Une explosion dans le café Argana place Jemâa el Fnâa à Marrakech ce jeudi 28 avril a fait 16 morts, en majorité des touristes étrangers. Au départ, plusieurs versions ont eu cours: on a parlé initialement d’une explosion au gaz accidentelle:
There were conflicting accounts of how the attack took place. One witness who escaped unharmed told Agence France Presse that a man had entered the cafe and ordered an orange juice before blowing himself up minutes later. Others said a bomber dropped a suitcase before walking out of the building.
« I heard a massive blast. The first and second floors of the building were destroyed, » one local woman told Reuters. « Some witnesses said they had seen a man carrying a bag entering the cafe before the blast occurred. »
The Moroccan interior ministry said early evidence collected from the scene confirmed it was a bomb attack. Other local officials said indications were of a suicide attack and traces of nails were found in one of the bodies at the hospital. Initially, within moments of the explosion, officials had blamed a gas canister catching fire. (The Guardian)
Le témoignage du chercheur français Sébastien Boussois, présent sur place au moment de l’explosion, ainsi que les déclarations officielles du gouvernement marocain, ont cependant vite démenti cette hypothèse.
Tout de suite, les spéculations se sont multipliées sur les commanditaires de cet attentat, à supposer que c’en soit un (dans l’attente des résultats de l’enquête policière, je présumerai que c’en est bien un – plus rien ne semble indiquer le contraire). Le ministre de l’intérieur, Taïeb Cherkaoui, évoque publiquement la piste d’Al Qaïda:
Le ministre de l’Intérieur, M. Taieb Cherqaoui a affirmé, vendredi, que les investigations préliminaires sur l’attentat perpétré dans un café à Marrakech ont révélé que l’engin explosif à été actionné à distance, précisant qu’il ne s’agit pas de l’œuvre d’un kamikaze.
« Il ne s’agit pas d’un attentat-suicide (…) et il parait que l’engin explosif a été actionné à distance. Les investigations sont toujours en cours« , a souligné M. Cherqaoui, qui intervenait lors de la réunion de Commission de l’Intérieur, de la Décentralisation et des Infrastructures à la Chambre des représentants.
Il a ajouté que tout le monde connait la partie qui recourt à ce mode opératoire, notant que la déflagration résulte de l’utilisation d’une matière explosive constituée du nitrate d’aluminium et de deux explosifs TATP, avec ajout de clous de fer. (MAP)
Lors d’un point presse vendredi soir, M. Cherkoui a déclaré que l’attentat de jeudi sur la place Djemaa el-Fna rappelle le « style utilisé d’habitude par Al-Qaida ».
« Il y a le mode opératoire qui suppose une organisation professionnelle car la place Djemaa el-Fna est très surveillée ; le choix de Marrakech, ville très touristique au mode de vie sulfureux [fête, prostitution, etc.] et enfin le restaurant, l’Argana, qui est un lieu de rencontre des étrangers, explique Jean-Yves Moisseron, rédacteur en chef de la revue spécialisée Maghreb-Machrek. L’attentat fait en outre suite à une tentative d’AQMI depuis plusieurs mois d’installer une cellule au Maroc. Il y a eu des arrestations récentes de Marocains au Mali. » (Le Monde)
Un touriste néerlandais affirme avoir vu un « Arabe » porteur de deux grands sacs assis dans le café juste avant l’explosion:
Un touriste néerlandais, John Van Leeuwen, a aidé la police marocaine à dresser un portrait-robot de l’éventuel auteur de l’attentat meurtrier de Marrakech, « un Arabe portant deux énormes sacs« , a-t-il raconté vendredi. Quelques minutes avant l’explosion de jeudi, qui a tué au moins 15 personnes, ce témoin-clef et sa compagne ont fait face à ce homme jeune, qui écoutait sans nervosité de la musique, et la police a recueilli pendant des heures le témoignage du couple. « Il y avait un Arabe dans le café, portant deux énormes sacs, un sac à dos (…) qui mesurait près d’un mètre de haut, et un deuxième sac de sport, également très gros« , a expliqué ce consultant en marketing de 47 ans, joint par téléphone depuis Paris. (Journal du Dimanche)
CORRIGENDUM: un portrait-robot erroné figurait ici. Ne correspondant pas à celui de l’attentat de Marrakech, je l’ai supprimé.
On aurait donc vu deux bombes déposées dans le café par un homme, celles-ci ayant ensuite été déclenchées à distance, à en croire la version officielle.
