de police de Casablanca.

Zineb El Rhazoui et Ali Amar

Quelques remarques:

  1. Je suis le dernier Marocain à reprocher à la police du plubopaysdumonde de prendre au sérieux le vol d’ordinateurs. Mais enfin, le chef de la police judiciaire et celui de la brigade préfectorale de Casablanca, accompagnés de 15 policiers, faisant une « perquisition » (les guillemets ‘imposent) en dehors des procédures et horaires légaux, cela rassure indéniablement quant au dynamisme de nos forces de l’ordre. Je dois par ailleurs que j’ai une affaire de chéques volés me concernant où j’ai réussi à identifier le coupable et le localiser, transmettant ces données à la police pour qu’elle l’appréhende. Si la police a réussi à connaître jusqu’à son numéro de GSM et son lieu de travail – il est fonctionnaire – cela fait plus d’un an que je n’ai plus aucune nouvelle. J’aurais dû rajouter qu’il était journaliste au Journal hebdomadaire et qu’il pique-niquait à Mohammedia durant le ramadan, cela aurait sans doute eu plus d’effet sur l’enquête.
  2. La perquisition a eu lieu à 5h35 du matin, soit en dehors de la période légale prescrite de manière expresse par le Code de procédure pénale:

    Article 62: Sauf demande du chef de maison, réclamation venant de l’intérieur ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant six heures et après vingt et une heures; les opérations commencées à une heure légale peuvent se poursuivre sans désemparer.Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque la perquisition doit être opérée dans les lieux pratiquant habituellement une activité nocturne. Article 63 : Les formalités édictées aux articles 59, 60 et 62 ci-dessus sont prescrites à peine de nullité de l’acte vicié et de ceux qui auraient été accomplis postérieurement à cet acte.

  3. Résultat des courses: la perquisition est nulle et non avenue, et les éléments matériels saisis lors de celle-ci ne peuvent plus être invoqués contre Ali Amar et Zineb el Rhazaoui. Ah, c’est vrai, comme je suis distrait: le Maroc n’est pas un Etat de droit. Bon oubliez tout ce que j’ai dit.
  4. Sans doute inspiré par la hasbara récente cet allié du régime marocain qu’est Israël, nos pandores ont saisi bouteilles de vin, pastilles de bain prises pour des préservatifs (!), carte mémoire d’appareil photo numérique ainsi que, pièce maîtresse, l’ordinateur portable d’Ali Amar – malgré que ce dernier avait en possession la preuve d’achat. Un petit conseil désormais aux militants du MALI et aux anciens journalistes du Journal hebdomadaire: ne vous déplacez pas sans avoir sur vous la preuve d’achat de tous vos objets personnels – vêtements, montre, pastilles de bain, bouteilles de vin ou ordinateur portable.
  5. On notera que nos pandores se sont inquiétés de l’honorabilité de Zineb el Rhazaoui. On peut prévoir le même genre de montage contre elle et contre ceux qui auraient le malheur de ne pas penser selon les dernières hautes instructions, sur le modèle tunisien, à force sans doute de photos et vidéos classées X manipulées ou truquées, histoire de salir l’image et la réputation de dangereux traîtres à la Nation.
  6. On rappellera aux forces dites de l’ordre qu’au Maroc la consommation d’alcool n’est pas interdite aux Marocains réputés musulmans, mais seulement l’ivresse publique (je doute que le domicile d’Ali Amar puisse être considéré comme faisant partie de la voie publique) ainsi que la vente d’alcool à des Marocains musulmans par des débits de boissons et assimilés.

Maroc: la position du missionnaire devient de plus en plus inconfortable

UPDATE: Apparemment, un paragraphe a sauté lors de la sauvegarde. Il était relatif à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de prosélytisme. J’ai rajouté ce paragraphe sous la section II. J’espère que rien d’autre n’a sauté, mais j’ai la flemme de vérifier.

Un peu comme l’alcoolique ne pouvant s’empêcher de boire toujours un verre de plus, toujours le dernier, le makhzen ne peut s’empêcher de violer les lois qu’il se donne, même quand il a les instruments législatifs à sa disposition qui lui permettraient de mettre en oeuvre ses objectifs politiques, quelle que soit l’opinion que l’on peut par ailleurs porter sur ceux-ci. 

Le dernier exemple en date est celui de l’orphelinat Village of Hope d’Aïn Leuh dans la province d’Ifrane. Il s’agit d’un orphelinat créé en 1951 par deux ressortissantes étatsuniennes, Emmagene Coates et Ellen Doran (pour l’historique, voir ici sur leur site). Cet orphelinat est désormais géré par des chrétiens – plus particulièrement des protestants de type évangéliste – et ce, au sens religieux du terme, qui ont repris cet orphelinat en 1997/99, et obtenu les autorisations requises de la part des autorités. Ces bénévoles ont rassemblé des fonds et ont retapé l’orphelinat, qui accueille 33 enfants. 

Jusque là, rien que de très banal au Maroc. L’Etat marocain ayant en général d’autres chats à fouetter que de prendre en charge l’éducation, la santé ou les orphelins, ces activités marginales et résiduelles sont souvent assurées par des associations caritatives musulmanes, juives, chrétiennes ou laïques. S’agissant des oeuvres caritatives chrétiennes, elles sont le plus souvent catholiques, reflet de l’histoire coloniale marocaine, et nombreux sont les Marocains musulmans ayant été formés dans les écoles des soeurs – ma femme en est une – tout en étant demeurés tout autant croyants et pratiquants que leurs coreligionnaires. 

C’est avec l’intensification du prosélytisme évangéliste (généralement baptistes ou pentecôtistes) envers les pays musulmans en général et le Maroc en particulier que la situation a commencé à changer ici – une note des Renseignements généraux de 2005 fixerait le nombre de missionnaires évangélistes étrangers au Maroc à 800 en 2004, contre 400 en 2002 (le pasteur Jean-Luc Blanc, président de l’Eglise évangélique au Maroc, estime leur nombre à 500, dont seulement 5 pasteurs déclarés à l’Eglise évangélique). Cette entreprise de prosélytisme s’affiche ouvertement sur Internet (voir par exemple le site Love Morocco), via la radio ondes courtes, voire les campus marocains,et elle a connu un net essor sous la double présidence de Bush Jr, avec notamment un concert évangéliste à Marrakech en 2005 (le Friendship Fest, où les seuls artistes étrangers se produisant furent évangélistes – « 8-12 well-known Contemporary Christian Music (CCM) bands« ), essor qui a sans doute connu son apogée en 2008 décrétée par certains évangélistes « An international year of prayer for Morocco » – au grand dam d’ailleurs de l’Eglise évangélique au Maroc, initialement « filiale » de l’église réformée de France mais de plus en plus ouverte sur l’importante communauté subsaharienne. 

Les évangélistes étant alors en odeur de sainteté à la Maison Blanche, les autorités marocaines ont sagement avalé couleuvre sur couleuvre: on se rappelle du concert évangéliste à Marrakech précité, de l’entretien royal avec des évangélistes étatsuniens et du malaise du ministre des Habous Ahmed Taoufik, interrogé par des parlementaires de l’Istiqlal. Abdelbari Zemzami, l’islamiste favori d’Aujourd’hui Le Maroc et de Maroc Hebdo, avait beau tonner et protester, ses remontrances ne furent guère entendues par le pouvoir, et lui-même fît l’objet de visites d’émissaires du consulat étatsunien de Casablanca l’invitant à modérer ses critiques là-dessus. 

A l’époque, walis et gouverneurs travaillaient main dans la main avec les évangélistes étatsuniens, leur facilitant leur mission au Maroc: 

Three Christian leaders, Creation Fest co-founder, Harry Thomas, National Association of Evangelicals, Reverend Richard Cizik, and the National Clergy Council, Rev. Rob Schenck, have teamed up with Marrakech Wali (Governor) Mohamed Hassad and Regional President Abdelali Doumou to bring the world a highly anticipated cultural exchange between Muslims and Christians. Friendship Fest will take place in Morocco between May 6 to 8, 2005. (…) In late February of 2004, the three Christian leaders, Schenck, Thomas, and Cizik formed an evangelical delegation to research religious freedom and democratic reform in Morocco. A week later they were in Morocco meeting with top government and religious leaders including Prime Minister Driss Jettou. The Governor of Marrakech « hit it off well with Harry » and asked him to present a “Human Rights” award at an event that would be televised throughout Morocco, the Arab world, and even to France, in order to celebrate the achievements of women in front of Morocco elites. (The Christian Post

Both Cizik and Thomas were part of a nine-member delegation that visited Morocco from Feb. 29 to March 8, with hopes put on a Christian music festival, establish humanitarian projects and hold theological conferences in the mostly-Muslim nation. During the visit, the Christian leaders met with the North African prime minister, several Cabinet ministers, regional governors, and top Muslim, Jewish and Roman Catholic authorities. According to Cizik, the Moroccan officials gladly agreed to the series of exchanges, partly because the pro-Western government wants to combat anti-American sentiments among its peoples. (The Christian Post

Rebelote en 2006: 

That night, regional president for the Marrakech area Abdelali Doumou, who first conceived the festival idea, hosted a formal dinner with Moroccan officials welcoming the American delegation to their country. Although the Christian artists will not be directly sharing their faith with the Moroccan crowds, they will all be singing about Jesus. And Doumou had assured them that that wouldn’t be a problem. Friendship Fest was launched last spring in response to a warm invitation of Marrakech to bring American music to Morocco to promote friendship between the people of the United States and the North African nation. Harry Thomas, co-founder of America’s Creation Festivals, Inc., was given the invitation by Wali (Governor) Mohamed Hassad and Doumou. (The Christian Post

L’impunité des évangélistes étatsuniens au Maroc sous la présidence Bush jr est attestée même par le président (français) de l’Eglise évangélique au Maroc: 

Le Maroc, comme son voisin l’Algérie, est touché par le phénomène de la conversion, même si cette poussée inédite du protestantisme de type évangélique est marginale et clandestine. On estime à 500 le nombre de « missionnaires » présents dans le royaume : anglophones et américains en majorité, contre cinq pasteurs protestants enregistrés officiellement à l’historique EEAM. 

Jean-Luc Blanc explique qu’« ils sont disloqués, sans structures, sans interlocuteurs. Les essais de contact par l’EEAM restent infructueux. Pour les missionnaires, il n’y a pas d’Eglise protestante au Maroc. Leurs fondations et associations pullulent avec des responsables payés cher en dollars américains. Ils importent clandestinement des bibles, alors que la Bible est en vente libre au Maroc. Nous sommes souvent en présence de prédicateurs fondamentalistes et de gourous délirants à la tête de sectes de tous bords ». 

Tous ont leurs « églises-maisons ». « Dans un combat quotidien et de longue haleine contre l’islam, leur but est de convertir des musulmans, conclut Jean-Luc Blanc. De temps à autre, un missionnaire est expulsé. Pas les Américains – tous de bons “républicains” : ils sont protégés par leur influente ambassade de Rabat… » (La Réforme

Or voilà que fin 2009 début de 2010, les autorités marocaines se rendent compte qu’Obama est tout à fait président et que Bush et sa cohorte évangéliste sont tout à fait hors circuit (« parce qu’elles ne savent pas que Franco est tout à fait mort« , chantait Jacques Brel), et reviennent à leurs anciennes habitudes (une vingtaine de missionnaires nord-américains avaient été expulsés de 1995 à 1999). Ca donne ceci: après l’expulsion de cinq missionnaires européennes en mars 2009 (toutes des femmes), on a eu en décembre l’expulsion de 5 étrangers – dont une famille suisse – et 12 Marocains arrêtés à Saïdia pour participation à «réunion publique non déclarée, conformément à la réglementation en vigueur, qui s’inscrit dans le cadre d’une action visant à propager le credo évangéliste et à recruter des adeptes au sein des nationaux» (certains y ont vu un lien avec le réferendum suisse ayant abouti à l’interdiction des minarets); puis l’interpellation en février de cette année à Amizmiz d’un missionnaire en flagrant délit de prosélytisme (selon Le Monde, un Etatsunien ayant vécu 22 ans au Maroc, ce qui pose des questions sur la légalité de cette expulsion, comme nous le verrons plus tard). 

Pour couronner le tout, lors de ce mois de mars une trentaine de missionnaires étrangers -dont, ce qui est rare, un prêtre catholique –  ont été expulsés du Maroc y compris seize évangélistes occidentaux travaillant bénévolement à l’orphelinat d’Aïn Leuh (certains médias font état de chiffres bien supérieurs,RFI évoquant une cinquantaine de missionnaires expulsés rien que pour les Etats-Unis, alors que le quotidien français Libération évoque notamment 40 Etatsuniens et 7 Néerlandais alors qu’un blog évangéliste cite le chiffre de 70 prosélytes expulsés): 

Des ressortissants étrangers expulsés du Maroc pour actes contraires aux lois en vigueur (communiqué) 

Rabat, 08/03/10 – Les autorités marocaines ont pris, dernièrement, des décisions d’expulsion hors du territoire national, à l’encontre de ressortissants étrangers, de différentes nationalités, qui se sont rendus coupables d’actes contraires aux lois en vigueur.

