Ali Anouzla et l’article 133 du Code pénal marocain

La détention de Ali Anouzla accusé de diverses infractions à la législation anti-terroriste – et le sort des deux sites d’information Lakome.com et lakome.fr, le dernier étant géré par Aboubakr Jamaï, ont déclenché un torrent de commentaires, rumeurs, altercations, procès d’intentions, insultes, reproches et postures moralisatrices. Ceux que cette aspect des choses intéresse ne trouveront malheureusement pas leur bonheur ici. Indépendamment des péripéties que je viens de citer, j’estime en effet que quelqu’un qui est en liberté – même relative dans le cas d’un citoyensujet marocain – n’a aucun droit à donner des leçons de morale à un détenu politique qui cherche à quitter la détention, dans les conditions de détention que l’on connaît au Maroc. Il serait donc indécent de ma part de commenter les choix d’Ali Anouzla dans le cadre d’une défense s’inscrivant dans un procès politique où les considérations juridiques sont, au Maroc, secondaires. D’autre part, l’intéressé étant enfermé, nul ne peut réellement savoir ce qu’il pense ou ce qu’il a déclaré sur les différents aspects de son affaire. Enfin, et beaucoup l’oublient, le problème fondamental n’est pas qui a dit quoi sur qui ou qui pense quoi de qui, mais plutôt qu’un journaliste est enfermé depuis plus d’un mois pour avoir posté un lien dans un article de presse. Mais il faut croire que, une fois de plus, le tberguig prend le pas sur le politique…

Mais faisons un retour à la politique-fiction: faisons comme si le Maroc était un Etat de droit avec une justice indépendante et comme si le droit était une considération déterminante dans l’affaire Anouzla.

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La question de l’intention criminelle – je prends ici crime au sens large d’infraction, et non pas dans l’acception qu’en fait l’article 16 du Code pénal –  est fondamentale en droit pénal. En effet, sans intention criminelle, pas de responsabilité pénale. C’est ainsi que les mineurs et les « aliénés mentaux« , pour utiliser la terminologie délicieusement obsolète de notre Code pénal ne sont pas punissables, en raison du manque de discernement dont ils souffrent et qui est réputé alors écarter la possibilité de reconnaître à leurs actes – même commis en violation de la loi pénale – un caractère intentionnel. Si l’élément matériel de l’infraction (c’est-à-dire l’acte ou l’omission punissable par la loi pénale – actus reus pour utiliser la terminologie pénaliste anglo-saxonne) existe, le défaut d’élément moral ou intentionnel (c’est-à-dire l’intention de commettre l’acte ou l’omission réprimée par la loi – mens rea) empêche l’application d’une sanction pénale (1).

Le Code pénal marocain reprend ces principes bien connus du droit pénal, en écartant toute sanction pénale pour les mineurs et les personnes n’étant pas saines d’esprit.

Les mineurs tout d’abord (notons que la minorité absolue est très basse, seulement douze ans, avec un régime intermédiaire d’irresponsabilité partielle pour les mineurs entre douze et dix-huit ans):

SECTION III DE LA MINORITE PENALE

Article 138
Le mineur de moins de douze ans est considéré comme irresponsable pénalement par défaut de discernement.

Il ne peut faire l’objet que des dispositions du livre III de la loi relative à la procédure pénale .

Article 139
Le mineur de douze ans qui n’a pas atteint dix-huit ans est, pénalement, considéré comme partiellement irresponsable en raison d’une insuffisance de discernement.

Le mineur bénéficie dans le cas prévu au premier alinéa du présent article de l’excuse de minorité, et ne peut faire l’objet que des dispositions du livre III de la loi relative à la procédure pénale .

Article 140
Les délinquants ayant atteint la majorité pénale de dix-huit ans révolus, sont réputés pleinement responsables.

Les « aliénés » ensuite:

SECTION II DE L’ALIENATION MENTALE

Article 134
N’est pas responsable et doit être absous celui qui, au moment des faits qui lui sont imputés, se trouvait par suite de troubles de ses facultés mentales dans l’impossibilité de comprendre ou de vouloir.

En matière de crime et de délit, l’internement judiciaire dans un établissement psychiatrique est ordonné dans les conditions prévues à l’article 76.

