Pas seulement Facebook: le Maroc 2011, une année de grèves

On peut discuter des conséquences concrètes du mouvement de protestation du 20 février au Maroc – la réforme constitutionnelle peut être mise à son crédit, à supposer qu’on l’estime positive – mais il est incontestable que l’année 2011 aura été celle des grèves et autres conflits sociaux (il faudrait y inclure le mouvement des diplômés-chômeurs, titulaires de diplômes universitaires demandant un emploi dans la fonction publique sur la seule base de leur diplôme). Les chiffres du ministère de l’emploi sont contradictoires: si le ministre de l’emploi sortant, Jamal Rhmani (USFP), a affirmé fin décembre que le nombre de grèves durant les neuf premiers mois de 2011 était inférieur de 7,43% à celui de la période correspondante de 2010, Les Echos cite d’autres chiffres faisant état d’une explosion du nombre des conflits sociaux en 2011 – durant le premier trimestre 2011, le nombre de grèves aurait été de 96 contre 45 durant le premier trimestre 2010 (mais une autre source parle de 78 grèves durant le 1er trimestre 2011 contre 54 durant la même période en 2010). Les chiffres définitifs seront probablement rendus publics début 2012.

Le Marocain moyen n’a en tout cas pas besoin de lire ces statistiques pour se convaincre de la réalité du mécontentement social au Maroc: entre les grèves répétitives et interminables des employés des greffes des tribunaux et celles des employés des collectivités locales, ce sont les démarches judiciaires et administratives du Marocain moyen qui paient le prix le plus lourd – les entreprises peuvent délocaliser en Turquie ou en Chine, le citoyen ne peut hélas se délocaliser en Suède ou en Nouvelle-Zélande.

De fait, le paysage syndical marocain invite à ce genre de phénomène: il y a au Maroc une pléthore de syndicats (notamment parce que chaque parti digne de ce nom souhaite en avoir à sa botte) ce qui, couplé à un faible taux de syndicalisation (6% de la population active adhérerait à un syndicat, surtout dans la fonction publique), entraîne une surenchère dans l’utilisation de cette arme syndicale de dernier recours qu’est la grève, même si cela fait belle lurette que les grèves ne sont plus sanglantes. Les conventions collectives – douze seulement au total étaient en vigueur en 2011 – ne couvrent qu’une faible partie du monde du travail – et je ne tiens ici compte que du secteur formel, et celles qui existent souffrent du même problème que les autres normes juridiques au Maroc, à savoir leur inapplication. Et le faible taux de syndicalisation ne peut que rendre le patronat réticent à négocier avec des syndicats dont il n’est pas sûr qu’ils soient réellement suivis par les salariés.

A ce kaléidoscope syndical répond une anomalie juridique: le droit de grève, reconnu par toutes les constitutions marocaines depuis 1962, attend, également depuis 1962, la loi organique que les constitutions successives ont prévue pour le réglementer. L’article 29 de la nouvelle constitution ne fait que reprendre cette détestable pratique:

Le droit de grève est garanti. Une loi organique fixe les conditions et les modalités de son exercice.

Un projet de loi organique, rédigé en 2009 (mais il n’était pas le premier), avait été discuté avec les syndicats par le gouvernement précédent, mais il n’avait pas abouti suite à l’opposition unanime – pour une fois – des syndicats consultés – la presse économique, fidèle reflet des préoccupations patronales, jugeait ce projet « favorable aux employeurs« .

Dans la pratique, la situation des grévistes reste précaire. L’article 288 du Code pénal réprime ainsi certains cas de « cessation concertée du travail« :

Est puni de l’emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 200 à 5.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque, à l’aide de violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres frauduleuses, a amené ou maintenu, tenté d’amener ou de maintenir, une cessation concertée du travail, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail.

Lorsque les violences, voies de fait, menaces ou manoeuvres ont été commises par suite d’un plan concerté, les coupables peuvent être frappés de l’interdiction de séjour pour une durée de deux à cinq ans.

On voit comment cet article, au large champ d’application, permet de criminaliser les grèves de travailleurs, notamment par l’inclusion de la notion de « menaces ou manoeuvres frauduleuses« , susceptibles de s’appliquer à des situations de grève ordinaires – après tout, un préavis de grève ne pourrait-il pas être considéré, par un juge marocain exercant son métier dans les conditions qu’on sait, comme une menace au sens de l’article 288?

Outre cet article, qui n’a cessé d’être critiqué tant au Maroc que par l’Organisation internationale du travail, il faut également mentionner le décret n° 2-57-1465 du 15 rejeb 1377 (5 février 1958) relatif à l’exercice du droit syndical par les fonctionnaires dont l’article 5 interdit toute grève dans la fonction publique:

Pour tous les personnels, toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée, pourra être sanctionné en dehors des garanties disciplinaires.

Inutile de dire que cette disposition n’est pas appliquée en pratique, puisque la fonction publique concentre sans aucun doute la majorité du nombre de grèves – du moins en nombre de journées de travail de perdues – ces dernières années. Une jurisprudence administrative a d’ailleurs jugé l’article 5 du décret anticonstitutionnel (c’était en 2001 déjà, dans l’affaire Chibane, jugement du Tribunal administratif de Meknès du 12 juillet 2001). De fait, la grève dans la fonction publique est tellement entrée dans les moeurs que l’administration n’applique même pas de manière systématique le prélévement sur salaire des jours de grève des fonctionnaires

Comme si cela n’était pas suffisant, d’autres textes spécifiques à certaines catégories de fonctionnaires interdisent expressément la grève – c’est le cas pour les policiers et gendarmes et les magistrats.

Pour être complet, il faut aussi citer, en matière civile, l’article 94 du Dahir des obligations et des contrats, qui dispose que:

Il n’y a pas lieu à responsabilité civile lorsqu’une personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle avait le droit de faire.

Il en découle donc, a contrario et selon une jurisprudence ancienne, que faire ce que l’on a le droit de faire mais avec une intention nuisible donne droit à des réparations – c’est là la théorie de l’abus de droit, qui ouvre droit à réparation. Là aussi, l’application au cas des grèves est délicat – comment apprécier l’intention de nuire dans le cadre d’un conflit du travail par exemple?