Parmi les expulsés figurent 16 personnes, entre résidents et dirigeants d’un orphelinat situé dans la commune de Aïn Leuh (province d’Ifrane), indique lundi un communiqué du ministère de l’intérieur, précisant que les intéressés mettaient à profit l’indigence de quelques familles et ciblaient leurs enfants mineurs qu’ils prenaient en charge, en violation des procédures en vigueur en matière de Kafala des enfants abandonnés ou orphelins.  Sous couvert d’actions de bienfaisance, ce groupe s’adonnait également à des activités de prosélytisme visant des enfants en bas âge, n’ayant pas plus de dix ans, ajoute la même source, notant que dans le cadre de l’enquête ordonnée par le parquet général, des centaines de prospectus et de CD de prosélytisme ont été saisis.L’ensemble des mesures prises par les autorités marocaines s’inscrivent dans le cadre de la lutte menée contre les tentatives de propagation du crédo évangéliste, visant à ébranler la foi des musulmans.Le ministère tient, d’autre part, à souligner que les mesures d’expulsion du territoire national ont été prises conformément aux dispositions légales en vigueur, pour la préservation des valeurs religieuses et spirituelles du Royaume.

Dernière modification 08/03/2010 20:21.

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Une source présentée par le quotidien officieux Aujourd’hui Le Maroc comme émanant de l’orphelinat d’Aïn Leuh précise dans le même sens: 

En guise de clarification, une source de l’orphelinat de Aïn Leuh, relevant de l’Entraide nationale, a affirmé à ALM que l’orphelinat en question est géré par des Américains et ne relève nullement de l’Entraide nationale. «L’orphelinat en question à Aïn Leuh s’appelle «Kariat Al-Amal» (Le village de l’espoir). Il s’agit d’un orphelinat géré par des Américains et ne relève surtout pas de l’Entraide nationale. Il a été fondé bien avant l’indépendance. Ce village prenait en charge les enfants abandonnés ou les enfants démunis. Il paraît qu’il leur enseignait le credo évangéliste ce qui constitue une violation de la loi marocaine», précise notre source qui a préféré garder l’anonymat. 

Plus de précisions encore, émanant des autorités, toujours dans Aujourd’hui Le Maroc

Les investigations judiciaires ont montré que le bureau dirigeant de l’orphelinat est composé de cinq membres dont un seul Marocain. Les activités de l’orphelinat sont financées par des organisations hollandaises, américaines et sud-africaines. L’orphelinat comptait 33 enfants, 22 garçons et 11 fillettes. Les missionnaires ciblaient les enfants entre 1 et 10 ans, dont la majorité sont des enfants de mères célibataires. Les dirigeants de l’orphelinat ont reconnu, selon les enquêteurs, qu’ils enseignaient les principes du christianisme aux enfants. Selon les constatations faites par les responsables de l’enquête effectuée sous le contrôle du Parquet, les responsables de l’orphelinat ne permettaient pas aux enfants de rencontrer les membres de leurs familles et ne respectaient pas la condition principale pour qu’une personne puisse adopter un enfant, à savoir qu’elle soit de confession musulmane. D’ailleurs, les dirigeants de l’orphelinat avaient présenté une demande de fondation de leur propre école privée, mais la demande leur a été refusée par l’Académie régionale de Meknès, car elle ne remplissait pas les conditions légales exigées par la loi. 

Les responsables de l’orphelinat se défendent en affirmant que les autorités marocaines étaient parfaitement informées du caractère chrétien de l’établissement, ce qui est certain par ailleurs – il est effectivement impensable que les agents d’autorité aient ignoré l’existence d »un orphelinat géré par seize ressortissants occidentaux affirmant ouvertement leur foi chrétienne dans un petit village de la région d’Ifrane: 

For the past 10 years, the Christian workers have been serving as foster parents to some 33 orphaned or abandoned children. Village of Hope registered with the Moroccan government in 2002 as an official Christian organization. And since then the children’s home has operated with the full knowledge of the Moroccan authorities that the overseas workers are Christian. (The Christian Post

« We were a legal institution, » he said. « Right from the start they knew that it was an organization founded by Christians and run by a mixture of Christians and Muslim people working together. » Authorities told orphanage officials that they were being deported due to proselytizing but gave no evidence or explanation of who, when, where or how that was supposed to have occurred, according to a Village of Hope statement. The orphanage had been operating for 10 years. Moroccan authorities had never before raised any charges about the care of the children, according to Village of Hope’s website. (Charisma Magazine

« Depuis le début, le Village fonctionnait en accord avec l’État, qui savait que les familles étaient chrétiennes » témoigne Michael Païta, de l’association humanitaire chrétienne La Gerbe, partenaire du projet. (Famille chrétienne

Cette décision a été une véritable surprise pour beaucoup d’ONG chrétiennes. « En s’informant, après coup, on a appris que des actions similaires avaient déjà été menées », explique Michael Païta. Mais « localement, rien de laissait présager cela, les relations avec les forces locales étant très bonnes ce qui fait penser que c’est plus une décision politique ». (Afrik.com

Inutile de préciser que le PJD a applaudi à ces expulsions, par le truchement du parlementaire Me Mustapha Ramid: 

Contacté par ALM, Me Mustapha Ramid, affirme que la décision de l’expulsion des prosélytes de l’orphelinat de Aïn Leuh est conforme à la loi. «Le Code pénal marocain incrimine, dans son article 220, toute personne qui emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des établissements d’enseignement ou des enseignements. La loi est claire. La décision des autorités compétentes ayant procédé à l’expulsion des prosélytes de l’orphelinat de Aïn Leuh est conforme à la loi. Car ces prosélytes ont exploité un orphelinat pour propager le credo évangéliste», explique Me Ramid. 

De même, Najia Adib, la fondatrice de l’ONG « Touche pas à mes enfants » a également approuvé les mesures contre Village of Hope, ainsi que le président du Centre Marocain des Droits de l’Homme: 

« Tout comme les pays occidentaux protègent la laïcité et la foi chrétienne contre la propagation de l’Islam, le Maroc a le droit de protéger sa religion« , a déclaré Khalid Cherkaoui Semouni, président du Centre marocain des droits de l’Homme. « C’est ce qu’affirme la législation marocaine, en interdisant de tenter de convertir les individus. L’Etat a le droit d’appliquer la loi. » (Magharebia.com – site de l’armée US) 

Ca n’a rien d’un coup de torchon épisodique, puisque le ministère de l’intérieur affirme avoir démasqué 36 cellules d’évangélisation regroupant 202 missionnaires opérant au Maroc- ce qui, à supposer que ces chiffres ne soient pas fantaisistes, laisse entendre que les sécuritaires aient misé des ressources considérables pour traquer le prosélytisme évangéliste au Maroc (jusqu’ici, à ma connaissance, seul un des missionnaires expulsés n’est pas évangéliste – il s’agit du prêtre catholique égyptien Rami Zaki, d’ailleurs inquiété à son retour en Egypte selon Le Monde): 

La veille installée par les services compétents a permis ainsi de détecter quelque 36 cellules de prosélytisme évangéliste qui tentent de s’activer sur le territoire national composées de 202 missionnaires dont la majorité sont de nationalité américaine, anglaise et française. Ces missionnaires sont soit des prêtres soit des enseignants travaillant dans le cadre des accords de coopération, des ingénieurs travaillant pour le compte de multinationales opérant sur le territoire national, des médecins ou des chefs d’entreprise. Ces cellules sont pour la majorité concentrées dans les régions de Marrakech, Casablanca, Rabat, Fès, Meknès, et Agadir. Le modus operandi de ces cellules correspond à celui que les évangélistes adoptent en général, à savoir la tenue de réunions privées régulières qui visent ce qu’ils appellent «la consolidation de la foi chrétienne», ou l’organisation de sorties groupées pendant lesquelles on tente de diffuser «le message du Christ» ou à travers des séances de formation et des séminaires à l’étranger. Les premiers cibles de ces cellules sont les jeunes chômeurs, selon les investigations menées par les autorités compétentes. Mais, cela ne signifie pas que des jeunes cadres ayant une formation supérieure et une bonne une situation salariale soient à l’abri de ces tentatives. Ainsi, il y aurait près de 363 Marocains qui se seraient convertis au christianisme et qui ont même commencé à vouloir prendre les rênes des réseaux évangélistes sur le territoire national. Ainsi, des informations dont disposent les services compétents indiquent que les Marocains convertis auraient créé une douzaine de cellules locales et qu’ils ont réussi à mettre la main sur 26 parmi 36 agissant au Maroc. (Aujourd’hui Le Maroc

Le journaliste d’El Pais Ignacio Cembrero le souligne – une telle fermeté est inaccoutumée s’agissant de prosélytes occidentaux: 

« There are several things about this that are really striking, » says Spanish journalist Ignacio Cembrero, who has written several books about the country. « There have been occasional deportations of people accused of proselytizing before, but never so many at once, and they’ve never expelled a Catholic before. And for the police to enter a church on Sunday, during services, to arrest people? Absolutely unprecedented. » (Time.com

Les représentants des cultes reconnus au Maroc, rite malékite excepté, ont été reçus – convoqués? – par le ministre de l’intérieur, et les déclarations des représentants de ces cultes a ensuite été reproduit dans la presse officielle et officieuse – déclarations qui leur ont été reprochées sur des sites évangélistes en raison de leur modération: 

Réactions

L’archevêque catholique Vincent Landel : «Le prosélytisme est un acte condamnable»

Le prosélytisme qui consiste à forcer des personnes vulnérables à changer de religion est un «acte condamnable», a affirmé, mercredi, l’archevêque catholique de la capitale du Royaume, Vincent Landel. Dans une déclaration à la MAP, M. Landel a indiqué que les personnes expulsées dernièrement par les autorités marocaines pour prosélytisme «n’agissent pas selon la loi de l’église catholique (…) et ces évangélistes n’ont strictement rien à voir avec l’archevêché catholique». 

Le Père Dimitriy Orekhov : «Le Maroc est un pays de liberté et d’ouverture religieuse»

Le Maroc est un pays de liberté et d’ouverture religieuse, a affirmé, mercredi à Rabat, le Père Dimitriy Orekhov, représentant de l’Eglise orthodoxe russe au Maroc. «Les chrétiens orthodoxes du Maroc se réjouissent de l’hospitalité et de la sollicitude accordée par Sa Majesté le Roi du Maroc et les autorités marocaines à la liberté religieuse et confessionnelle», a déclaré à la MAP le père Orekhov. «L’Eglise orthodoxe russe du Maroc est contre toute forme de prosélytisme», a-t-il souligné, assurant que le prosélytisme ne s’inscrit pas dans la mission assignée à son église. 

Le Grand Rabbin Joseph Israël : «Le Maroc est un pays de tolérance»

Le Royaume du Maroc est un pays de tolérance où on pratique toutes les religions sans contraintes ni limites, a affirmé, mercredi, le Grand Rabbin Joseph Israël, président de la Chambre rabbinique au tribunal de première instance de Casablanca. «Le Maroc est un pays de tolérance. On y pratique toutes les religions: musulmane, juive et chrétienne, sans contraintes, ni limites», a indiqué M. Israël, précisant «qu’il n’y a pas de place pour la pratique du prosélytisme». Aujourd’hui Le Maroc 12-03-2010 à 08:54 

Les églises institutionnelles, à savoir le diocèse de Rabat et l’Eglise évangélique au Maroc, ont réaffirmé leur rejet de tout prosélytisme  – vis-à-vis du moins des Marocains musulmans, mais pas en ce qui concerne étudiants et migrants subsahariens qui sont la première communauté chrétienne du Maroc. Dans un communiqué commun publié sur le site du diocèse de Rabat, très en retrait par rapport aux citations reprises par la presse offficielle puisqu’évoquant implicitement l’absence de liberté religieuse pour les quelques Marocains convertis au christianisme, les deux églises chrétiennes déclarent ainsi: 

En de telles circonstances, nous tenons à affirmer que nos églises officielles, au cœur de ce pays qui nous accueille, ont toujours voulu être respectueuses des lois de ce pays. Nous avons toujours pu exercer notre responsabilité, dans le cadre de la liberté de culte reconnue aux  étrangers chrétiens. Notre responsabilité est d’aider nos frères chrétiens, à rencontrer leurs frères musulmans, à apprendre à les connaître, les respecter et les aimer, sans aucun souci de prosélytisme. Notre seul but est de participer à la construction d’un Maroc où des musulmans, des juifs et des chrétiens soient heureux de partager leur responsabilité pour la construction d’un pays où puissent se vivre la justice, la paix et la réconciliation. 