L’économiste Driss Benali, membre du bureau politique de l’USFP, a estimé que trois commanditaires alternatifs et hypothétiques existent:
- al Qaïda;
- le Polisario;
- des groupes hostiles à la démocratisation du Maroc – Driss Benali ne précise pas qui précisément il a en tête mais on peut présumer qu’il s’agirait de cercles au sein du pouvoir hostiles aux réformes demandées par le mouvement du 20 février;
Je ne partage pas cette analyse. S’agissant d’Al Qaïda, cette nébuleuse – qui n’est plus depuis bien des années une organisation hiérarchique et organisée comme le sont
généralement les organisations terroristes – n’a à ma connaissance jamais commis d’attentats au Maroc. Certes, de très nombreux Marocains ont été arrêtés, jugés et condamnés, en Europe ou en Irak, pour avoir participé aux entreprises terroristes de cette organisation (le Maroc a été
un centre important de recrutement pour Al Qaïda), et les autorités marocaines ont souvent affirmé avoir arrêté certains de ses membres, notamment
en avril 2010 mais aussi bien plus tôt,
en 2002. Des observateurs avertis comme le chercheur
Mohamed Darif ont certes
affirmé il n’y a pas longtemps de ça qu’Al Qaïda considèrerait le Maroc comme un ennemi, mais le même estimait, il y a exactement un an, que «
Al Qaïda n’a pas réussi à former des cellules capables de perpétrer des attentats au Maroc« …
En fait, les
attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, qui avaient fait 45 morts dont 12 terroristes, étaient le fait d’un groupe terroriste marocain sans attache avérée avec Al Qaïda («
there is no evidence to suggest the attacks that killed dozens of westerners in Casablanca, Morocco, were carried out with the knowledge of al-Qa’ida leadership« , «
the Casablanca attack in 2003 was the work of a local Islamic militant group and did not have ties to Al Qaeda, according to an analyst quoted by Reuters« ), la
Salafia jihadia – en fait de groupe, il s’agissait également d’une nébuleuse, à l’image d’Al Qaïda, partageant avec celle-ci idéologie et s’inspirant sans aucun doute de ses méthodes d’action – et encore des doutes subsistent-ils sur l’implication réelle de la Salafia jihadia dans les attentats du 16 mai («
c’est un mouvement qui s’est structuré en prison après ces vagues d’arrestations, et les preuves quant à leur culpabilité n’ont jamais été vraiment déterminantes« ).
Il est vrai la branche maghrébine – ou plutôt algérienne – d’Al Qaïda, Al Qaïda dans le Maghreb islamique (
AQMI), a diffusé la semaine dernière une vidéo (je crois que c’est
celle-ci) où un de ses combattants marocains menaçait le Maroc d’une frappe douloureuse. Cela n’est guère déterminant: AQIM a fait de telles déclarations dans le passé, non suivies d’effet, et à force d’en faire régulièrement arrivera bien le moment où un attentat aura lieu peu après, de manière fortuite ou non – et la déclaration en question ici est vague. Il apparaît de plus que
cette vidéo daterait de 2007, selon deux experts français.
Sauf éléments factuels probants, il me semble mieux indiqué de partir du principe qu’il s’agit là d’un attentat mené par un groupe terroriste local, du même type que celui ayant mené les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. Il apparaît peu probable que ce soit un groupe lié à la Salafia jihadia, dont les dirigeants emprisonnés,
tels Mohamed Fizazi, ont été soit grâciés et libérés, soit ont cherché à l’être. La tendance lourde chez les salafistes marocains ces dernières années a d’ailleurs été de s’organiser et de militer pour la libération de leurs camarades emprisonnés.
Il n’est pas
anodin que cet attentat ait eu lieu à Marrakech: viser des cibles étrangères dans une ville aussi touristique que Marrakech c’est
s’assurer d’un écho médiatique disproportionné au Maroc et à l’étranger. Si on excepte les actes de terrorisme commis durant la lutte pour l’indépendance et les attentats visant personnalités politiques (Mohamed Lyazghi, Omar Benjelloun), le premier attentat terroriste eut lieu
à l’hôtel Atlas Asni à Marrakech en 1994, lors duquel deux touristes espagnols furent tués. Surtout, Marrakech est une ville en proie aux tensions sociales, économiques et ethniques exacerbées par le tourisme de masse qui a véritablement défiguré cette ville depuis plus de dix ans. La multiplication d’hôtels, résidences et riads touristiques a rendu l’immobilier hors de prix pour le Marrakchi moyen, de plus en plus exclu des quartiers résidentiels. L’afflux touristique a aussi impacté le coût de la vie, rendant plus chers services et denrées de base. Il faut rajouter à cela la nette ségrégation ethnique qui s’étend insidieusement, riads et restaurants refusant de manière biaisée la clientèle «
indigène« , et taxis privilégiant la clientèle blanche. Et ceci sans même mentionner une prostitution tournée vers la clientèle étrangère et répondant à tous ses goûts – enfantine, homosexuelle ou hétérosexuelle. Nul besoin donc d’instructions de Quetta, Peshawar ou du fin fond du Sahel pour qu’un passage à l’acte terroriste soit rendu possible à Marrakech, par des individus gagnés à l’idéologie meurtrière du salafisme radical.