On est donc confronté à une situation qui illustre bien ce mal marocain: un flou législatif offrant une marge de manoeuvre importante à l’arbitraire répressif des pouvoirs publics, et un rapport de forces qui n’est au final pas aussi déséquilibré qu’on pourrait le croire, du moins dans certains secteurs très limités de la fonction publique où la garantie de l’emploi renforce la main des syndicalistes – même si l’écrasante majorité des salariés marocains est très loin de bénéficier d’une telle situation de confort relatif.

Cette situation n’est pas favorable aux salariés: alors que les grèves à répétition et sans coup férir de quelques catégories de fonctionnaires (principalement ceux des collectivités locales et des greffes des tribunaux) exaspèrent une partie considérable de l’opinion, et pas seulement la presse économique par destination hostile aux mouvements sociaux, le combat syndical est déconsidéré alors même qu’il constitue le seul recours des salariés pour défendre leurs droits et améliorer leur condition. De même que la balkanisation de la scène politique, l’éclatement du paysage syndical (et sa politisation) amène à une situation où les syndicats sont faiblement représentatifs et peu structurés, sauf exception sectorielle. D’où une surenchère de grèves, alors que cet outil de combat des salariés est un aveu de faiblesse – les pays où les syndicats sont très représentatifs et bien structurés sont aussi ceux où les grèves sont les plus rares, car les revendications des salariés passent par des négociations entre parties – patronat et salariés – sinon égales, du moins équivalentes. Il n’est pas étonnant à cet égard que, comme tant d’autres de domaines, le Maroc suive là encore le modèle français dans ce qu’il a de pire – éclatement et affaiblissement syndical, et la grève perçue non plus comme arme de dernier recours mais comme simple outil de négociation.

Que pourrait faire le législateur – en l’occurence, c’est comme déjà évoqué une loi organique qui devra réglementer le droit de grève? Il faut tout d’abord relativiser la capacité du législateur – à supposer que la volonté soit présente – à changer un état de fait sociologiquement bien enraciné. On se rappelera ainsi que le Maroc fut sans doute le seul pays à avoir dans le domaine électoral un mode de scrutin uninominal à un tour qui n’ait pas abouti à un système de partis bi-polaire mais au contraire à un éclatement du paysage partisan (de 1963 à 1997, le scrutin uninominal à un tour fut appliqué au Maroc alors même que le nombre de partis représentés à la Chambre des représentants passa de 3 en 1963 à 15 en 1997). Il ne faut donc pas fonder trop d’espoirs dans la capacité de la loi à modifier les comportements.

Ceci dit, une loi organique sur le droit de grève devrait tout d’abord poser le principe et en définir le champ d’application ainsi que les limites – et une réforme du Code pénal et du décret précité du 5 février 1958 sont indispensables. Il faut au préalable renforcer et responsabiliser les syndicats. Ceci passe par le renforcement de leurs moyens d’action autre que la grève: représentation du personnel, activités des délégués syndicaux, négociations collectives, saisine des autorités de tutelle – tout ceci doit être renforcé et clarifié. Il conviendrait également de créer un organe paritaire de médiation pouvant intervenir dans les conflits sociaux soit à la demande de syndicats, soit à la demande des employeurs, et pourrait enjoindremomentanément  aux parties de renoncer à toute mesure de conflit (grève ou lock-out). Il convient surtout de renforcer les moyens de l’inspection du travail, tant il est vrai que de nombreux conflits sociaux ont pour objet le non-respect du Code du travail par les employeurs. La loi devrait également établir des mesures intermédiaires pouvant être déclenchées en dehors de la grève sèche – grève du zèle par exemple, ou interdiction des heures supplémentaires.

Mais il faut en contrepartie responsabiliser les syndicats. Tout d’abord, une approche darwiniste est nécessaire: l’Etat n’a que faire des syndicats non-représentatifs, seuls des syndicats représentatifs pouvant négocier valablement au nom des salariés. Il faut donc un seuil de représentativité significatif – 25% des salariés sur un lieu de travail ou dans un secteur par exemple – d’où découleraient des conséquences pratiques importantes: seuls les syndicats représentatifs bénéficieraient d’aides publiques et pourraient avoir des délégués du personnel au statut protégé; seuls ces syndicats représentatifs pourraient déclencher un mouvement de grève sans passer par un vote préalable en ce sens du personnel; seuls ces syndicats seraient habilités à négocier des conventions collectives. Des sanctions sévères doivent être prévues pour les entraves posées par les employeurs à l’exercice du droit syndical.

Le droit de grève lui-même doit être affirmé, étant souvent le seul recours des salariés: pas de conséquences pénales ou civiles pour une grève déclenchée conformément à la loi. Les modalités de déclenchement d’une grève doivent être clarifiées: soit la grève est lancée par un syndicat représentatif sur le lieu de travail ou dans le secteur, soit elle est adoptée à l’occasion d’un vote des salariés pour le cas où les syndicats représentatifs seraient défaillants Les grèves dites de sympathie seraient autorisées dans les mêmes conditions. Ces grèves-là seraient protégées contre tout recours à la responsabilité pénale ou civile des grévistes, hormis le cas de violences contre les personnes ou les biens. Interdiction serait faite aux employeurs de recruter des briseurs de grève pour ce type de grèves, sous peine de sanction pénale.

Les grèves sauvages ne bénéficieraient pas du même statut protecteur. Leurs auteurs s’exposeraient à des actions en justice, si l’employeur aurait été victime d’infractions ou de dommages.

S’agissant d’un conflit binaire, il convient également de légiférer sur les mesures de rétorsion prises par l’employeur. La grève suspendant le contrat de travail (ou la relation de travail dans la fonction publique, où les fonctionnaires sont liées à l’administration de manière statutaire et non contractuelle), l’employeur n’est pas tenu de verser un salaire pour les jours de grève. Il peut cependant le faire si l’accord de fin de conflit conclu avec les syndicats représentatifs le prévoit. De même, il peut prononcer le lock-out à l’encontre des salariés, en réponse à une grève. De la même façon que pour les salariés, il importe de poser des conditions de forme au recours à ces mesures de rétorsion par les employeurs – décision par le conseil d’administration par exemple.