Au passage, on notera tout de même que les diocèses catholiques de Rabat et de Tanger ainsi que la préfecture apostolique du Sahara « dépendent de la congrégation pour l’évangélisation des peuples« , congrégation dépendant directement de la Curie romaine. Sur son site on peut trouver un « GUIDE DE VIE PASTORALE POUR LES PRÊTRES DIOCÉSAINS DES ÉGLISES QUI DÉPENDENT DE LA CONGRÉGATION POUR L’ÉVANGELISATION DES PEUPLES » qui contient des dispositions sur l’évangélisation des non-chrétiens: « un engagement effectif au service de la première annonce de l’Evangile aux non-chrétiens« , « territoires de mission » (point 1 du Guide), « Au ministère de l’Eglise participent les prêtres appelés à prêcher et répandre l’Evangile » (point 3), « l’oeuvre de l’évangélisation des non chrétiens doit être engagée et poursuivie par les prêtres dans un esprit d’obéissance » (point 27). Sans compter  de nombreux passages sans équivoque:

La communion des Eglises particulières avec l’Eglise universelle atteint sa perfection seulement quand elles-mêmes prennent part à l’effort missionnaire en faveur des non chrétiens dans leur propre territoire et aussi en direction des autres peuples. Dans ce dynamisme apostolique, qui appartient à l’essence missionnaire de l’Eglise, les prêtres occupent nécessairement une place particulièrement importante. Cela doit être spécialement évident pour ceux qui travaillent dans les territoires de mission, où se réalise l’évangélisation des non chrétiens. (point 4 du Guide)

Il en résulte que tout prêtre doit avoir une conscience missionnaire très claire, qui le rende apte et prêt à s’engager de façon pratique et avec générosité pour que l’annonce de l’Evangile atteigne ceux qui ne professent pas encore la foi au Christ. Le prêtre est en toute vérité « missionnaire envoyé au monde« . 

L’évangélisation des non chrétiens vivant sur le territoire d’un diocèse ou d’une paroisse, est confié, en première responsabilité, à leur pasteur propre, en collaboration avec la communauté chrétienne. Ce devoir apostolique demande que l’Evêque soit essentiellement messager de la foi et que les prêtres s’emploient de toutes leurs forces à prêcher l’Evangile à ceux qui demeurent en dehors de la communauté ecclésiale, qu’ils s’y engagent en personne, avec leurs fidèles, en collaboration avec les missionnaires.

Dans la répartition des charges pastorales, on ne confiera pas en priorité aux prêtres du clergé local les communautés déjà formées et rassemblées, en laissant aux missionnaires celles qui sont en formation ou la responsabilité d’évangéliser de nouveaux secteurs. Les prêtres du pays ont le droit et le devoir d’assumer eux-mêmes la charge de l’évangélisation de leurs propres frères qui ne sont pas encore chrétiens: ils seront ainsi en vérité des apôtres des frontières, n’aspirant pas aux fonctions les plus en vue, aux postes offrant une plus grande sécurité, plus centraux ou mieux rémunérés. (point 4 du Guide)

Evangélisateur infatigable: en priorité, le prêtre a le devoir d’annoncer l’Evangile à ceux qui, sur le territoire qui lui est confié, ne sont pas encore baptisés. (…) Tout prêtre, en vertu de sa fonction prophétique, participant à la responsabilité missionnaire de son Evêque, dans une étroite collaboration avec lui, a le devoir imprescriptible d’annoncer aux hommes « le Dieu vivant et celui qu’il a envoyé pour le salut de tous, Jésus-Christ » (cf. 1 Tess 1, 9-10; 1 Cor 1, 18-21). C’est seulement ainsi que les non chrétiens, « dont l’Esprit Saint ouvre le coeur (cf. At 16,14), se convertiront librement en croyant au Seigneur« (point 7 du Guide)

Ils seront par-dessus tout convaincus que les adeptes des autres religions ont le droit de recevoir la plénitude de la vérité chrétienne – qui fait d’ailleurs partie du patrimoine de l’humanité – de la part de ceux qui ont reçu de l’Eglise catholique mandat de l’annoncer. (point 18 du Guide)

On peut y lire cependant également ceci:

Comme pasteurs, les prêtres seront conscients de leur devoir de favoriser « le plus possible le maintien, parmi les hommes, de la paix et de la concorde fondées sur la justice » . Par leur exemple ils entraînent les fidèles, à observer l’ordre et les lois de l’Etat. (point 31 du Guide)

S’il s’agissait de Tariq Ramadan, on parlerait de double discours, mais contentons-nous seulement de relever que dans les faits, rien n’indique l’existence concrète d’actions de prosélytisme catholique au Maroc.

Quant au nombre de convertis, des chiffres fiables sont bien évidemment difficilement trouvables, en raison de la clandestinité des conversions de Marocains musulmans. Les chiffres ayant circulé dans les médias – des dizaines de milliers – semblent cependant fortement exagérés, à en croire le président de l’Eglise évangélique au Maroc, le pasteur Jean-Luc Blanc (ces propos datent de 2005, mais rien ne laisse entrevoir une croissance exponentielle de leur nombre depuis): 

Là encore, il ne faut pas tout confondre, certains journaux ont annoncé des chiffres exubérants tels que 40 000 convertis par le prosélytisme des fondamentalistes chrétiens. Le nombre réel se situerait plutôt dans une fourchette de 800 et 1 000, soit 0,025% de la population marocaine. Mais il y a dix ans de cela, il n’y en avait que la moitié. Selon mes sources, les missionnaires obtiennent très peu de résultats. (Afrik.com

I – Du point de vue pénal: des dispositions éludées par les autorités 

Un petit rappel juridique s’impose: contrairement à une légende tenace – il est vrai favorisée par l’arbitraire judiciaire qui a effectivement permis dans les années 90 de faire condamner abusivement des convertis, comme le rappelle Meriem Azdem dans son mémoire « Prosélytisme et liberte de religion dans le droit privé marocain » – le prosélytisme non-musulman au Maroc (aucun texte ne vise expressément le prosélytisme musulman) n’est valablement puni que dans le seul cas de figure visé à l’article 220 alinéa 2 du Code pénal

Est puni de la même peine [un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 100 à 500 dirhams], quiconque emploie des moyens dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats. En cas de condamnation, la fermeture de l’établissement qui a servi à commettre le délit peut être ordonnée, soit définitivement, soit pour une durée qui ne peut excéder trois ans. 

Comme le relève Adolf Ruolt dans « Code pénal annoté » (Ministère de la justice, Rabat, 1990, p. 215), quatre conditions cumulatives doivent donc être remplies pour qu’une personne puisse être condamnée pour prosélytisme au titre de l’article 220 alinéa 2 du Code pénal

Cette disposition tend à réprimer une forme particulièrement odieuse de prosélytisme qui s’appuie sur les besoins et la misère des candidats à la conversion. 

Les éléments constitutifs sont: 

  1. des moyens de séduction;
  2. le fait que ces moyens consistent soit à exploiter la faiblesse ou les besoins de la victime, soit à utiliser des établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats;
  3. le but poursuivi: ébranler la foi d’un musulman ou le convertir à une autre religion;
  4. l’intention coupable

Cette disposition est-elle conforme aux conventions internationales souscrites par le Maroc?

L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule:

Article 18

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.

2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

4. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

Il n’est sans doute pas hasardeux d’avancer que la prohibition du prosélytisme au moyen de manoeuvres de séduction visant soit à exploiter la faiblesse ou les besoins de la victime, soit à utiliser des établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats, semble à première vue compatible avec les alinéas 3 et 4 de l’article 18, sachant, comme nous le verrons plus tard, que ni Village of Hope ni ses « bénévoles » ne pouvaient être considérés comme tuteurs légaux des enfants abandonnés dont ils s’occupaient, le juge des tutelles étant alors seul compétent.

Entre parenthèses, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme admet les poursuites pénales contre le prosélytisme dans des cas similaires à ceux posés par l’article 220 du Code pénal marocain. Le jugement le plus célèbre en la matière est celui dans l’affaire Kokkinakis contre Grèce (1993), qui concernait un témoin de Jehovah grec poursuivi et condamné pour prosélytisme par un tribunal de son pays:

48.  Il échet d’abord de distinguer le témoignage chrétien du prosélytisme abusif: le premier correspond à la vraie évangélisation qu’un rapport élaboré en 1956, dans le cadre du Conseil oecuménique des Eglises, qualifie de «mission essentielle» et de «responsabilité de chaque chrétien et de chaque église». Le second en représente la corruption ou la déformation. Il peut revêtir la forme d’»activités [offrant] des avantages matériels ou sociaux en vue d’obtenir des rattachements à [une] Eglise ou [exerçant] une pression abusive sur des personnes en situation de détresse ou de besoin», selon le même rapport, voire impliquer le recours à la violence ou au «lavage de cerveau»; plus généralement, il ne s’accorde pas avec le respect dû à la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui.

La lecture de l’article 4 de la loi n° 1363/1938 révèle que les critères adoptés en la matière par le législateur grec peuvent cadrer avec ce qui précède si et dans la mesure où ils visent à réprimer, sans plus, le prosélytisme abusif, qu’au demeurant la Cour n’a pas à définir in abstracto en l’espèce.

Je tire d’ailleurs à un coup de chapeau à Peter Edge, dont le commentaire de l’arrêt Kokkinakis – intitulé « The Missionary’s Position After Kokkinakis » – a bien évidemment inspiré le titre de ce billet.

Ce qui n’est pas compatible avec le Pacte est la discrimination exprimée par l’article 220 du Code pénal, qui ne réprime que le prosélytisme visant des musulmans, et pas celui visant des non-musulmans, ce qui viole l’article 26 du Pacte:

Article 26

Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Y a-t-il eu prosélytisme illégal dans le cas présent? En l’occurence, selon les dires mêmes d’un responsable de Village of  Hope, voici ce qui s’y passait: 

A l’école gérée par l’orphelinat, les enfants apprenaient l’arabe et étudiaient le Coran comme l’exige la loi marocaine, selon Broadbent. Dans leurs familles d’accueil, ils baignaient en milieu chrétien. «Les enfants n’étaient pas baptisés. Nous leur racontions des histoires de la Bible, mais aussi des histoires séculaires et des histoires du Coran, insiste-t-il. Les autorités savaient tout cela, il n’y avait rien de secret.» (…) Dans le café du village, Adil, 26 ans, plonge le nez dans sa tasse de thé quand on lui demande si l’orphelinat tentait de convertir les Marocains : «Personne ne nous demandait de nous convertir.» Mais il y avait beaucoup de discussions sur les différences entre les religions et un climat favorable à la décision de devenir chrétien, décrit-il. (Libération

Même le président de l’Eglise évangelique au Maroc, le pasteur français Jean-Luc Blanc, a fait part de ses doutes: 

Activisme.«Pourquoi les a-t-on laissés faire pendant dix ans ?» s’interroge, de son côté, Jean-Luc Blanc, chef de l’Eglise protestante au Maroc. Selon lui, il était évident que des enfants élevés par des chrétiens avaient de grandes chances de devenir un jour chrétiens (…) (Libération

On voit donc que le cas des bénévoles ou missionnaires du Village of Hope d’Aïn Leuh semble à première vue ne pas être trop éloigné du cas envisagé par l’article 220 alinéa 2 du Code pénal

A ceci près. A ceci près que dans un Etat de droit, il ne saurait être question de condamner quelqu’un pour un quelconque délit sans avoir fait la preuve de son intention criminelle (mens rea pour les juristes anglo-saxons). En l’occurence, dans le communiqué publié sur le site de Village of Hope d’Aïn Leuh, on peut lire le texte d’une déclaration signée par les bénévoles étrangers (donc évangélistes dans ce cas précis) par laquelle ils s’engagent à ne pas s’adonner à du prosélytisme: 

Proselytism:

During the time at VOH children’s home we must ask you not to proselytize. Proselytism is defined as distributing literature of any kind (this includes bibles and videos as well as tracts) or discussing the gospel with an intention to persuade. We trust that you have not brought any such material with you, for some reason have done so please do not hand it out.  

We encourage you to enjoy having conversations and to build friendships with Moroccans. Official languages are Arabic and French.  Comparatively little English is spoken. You will easily find yourself entering ordinary conversations with Moroccans about families, home communities, etc. Make use of your family photos during these conversations. Should you be asked about your religious beliefs, do not feel inhibited in any way to state that you are a Christian. Most of the people in the community and the Authorities know that we are Christians. 

We want you to be a blessing to the community and we want our lives to shine brightly for the Kingdom. We believe that through our lives and good works people will begin to glorify God. 

PURPOSE AND POLICY OF AGREEMENT

We ask each work team member and visitor to please signify their agreement with each of the following commitments. Please initial each of the statements to signify your agreement. Sign and date the form. Give this to the Director or the Work Team Coordinator after you have signed it

___________________ I understand and agree that my first purpose is to be here to do the physical work I am given. If I am given the opportunity to share my faith it will be as a result of me having been asked to do so.
___________________ I will abide by the policy of not proselytising while at VOH.
___________________ I will not defame the King of Morocco.
___________________ I will not defame Mohammed or Islam.

I understand that if I fail to comply with these commitments that I will be asked to leave Village of Hope premises immediately

_____________________         _____________        __________________________________ 

Signature                                          Date                Print your Surname and First name. 

On notera par ailleurs que les responsables de l’orphelinat Village of Hope d’Aïn Leuh ont très bien compris la hiérarchie des sacralités au Maroc, « I will not defame [the prophet] Mohammed or Islam » venant après « I will not defame the King of Morocco« . 

Bien sûr, cette déclaration pourrait ne pas refléter la réalité, et il est possible que du prosélytisme du type interdit par l’article 220 alinéa 2 du Code pénal ait quand même eu lieu. Certaines formules sont équivoques – « If I am given the opportunity to share my faith it will be as a result of me having been asked to do so » et surtout « We believe that through our lives and good works people will begin to glorify God« , même si le fait qu’ils espèrent que leur exemple de conduite et de travail au service de la communauté contribuera à ce que le nom de Dieu soit glorifié ne les distingue guère de tous les autres hommes et femmes de foi actifs dans des oeuvres caritatives. 