En matière de contravention, l’individu absous, s’il est dangereux pour l’ordre public, est remis à l’autorité administrative.

Article 135
Est partiellement irresponsable celui qui, au moment où il a commis l’infraction, se trouvait atteint d’un affaiblissement de ses facultés mentales de nature à réduire sa compréhension ou sa volonté et entraînant une diminution partielle de sa responsabilité.

En matière de crime et de délit, il est fait application au coupable des peines ou mesures de sûreté prévues à l’article 78.

En matière de contravention, il est fait application de la peine, compte tenu de l’état mental du contrevenant.

Article 136
Lorsqu’une juridiction d’instruction estime qu’un inculpé présente des signes manifestes d’aliénation mentale, elle peut, par décision motivée, ordonner son placement provisoire dans un établissement psychiatrique en vue de sa mise en observation et, s’il y a lieu, de son hospitalisation dans les conditions prévues par le dahir n° l-58-295 du 21 chaoual 1378 (30 avril 1959) relatif à la prévention et au traitement des maladies mentales et à la protection des malades mentaux .

Le chef du parquet général de la cour d’appel devra être avisé par le psychiatre traitant de la décision de sortie, dix jours au moins avant qu’elle ne soit exécutée. Il pourra exercer un recours contre cette décision dans les conditions fixées par l’article 28 du dahir précité. Ce recours sera suspensif.

En cas de reprise des poursuites, et de condamnation à une peine privative de liberté, la juridiction de jugement aura la faculté d’imputer la durée de l’hospitalisation sur celle de cette peine.

Article 137
L’ivresse, les états passionnels ou émotifs ou ceux résultant de l’emploi volontaire de substances stupéfiantes ne peuvent, en aucun cas, exclure ou diminuer la responsabilité.

Les coupables peuvent être placés dans un établissement thérapeutique conformément aux dispositions des articles 80 et 81.

Mais ces deux cas ne sont que des manifestations particulières du principe général, exprimé aux articles 132 et 133 du Code pénal, applicable de manière générale aux personnes autres que les mineurs et les « aliénés« :

CHAPITRE II DE LA RESPONSABILITE PENALE
(Articles 132 à 140)
SECTION I DES PERSONNES RESPONSABLES
(Articles 132 et 133)

Article 132
Toute personne saine d’esprit et capable de discernement est personnellement responsable :
-Des infractions qu’elle commet;
-Des crimes ou délits dont elle se rend complice;
-Des tentatives de crimes;
-Des tentatives de certains délits qu’elle réalise dans les conditions prévues par la loi.

Il n’est dérogé à ce principe que lorsque la loi en dispose autrement.

Article 133
Les crimes et les délits ne sont punissables que lorsqu’ils ont été commis intentionnellement.

Les délits commis par imprudence sont exceptionnellement punissables dans les cas spécialement prévus par la loi.

Les contraventions sont punissables même lorsqu’elles ont été commises par imprudence, exception faite des cas où la loi exige expressément l’intention de nuire.

S’agissant d’Ali Anouzla, rédacteur en chef du site d’actualité arabophone Lakome.com, arrêté le 17 septembre et détenu depuis sur la base d’accusation d’apologie et d’incitation au terrorisme – il avait publié un lien vers une vidéo d’Al Qaïda au Maghreb islamique menaçant le Maroc dans un article consacré à cette vidéo  (« Pour la première fois, AQMI s’attaque à Mohammed VI« )- on peut présumer qu’il n’est ni mineur ni « aliéné« . Il est poursuivi sous le coup de la législation anti-terroriste pour apologie et incitation au terrorisme:

Le parquet général a chargé le juge d’instruction près la cour d’appel de Rabat d’enquêter sur la base d’accusations d' »assistance matérielle« , « d’apologie » et « d’incitation à l’exécution d’actes terroristes« , a indiqué le procureur général du roi dans un communiqué. « L’enquête va se poursuivre dans le cadre de la loi antiterroriste« , avant une éventuelle mise en examen, a précisé une de ses avocats, Naïma Guellaf. (Le Monde)

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Les dispositions pénales en question sembleraient donc être les articles 218-2, 218-4, 218-5 et 218-6 du Code pénal, reproduits ci-après:

Article 218-2

Est puni d’un emprisonnement de 2 à 6 ans et d’une amende de 10.000 à 200.000 dirhams, quiconque fait l’apologie d’actes constituant des infractions de terrorisme, par les discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou les réunions publics ou par des écrits, des imprimés vendus, distribués ou mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics soit par des affiches exposées au regard du public par les différents moyens d’information audio-visuels et électroniques.