La meilleure façon de limiter le nombre de grèves est donc de renforcer le respect du code du travail par les employeurs et de renforcer la capacité de négociation collective des syndicats représentatifs. Tout autre choix n’impliquerait qu’une répression accrue des syndicalistes et grévistes, et un accroissement des grèves sauvages, ce qui n’est bon ni pour les salariés ni pour le pays. Seuls des syndicats forts et un droit du travail protecteur réduiront le nombre de grèves au Maroc!

Lectures supplémentaires:
– pour un panorama de la liberté syndicale au Maroc, voir ici le site de la Confédération syndicale internationale – ce panorama date de 2007, et une mise à jour moins complète existe pour 2011;
– le site du Bureau de l’OIT pour les pays du Maghreb (à l’exception de la Mauritanie), et ses activités au Maroc;
la liste des 52 conventions de l’OIT ratifiées par le Maroc;
– le site de l’OIT contenant la législation du travail en vigueur au Maroc;
le site du ministère de l’emploi;

PJD: L’espoir avant la déception?

Voilà quelques jours qu’il se dit que le gouvernement est prêt – du moins du côté du chef du gouvernement, Abdelillah Benkirane, qui aurait finalisé sa liste. C’est l’aval royal – nécessaire en vertu de l’article 47 alinéa 2 de la Constitution – qui se ferait attendre, masquant probablement soit un désaccord sur certains noms, soit la volonté de bien marquer qui décide quoi au Maroc de cette fin 2011.

La situation politique du Maroc cette fin décembre 2011 est à la fois différente et semblable à celle de l’année dernière (je fais abstraction ici des problèmes économiques et diplomatiques graves auxquels est confronté le Maroc). Différente pour des raisons évidentes: sous l’effet de la révolution tunisienne et du soulèvement égyptien, le mouvement de contestation du 20 février a contraint le régime à une réforme institutionnelle d’envergure dont ses partisans récusaient l’opportunité il y a douze mois seulement. Des élections anticipées (pour la seule chambre du parlement légitime démocratiquement, la Chambre des représentants) ont eu lieu le 25 novembre et ont accordé une victoire nette et sans bavure au PJD, dont le secrétaire général, Abdelillah Benkirane, a prestement été nommé chef du gouvernement (nouvelle appelation officielle du poste de premier ministre) par le Roi, conformément à l’article 47 alinéa 1 de la nouvelle Constitution qui impose au Roi de nommer chef du gouvernement un membre du parti arrivé en tête des élections à la Chambre des représentants.

Mais la situation demeure fondamentalement la même, et tourne, sur le plan politique, autour de l’opposition classique entre légitimité monarchique et légitimité démocratique. Cette opposition, qu’ont connue de nombreux autre pays que le Maroc, se résout généralement soit par l’avénement de la république soit par celui d’une monarchie parlementaire où le monarque ne conserve qu’un rôle symbolique et protocolaire (qui peut demeurer important, comme en Belgique par exemple).

Le mouvement du 20 février – cet incontestable homme de l’année 2011 au Maroc – a permis de placer cette opposition au centre du débat politique, alors qu’elle était auparavant confinée à ses marges (il n’en a pas toujours été ainsi, notamment lors du référendum constitutionnel de 1962). L’effet conjugué de sa mobilisation populaire conséquente – au début du moins – et du contexte international a donc abouti à cette réforme constitutionnelle, substantielle ne serait-ce que d’un point de vue formel, où le Palais lui-même a affirmé reconnaître la nécessité de restreindre ses prérogatives. Si le résultat final est très mitigé c’est que, contrairement à ses affirmations, le Palais a conservé la mainmise totale sur tout le processus de révision constitutionnelle, de la formation de la commission Menouni au vote référendaire (digne des années Basri) en passant par la rédaction du projet de Constitution.

Mais la réalité politique est biaisée en faveur du jeu institutionnel, et les protestations populaires peuvent certes en perturber le cours mais très rarement s’y substituer (sauf en cas de révolution). Si bien que ce n’est plus du côté des manifestations dominicales du mouvement du 20 février – pourtant bien décidé à perséverer – que se tournent les regards des observateurs et des citoyens, mais du côté d’Abdelillah Benkirane et de ses tractations gouvernementales. Déja, première conséquence de cette nouvelle donne indéniable que constitue la victoire électorale du PJD, la principale composante politique du mouvement du 20 février, Al adl wal ihsane, a quitté le mouvement ce 18 décembre. Sans se hasarder à des prédictions toujours hasardeuses, ce mouvement de contestation, qui en impose plus par sa ténacité que par son efficacité, ne devrait sans doute plus être le lieu principal de cette opposition déjà évoquée entre légitimité démocratoque et légitimité monarchique, du moins pour les mois à venir.

C’est donc peu de dire que la responsabilité – assumée par le PJD – de contribuer à une rupture démocratique – à la manière de l’AKP turc, qui a terrassé l’armée naguère omnipotente – pèse de manière écrasante sur les épaules d’Abdelillah Benkirane. Il a quelques atouts en main: une opinion publique sous le charme d’un premier ministre chef du gouvernement s’exprimant sans langue de bois dans les médias nationaux (on aurait aimé que le chef de l’Etat s’en inspire) – sa première émission politique depuis sa nomination a ainsi battu les records d’audience d’émissions de ce genre depuis la création de l’audiométrie marocaine. Il y a également le score de son parti aux élections, le plus élevé obtenu par un parti marocain depuis 1984 ainsi que l’a relevé Jalil el Outmani, dans un contexte où même le discours officieux fait mine d’afficher une volonté – sans doute factice – de laisser le gouvernement gouverner.