Plus troublant cependant: le fait que ces bénévoles évangélistes ne semblent pas pratiquer la langue des enfants accueillis dans leur orphelinat – ou du moins pas la parler couramment – ni posséder la formation professionnelle requise dans les métiers de l’enfance – puériculture, enseignement, assistanat social – même s’ils ont affirmé être « venus au Maroc en tant que travailleurs sociaux ». Les 16 évangélistes expulsés sont en fait composés de huit couples évangélistes anglophones. Si des cours de langue arabe et de religion islamique semblent avoir été donnés aux enfants onformément à la législation scolaire, des cours sur la Bible ont également eu lieu, pratique difficilement explicable si ce n’est par la volonté d’évangéliser les enfants – à titre de comparaison, les nombreuses institutions scolaires et/ou caritatives et catholiques  accueillant des enfants musulmans au Maroc ne donnent pas des cours de religion juive ou catholique à ceux-ci: 

« We weren’t teaching Christianity in any formal way, » he says. But asked if reading the Bible to Muslim children constitutes proselytizing, he said, « We understood that it wasn’t. And in any case, the authorities have always known that these children were being raised in Christian families. » (Time.com

En se penchant sur Village of Hope, on apprend via leur site que les dons à cet orphelinat transitent, aux Etats-Unis, par l’ONG Compassion Corps. Le site de cette ONG ne fait pas expressément mention de visées prosélytes, mais on y trouve tout de même un appel à participer à l’International Day of Prayer for the Persecuted Church (IDOP), avec notamment cette phrase présciente « Pastors who give their lives for their faith, leave behind traumatized children« . Le même appel montre une photo de jeunes femmes présentées comme nord-africaines avec la légende « Women of North Africa in earnest prayer for their nations« . Compassion Corps a une « task force » présentée comme suit sur son site: « Teaching one another & asking for God’s help« .

Mais ce sont là des circonstances factuelles qui, pour autant troublantes qu’elles soient au regard du Code pénal, devraient être discutées de manière contradictoire devant un juge  sur la base de preuves invoquées par l’accusation, sur laquelle repose la charge de la preuve. Cela n’a pas été le cas ici, puisque les prosélytes supposés – tous étrangers – ont été expulsés par l’administration – en l’occurence le ministère de l’intérieur – sur la base de la législation relative aux étrangers, sans faire l’objet de poursuites pénales. En soi, rien n’interdit un tel choix, si ce n’est justement qu’une disposition législative particulièrement mal rédigée semble exiger une condamnation pénale préalable pour expulser des étrangers en situation régulière, du moins s’agissant d’un délit tel que celui de prosélytisme. 

II – La solution de facilité: le recours au droit des étrangers 

Ce n’est pas qu’en France que les autorités recourent au droit des étrangers pour expulser des étrangers indésirables contre lesquels les aléas de la procédure pénale seraient trop incertains: le cas présent montre que le Maroc sait aussi préférer l’arbitraire administratif à la glorieuse incertitude d’un procès pénal – encore que cette incertitude soit largement une chimère au Maroc de 2010. C’est en recourant au dahir n° 1-03-196 du 16 ramadan 1424 (11 novembre 2003) portant promulgation de la loi n° 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration  et l’immigration irrégulières. 

A en croire la presse, les évangélistes étrangers auraient été en séjour régulier au Maroc – rien n’indique qu’ils aient été en situation irrégulière, ce que les autorités et leurs caisses de résonance médiatiques n’auraient pas manquer de souligner. Que dit alors le droit marocain sur l’expulsion d’étrangers en situation régulière? Les articles 25 à 27 de la loi n° 02-03 précitée réglent la question. Le principe général est posé par l’article 25 de la loi: 

Article 25 :

L’expulsion peut être prononcée par l’administration si la présence d’un étranger sur le territoire marocain constitue une menace grave pour l’ordre public sous réserve des dispositions de l’article 26 ci-dessous. 

La décision d’expulsion peut à tout moment être abrogée ou rapportée. 

L’article 26 indique les cas ou même une menace grave contre l’ordre public ne peut justifier l’expulsion d’un ressortissant étranger du territoire marocain: 

Article 26

Ne peuvent faire l’objet d’une décision d’expulsion :

1 – l’étranger qui justifie par tous moyens qu’il réside au Maroc habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de six ans ;

2 – l’étranger qui justifie par tous moyens qu’il réside au Maroc habituellement depuis plus de quinze ans ;

3 – l’étranger qui réside régulièrement sur le territoire marocain depuis dix ans, sauf s’il a été étudiant pendant toute cette période ;

4 – l’étranger, marié depuis au moins un an, avec un conjoint marocain ;

5 – l’étranger qui est père ou mère d’un enfant résidant au Maroc, qui a acquis la nationalité marocaine par le bienfait de la loi, en application des dispositions de l’article 9 du dahir n° 1 – 58-250 du 21 safar 1378 (6 septembre 1958) précité, à condition qu’il exerce effectivement la tutelle légale à l’égard de cet enfant et qu’il subvienne à ses besoins ;

6 – l’étranger résidant régulièrement au Maroc sous couvert de l’un des titres de séjour prévus par la présente loi ou les conventions internationales, qui n’a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d’emprisonnement sans sursis ;

7 – la femme étrangère enceinte ;

8 – l’étranger mineur. 

Aucune durée n’est exigée pour l’expulsion si la condamnation a pour objet une infraction relative à une entreprise en relation avec le terrorisme, aux moeurs ou aux stupéfiants. 

On notera la rédaction maladroite de cet article 26, dont le dernier alinéa aurait plutôt sa place à l’article suivant, qui expose les exceptions à l’article 26. J’évoquerai aussi pour le plaisir de la démonstration les tirets 1°), 2°) et 3°) de l’article 26 –  qui semblent exclure l’expulsion pour les étrangers résidant régulièrement ou non au Maroc depuis l’âge de six ans, les étrangers résidant régulièrement ou non au Maroc depuis plus de 15 ans et enfin les étrangers résidant régulièrement au Maroc depuis plus de dix ans – doivent être interprétés par rapport au tiret 6°) du même article, qui protège de l’expulsion les étrangers ayant été condamnés à une peine de prison ferme de moins d’un an de prison. Prenons le cas d’un étranger résidant au Maroc depuis l’âge de six ans, ou ayant quinze années de résidence habituelle ou dix années de résidence légale au Maroc: supposons qu’il soit condamné à un an et un mois de prison ferme pour un délit quelconque. Si on lit les tirets 1°), 2°) et 3°) de l’article 26, il ne peut être expulsé (sauf les exceptions prévues à l’article 27 que nous verrons plus loin). Par contre, si on applique le tiret 6°), il peut être expulsé. Que choisir, monsieur le législateur? 

L’article 26 énumère donc les cas pour lesquels l’expulsion de l’étranger n’est pas justifiée même en cas de menace grave pour l’ordre public. L’exception à une exception impliquant en toute logique un retour au principe général, l’article 27 énumère donc les cas où l’expulsion d’un étranger peut avoir lieu même pour le cas où il remplirait les conditions de l’article 26: 

Article 27

Lorsque l’expulsion constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou pour la sécurité publique, elle peut être prononcée par dérogation à l’article 26 de la présente loi. 

Une meilleure rédaction de cet article 27 aurait fait référence très précisément aux infractions qui permettraient de déroger à l’article 26 et aux cas d’obstacle à l’expulsion d’un étranger – n’oublions pas qu’il faut rajouter les infractions liées au terrorisme, aux stupéfiants ou au moeurs, pour lesquelles la protection accordée aux étrangers par les tirets 1°), 2°), 3°) et 6°) de l’article 26 de la loi n’est pas applicable (cela ne concerne pas le délit de prosélytisme, qui n’est lié à aucune de ces trois catégories d’infractions). 

Les deux notions centrales de l’article 27 peuvent être définies en dépit de l’absence de définition dans la loi n° 02-03 et de leur domaine d’application apparemment assez étendu: la notion de sûreté de l’Etat peut en effet être comprise et délimitée en se référant au Code pénal, chapitre premier du titre premier du livre troisième intitulé « Des crimes et délits contre la sûreté de l’Etat« , lequel comprend les articles 163 à 218-9 du Code pénal (on notera entre parenthèses que le prosélytisme n’est pas couvert par cette notion puisque figurant à l’article 220 dudit Code). La notion de sécurité publique est aussi particulièrement vague, surtout dans un pays où la publication d’un communiqué de manifestants sur un blog, la création d’un profil Facebook au nom d’un prince ou la rédaction d’un article sur la santé du chef de l’Etat amène leurs auteurs en prison. On peut cependant, comme pour la notion de « sûreté de l’Etat« , se reporter au Code pénal: on constate alors que le chapitre cinquième du titre premier du livre troisième du Code pénal est intitulé « Des crimes et délits contre la sécurité publique« , et recouvre les infractions visées aux articles 293 à 333 – notamment « l’association aux malfaiteurs et l’assistance aux criminels« , « la rébellion« , « les évasions« , « l’inobservation de la résidence forcée et des mesures de sûreté » et enfin « la mendicité et le vagabondage« . 

Notons d’emblée que l’article 220 du Code pénal n’est pas visé par ce chapitre cinquième. Par ailleurs, puisque l’article 27 est une dispostion dérogatoire, restreignant qui plus est une liberté fondamentale (le droit pour un étranger résidant légalement au Maroc à y demeurer paisiblement). Il faudrait alors donner à cet article 27 une interprétation restrictive qui ne vise par les références à la sûreté de l’Etat et à la sécurité publique que les seuls crimes et délits visés aux articles 163 à 218-9 respectivement 293 à 333 du Code pénal. Ceci exclurait donc le prosélytisme réprimé par l’article 220 du Code pénal de la liste des infractions pour lesquelles la nécessité impérieuse de les prévenir (édictée à l’article 27 de la loi n° 02-03)  autoriserait l’administration à se passer d’une condamnation à une peine d’un an de prison ferme à l’encontre d’un étranger résidant régulièrement au Maroc.  

Enfin, la notion de nécessité impérieuse devrait également limiter l’application de cette disposition aux seuls cas où aucune autre mesure que l’expulsion de l’étranger concerné ne permettrait de faire face à la menace contre la sûreté de l’Etat ou de la sécurité publique. 

Pour être complet, on relèvera que l’article 29 de la loi fixe des cas supplémentaires d’obstacle à l’expulsion, qui ne semblent pas applicables ici, les évangélistes étant originaires de pays occidentaux où ils ne courent pas de risques de menace contre leur vie ou leur liberté: 

Article 29

L’étranger qui fait l’objet d’une décision d’expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière, est éloigné : 

a) à destination du pays dont il a la nationalité, sauf si le statut de réfugié lui a été reconnu ou s’il n’a pas encore été statué sur sa demande d’asile ; 

b) à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 

c) à destination d’un autre pays, dans lequel il est légalement admissible. 

Aucune femme étrangère enceinte et aucun mineur étranger ne peuvent être éloignés. De même, aucun étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements inhumains, cruels ou dégradants. 

Revenons-en à nos évangélistes étrangers expulsés: pour pouvoir être expulsés du territoire marocain, il faut que leur présence au Maroc constitue une menace grave pour l’ordre public. La loi n’indique pas ce qui constitue une « menace grave » contre « l’ordre public« . La notion de jurisprudence étant chimérique dans le système judiciaire marocain, qui ne comporte pas de vraie cour suprême au sens premier du mot et où la justice est vénale, on ne peut guère espérer d’éclaircissements de ce côté-là. On pourra juste considérer le risque de commission d’un délit punissable d’une peine de prison de six mois à trois ans et figurant au chapitre deuxième intitulé « Des crimes et délits portant atteinte aux libertés et aux droits garantis aux citoyens » du titre premier du livre troisième du Code pénal puisse éventuellement être considéré comme une menace grave contre l’ordre public – mais une autre interprétation de cette très vague disposition serait également possible. 

Supposons donc, par charité pour notre gouvernement, que le risque que les évangélistes étrangers commettent le délit de prosélytisme constitue une menace grave pour l’ordre public justifiant leur expulsion au titre de l’article 25 de la loi n° 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers. Reste à voir si ces évangélistes étrangers rentrent dans les cas prévus à l’article 26 de la loi, faisant obstacle à leur expulsion. Je ne connais pas la situation personnelle de ces évangélistes, et il est possible que certains d’entre eux résident légalement au Maroc depuis dix ans (article 26 alinéa 1 3°) de la loi – ce qui semble être le cas de certains des évangélistes d’Aïn Leuh: « Some of the couples had been there 10 years with valid visas« ) ou qu’il y ait des femmes enceintes dans le lot (article 26 alinéa 1 7°) de la loi), mais il est une disposition qui semble applicable à première vue: 

Article 26

Ne peuvent faire l’objet d’une décision d’expulsion : (…)

6 – l’étranger résidant régulièrement au Maroc sous couvert de l’un des titres de séjour prévus par la présente loi ou les conventions internationales, qui n’a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d’emprisonnement sans sursis ; 

A supposer donc que les évangélistes étrangers aient tous été titulaires de titres de séjour réguliers – rien n’indique le contraire, seule une condamnation définitive – c’est-à-dire ayant acquis autorité de chose jugée – à au moins un an de prison ferme permettrait leur expulsion. Or il est constant qu’aucun d’entre eux n’a été condamné à une telle peine de prison. Dès lors, l’article 26 alinéa 1 6°) de la loi n° 02-03 semble faire obstacle à leur expulsion. Mais pour en avoir le coeur net il faut se reporter à l’article 27 qui, comme je l’ai déjà souligné, comporte une exception aux exceptions énumérées à l’article 26, ce qui implique donc un retour au principe général de l’admissibilité de l’expulsion sur le fondement de l’article 25. 