En l’absence d’éléments factuels qui pourraient ressortir de l’enquête policière – le fait que des policiers étrangers (français, espagnols, étatsuniens) y aient été associés doit malheureusement être considéré comme un gage de sérieux, au vu des hallucinantes thèses policières dans d’autres affaires du même type, comme celui du réseau Belliraj – il semble plus prudent de considérer qu’il s’agit d’un attentat commis par une organisation terroriste marocaine. L’existence de liens avec l’étranger devra être prouvée par la suite. De manière étonnante, telle semble être aussi l’opinion de Khalid Naciri, ministre de la communication:
Au lendemain de l’attentat qui a frappé un café sur la grande place de Marrakech, l’identité des auteurs restent inconnus, même si les esprits sont tournés vers Al-Qaïda. «
On y pense, raisonnablement, parce que ce sont eux qui sont dans ce genre d’opérations de terrorisme particulièrement meurtrier« , a précisé Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement marocain, vendredi sur Europe 1. «
Mais je me dois d’ajouter immédiatement que l’enquête ne nous a pas encore permis, à l’heure qu’il est, d’affirmer catégoriquement qu’il s’agit bien d’Al-Qaïda. C’est une hypothèse sur laquelle nous travaillons, mais tant que nous n’avons pas de certitudes, nous ne nous permettrons pas de nous engager dans des accusations éventuellement à l’emporte-pièce. » (
Journal du Dimanche)
La deuxième hypothèse alternative, faisant état de l’implication du Polisario, est encore moins crédible. Le Polisario a certes commis des crimes de guerre dans sa lutte contre le Maroc, notamment par les homicides et sévices commis contre les prisonniers de guerre marocains à Tindouf. Il s’en est pris dans le passé à des civils – parmi les prisonniers marocains à Tindouf figuraient des civils. Les événements de Tindouf Laayoune en novembre 2010, où 11 policiers marocains furent tués dans des circonstances atroces, montrent bien que le séparatisme sahraoui n’a rien d’anodin, même si ces atrocités-là ne semblent pas avoir répondu à des instructions émanant du Polisario lui-même.
Les lecteurs qui me lisent depuis quelques temps connaissent mon exécration de l’idéologie séparatiste et de ses tenants, mais le Polisario n’a à ma connaissance jamais commis d’attentat à l’explosif contre des cibles civiles, que ce soit dans les provinces du Sud ou en dehors. Un attentat à l’explosif contre une cible touristique dans le territoire marocain incontesté serait suicidaire politiquement de la part du Polisario et surtout de la part de ses parrains algériens – autant le DRS algérien a pu se permettre quelques libertés en France en 1995, autant elle sait que rien ne lui serait pardonné au Maroc en 2011. Croire un seul instant que l’armée algérienne et son client sahraoui qu’est le Polisario se permettraient de prendre le risque politique et diplomatique de commettre des attentats terroristes à Marrakech c’est prendre ses rêves mouillés pour la réalité.
Mais à l’encontre de mon analyse, on pourrait citer des sources algériennes, comme par exemple
les révélations de l’ex-agent du
DRS (l’ex-Sécurité militaire) algérien
Karim Moulai sur l’implication alléguée de ce service dans l’attentat meurtrier de l’hôtel Atlas Asni à Marrakech en 1994. On pourrait également citer cet article publié sur un site algérien, «
Attentat de Marrakech : Pistes de lecture…« , de Djamaledine Benchenouf, qui avance la thèse d’un attentat téléguidé par le DRS algérien dans le cas de cet attentat. Je ne suis pas convaincu.
Reste la troisième alternative, celle d’une manipulation directe ou indirecte par certains décideurs, tenants de la ligne dure face tant aux revendications populaires du 20 février qu’aux islamistes, et que l’évolution récente, marquée par des reculs répétés du pouvoir – libération de salafistes, des condamnés politiques lors du procès du réseau Belliraj, de l’enclenchement d’une révision constitutionnelle, d’une liberté de ton plus grande y compris s’agissant des pouvoirs royaux – contraire. Là encore, en l’absence d’éléments factuels que seule une enquête policière et judiciaire sérieuse et indépendante pourrait confirmer, je suis extrêmement dubitatif.