Il y a bien évidemment des pesanteurs institutionnelles: la nouvelle Constitution maintient le noyau dur des prérogatives royales (islam, défense nationale) et demeure muette sur le gouvernement de l’ombre constitué par les conseillers du Roi – et je ne parle même pas de la situation de crise économique qui contraindra le gouvernement à prendre des mesures très impopulaires, sur la caisse de compensation notamment. La prudence, fondée sur l’expérience calamiteuse et pour tout dire désastreuse de l’alternance, devrait inciter au pessimisme (cf. « Pourquoi Benkirane va craquer!« ). Mais même les membres du sérail les plus fermés aux choses de l’esprit se rendent sans doute compte que le Roi ne peut sans doute se permettre de faire obstruction à l’entrée du Maroc institutionnel dans le vingt-et-unième siècle, avec un gouvernement composé de politiciens responsables devant un parlement élu (enfin, pas tout à fait, puisque demeure l’anomalie de la Chambre des conseillers) et exercant la plénitude de leurs compétences constitutionnelles.

Vu cette conjoncture particulière, ce gouvernement dispose sans doute d’une période de grâce de quelques mois durant laquelle il pourrait prendre des mesures à la fois importantes et symboliques qui permettraient de faire dire aux observateurs les moins enthousiastes que quelque chose a changé au Maroc. Voici quelques exemples de ce que pourrait annoncer un gouvernement décidé à tourner la page (un peu sur le mode des 100 jours, 100 mesures proposées par Jalil el Outmani):

  1. Ce gouvernement ne devrait tout d’abord contenir aucun ministre de souveraineté, cette pratique bâtarde sans base légale qui veut que le Roi désigne les titulaires de certains portefeuilles ministériels en dehors des représentants des partis – traditionnellement, il s’agit des postes de ministre des habous, de l’administration de la défense nationale, de l’intérieur, des affaires étrangères, de secrétaire général du gouvernement et de la justice, même si des exceptions ont pu être faites (signe de la domesticité de l’USFP, le ministère de la justice fût confié deux fois de suite à Mohamed Bouzoubâa et Abdelouahed Radi – sans compter le passage calamiteux de M’hamed Boucetta de l’Istiqlal aux Affaires étrangères). A l’extrême rigueur, une exception pourrait être faite pour le poste de ministre de l’administration de la défense nationale, dont les compétences sont de toutes façons purement celles d’un gestionnaire, les vraies décisions se prenant entre Roi et généraux – situation déplorable mais chaque jour suffisant à sa peine, ce problème pourrait être pris en compte plus tard dans cette législature. Tous les ministres sans exception devraient être issus des quatre partis constituant la coalition gouvernementale – PJD, MP, Istiqlal et PPS. Aucun des ministres de souveraineté antérieurs ne devrait être inclus dans ce gouvernement – Driss Jettou, Taïeb Fassi Fihri, Chakib Benmoussa ou Taïeb Cherkaoui sont des noms qui circulent – leur inclusion dans ce gouvernement serait un coup mortel à la crédibilité du processus de réforme démocratique tel qu’il est vendu par le Palais et ses courtisans.
  2. Ce gouvernement se doit d’adresser un signal très fort au peuple marocain en matière de train de vie de l’Etat, même si l’exemple premier devrait venir du Palais et de ses dépendances. Il devrait être limité – guère plus de 20 ou 25 membres, ministres et secrétaires d’Etat confondus. Des mesures immédiates et vérifiables de réduction des salaires et avantages en nature des ministres et du haut personnel de l’Etat devraient être prises: voitures et logements de fonction devraient être éliminés dans la mesure du possible, suppression de toute prise en charge de l’eau, du téléphone et de l’électricité pour les ministres, conseillers du Roi et hauts fonctionnaires, réduction drastique des conditions de déplacement à l’étranger. Le nombre de membres des cabinets ministériels devrait être limité au strict minimum – jamais plus de 5.
  3. Le train de vie de l’Etat, ça passe aussi par la réduction drastique du nombre d’institutions sous forme de conseils et commissions que compte le Maroc, et par une révision substantielle à la baisse du nombre d’ambassades du Maroc à l’étranger. Des annonces rapides devraient être faites – en attendant une rationalisation plus poussée devant malheureusement passer par une révision constitutionnelle: suppression de la Chambre des conseillers, du Conseil national des droits de l’homme (la défense de ces droits doit être le fait des tribunaux, du médiateur et d’une presse et d’association libres, pas d’une institution servant à recycler les renégats du militantisme), des Conseils de la jeunesse ou de la famille, et j’en passe. 18 millions de dirhams de crédits de fonctionnement pour le Royal Golf Dar es Salam à Rabat en 2011 (article 53, tableau E de la loi de finances 2011), est-ce décent?
  4. Impossible de parler du train de vie de l’Etat sans aborder celui de son chef. La liste civile devra être soumise aux mêmes efforts que ceux demandés au gouvernement et au peuple, nul besoin d’être un républicain forcené pour en convenir. Selon la loi de finances pour l’année budgétaire 2011, les dépenses de fonctionnement  liées au Roi et à la Cour royale étaient au total de 2.433.719.000 DH (deux milliards quatre cent trente-trois millions sept-cent-dix-neuf mille dirhams), soit à peine moins que le budget de fonctionnement du ministère de la justice (2.572.060.000 DH), et plus que celui des affaires étrangères (1.799.257.000 DH)), des habous (1.574.348.000 DH), de l’équipement et des transports (775.943.000 DH), du développement social (353.288.000 DH) ou même de l’agriculture (2.000.892.000 DH). Cette situation difficilement justifiable devrait logiquement être appelée à cesser, et des mesures symboliques spectaculaires devraient être prises – ventes ou cession à l’Etat de palais, réduction de personnel, réduction des traitements du haut personnel rattaché à la Cour (les conseillers du Roi par exemple), voilà qui montrerait au peuple marocain que les sacrifices ne sont pas à sens unique. Le budget est une prérogative du gouvernement et du Parlement, et une loi de finances rectificative pourrait prendre les mesures correctives évoquées précédemment.
  5. Les prisonniers politiques – entre autres Rachid Nini, Zakaria Moumni, Mouad Belrhouate alias « L7a9ed » et les dix de Bouarfa pour ne citer que ceux-là- doivent être libérés – cela peut passer soit par la présentation d’un projet de loi d’aministie, qui effacerait la condamnation pénale pour les condamnés que sont Nini et les dix militants de Bouarfa, soit par une grâce royale. On m’objectera que la grâce royale est une prérogative constitutionnelle du seul souverain – c’est vrai (cf. article 58 de la Constitution, « le Roi exerce le droit de grâce« . Il faut cependant rappeler que conformément au dahir n°n° 1-57-387 du 16 rejeb 1377 (6 février 1958) relatif aux grâces, une commission des grâces sous l’égide du ministère de la justice est « chargée d’examiner les demandes en remise de peines ainsi que les présentations effectuées d’office à cette fin » (article 9). Le ministre de la justice peut donc présenter d’office une demande de grâce pour les prisonniers politiques déjà condamnés, étant bien entendu que la décision ultime reposera avec le Roi. Il conviendrait dans le cas où des réticences se feraient jour que le gouvernement indique publiquement oeuvrer pour la grâce des intéressés, permettant ainsi à l’opinion publique d’identifier très exactement les responsabilités de chacun. Alternativement, le gouvernement pourrait présenter un projet de loi d’amnistie de toutes les condamnations à caractère politique, comprenant les personnes précitées mais aussi celles poursuivies pour avoir appelé au boycott.
  6. S’agissant des personnes non encore condamnées – c’est le cas du rappeur connu sous son nom d’artiste L7a9ed – le ministre de la justice peut tout simplement donner instruction écrite au procureur du Roi – conformément à l’article 110 alinéa 2 de la Constitution – de requérir la relaxe, ou à tout le moins de ne plus requérir de peine d’emprisonnement. Le ministre de la justice devrait également, dans l’attente d’une révision législative qui devrait être initiée sans plus attendre, donner instruction écrite aux procureurs de ne plus requérir de peine d’emprisonnement dans les délits de presse ni lors de poursuites de personnes ayant appelé au boycott des élections ou du référendum.
  7. L’empire tentaculaire du ministère de l’intérieur devrait être brisé. Il conviendrait de scinder de manière formelle – avant de l’inscrire dans la Constitution lors de la prochaine révision – le ministère de l’intérieur, en empêchant que ses fonctions d’administration territoriale ne puissent jamais être fusionnées au sein du même département ministériel avec celles relatives à la sûreté publique. Les cultes non-musulmans devraient également lui être retirés (le secrétariat général du gouvernement, le ministère de la justice ou la primature pourraient s’en charger). Une déclaration formelle devrait également annoncer la création par voie législative d’une autorité électorale indépendante chargée de toutes les opérations électorales et référendaires.
  8. Des mesures devraient être prises en matière de transparence – cela pourrait commencer par les conditions de la nomination, probablement non-conforme à la Constitution, de 28 ambassadeurs tout récemment, et continuer par des instructions en vue de régler les cas en suspens depuis la clôture des travaux de l’IER – que ce soit les documents en possession sur le sort de Mehdi Ben Barka ou la localisation des dépouilles de victimes des années de plomb non encore remises à leurs familles.
  9. Une reconnaissance rapide, selon les conditions de droit commun posées par la loi, devrait être offerte à Al adl wal ihsane en tant qu’association. Pour ce qui est de sa constitution en parti politique, il faudra que cette formation se conforme à la loi organique n° 29-11 sur les partis politiques, notamment l’article 2 alinéa 3, consacrant le respect du pluralisme, de l’alternance, des moyens démocratiques et du respect des isntitutions constitutionnelles (allusion transparente à la monarchie) mais surtout l’article 4, interdisant les partis ayant une base religieuse (et pourtant le PJD…), discriminatoire ou contraire aux droits de l’homme. Pour autant qu’Al adl wal ihsan constitue un parti aux statuts en conformité avec ces dispostions, et les autres de la loi organique, il devrait pouvoir constituer un parti – ceci mettrait un terme – peut-être – à l’héritage politique de Basri.