Et on retombe sur la notion vague – c’était sans aucun doute le but recherché par le législateur – de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou pour la sécurité publique« . Quelle nécessité impérieuse? On peut déjà constater que d’autres mesures auraient pu être prises, moins graves que l’expulsion, auraient pu être prises pour prévenir la commission éventuelle du délit de prosélytisme: les autorités de tutelle – le ministère des affaires sociales via le wali ou le gouverneur – auraient ainsi pu procéder à des inspections sur place à Aïn Leuh, et prendre des mesures intermédiaires – avertissement, rappel à la loi, révision du cahier des charges de l’orphelinat en exigeant la présence de personnel de nationalité marocaine et/ou parlant l’arabe ou le berbère, partenariat exigé avec une association marocaine, etc. En toute logique, ce n’est que si ces mesures intermédiaires avaient été impossibles à prendre qu’une situation de nécessité impérieuse aurait pu valablement être constatée. Ce constat vaut d’autant plus que les activités de l’orphelinat en question, celui de Village of Hope à Aïn Leuh, fonctionnait depuis des années sous une direction et avec du personnel évangéliste, au vu et au su des autorités, selon le responsable du centre: 

« Depuis l’ouverture du centre il y a dix ans, précise Chris Broadbent, ses dirigeants ont toujours été des chrétiens pratiquants et les autorités le savaient » (Radio France Internationale). 

Enfin, s’agissant de la sécurité publique et de la sûreté de l’Etat, j’ai montré plus haut que l’interprétation la plus rationnelle de l’article 27 de la loi n° 02-03 était de reprendre la définition de ces termes découlant du Code pénal, ce qui exclurait le prosélytisme des infractions permettant valablement un recours à cet article. 

CQFD. 

Pour être tout à fait complet, rappelons l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Maroc et ayant de ce fait valeur supérieure à la loi marocaine, selon une jurisprudence bien établie:

Article 13

Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un Etat partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin.

Le point délicat ici – outre l’illégalité apparente de la décision d’expulsion elle-même – est le droit à un recours judiciaire contre une décision d’expulsion – rien n’indique ici qu’un tel recours ait été intenté par les missionnaires expulsés. Si cela était le résultat de leur décision librement prise de ne pas faire recours, pas de problème, mais vu la célérité de leur expulsion, on peut douter qu’ils aient effectivement été en mesure d’intenter un tel recours.

Il est donc probable que l’expulsion des évangélistes étrangers dans le cas qui nous occupe n’a pas de base légale en droit marocain, vu l’absence de condamnation pénale préalable. L’absence de poursuites pénales ne répond certes peut-être pas exclusivement à l’absence de preuves de prosélytisme dans le chef de ces évangélistes, mais également à des considérations diplomatiques: autant les chancelleries des pays occidentaux concernés (comme par exemple les Pays-Bas ou les Etats-Unis) râleront deux jours au sujet d’une expulsion du Maroc de leurs ressortissants évangélistes, autant un procès pénal avec à la clé – pour autant que le délit de prosélytisme soit prouvé – une condamnation à un an de prison ferme ferait beaucoup de mal à la diplomatie pastilla qui est celle du Maroc, comme l’a implicitement reconnu le ministre de la communication Khalid Naciri: 

« La procédure juridique a été écartée, déclare-t-il au Monde, car nous voulions que cela se fasse de la façon la plus « soft » possible : un procès aurait immanquablement débouché sur des emprisonnements. » (Le Monde) 

Pour être complet sur la question de l’expulsion, un éclaircissement: on a pu lire au sujet des expulsés que « tous ont été dans l’obligation de quitter le territoire marocain sous quarante-huit heures, et ce, sans avoir été présentés devant un juge« . La loi marocaine, comme la plupart des lois nationales de par le monde, met l’expulsion des étrangers entre les mains de l’autorité administrative, avec cependant faculté pour la personne refoulée ou expulsée de faire appel de cette décision devant un tribunal, selon des modalités d’une efficacité variable. 

Au Maroc, en vertu de la loi n° 02-03, un étranger reconduit à la frontière peut faire appel de cette décision devant le tribunal administratif et demander le prononcé d’un sursis à exécution en attendant la décision quant au fond (article 33 de la loi). Il n’y a donc rien d’illégal en soi à ce qu’ils aient été expulsés par voie administrative sans passer par un juge administratif (on peut théoriquement concevoir qu’ils n’aient pas fait appel de leur décision devant le tribunal administratif compétent, en assortissant leur appel d’une demande de sursis à exécution), mais on peut aussi concevoir qu’un éventuel recours judiciaire n’aurait pas été efficace ici, étant donné tant l’absence d’avocats spécialisés dans ces questions au Maroc que le caractère politique marqué de cette affaire- voir aussi le raisonnement plus haut sur l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

III – La réglementation des orphelinats et de la kafala au Maroc 

Tant le site que les communiqués des évangélistes de Village of Hope parlent des bénévoles évangélistes travaillant à l’orphelinat comme de « parents« , « familles tutrices » ou « tuteurs« : 

On leur a enlevé les seuls parents qu’ils ont connus : imaginez le traumatisme (Libération

This is not an issue of Islam vs Christianity, this is a issue of families torn apart, bewildered and devastated children and heartbroken parents.(…) From the Parents in exile and separated from their beautiful Children. (Village of Hope

Simo with his mother and two sisters immediately after hearing of the expulsion. (Village of Hope)  

Jack Wald, pastor at the Rabat International Church in Rabat, Morocco (…): « These are the only parents they know and the government has ripped them away, traumatizing the children and ripping out the hearts of the parents, » said Wald. « We are all stunned. » (The Christian Post

Ceci absolument faux, abusif et trompeur: les bénévoles en question n’ont aucun lien de parenté légal avec les orphelins en question. Le Code de la famille marocain ne reconnaît en effet que la filiation légitime (l’article 148 l’énonce explicitement), et rejette expressément l’adoption: 

Article 149

L’adoption (Attabani) est juridiquement nulle et n’entraîne aucun des effets de la filiation parentale légitime. 

L’adoption dite de gratification (Jaza) ou testamentaire (Tanzil), par laquelle une personne est placée au rang d’un héritier de premier degré, n’établit pas la filiation paternelle et suit les règles du testament (Wassiya). 

Le droit marocain de la famille reconnaît cependant la prise en charge des orphelins et enfants abandonnés propre au droit musulman qu’est la kafala, laquelle permet la prise en charge d’orphelins ou d’enfants abandonnés mais sans aucun effet juridique quant à la filiation ou à l’état-civil. Le dahir n° 1-02-172 du 1 rabii Il 1423 portant promulgation de la loi n°15-01 relative à la prise en charge (la kafala) des enfants abandonnés y est ainsi consacré, et son article 2 dispose: 

Article 2 : La prise en charge (la kafala) d’un enfant abandonné, au sens de la présente loi, est l’engagement de prendre en charge la protection, l’éducation et l’entretien d’un enfant abandonné au même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala ne donne pas de droit à la filiation ni à la succession

L’article 9 de cette loi précise les conditions qui doivent être remplies par le kafil (la personne prenant l’enfant en charge): 

Article 9

La kafala des enfants déclarés abandonnés par jugement est confiée aux personnes et aux organismes ci-après désignés :

1 – Les époux musulmans (…);

2 – La femme musulmane (…);.

3 – Les établissements publics chargés de la protection de l’enfance ainsi que les organismes, organisations et associations à caractère social reconnus d’utilité publique et disposant des moyens matériels, des ressources et des compétences humaines aptes à assurer la protection des enfants, à leur donner une bonne éducation et à les élever conformément à l’Islam

Village of Hope, dont on peut supposer qu’il avait le statut d’une association de droit marocain, n’aurait donc pas pu remplir les conditions prévues à cet article, n’étant pas reconnue d’utilité publique et n’ayant raisonnablement pas, en la personne de « bénévoles » évangélistes étrangers, les « compétences humaines aptes à (…) élever [les enfants] conformément à l’islam« . 

Précisons au passage que ces dispositions sont conformes à la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant, dont l’article 20 stipule: 

Article 20 

1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat.

2. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique

On peut très bien concevoir que les liens affectifs entre les bénévoles évangélistes de Village of Hope et les enfants dont ils s’occupaient étaient très étroits (la vidéo rendue publique sur le site de Time.com en témoigne de manière poignante), et que des orphelins de bas âge aient pu les considérer comme leurs parents, mais mais le fait pour l’orphelinat d’invoquer constamment des liens de parenté inexistants – (« Still, the Padillas hold onto hope that maybe they could be reunited with their sons« ) – est d’une mauvaise foi flagrante. 

Le modus operandi de l’orphelinat semble également avoir favorisé cette perception trompeuse des choses: à en croire les déclarations à la presse du couple étatsunien Padilla, ils avaient en charge deux enfants (« Eddie and Lynn Padilla say their family was torn apart when the Moroccan government deported them and other Christian workers at an orphanage in the Islamic country. Now they worry about the future for little Samir and Mouhcine, the two Moroccan boys they were raising« ), ce qui laisserait supposer que chacun des 8 couples évangélistes ait eu en moyenne deux enfants marocains (sur les 33 enfants de l’orphelinat) à charge, un peu comme s’ils constituaient une famille (c’est d’ailleurs la perception des évangélistes eux-mêmes – « their Moroccan children » – et à plus forte raison, on peut l’imaginer, celle des enfants qu’ils ont pris en charge), alors même que ces couples savaient pertinemment ne pas remplir les critères légaux pour la kafala, seul mode de prise en charge légale des enfants au Maroc hors filiation légitime. Les responsables de Hope Village parle ainsi de « set of parents« : 

« The parents only want to be reunited with their children, » VOH stressed. « Every single set of parents would return to Morocco to continue with the care of the children and continue to live under the law and authority of the State. » (Christian Post

The unique model of care offered by VOH means that children have been raised in family units with a Mum and Dad rather than the more traditional dormitory style orphanage set up. (Hope Village

La presse étrangère s’y est spectaculairement emmêlée les pinceaux – par exemple Le Monde

Pour une raison ignorée, les autorités marocaines, encouragées par les discours outranciers de l’imam local, ont décidé, le 8 mars, qu’il ne respectait pas la kafala (« procédure d’adoption »). 

La raison ignorée – de la journaliste du Monde du moins – est sans doute qu’en vertu de l’article de la loi n° 15-01 relative à la kafala – qui n’est en rien une adoption – celle-ci n’est possible que si ceux prenant en charge l’orphelin ou l’enfant abandonné sont musulmans, ce que n’étaient notoirement pas les missionnaires de Hope Village, qui se présentaient cependant comme « familles d’acceuil » ou « familles tutrices« . Le respect de la loi était donc effectivement un motif sérieux de s’intéresser aux agissements de Hope Village – mais la réaction des autorités a par la suite été illégale à son tour. 

Mais en dehors de la  loi n° 15-01 relative à la kafala, il faut également citer la loi n° 14-05 relative aux conditions d’ouverture et de gestion des établissements de protection sociale (ainsi que son décret d’application), applicable aux établissements de prise en charge d’enfants abandonnés tels que Village of Hope. Cette loi fait obligation à ces établissements notamment d’obtenir une autorisation préalable (ce qui semble avoir été le cas), à se soumettre à un contrôle et de à respecter tant le Code de la famille que la loi n° 15-01 relative à la kafala (voir sur ces deux derniers points l’article 12 alinéa 3 de la loi n° 14-05). De manière assez intéressante, on y lit à l’article 19 que l’administration dispose de deux outils afin de remettre un établissement sur le droit chemin, à savoir la mise en demeure et l’adminstration provisoire (cette dernière mesure a été appliquée ici). On peut se demander si une mise en demeure accompagnée de mesures pour éliminer tout risque de prosélytisme, visant à assurer une transition moins brutale pour les enfants de Village of Hope, n’aurait pas pu être une mesure plus pertinente. Mais rien n’indique que les autorités aient enfreint cette loi-ci.

IV – Conclusion

Quelques remarques finales:

  • cette décision d’expulser en masse des évangélistes occidentaux remonte au plus haut sommet de l’Etat, comme on dit par euphémisme – les expulsions visent des dizaines de ressortissants occidentaux de différentes provinces et préfectures du pays, et ont été totalement assumées par le gouvernement et ses médias;
  • le pouvoir ne s’est pas laissé intimidé par les timides réactions négatives – seuls des parlementaires néerlandais et l’ambassadeur étatsunien ont apparemment fait part de leur déplaisir;
  • même dans un cas de figure, comme celui de Village of Hope, où ses arguments factuels ne semblaient pas dénués de tout fondement voire même vraisemblables, le pouvoir a été incapable de respecter la – timide – législation qu’il s’est donné – à se demander s’il y a un juriste dans l’avion;
  • si les militants de mouvements sociaux, les islamistes et les séparatistes sont depuis longtemps la butte des abus de pouvoir du makhzen, on peut maintenant rajouter la presse indépendante et les missionnaires étrangers, victimes de campagnes de répression déterminées et soutenues du pouvoir;
  • je n’ai personnellement aucune sympathie particulière pour les missionnaires évangélistes, et ne voit aucune raison de leur donner carte blanche au Maroc; par contre, comme tout un chacun, ils ont – ou devraient avoir – droit à la protection de la loi, ce qui n’a pas été le cas ici, comme je l’ai expliqué plus haut;
  • le pouvoir marocain paie cash ses accointances éphémères avec les évangélistes sous Bush – mais que feront-ils si un nouveau président étatsunien évangéliste ou pro-évangéliste arrivait au pouvoir, ce qui n’a rien d’un scénario de science-fiction? Un nouveau concert à Marrakech? 