Certes, on peut
comme Khalid Jamaï se poser la question « à qui profite le crime? ». Sauf qu’il n’est sans doute pas d’adage judiciaire ayant envoyé plus d’innocents sur l’échafaud ou en prison que celui-là: outre que tous les crimes ne visent pas un profit, pécuniaire ou non, certains profitent à plusieurs personnes ou groupes, et d’autres ne profitent pas du tout à leur auteur. Rechercher le mobile d’un crime peut certes servir dans la phase initiale d’une enquête policière, mais on le fait surtout lorsqu’on ne dispose pas d’éléments factuels: si l’on dispose par exemple de traces ADN, d’enregistrements audiovisuels ou téléphoniques ou de témoignages précis et concordants, la recherche du mobile est secondaire – après tout, le caractère criminel d’un attentat à l’explosif commis en plein jour dans un lieu public très fréquenté ne dépend pas des intentions ayant animé les auteurs d’un tel acte.
Mais à peine ai-je écrit cela que je dois nuancer: la législation anti-terroriste applicable au Maroc (voir les modifications au Code pénal et au Code de procédure pénale apportées par la loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme) attribue au mobile terroriste, défini comme «
l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence » (article 218-1 du Code pénal), le statut combiné d’élément constitutif de l’infraction d’acte de terrorisme et de circonstance aggravante légale. Les conséquences pratiques de cette distinction entre l’acte de terrorisme et l’acte criminel normal sont de deux ordres: des différences procédurales, dont une garde à
vue portée à 12 jours (!), des perquisitions de nuit et des interceptions des communications sur simple décision du procureur du Roi «
en cas d’extrême urgence« ; la compétence d’office de la Cour d’appel de Rabat pour juger des crimes terroristes et surtout l’aggravation des peines prévue à l’article 218-7 du Code pénal. Dans le cas présent, les articles 580, 584 et 585 du Code pénal répriment le fait de détruire volontairement par l’effet de substances explosives des bâtiments habités, fait puni de mort (articles 580 alinéa 1 et 585 du code pénal). L’aggravation de peine prévue à l’article 218-7 est donc sans effet puisque la peine capitale est de toute façon encourue, que le mobile soit terroriste ou non.
Le makhzen aurait-il donc pu être directement ou indirectement à l’origine de l’attentat de Marrakech, dans une version marocaine de la
stratégie de la tension qu’
Italiens et
Belges connaissent bien? Théoriquement, oui, tout comme le Vatican, la république bolivarienne du Vénézuela ou le Mossad. Il ne s’agissait pas d’une attaque nucléaire, et les moyens utilisés ne nécessitent guère plus que quelques
butagaz, des clous et quelques substances chimiques accessibles dans n’importe quelle droguerie. Le mode d’emploi de ce type d’explosifs est probablement accessible en plusieurs langues sur le net, et le nombre de personnes impliquées ne dépasse probablement pas la douzaine, dont toutes n’avaient pas à être informées des détails de l’opération.
Mais ce n’est pas parce que quelqu’un a la faculté théorique de commettre un crime qu’il l’a nécessairement commis – après tout, j’étais théoriquement capable d’assassiner Olof Palme à Stockholm le 28 février 1986 mais je ne l’ai pas fait.
Le makhzen a certes été capable de manipuler la violence d’islamistes radicaux dans le passé: les proches d’Omar Benjelloun en savent quelque chose, lui qui fût assassiné le 18 décembre 1975 par des éléments de la Chabiba islamiya,
probablement sur instigation du makhzen. De manière moins sanglante et plus récente, on a vu le makhzen susciter
des manifestations à tonalité salafiste contre Le Journal Hebdomadaire d’Aboubakr Jamaï pour sa couverture de l’affaire des caricatures danoises, et on a pu assister au spectacle récent de
Mohamed Fizazi, un des chioukhs de la Salafia jihadia, récemment grâcié en raison de
sa renonciation publique au terrorisme,
s’épandre publiquement contre les athées du mouvement contestataire du 20 février…
ADDENDUM: Mohamed Fizazi a par la suite nié avoir tenu les propos qui lui ont été reprochés au sujet du 20 février.
Cette pourrait être considérée comme renforcée par certaines déclarations de responsables gouvernementaux: ainsi, quelques temps après la chute de Benali et de Moubarak, le ministre des affaires étrangères Taïeb Fassi Fihri déclarait que les révolutions arabes feraient le bonheur d’Al Qaïda:
“Al Qaeda can exploit the situation because Al Qaeda is present in the Maghreb” as well other African locales, Moroccan Foreign Minister Taieb Fassi-Fihri told The Brookings Institution.