Ceci n’a absolument rien d’exhaustif, et d’autres personnes auraient sans doute d’autres priorités. Je ne mentionne pas non plus les questions de fond d’importance capitale pour le pays – la soumission à l’impôt des revenus agricoles, le gel du projet du TGV (comme le laisse entendre Lahcen Daoudi, député et poids lourd du PJD), la réforme de la caisse de compensation et la mise en oeuvre réelle et effective de l’autonomie du Sahara marocain, pour ne citer que ceux-là. Je ne tiens qu’à donner quelques indicateurs qui permettront de mesurer, très rapidement, qui de l’espoir ou de la déception aura le dessus après la fin de la période de grâce du nouveau gouvernement – ni lui, ni le Roi, ni le peuple marocain n’auraient intérêt à ce que la déception prévale.

Tahar Benjelloun devrait rester chez lui, et Jeannette Bougrab aussi

Les têtes pensantes du courant de pensée « touche pas à ma bière« ™ se mobilisent. On a d’abord eu, dans Le Monde, note prix Goncourt (le prix des cons qui se gourent, Coluche dixit) national, Tahar Benjelloun, a ainsi commis « Maroc : l’islam doit rester dans les mosquées« . Les connaisseurs pourront comparer avec son « La Porsche noire, le play boy et la burqa« , où il était question d’émigré rifain en Hollande, de burqa, de Porsche noire et de Talibans – ne cherchez pas le fil rouge dans ce dernier article, il n’y en avait pas. Dans son article plus récent donc, notre Tahar national nous assène une vérité profonde qu’il partage avec Benali:

Il est une expression vide de sens et surtout qui trompe son monde : « islamistes modérés ». Un religieux qui investit le champ politique n’a que faire de la modération.

Donc, entre Recep Tayyep Erdogan et Ayman al Zawahiri, entre Saadeddine Othmani et le cheikh Maghraoui, aucune différence. D’ailleurs, de vous à moi, quelle différence entre Olof Palme et Pol Pot?