Lectures complémentaires: 

– un intéressant mémoire de licence en droit privé de Meriem Azdem surle thème « Prosélytisme et liberté religieuse dans le droit privé« ;

– un autre mémoire, de DEA celui-là, sur « Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l’Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Europeenne des Droits de l’Homme« ;

– « La liberté de diffusion des convictions religieuses en droit international des droits de l’Homme » par Moumouni Ibrahim;

site du Diocèse de Rabat (église catholique du Maroc);

site du ministère des Habous et des affaires islamiques (en charge du seul culte musulman malékite, le ministère de l’intérieur étant en charge des autres cultes présents au Maroc);

– site personnel de Jean-Luc Blanc, dirigeant de l’Eglise évangélique au Maroc;

– « Interview du Président de l’Eglise Evangélique au Maroc: Je n’ai aucune raison d’intervenir pour ces chrétiens qui ne font pas partie de notre église« , Top Chrétien (2010) – cet entretien donné après les expulsions a suscité bien des réactions en milieu chrétien en raison de certaines déclarations démarquant l’Eglise évangélique reconnue des missionnaires évangélistes concernés;

– « Polémique au Maroc : les évangélistes sont-ils une menace ?« , entretien avec Jean-Luc Blanc, Afrik.com (2005);

– Mgr Vincent Landel, archevêque de Rabat: « personnellement, après 30 ans de vie au Maroc, je ne connais pas de Marocains chrétiens » (2005);

– « Que faire des évangélistes?« , Tel Quel (2006);

– « Jésus en terre marocaine« , Le Temps (2010)

– « Saïd Elakhal : «Le prosélytisme évangélique n’entre pas dans le cadre des droits des minorités»« , Aujourd’hui Le Maroc (2009) 

– le groupe de soutien à Village of Hope sur Facebook;

– les articles de Global Voices (et ici également), de Tel Quel, du Monde et de Libération (France) sur l’affaire;

– un article intéressant de La Vie Economique sur la kafala;

« Contrary to common perception, the prospects for genuine democratisation in Morocco have not improved in recent years »

Cet article – « Morocco – smart authoritarianism refined » – de Kristina Kausch, consacré à la libéralisation factice au Maroc, est tiré d’un ouvrage collectif publié par deux think-tanks européens, le Centre for European Policy Studies (Bruxelles) et FRIDE (Madrid), « Democracy’s Plight in the European Neighbourhood: Struggling transitions and proliferating dynasties« .

Je partage très largement les conclusions de Kristina Kausch, qui a l’immense mérite de voir les choses telles qu’elles sont, sans concession que ce soit d’ailleurs à l’égard du Maroc ou de ses partenaires occidentaux. Quelques extraits:

Over the last decade, the establishment of democracy as an international norm and the ascension of Mohammed VI to the throne have not led to greater democratisation in Morocco, but to an adaptation of governance strategies to consolidate semi-authoritarian rule. These methods have become increasingly sophisticated and outweigh positive factors that favour democratisation.

Political stalemate has been compounded by other negative factors, in particular recent developments in the international environment that have put democracy further on the back burner. As a result, the EU’s traction has decreased, and neither the EU nor the US are pushing for a systematic, structural political reform process in Morocco. Indeed, the EU’s and the Moroccan regime’s interests match: both desire a liberalised but stable Morocco that bears no risks for the ruling elite. (…)

Morocco’s ‘upgraded authoritarianism’ has aimed at substantial liberalisation in politically non-threatening areas while tight control is kept over the policy areas and political opponents with the potential to meaningfully challenge the current distribution of powers. Selective topdown liberalisation has significantly widened the political space for political parties, civil society and the media, but none of the reforms thus far have touched the powers of the palace. (…)

Morocco’s case stands out owing to the level of subtle and successful PR with which the regime manages to keep hold of the reins while also selling itself as a vanguard of Arab reform. Unlike some of their authoritarian neighbours, the Moroccan ruling elite (commonly called the ‘Makhzen’, which is broadly composed of the palace and its wide patronage network) resorts to open coercion and violent repression only very exceptionally.(…)

A piecemeal approach to the liberalisation of legislation leads to the adoption of laws that are broadly permissive but lack effective safeguards against arbitrary application of the law. Examples of this are almost all the texts dealing with public liberties, such as the associations law, the law on public assembly and the press code. Laws do not target or question civil liberties as such but always leave enough loopholes for the regime to hamper the activities of dangerous opponents via systematic harassment. The constitution is not a guarantor of the rights of the citizen vis-à-vis the state, but a guarantor of the prerogatives of the palace vis-à-vis the people. (…)

The co-option of political elites sideline opponents in political parties, civil society, the media and the business sector. In civil society, co-option takes place above all via the creation of political and financial dependencies. (…) The political party system is weak and highly fragmented. With the exception of the Justice and Development Party (PJD), none of the political forces have the potential to challenge the Makhzen’s political dominance. The biggest established parties, Union of the Socialist Forces (USFP) and Istiqlal (Independence), are staid and are having trouble attracting broad constituencies as they have fallen into the trap of powerless government participation. Istiqlal’s unexpected gains in the 2007 legislative elections notwithstanding, the inability to meaningfully influence the political course has eroded much of the established parties’ credibility.

The same pattern of co-opting emerging elites and sidelining resistant opponents can be observed in the media. (…) The internet, and in particular the emerging blogger scene, is far less controllable. A number of recent telling incidents, such as a temporal government ban on YouTube or the penalising of bloggers and facebook-activists with high fines and prison sentences (before being pardoned by royal decree), show how the regime is struggling to adapt its usual PR strategy to a medium that is not easy to control unnoticed.

In spite of Morocco’s reputation of holding relatively ‘clean’ elections, the subtle management of political contestation is a basic pillar in the Makhzen’s hold on power. With international attention largely focused on the day of the polls, fraud on the actual day of election is the exception. Instead, most of the Makhzen’s electoral engineering happens in the run-up to the elections. Gerrymandering, vote-buying, changes to the electoral code and other technical adjustments are among the measures taken to ensure that the outcome is as desired. (…)

Among opposition parties, the PJD is currently the most likely to push for democratisation. (…)While the PJD’s ultimate behaviour in power – like that of any untested party – is not foreseeable, most international observers agree that a PJD participation in government would likely be a plus for democracy. In the current constitutional and legal framework, however, the Makhzen can prevent this from happening as it sees fit. (…)

The still widespread Western fears of an Islamist government in Morocco, however moderate, are being played on in order to obtain tacit approval for clampdowns, arrests, or more subtle measures of containment. While most of the tactics described are not new and indeed were used in King Hassan II’s time and before, their subtlety in times of increasing pressure for democratisation is no coincidence. It shows how the Moroccan ruling elite has been able to skilfully adapt its governance strategies to the requirements of a new era by extending and refining its authoritarian soft power tool box. Yet Western policy-makers still tend to take the Moroccan PR lines of gradualism at face value, and have yet to adapt their policies.(…)

The rise of political Islam in the MENA during recent years has further cemented Western support for the region’s semi-authoritarian regimes. Even a moderate player such as the PJD, which in recent years has gone a long way to present itself to Western policy-makers as an acceptable and trustworthy political interlocutor, is struggling to make itself heard. (…) European politicians, whose views on Islamist political actors are often not nuanced, are reluctant to provide any support to a genuine reform process that may end up replacing the authoritarian but predictable Moroccan government with an Islamist rule perceived as a potential threat.

Je vous conseille d’aller visiter la page de Kristina Kausch sur le site de FIDE – elle a de nombreuses études à son actif, sur le Maroc, l’Algérie et l’islamisme, entre autres. Et que les non-hispanophones ne s’inquiètent pas: si les titres de ces études sont en espagnol, une version anglaise est systématiquement proposée. 

Hat-tip: Najlae.

Guest post de Hicham Houdaïfa: Maroc-U.E: Le statut avancé en questions.. ?

J’ai le plaisir d’accorder l’hospitalité à Hicham Houdaïfa, ancien journaliste du Journal Hebdo que nous regrettons tous (Le Journal, pas Hicham, qui est encore parmi nous heureusement…), pour un article consacré au statut avancé accordé par l’Union européenne au Maroc. Il va de soi que les opinions exprimées sont les siennes.

Les lecteurs curieux d’en savoir plus sur les relations Maroc/Union européenne peuvent se reporter aux sites suivants:
– le
site officiel marocain du Statut avancé du Maroc et de l’UE;
– le
site de la Délégation de l’Union européenne au Maroc;
– la
page Facebook du service de presse et d’information de la Délégation de l’Union européenne au Maroc;
– les relations de coopération avec le Maroc telles que
vues par la Commission européenne;;
– les relations commerciales avec le Maroc vues par la Commission européenne;
– la politique européenne de voisinage (c’est dans ce cadre que s’inscrit le statut avancé accordé au Maroc) vue par le
Ministère marocain des affaires étrangères et de la coopération (MAEC) (ce document est cependant daté – 2005);
– la
page du MAEC consacrée aux relations Maroc/Europe;
– le
compte-rendu officiel de la présidence tournante espagnole de l’Union européenne sur le premier sommet UE/Maroc du 7 mars, avec des extraits vidéo de la conférence de presse commune , un résumé du message royal marocain (dont la version intégrale est ici), les déclarations du chef de gouvernement espagnol Jose Luis Zapatero en faveur d’un nouvel élan des relations économiques et commerciales, la déclaration de Barroso ainsi que la déclaration conjointe de l’UE et du Maroc;
– la
factsheet de l’ENPI (European Neighbourhood Policy Initiative, soit la Politique européenne de voisinage) Info Centre sur le Maroc, ainsi que la page consacrée au Maroc de leur site;
– les déclarations de l’UE au
VIIe (2008) et VIIIe (2009) sessions du Conseil d’association Maroc/UE;
– les
aspects douaniers de l’accord d’association Maroc/UE selon la douane marocaine;

Maroc-U.E: Le statut avancé en questions.. ?
Par Hicham Houdaïfa

Le Maroc donne l’impression d’avoir gagné le jackpot avec le statut avancé octroyé par Bruxelles depuis octobre 2008. La commission européenne tout en saluant les réformes réalisées attend beaucoup plus d’un pays qu’elle a érigé en exemple pour les pays du Sud. Un peu hâtivement peut-être…

Soyons clairs là-dessus : les rapports entre l’Union européenne et le royaume chérifien se résument en une classique histoire de real politik. « Plus de réformes sans toucher à la sacro sainte stabilité du pays », explique Rosa Balfour de l’European policy center, un Think tank établi à Bruxelles. Alors que le Maroc se réunit avec l’Union des 27 les 6 et 7 mars à Grenade, dans une Andalousie jadis arabe et dans un sommet, le premier du genre avec un pays du Sud de la Méditerranée, à Bruxelles, quartier général de la Commission européenne, les déclarations quoique positives à l’égard du Maroc dégagent aussi un sentiment de « peut mieux faire». C’est à l’occasion d’un séminaire qui a réuni du 1er au 5 mars dans la capitale belge une brochette de 24 journalistes venus du Maroc, mais aussi de l’Algérie, de la Tunisie et du Liban que l’on en a eu la démonstration. Réunis dans le cadre de l’European Neighbourhood journalism network , les journalistes sont venus également en apprendre un peu plus sur cette fameuse « politique européenne de voisinage (PEV) et ses perspectives d’avenir ».

A star is born…

« Le Maroc est la star de la PEV, le bon exemple à suivre pour les pays du Sud. C’est pour cette raison qu’il obtient le plus de la commission », renchérit Mme Balfour. Et les chiffres sont là pour l’étayer. Entre 2011 et 2013, le Maroc recevra un peu moins de 600 millions d’euros en aides dont une bonne partie ira pour l’appui budgétaire sectoriel. Loin, très loin de la Tunisie et de l’Algérie. Le Maroc est le seul pays du Sud de la rive à bénéficier depuis octobre 2008 d’un statut avancé. Un partenariat plus que l’association, mais moins que l’adhésion. Et c’est exactement ce que Mohammed VI appelait de tous ses vœux, en mars 2000, moins d’un an après son intronisation à Paris. Le statut avancé est également l’expression de la confiance de l’U.E vis-à-vis du royaume chérifien. « Nous n’avons pas de véritables problèmes avec le Maroc. Nos rapports sont presque privilégiés. Une commission mixte verra le jour les prochaines semaines pour discuter des moyens pour appliquer toutes les dispositions du statut avancé », tranche Pier Antonio Panzeri, président de la délégation interparlementaire pour les relations avec les pays du Maghreb au Parlement européen. Le Maroc a d’ailleurs entrepris de nombreuses réformes, notamment dans le secteur de la réglementation. Il est également un grand allié dans la lutte antiterroriste et « joue » très bien le rôle de gendarme de l’Europe en arrêtant, parfois violemment il est vrai, les masses de migrants économiques subsahariens cherchant à rallier le vieux continent. Dans un autre registre, les premières années de règne de Mohammed VI ont donné l’impression que le Maroc se dirige vers une alternance démocratique et l’établissement d’un véritable Etat de droit. Le pays a adopté un code de la famille plus juste envers son « sexe faible» et s’est essayé à travers la création de l’Instance équité et réconciliation (IER) à revisiter le triste passé d’Hassan II. Une sorte de justice transitionnelle unique au monde puisqu’il n’y a pas eu de changement de régime… Une opération de charme qui a permis au Maroc de convaincre son vis-à-vis européen du sérieux de son entreprise. De toute manière, les pays de l’Est de l’Europe étaient des pays totalitaires pendant des décennies et un appui de l’U.E leur a bien permis d’opérer la démocratisation voulue.