He said that while there are many unknowns about what will emerge from the changes sweeping the Middle Eastlandscape, “What’s assured is that Al Qaeda will … test, will try to take advantage of the opportunity of these question marks.”
He noted, “Al Qaeda loves the places where there is no strong democratic, national power.” (Jerusalem Post)
De même, Mohamed Fadil Redouane, spécialiste de l’islamisme au Maroc, doctorant à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, interrogé sur le site du Monde des religions, affirme que « de nombreuses questions restent pour l’instant sans réponse, mais des centres de pouvoir internes sont, selon moi, un commanditaire tout aussi crédible que la piste islamiste« . Un think-tank belge, l’ESISC de Claude Moniquet, qui publie par ailleurs la lettre d’information de l’ambassade du Maroc en Belgique (un grand merci à Pierre-Yves Lambert de me l’avoir indiqué), souligne ainsi que l’attentat est probablement l’oeuvre d’AQMI:
The attack has not yet been claimed, but we assess it must be the work of a well organized terrorist organization. Likely a terrorist cell linked to AQIM (al-Qaeda in the Islamic Maghreb) or the local Moroccan Islamist Combat Group (Groupe Islamique Combattant Marocain, GICM).
Given the skill of the Moroccan security services, we think that this attack must have been prepared on a long time and maybe from abroad.
Enfin, un rapport d’un think-tank étatsunien cité avec faveur par la MAP soulignait, en février, les dangers que les révolutions arabes faisaient peser en matière d’activités terroristes d’Al Qaïda – « New Report Warns al-Qaeda is Extending ‘Arc of Instability’ Across Africa, Threatens to Exploit N. Africa Unrest, W. Sahara Impasse to Target US, Europe« .
Mais pour que cette thèse soit plausible, il faudrait imaginer une chaîne administrativo-politique ayant diffusé les instructions ou le feu vert en faveur de l’attentat de Marrakech, visant des touristes étrangers. Je ne vais même pas spéculer sur le nombre de personnes impliquées dans une telle chaîne – ou plutôt conspiration – ni sur la probabilité que toutes ces personnes aient pu garder le silence sur une conspiration aussi criminelle. Je me bornerai à souligner qu’aucun précédent n’existe d’une telle opération tordue au Maroc depuis 1975, en pleines années de plomb.
On peut certes théoriquement imaginer une initiative locale au sein de l’appareil sécuritaire afin de faire ou laisser faire cet attentat. Cette hypothèse est encore moins crédible que la précédente. Quiconque connaît un peu l’appareil administratif marocain, y compris le sécuritaire, sait que ce type d’initiative spectaculaire n’est pas vraiment le genre de la maison makhzen. Il y a bien des dissensions entre les différents clans – celui autour de Mounir Majidi, celui autour de Fouad Ali el Himma, et l’appareil sécuritaire dominé par
Yassine Mansouri, et ceci sans compter les militaires (le commandant de la gendarmerie royale Hosni Benslimane et l’inspecteur général des FAR, le général
Abdelaziz Bennani).
Mounir Majidi semble en mauvaise posture, avec des rumeurs alternées (et contradictoires) de
départ à l’étranger et
d’enquête de la Bank al Maghrib couplée à une interdiction de quitter le territoire marocain (la source de ce qui sont simplement des rumeurs est identique, demainonline.com d’Ali Lmrabet…), tandis que les tenants d’une approche éradicatrice vis-à-vis des islamistes peuvent être déçus de la libération récente de salafistes, et de la cooptation de certains d’entre eux, comme Mohamed Fizazi et
le cheikh pédophile Mohamed al Maghraoui. La
garde à vue et les poursuites contre Rachid Nini – très ironiquement pour ses critiques contre les excès de la lutte anti-terroriste au Maroc – qui a été tantôt un instrument de propagande très utile au makhzen, indiquent bien que tout le monde au sein du groupe très restreint qui détient la réalité du pouvoir politique et sécuritaire au Maroc n’est pas sur la même longueur d’onde. Mais des rivalités claniques, personnelles et idéologiques ne sont pas une nouveauté au sein du makhzen, et étaient probablement plus féroces encore sous Hassan II (que l’on pense à Oufkir, Dlimi et Basri), sans pour autant aboutir à ce type de conspiration machiavélique.
Les Marocains semblent plus doués en théorie du complot qu’en toute autre discipline académique. La lucidité impose cependant de reconnaître les complots quand les faits indiquent qu’ils existent, et pas simplement parce que cela serait politiquement opportun. Si complot il y a, les faits devront l’établir.
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