Il faudrait dix pages pour faire le tour des luminosités benjellouniennes (d’autres semblent autant aveuglés par la lumière que moi): « L’islam bien compris est une belle religion » – pourquoi a-t-on l’impression que cette compréhension est le monopole de fait de Tahar Benjelloun? Puis l’émotion empêche Benjelloun de voir la poutre dans son pays d’adoption: « l’islamisme politique se caractérise en général par une action directe sur le mode de vie des gens » – comme l’interdiction du voile dans les écoles publiques, ou la chasse au halal dans les cantines? Enfin une petite pensée pour nos compatriotes juifs: « Le Maroc a de tout temps été musulman et n’a jamais éprouvé le besoin de mélanger la religion et la politique. » – et je ne parle même de la surprise qui doit étreindre quiconque a jamais lu la Constitution marocaine, dont toutes les versions successives font du chef de l’Etat le Commandeur des croyants et font de l’islam la religion de l’Etat.

Puis ce morceau d’anthologie:

« Cela commence par quelques prêches moralisants et finit par des décrets et des lois (fatwas) qui gouvernent la vie quotidienne des citoyens. Il empêche de penser ou mieux pense à la place des citoyens. A quoi bon penser, douter, débattre puisque tout est écrit d’avance. »

Bref: chez ces gens-là, monsieur, on ne pense pas, monsieur, on prie, comme chantait l’autre. Chacun sait que le PJD – puisque c’est son arrivée à la primature qui terrifie Benjelloun – ne pense pas, ne doute pas et ne débat pas. Bernard Lewis serait fier de Tahar.

Un autre qui doit être fier de Tahar, c’est le chef de l’Etat:

Que s’est-il passé ? Je ne crois pas à l’effet domino, car la situation de la Tunisie n’a rien à voir avec ce que vit le Maroc, depuis l’arrivée du roi Mohammed VI.

Et je ne peux m’empêcher de citer notre Pic de la Mirandole quand il torture la logique telle la DST à Temara: « les autres partis, les traditionnels et les nouveaux, qui sont tous musulmans mais ont plutôt un comportement laïque » – je répète pour les mal-comprenants, des partis musulmans mais laïcs – oui, vous avez bien lu partis, et non pas individus, la laïcité benjellounienne accepte les partis confessionnels pourvu qu’ils ne soient pas islamistes.

Concluons: « Le Maroc n’a pas eu le temps de cultiver la démocratie dans les esprits. ». Le Maroc? C’est qui, le Maroc, Tahar, le Mouvement du 20 fébrier ou la DST? Laanigri, Majidi, Benslimane, Mansouri, El Himma, Azoulay, Fassi Fihri ou Amine, Raydi, Bougrine, Bensaïd, Boubker Jamaï, Assidon, Abdelmoumni, Akesbi? A qui la faute, Tahar, tes amis ou les autres?

Les consloups chassant en meute, on aussi eu droit à Jeannette – (ben oui, il faut s’appeler Jeannette ou manger du jambon pour être un politicien d’origine arabe en France) – Bougrab, politicienne UMP harkie (j’aurais bien écrit maghrébine, mais c’est la cause harkie qui semble marquer le plus l’engagement identitaire de Bougrab), qui s’est vantée de sa piètre connaissance de l’aire culturelle de ses ancêtres: « Je ne connais pas d’islamisme modéré« . Pas de différence donc entre Recep Tayyep Erdogan, qui écarte l’application du droit musulman et vante la laïcité, et le Mollah Omar. Et c’est au nom de son opposition à toute « restriction des droits et libertés » qu’elle déclare que « je suis d’ailleurs contente de voir qu’à Alger une loi est adoptée pour interdire la constitution de partis politiques par les anciens du FIS« .

Là où son entretien devient indécent c’est ici, elle dont je n’ai pas souvenir qu’elle aie jamais dénoncé la torture en Tunisie sous Benali:

« Je trouve choquant que ceux qui ont les droits et libertés ici aient donné leur voix à un parti religieux. Je pense à ceux qui, dans leur pays, ont été arrêtés, torturés pour défendre leurs convictions. On leur a en quelque sorte volé la révolution« .

Que Jeannette Bougrab croie juste de montrer patte blanche pour le bien de sa carrière, soit. Qu’elle instrumentalise les victimes d’une dictature totalitaire pour servir son ambition est obscène – citons par exemple Abdelnacer Naït-Liman, ancien sympathisant et détenu politique d’Ennahda:

«Ils m’ont conduit de l’aéroport au ministère de l’Intérieur, se souvient-il. Là, ils m’ont amené à la «salle d’opération». Il y avait des traces de sang partout, des cheveux et des bouts de peau étaient collés sur les murs. Ils m’ont déshabillé. Comme je résistais, ils m’ont laissé mon caleçon, puis ils m’ont mis dans la position du «rôti». Les jambes sont coincées entre les bras attachés, on passe un bâton sous les genoux et on le pose entre deux tables. Puis on vous torture avec des câbles électriques, des battes de baseball et d’autres châtiments dont je n’arrive pas à parler.»

Citons aussi Hamadi Ben Abdelmalek, arrêté et torturé pour avoir été ami d’un militant d’Ennahda:

Ce 25 janvier, un autre homme, Hbib S., est interrogé dans les locaux du ministère. Il conduit les policiers à l’hôtel de l’Algérien, celui à qui ont été remis les 150 dinars. Une confrontation est alors organisée. Les coups pleuvent sur Hamadi. Les insultes aussi. « Tu es un metteur en scène toi ! Tu prétends que tu ne le connais pas ? Tu l’as vu au café ! Avoue ! » J’ai reconnu Ali mais j’ai répété que je ne le connaissais pas plus que ça. « Tais toi ! Tais toi ! » Ils m’ont frappé. »

Qui est Ali ? Quels sont ses liens avec Tlili ? Pourquoi lui, agriculteur, fréquente-t-il Tlili ? Après 48 heures d’interrogatoire, un homme important débarque dans le bureau. C’est le directeur de la sûreté de l’Etat, Ezzedine Jenayah. Il s’installe. Hamadi se souvient de son regard, plein de mépris. Ce jour-là, il se contente de lui poser des questions.

Le lendemain, Hamadi commence à faiblir et les policiers à s’impatienter, les coups ne suffisent plus. « Ils m’ont déshabillé puis ils m’ont ligoté les pieds. J’avais les mains attachées derrières les genoux. J’étais gros, c’était difficile de me mettre dans la position du “poulet rôti”. » Ou de « l’hélicoptère ».