Le revers de la médaille

Pourtant, le Maroc a enregistré ces dernières années un net recul dans les domaines des droits de l’homme et de la liberté de presse. Toutes les organisations de droits de l’homme comme Human Right Watch (HRW), Freedom House ou Amnesty International le soulignent dans leurs rapports régulièrement. Plus encore : alors que le Maroc reçoit cette importante manne financière de l’U.E, le pays voit son classement dans des secteurs aussi vitaux que la corruption, l’indépendance de la justice ou encore la qualité de l’enseignement s’empirer. Un responsable sur place nous a confié que la commission européenne ne va plus s’investir dans la réforme de la justice, « le Maroc n’ayant pas présenté un plan sérieux et ne semble pas avoir une volonté politique pour le faire ». Idem pour l’Initiative nationale de développement humain (Indh) dont la commission était un des financiers « et qui a prouvé toute son inefficacité », ajoute le même responsable. 2009 a été aussi une année de violations répétées par le Pouvoir marocain contre la presse : emprisonnement de journalistes, fermetures de journaux… Les responsables de la Commission sont conscients de la situation. « Plus de moyens et plus d’opportunités impliquent de la part du Maroc plus d’engagements envers l’U.E. Un engagement dans le sens d’une progression vers le modèle européen. Et cela s’applique également sur les normes des droits de l’homme et de démocratisation », lance Bernard Brunet, chef d’unité Maghreb des relations extérieurs de la commission européenne. Une déclaration qui fait écho à une autre faite le mois dernier à Marrakech par l’Ambassadeur de l’U.E à Rabat insistant sur le fait que « l’U.E ne va plus être un simple facilitateur, mais un acteur de la promotion de la liberté d’expression au Maroc. » Ce qui veut tout simplement dire que si le royaume veut aller de l’avant dans sa coopération avec le vieux continent, cela passera nécessairement par une plus grande démocratisation du pays et l’établissement d’un véritable Etat de droit. C’est tout le mal qu’on lui souhaite…

Hicham Houdaïfa

Le jugement vient de tomber: les huit dé-jeûneurs de Mohammedia relaxés

J’ai pu me procurer un exemplaire du jugement du tribunal de première instance de Mohammedia, qui vient de prononcer ce vendredi la relaxe des huit dé-jeûneurs de Mohammedia, affiliés au Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI). En voici la traduction:

Royaume du Maroc – Au nom de Sa Majesté le Roi!

Le tribunal de première instance de Mohammedia, le vendredi 18 septembre 2009;

Dans l’affaire Procureur du Roi contre [noms des accusés], représentés par [noms des avocats];

Vu le préambule et les articles 6, 9 et 10 de la Constitution;

Vu l’article 18 du Pacte international des droits civils et politiques du 16 décembre 1966;

Vu le Code pénal et ses articles 3, 4, 111, 115, 132, 222, 237, 240 et 264;

Vu le Code de procédure pénale et ses articles 264 et 266;

Vu le Code de la famille et son article 2;

Vu le Code de la nationalité marocaine et son article 3;

Le réquisitoire du ministère public et les plaidoiries de la défense entendus en présence des accusés et en audience publique;

En l’absence de réquisition de témoin, d’expert ou d’interprète;

Attendu qu’il ressort des pièces versées au dossier par le ministère public que les huit accusés, les nommés V, W, X, Y, Z, Å, Ä et Ö [noms et état civil anonymisés], ont été appréhendés par les forces de l’ordre à la descente d’un train à la gare de Mohammedia le dimanche 13 septembre à 11.30;

Attendu que lesdits accusés sont des militants d’un groupe dépourvu de la personnalité juridique, le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), présent sur Internet par le biais d’une page sur Facebook; que par le biais de ce groupe, ses sympathisants ont été appelés à se retrouver à la gare de Mohammedia pour manger en public avant la rupture du jeûne du ramadan; que par l’intervention des forces de l’ordre, les accusés ont été contraints de prendre un train vers Casablanca, après avoir été soumis à un contrôle d’identité; que dès lors, leur projet rendu public de manger dans la forêt de Mohammedia avant la rupture du jeûne n’a pu être réalisé;

Attendu que les accusés sont poursuivis par le ministère public du chef de tentative d’incitation à la rupture du jeûne en public;

Attendu qu’il résulte de l’article 222 du Code pénal que « celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de deux cents dirhams« ; qu’il en résulte que tous les éléments de l’infraction ainsi visée doivent être cumulativement remplis pour qu’une personne poursuivie de ce chef puisse voir sa responsabilité pénale engagée;

Attendu qu’il convient au préalable d’examiner la conformité de cette disposition avec les textes internationaux ratifiés par le Maroc ainsi qu’avec la Constitution;

Attendu qu’il découle du préambule de la Constitution que « le Royaume du Maroc souscrit aux principes, droits et obligations découlant des Chartes des dits organismes et réaffirme son attachement aux droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus« ; que parmi les textes internationaux en matière des droits de l’homme ratifiés par le Maroc figure le Pacte international des droits civils et politiques, signé et ratifié par le Maroc et publié au Bulletin officiel du Royaume du Maroc n°3525 du 21 mai 1980; que l’article 18 dudit pacte dispose ce qui suit:
Article 18
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.

2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. (…) »

Attendu qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour suprême que les textes internationaux régulièrement ratifiés et publiés au Bulletin officiel ont valeur supérieure aux lois et réglements internes (voir en ce sens les arrêts n° 5 du 3 novembre 1972, n° 49 du 1er octobre 1976,  et  n° 162 du 3 août 1979); qu’il convient dès lors d’examiner si l’article 18 du Pacte précité fait obstacle à l’application de l’article 222 du Code pénal;

Attendu que l’article 222 du Code pénal n’incrimine pas le fait de fumer, manger ou boire durant les heures de jeûne dans un lieu privé; qu’il n’incrimine pas non plus le fait de fumer, manger ou boire durant les heures de jeûne dans un lieu public si c’est fait de manière non-ostensible; qu’il n’est pas opposable à un non-musulman au sens de la loi marocaine;

Attendu dès lors que ce n’est que la seule manifestation publique du fait de ne pas jeûner qui est atteinte par l’article 222 du Code pénal; qu’il résulte des commentaires officiels du Code pénal publiés par le ministère de la justice que « ce texte réprime une infraction grave aux prescriptions de la religion musulmane qui peut être l’occasion de désordre en raison de l’indignation qu’elle est susceptible de soulever dans le public » (« Code pénal annoté« , Ministère de la justice, Institut d’études judiciaires, Rabat, 1990, p. 216); qu’en vertu de l’alinéa 3 de l’article 18 du Pacte précité, « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui« ;

Attendu dès lors que l’application de l’article 222 du Code pénal n’est pas incompatible avec les obligations internationales contractées par le Royaume du Maroc dans la seule mesure où son application se limite aux cas susceptibles de troubler l’ordre public tels que définis à l’article 18 alinéa 3 du Pacte international des droits civils et politiques;

Attendu qu’il résulte des débats contradictoires que les accusés ont formé et exposé leur projet de non-respect du jeûne par des moyens électroniques largement ouverts au public, et qu’ils ont pris l’initiative d’assurer une couverture médiatique nationale et internationale de leur projet; que ce projet s’inscrivait dans la volonté affichée de susciter un débat public sur l’article 222 du Code pénal; que parmi les effets prévisibles d’une telle action médiatique figure l’indignation d’une large partie du public, réaction que le législateur a souhaité éviter par l’adoption de cet article; qu’en outre, les accusés semblent avoir été conscients des réactions que leur acte était susceptible de causer en choisissant de ne pas jeûner non pas au lieu de rassemblement, la gare de Mohammedia, mais dans une forêt adjacente; que cette discrétion apparente a été contrecarrée par la médiatisation voulue et obtenue par les accusés;

Attendu dès lors que dans le cas d’espèce ainsi décrit, l’article 18 du Pacte international des droits civils et politiques ne fait pas, en principe, obstacle à l’application de l’article 222 du Code pénal, sans préjudice de l’appréciation qui pourrait être faite dans des cas d’espèce différents;

Attendu, s’agissant de la conformité de l’article 222 du Code pénal avec la Constitution, que cette disposition pénale est inchangée depuis l’adoption du Code pénal par le dahir n° 1-59-413 du 28 joumada II 1382 (26 novembre 1962), pris en l’absence de Constitution ou de parlement élu au suffrage universel; que les dispositions constitutionnelles actuelles en matière de contrôle de constitutionnalité des lois n’étaient pas en vigueur; que le Code pénal n’a donc subi aucun contrôle de constitutionnalité;

Attendu cependant que l’article 237 du Code pénal dispose que « sont punis de la dégradation civique, tous magistrats (…) qui (…) se sont immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif (…) en arrêtant ou suspendant l’exécution d’une ou plusieurs lois« ; qu’il est donc interdit au juge judiciaire d’arrêter ou de suspendre l’éxécution d’une loi, dont la constitutionnalité relève de la seule appréciation du Conseil constitutionnel;

Attendu de ce fait qu’aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel ne fait obstacle à l’applicabilité de l’article 222 du Code pénal au cas d’espèce;

Attendu dès lors que six conditions cumulatives figurant à l’article en question doivent être remplies (cf. « Code pénal annoté« , Ministère de la justice, Institut national d’études judiciaires, Rabat, 1990, p. 216), en l’occurence 1) qu’il s’agisse d’une personne notoirement connue pour son appartenance à la religion musulmane 2) qu’on soit en temps de ramadan 3) qu’il y ait rupture du jeûne 4) que cette rupture ait lieu dans un endroit public 5) que cette rupture soit ostensible 6) que l’auteur ne se trouve pas dans un des cas où la religion musulmane autorise cette dérogation;

Attendu que le point 2) ne fait pas débat;

Attendu que s’agissant du point 1), le code pénal ne définit pas la notion de « personne notoirement connue pour son appartenance à la religion musulmane« ; qu’aucun autre texte de loi ne définit de matière explicite cette notion; que l’article 240 du Code pénal interdit cependant au magistrat, sous peine d’amende et d’interdiction d’exercice de fonctions publiques, de dénier de rendre justice aux parties, même au motif du silence ou de l’obscurité de la loi;

Attendu que l’article 2 du Code de la famille, définissant le champ d’application dudit code, reconnaît deux catégories de Marocains, ceux de confession musulmane et ceux de confession juive;

Attendu que le Code de la nationalité dans sa version initiale reconnaissait, en son article 3, la catégorie  « des Marocains ni musulmans, ni israélites« , lesquels bénéficiaient de dispositions dérogatoires du Code du statut personnel, abrogé depuis, en matière de polygamie, d’allaitement et de divorce;

Attendu cependant que cette disposition, a été supprimée par le législateur dans la récente réforme du Code de la nationalité, et que l’article 3 ne contient désormais aucune référence aux Marocains « ni musulmans, ni israélites » mais un simple renvoi à l’article 2 du Code de la famille, précité;

Attendu dès lors que les seules catégories confessionnelles de Marocains reconnues par le législateur sont celles de Marocains musulmans et de Marocains juifs; qu’aucun des accusés n’allègue de son appartenance à la confession juive; que dès lors ils sont considérés comme Marocains musulmans pour l’application de la loi marocaine;

Attendu dès lors que la condition visée au point 1) précité – « qu’il s’agisse d’une personne notoirement connue pour son appartenance à la religion musulmane » – est dès lors remplie;

Attendu cependant qu’il est constant entre les parties que les accusés n’avaient pas bu, mangé ou fumé sur un lieu public au moment de leur appréhension par les forces de l’ordre, ou à tout autre moment visé par la prohibition édictée par l’article 222 du Code pénal;

Attendu qu’en vertu de l’article 3 du Code pénal, « nul ne peut être condamné pour un fait qui n’est pas expressément prévu comme infraction par la loi, ni puni de peines que la loi n’a pas édictées« ; que l’article 4 du même code dispose que « nul ne peut être condamné pour un fait qui, selon la loi en vigueur au temps où il a été commis, ne constituait pas une infraction« ;

Attendu qu’en vertu de l’article 111 alinéa 4 du Code pénal, « l’infraction que la loi punit d’une peine d’emprisonnement dont elle fixe le maximum à deux ans ou moins de deux ans (…) est un délit de police« ; que l’infraction réprimée par l’article 222 du Code pénal est par voie de conséquence un délit de police; qu’en vertu de l’article 115 du Code pénal, « la tentative de délit n’est punissable qu’en vertu d’une disposition spéciale de la loi« ; 

Attendu que l’article 222 n’incrimine que l’action consomée ou entamée de rompre le jeûne en public; qu’il ne réprime pas la simple tentative de rupture publique du jeûne, ni d’ailleurs l’incitation à rompre le jeûne;

Attendu par conséquent qu’il n’y a pas eu rupture du jeûne et que les conditions exigées pour une condamnation sur le fondement de l’article 222 du Code pénal ne sont donc pas réunies; que les accusés sont dès lors acquittés;

Attendu en outre que le ministère public a initié l’action publique contre les accusés en l’absence d’un élément fondamental de l’infraction poursuivie, absence reconnue par lui, et dont il ne pouvait ignorer qu’elle faisait manifestement et évidemment obstacle à l’application de l’article 222 du Code pénal aux faits poursuivis; que cette poursuite juridiquement impossible vient aggraver l’encombrement du présent tribunal;

Attendu que l’article 264 du Code pénal qualifie d’outrage et puni comme tel « le fait par une personne de dénoncer aux autorités publiques une infraction qu’elle sait ne pas avoir existé« ; qu’aucune disposition de l’article 264 du Code pénal n’écarte les membres du ministère public de son champ d’application; que le ministère public a sciemment initié des poursuites qu’il savait ne pouvoir aboutir; qu’en vertu de l’article 266 combiné avec l’article 264 du Code de procédure pénale, le Procureur général près la Cour suprême est compétent pour décider de poursuites en matière de crimes ou délits à l’encontre de procureurs du Roi près un tribunal de première instance;

Par ces motifs, décide:

Article 1: Les accusés sont acquittés.