Cette sinistre technique de torture de la police tunisienne consiste à immobiliser la victime en coinçant un bâton derrière ses genoux. Les chevilles et les poignets sont liés.

« Ils m’ont coincé entre deux bureaux. Je les ai vus apporter une barre de fer. On m’a frappé, frappé toute la journée. De temps en temps, Jeniyah entrait, le cigare à la bouche, et demandait : “Il a pondu ? Non ? Bon, il va pondre.” Moi, j’avais la tête par terre et les pieds en l’air. »

Je souhaiterais que Bougrab soit confrontée à Naït-Liman ou Hamadi Ben Abdelmalek. Malheureusement, rares sont les faiseurs d’opinion politiques et médiatiques confrontés aux coût humain de leurs mensonges, hypocrisies, effets de manche et petits calculs. Consolons-nous avec notre insondable mépris, c’est bien le moins.

Le théorème d’Ibn Kafka

Je viens de découvrir un théorème s’appliquant aux armées du Moyen-Orient: plus l’armée d’un pays est inopérante face à Israël, plus elle sera cruelle face à ses concitoyens. Ainsi, le Hezbollah, qui n’est certes pas une armée nationale mais bien une force armée, et qui est la seule entité arabe à avoir battu militairement Israël, a de l’avis général évité toute bavure lors de la libération du sud Liban en 2000, lorsque l’armée israëlienne quitta précipitamment les lieux la queue entre les jambes. Je suis peut-être mal informé, mais je n’ai jamais vu de photos de milicien du Hezbollah traînant une manifestante par les cheveux ou sautant à pieds joints sur un manifestant à terre.

A l’opposé, les armées syrienne et égyptienne, qui ont perdu toutes les guerres les ayant opposés à Israël, se comportent avec la dernière barbarie face à leurs propres concitoyens, comme le montre cette photo qui a fait le tour du monde d’une manifestante qui tient à demeurer anonyme:

Cette photo est celle d’une manifestante égyptienne, qui a vu son voile arraché, son abaya enlevé, et qui s’est fait copieusement tabasser par une horde de « soldats » égyptiens lors des heurts ce samedi 17 décembre. La vidéo est infiniment plus brutale, et elle est ici. Via le Daily Mail, toute une autre série de photos sur le matraquage des femmes activistes en Egypte, au Bahreïn et au Yémen – les tarés du genre Caroline Fourest et Tahar Benjelloun noteront que la majorité d’entre elles est voilée.

 

Il fut un temps ou la soldatesque égyptienne faisait moins la fière…

« L’expérience inégalée de Taïeb Fassi Fihri »


J’ai sans doute été trop vite en besogne dans mon dernier post. Je lis sous la plume de Fahd Yata ceci:

Le PPS, quant à lui, se dit assuré d’obtenir quatre ministères au moins et Nabil Benabdallah confiait même à quelques proches qu’il ne perdait pas espoir d’en glaner un cinquième auprès d’un Benkirane qui «l’aurait à la bonne»…

Certains, évoquant «une revanche» assurent donc que le Secrétaire général du Parti du Progrès et du Socialisme obtiendrait le Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, ce qui serait totalement exclu selon beaucoup d’observateurs eu égard au contexte international et régional actuel nécessitant l’expérience inégalée d’un Taieb Fassi Fihri (Sahara, Conseil de Sécurité, relations avec le Golfe, etc).

L’article le plus *$£%@| de l’année

L’année n’est même pas terminée que je crois pouvoir clore le concours de l’article le plus stupide de l’année: « Le Maroc, moteur du monde arabe post-révolutions ?« . Un avant-goût – pour une dégustation complète, voir le lien:

Le Maroc étant précurseur pour avoir entamé il y a longtemps de profondes réformes démocratiques que le printemps arabe vient juste d’imposer sur la scène arabe, constitue un modèle à suivre aux yeux des nouvelles autorités tunisiennes et d’autres dirigeants arabes, surtout que la transition dans le royaume chérifien s’est déroulée dans le calme et sans effusion d’une seule goutte de sang. A ce titre, le Maroc n’est pas seulement considéré comme précurseur en matière de démocratisation dans les pays arabes, mais il est perçu sur le plan géopolitique, comme étant le nerf moteur du monde arabe post-révolutions.

Tiens, pendant que j’y suis, Jillian York a la liste des meilleures critiques de Thomas Friedman, sans doute le journaliste le plus con du monde.

Nous sommes au regret de vous annoncer que l’espionnage du Net ne sert à rien

Tout ça pour ça:

When Sageman took the stand for the defense, he was clear.

“Does al-Qaida use the internet to recruit?”

“No,” he replied, “that’s not how people join al-Qaida.”

“How do people join?”

“It’s really a bottom-up phenomena,” Sageman answered.

Il n’est pas le seul à le penser: c’est aussi l’avis du Home Office (ministère de l’intérieur) britannique. La Rand Corporation, organiquement proche du Pentagone, écrit ainsi dans un rapport:

Al Qaeda is relying heavily on the Internet to recruit Americans with a plethora of English-language websites and even an online magazine, Inspire, that promotes individual, violent jihad. However, Jenkins says the Internet engagement with jihad may be taking the place of actual engagement for many of these would-be terrorists. Suicide missions and martyrdom for American jihads are rarely contemplated, a factor that is said to have disappointed Osama bin Laden.

Le recrutement à Al qaïda se fait plutôt IRL…

Ca valait bien la peine de légaliser l’espionnage du net sous le prétexte de la prévention du terrorisme…

Le sexe, ce n’est pas que pour les poules et les coqs


Dans la rubrique fluffy – au sujet des remarques assez ignobles de Souad Abderrahim, poster-girl (non-voilée) d’Ennahda, sur les mères célibataires:

-Tu ne savais pas que tu pouvais tomber enceinte ? Tu n’as pas vu ça dans les cours de sciences en 9ème année de base ?

-Si je l’ai vu mais je pensais que ça concernait uniquement les poules et les coqs.