Article 2: Le présent jugement est porté à la connaissance du Procureur général près la Cour suprême aux fins de poursuites pour outrage à la cour contre le représentant du ministère public.

Article 3: Le ministère public est condamné aux dépens.

Signé: Ibn Kafka, juge unique.

Offense au Roi: mea culpa!

A votre place, je ne me ferais pas confiance. La preuve: en faisant, suite à l’affaire Yassine Belassal, un tour d’horizon des dispositions du Code de la presse relatives aux offenses aux sacralités en général et au Roi en particulier, je m’étais laissé aller, hier, pris par l’enivrement du nihilisme libertaire qui caractérise le droit pénal marocain, tout particulièrement s’agissant des offenses au Roi et à la famille royale.

Je m’étais donc laissé aller à écrire le paragraphe suivant:

Comme vous le constatez, l’article 41 du Code de la presse institue une hiérarchie entre les lignes rouges: l’offense au Roi, aux princes et aux princesses est punissable pour peu que les moyens évoqués à l’article 38 aient été utilisés – “des discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, (…) des écrits, des imprimés vendus, distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, (…) des placards ou affiches exposés aux regards du public, (…) les différents moyens d’information audiovisuelle et électronique“. Seuls les gestes, les discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou des réunions privés, des placards ou affiches non exposés au public et des écrits ou imprimés non distribués dans des lieux ou des réunions publics échappent – théoriquement – aux poursuites pénales au titre de l’offense au Roi.

Mais j’avais oublié l’article 179 du Code pénal – j’espère que vous ne vous êtes pas laissés aller à tenter d’explorer les limites que je vous avais indiquées hier:

Article 179: Hors les cas prévus par le dahir n° 1-58-378 du 3 joumada I 1378 (15 novembre 1958) formant Code de la presse, est punie:
1° d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 200 à 1.000 dirhams toute offense commise envers la personne du Roi ou de l’Héritier du Trône;
2° d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 120 à 500 dirhams toute offense commise envers les membres de la famille royale désignés à l’article 168.

L’article 168 dispose ceci:

Article 168: Sont considérés comme membres de la famille royale pour l’application de l’article précédent: les ascendants du Roi, ses descendants en ligne directe, ses épouses, ses frères et leurs enfants des deux sexes, ses soeurs et ses oncles.

Quelques remarques:
1- L’effet combiné du Code pénal et du Code de la presse est de réprimer toute offense au Roi, ainsi qu’aux princes et princesses royaux, qu’elle soit publique – cas réprimés par le Code de la presse – ou privée – cas visés par le Code pénal.

2- Les personnes protégées par l’article 41 du Code de la presse et l’article 179 du Code pénal ne semblent pas les mêmes – mais la définition de princes et princesses royaux figurant dans le Code de la presse est susceptible de plusieurs interprétations, et même si en tant que disposition répressive elle devrait être entendue de manière restrictive, rien ne permet de garantir, en l’état actuel de la justice marocaine, que tel soit bien le cas. On notera le caractère discriminatoire de l’article 168 du Code pénal, auquel l’article 179 fait référence: les enfants de ses soeurs ainsi que ses tantes ne font pas partie de la famille royale pour l’application des articles 167 (attentat contre la vie ou la personne de membres de la famille royale) et 179 du Code pénal, ce qui s’explique sans doute par des considérations dynastiques, mais ne semble plus conforme avec la réalité de la notion de famille royale aujourd’hui, où le mari d’une tante du Roi semble bénéficier d’une aura de sacralité.

3- Les peines édictées par l’article 179 du Code pénal sont légèrement inférieures à celles de l’article 41 du Code de la presse: de 1 à 5 ans pour l’offense privée au Roi ou à l’héritier du trône, tandis que l’offense publique, si elle a aussi une peine maximale de 5 ans, emporte une peine minimale de 3 ans. Pour les princes et princesses royaux autres que le prince héritier, le Code de la presse est également plus sévère: de 3 à 5 ans pour les offenses publiques, alors que le Code pénal n’édicte « que » de six mois à deux années de prison pour les offenses privées.

Dans le cas de Yassine Belassal, ses tags ayant été faits dans un établissement public – un lycée – ces distinctions ne lui sont pas d’un grand secours, puisque l’application de l’article 41 du Code de la presse est de rigueur.

Billets précédents:
– « Quelques remarques juridiques autour du cas de Yassine Belassal: la royauté, la plus rouge des lignes rouges »
– « Quelques remarques juridiques autour du cas de Yassine Belassal: un mineur peut-il aller en prison? »
-« Yassine Belassal aurait été dénoncé par le principal de son lycée »
– « Confirmation: Yassine Belassal a bien été condamné pour outrage au Roi »
– « Supporter le Barça c’est franchir les lignes rouges au Maroc« 

Quelques remarques juridiques autour du cas de Yassine Belassal: la royauté, la plus rouge des lignes rouges

Dans les commentaires sous le billet de Mounir ayant alerté la blogoma sur l’affaire Yassine Belassal, un commentaire posait une question judicieuse:

Il est nul même quand ce type!!! Il aurait pu écrire : « Al-Barça ; Al-Watan ; Al-Malilk ». Ou encore : Allah; El-Barça ; el-Malik! Non, mais!!!
Ecrit par : Aïsha Q., alias El Bahriya | 22.10.2008

Effectivement, il aurait pu le faire, et s’il l’avait fait, il n’aurait pu être poursuivi sur le fondement de l’article 41 du Code de la presse.

Pour comprendre pourquoi, il faut se rapporter au Code de la presse (adopté en 1958, il fût révisé de fond en comble en 2002 – ceci pour ceux qui voudraient charger exclusivement la barque du Roi défunt). Le non-juriste pourrait s’étonner que ce code soit invoqué à l’encontre d’un lycéen ayant écrit des tags ou des graffitis – ces tags et ces graffitis n’ayant pas été rendus publics par voie de presse antérieurement à sa condamnation – ce qui est d’ailleurs assez ironique: ce sont les poursuites menées contre Yassine Belassal qui auront diffusé les slogans imputés à ce dernier de par le Maroc et le monde.

Deux réponses: aucun texte ou principe à valeur constitutionnelle n’interdit, au Maroc (1), d’inclure, dans un texte applicable à une profession ou à un secteur particulier, des dispositions générales applicables à tous, y compris donc des personnes en dehors de cette profession ou de ce secteur. On pourrait conçevoir que le principe d’accessibilité de la loi et de transparence des textes implique qu’un texte particulier ne puisse contenir de dispositions générales, mais rien ne l’impose, et la pratique législative dans de nombreux pays démocratiques le montre.

Deuxème point: le Code de la presse contient plusieurs dispositions générales applicables à tous, et non pas aux seuls professionnels de la presse. Ainsi, outre l’outrage au Roi et à la famille royale réprimé par l’article 41, la publication d’un écrit sans indication de la dénomination et de l’adresse de l’imprimeur (article 2), la distribution de journaux ou d’écrits d’origine étrangère et portant atteinte aux lignes rouges (le Roi, l’islam et l’intégrité territoriale) (articles 29 et 30), la destruction d’affiches officielles (article 33), la provocation au crime (article 38), la provocation à la discrimination raciale ou religieuse (article 39 bis), la provocation des militaires ou des agents de la force publique à la désobéissance (article 40), la diffusion de fausses nouvelles troublant l’ordre public (article 42), la diffusion de nouvelles fausses ou calomnieuses visant à provoquer le retrait de fonds des caisses publiques (article 43), injure et diffamation (articles 44 à 51), l’offense contre des dignitaires et diplomates étrangers (articles 52 et 53), la diffusion d’ouvrages ou images pornographiques ou contraires à la moralité publique (article 59), et enfin le fait faire entendre des chants ou discours contraires aux bonnes moeurs ou incitant à la débauche (article 60).

Revenons-en à l’article 41 du Code de la presse, qui dispose ceci:

Art. 41.- Est punie d’un emprisonnement de 3 à 5 ans et d’une amende de 10.000 à 100.000 dirhams toute offense, par l’un des moyens prévus à l’article 38, envers Sa Majesté le Roi, les princes et princesses Royaux.

La même peine est applicable lorsque la publication d’un journal ou écrit porte atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l’intégrité territoriale.

En cas de condamnation prononcée en application du présent article, la suspension du journal ou de l’écrit pourra être prononcée par la même décision de justice pour une durée qui n’excèdera pas trois mois.

Cette suspension sera sans effet sur les contrats de travail qui liaient l’exploitant, lequel reste tenu de toutes les obligations contractuelles ou légales en résultant.

Le tribunal peut prononcer, par la même décision de justice, l’interdiction du journal ou écrit.

Vu son importance pour la compréhension de l’article 41, l’article 38 mérite également d’être reproduit:

Art. 38.- Sont punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés vendus, distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches exposés aux regards du public, soit par les différents moyens d’information audiovisuelle et électronique, auront directement provoqué le ou les auteurs à commettre ladite action si la provocation a été suivie d’effet.

Comme vous le constatez, l’article 41 du Code de la presse institue une hiérarchie entre les lignes rouges: l’offense au Roi, aux princes et aux princesses est punissable pour peu que les moyens évoqués à l’article 38 aient été utilisés – « des discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, (…) des écrits, des imprimés vendus, distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, (…) des placards ou affiches exposés aux regards du public, (…) les différents moyens d’information audiovisuelle et électronique« . Seuls les gestes, les discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou des réunions privés, des placards ou affiches non exposés au public et des écrits ou imprimés non distribués dans des lieux ou des réunions publics échappent – théoriquement – aux poursuites pénales au titre de l’offense au Roi.

Par contre, pour que l’atteinte à l’islam et à l’intégrité territoriale (2) soit constituée, il est nécessaire qu’elle ait eu lieu par le truchement de la « publication d’un journal ou d’un écrit« , selon l’article 41 alinéa 2. Si Yassine Belassal avait donc écrit « Al Barça, al watan, al malik » ou « Allah, al Barça, al malik » sur les murs de son lycée, il n’aurait donc pu être poursuivi, selon la lettre même de l’article 41.

C’est que le législateur estime – et ce pas plus tard qu’en 2002, date de la dernière modification d’envergure du Code de la presse – que l’offense au Roi ou aux princes et princesses royaux est l’infraction suprême en matière de délits d’opinion: la famille royale est ainsi protégée plus largement que l’islam et l’intégrité territoriale – les peines sont les mêmes (de trois à cinq ans de prison dans tous les cas de figure), mais le champ d’application de l’offense à la famille royale est beaucoup plus large que celui de l’atteinte à l’islam ou à l’intégrité territoriale, puisqu’il n’est pas nécessaire que cette offense ait été publiée dans la presse ou dans un écrit pour être réprimée.

Yassine Belassal s’est donc trompé de cible, hélas pour lui, si tant est que ses tags aient eu un sens idéologique dépassant la blague de potache.

(1) Il me semble cependant qu’en France, une jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit au législateur d’adopter, dans un texte de loi, des dispositions sans rapport avec le texte adopté. Je ne suis pas sûr qu’un tel principe constitutionnel au Maroc aurait empêché l’adoption de l’article 41 du Code de la presse – les dispositions de cet article ne sont pas sans lien avec le reste du texte, qui contient par ailleurs d’autres dispositions d’ordre général applicables aux personnes autres que les professionnels de la presse.

(2) L’atteinte au régime monarchique est distinguée de l’offense au Roi. Mais vu la pratique judiciaire et les réalités politiques au Maroc, ainsi que la formule particulèrement extensive de l’offense au Roi (« toute offense« ), je doute que cette distinction théorique soit effective.