Les Pakistanais, de grands enfants

Quand l’homme blanc écoute la complainte de l’indigène, y compris avec une certaine sympathie (« The Pakistanis Have a Point« ), c’est pour s’entendre confirmer ce dont il se doutait déjà:

As an American visitor in the power precincts of Pakistan, from the gated enclaves of Islamabad to the manicured lawns of the military garrison in Peshawar, from the luxury fortress of the Serena Hotel to the exclusive apartments of the parliamentary housing blocks, you can expect three time-honored traditions: black tea with milk, obsequious servants and a profound sense of grievance.

Talk to Pakistani politicians, scholars, generals, businessmen, spies and journalists — as I did in October — and before long, you are beyond the realm of politics and diplomacy and into the realm of hurt feelings. Words like “ditch” and “jilt” and “betray” recur. With Americans, they complain, it’s never a commitment, it’s always a transaction. This theme is played to the hilt, for effect, but it is also heartfelt.

The thing about us,” a Pakistani official told me, “is that we are half emotional and half irrational.”

CQFD – nul doute que si l’armée pakistanaise tuait 24 soldats étatsuniens lors d’un bombardement au Nouveau-Mexique le gouvernement étatsunien réagirait avec le rationalisme cartésien qu’on lui connaît.

Les salafistes populaires grâce au foot

Anecdotique, mais cela montre l’importance d’avoir une présence sur le terrain en dehors des seules campagnes électorales – ici, c’est Hizb al nour, le principal parti salafiste égyptien (il est issu de la Da’awa al salafiya, qui contrôlerait 4.000 des 108.000 mosquées d’Egypte), dans la région d’Alexandrie:

Ragab was guiding a group of long bearded men who were packed into his small office on how to fill out membership applications to join Nour.

Then a man in his mid-forties, who I recognised as local former football star, walked into the office, and Ragab jubilantly introduced him to the applicants as the new sports coordinator for the party in the Moharam Bek district.

« We are excited to have you on board in the party. We have just organised a huge football tournament in the district of Abis in the governorate. Out of 38 villages in Abis, we managed to form teams in 34 of the villages and they competed for three months. We provided the winners with awesome prizes. By the way, Nour also did very well in Abis in the first round of the vote, » he explained to the football star who seemed excited to play football for the Salafist party. (Al Ahram Weekly)

Les salafistes: pas seulement le niqab...

Un autre extrait intéressant – le journaliste interroge un militant du Hizb al hourriya wal adala (le parti des Frères musulmans) sur le programme du parti:

So I took some time to pick the brains of Mostafa Mamdouh, the 23-year-old organiser who was running the mini street fair.

Will it be an Islamic state like Saudi Arabia?

« Saudi Arabia is a totalitarian, theocratic regime. They do not even allow women to drive. We believe in equal opportunity for all citizens.

« We, the Egyptian Muslim Brotherhood, on the other hand, have a moderate Islamic programme and seek for Egypt to be a civilian society with Islamic undertones; we want to follow in the footsteps of the great experiences of our Muslim brothers in Turkey and Malaysia. »

Les islamistes ne constituent pas plus un monolithe que « la » gauche – comme le montre le second tour des éléctions pour les candidats individuels à Alexandrie, où le célèbre salafiste Abdelmoneim al Shahat a perdu 47.000 voix entre le premier (191.675 voix) et le second tour (144.296 voix), où il s’est vu battu par un candidat soutenu par les Frères musulmans, Hosni Doweidar, cette déperdition faisant suite à l’intense polémique médiatique sur ses déclarations radicales en matière de moeurs. Cette défaite a ravivé la tension entre salafistes et Frères musulmans, en concurrence sur un créneau idéologique commun mais n’ayant pas forcément la même clientèle électorale, celle des Frères musulmans étant plus proche des classes moyennes et des diplômés de l’enseignement supérieur.

Dans le même sens, un article du New York Times (« Salafis in Egypt have more than just religious appeal« ), qui n’écrit pas que des stupidités en dépit de sa réputation très surfaite, et qui confirme ce que j’ai toujours pensé s’agissant des révolutions arabes: l’aspect « classes », au sens de conflit de classes, a été très largement sous-estimé. Ainsi s’agissant de la concurrence entre Frères musulmans et salafistes en Egypte – mais il pourrait aussi bien s’agir de celle entre le PJD ou Ennahda et les partis se disant laïcs au Maroc (voire même, dans le cas marocain, la concurrence larvée entre le PJD et Al adl wal ihsan) ou en Tunisie: elle est tout autant sociale qu’idéologique.

Voters attending a political rally by ultraconservative Islamist sheiks might expect a pious call for strict religious rule — banning alcohol, restricting women’s dress, cutting off the hands of thieves.

But when a few hundred men gathered last week in a narrow, trash-strewn lot between the low cinderblock buildings of this village near Cairo, what they heard from the sheiks, known as Salafis, was a blistering populist attack on the condescension of the liberal Egyptian elite that resonated against other Islamists as well.

They think that it is them, and only them, who represent and speak for us,” Sheik Shaaban Darwish said through scratchy speakers. “They didn’t come to our streets, didn’t live in our villages, didn’t walk in our hamlets, didn’t wear our clothes, didn’t eat our bread, didn’t drink our polluted water, didn’t live in the sewage we live in and didn’t experience the life of misery and hardship of the people.”

It’s the class divide, stupid!

Quelques liens pour clore là-dessus:
– un excellent site – « Egypt election results and other data » – avec les résultats partiels des législatives égyptiennes (l’Egypte étant divisée en trois zones électorales, seule la première zone électorale a voté récemment), sans compter le site officiel;
– le site « Guide to Egypt’s transition » de la fondation Carnegie;
– le site EgyptSource avec l’excellente Michele Dunne de l’Atlantic Council;
– un article de Arab Media & Society de 2009, « Salafi satellite TV in Egypt« , sur les chaînes de télévision salafistes en Egypte, présentées (sur une base assez fragile) comme étant les plus regardées du pays, ce qui n’est pas prouvé – l’article demeure cependant très intéressant;
– le blog The Arabist d’issandr et Ursula, aussi sur Twitter;
– le blog de Bécassine alias @novinha56 sur Twitter.