Article 218-4

Constituent des actes de terrorisme les infractions ci-après :
– le fait de fournir, de réunir ou de gérer par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, des fonds, des valeurs ou des biens dans l’intention de les voir utiliser ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, en vue de commettre un acte de terrorisme, indépendamment de la survenance d’un tel acte ;
– le fait d’apporter un concours ou de donner des conseils à cette fin.
Les infractions visées au présent article sont punies :
* pour les personnes physiques, de cinq à vingt ans de réclusion et d’une amende de 500.000 à 2.000.000 de dirhams ;
* pour les personnes morales, d’une amende de 1.000.000 à 5.000.000 de dirhams, sans préjudice des peines qui pourraient être prononcées à l’encontre de leurs dirigeants ou agents impliqués dans les infractions.

La peine est portée à dix ans et à trente ans de réclusion et l’amende au double :
– lorsque les infractions sont commises en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle ;
– lorsque les infractions sont commises en bande organisée ;
– en cas de récidive.

La personne coupable de financement du terrorisme encourt, en outre, la confiscation de tout ou partie de ses biens.

Article 218-5

Quiconque, par quelque moyen que ce soit, persuade, incite ou provoque autrui à commettre l’une des infractions prévues par le présent chapitre, est passible des peines prescrites pour cette infraction.

Article 218-6

Outre les cas de complicité prévus à l’article 129 du présent code, est puni de la réclusion de dix à vingt ans, quiconque, sciemment, fournit à une personne auteur, coauteur ou complice d’un acte terroriste, soit des armes, munitions ou instruments de l’infraction, soit des contributions pécuniaires, des moyens de subsistance, de correspondance ou de transport, soit un lieu de réunion, de logement ou de retraite ou qui les aide à disposer du produit de leurs méfaits, ou qui, de toute autre manière, leur porte sciemment assistance.

Toutefois, la juridiction peut exempter de la peine encourue les parents ou alliés jusqu’au quatrième degré, inclusivement, de l’auteur, du coauteur ou du complice d’un acte terroriste, lorsqu’ils ont seulement fourni à ce dernier logement ou moyens de subsistance personnels.

Les chefs d’inculpation retenus sont très larges, objectif par ailleurs des législations anti-terroristes qui pullulent de par le monde, et pas seulement depuis le 11 septembre: le droit anti-terroriste est généralement un droit d’exception visant soit à réprimer des actes généralement non-réprimés, soit à étendre la culpabilité pour terrorisme à des actes préparatoires, soit à aggraver les peines applicables, soit, comme au Maroc, à cumuler tous ces objectifs.

Mais pour déterminer s’il y a apologie de terrorisme, encore faut-il définir ce qu’est le terrorisme. Si c’est une définition notoirement difficile à cerner sur le plan international, le législateur marocain en a fait la définition à l’article 218-1 – adopté le 28 mai 2003, dans la foulée des attentats du 16 mai 2003:

Article 218-1

Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence, les infractions suivantes :
1) l’atteinte volontaire à la vie des personnes ou à leur intégrité, ou à leurs libertés, l’enlèvement ou la séquestration des personnes ;
2) la contrefaçon ou la falsification des monnaies ou effets de crédit public, des sceaux de l’Etat et des poinçons, timbres et marques, ou le faux ou la falsification visés dans les articles 360, 361 et 362 du présent code ;
3) les destructions, dégradations ou détériorations ;
4) le détournement, la dégradation d’aéronefs ou des navires ou de tout autre moyen de transport, la dégradation des installations de navigation aérienne, maritime et terrestre et la destruction, la dégradation ou la détérioration des moyens de communication ;
5) le vol et l’extorsion des biens ;
6) la fabrication, la détention, le transport, la mise en circulation ou l’utilisation illégale d’armes, d’explosifs ou de munitions ;
7) les infractions relatives aux systèmes de traitement automatisé des données ;
8) le faux ou la falsification en matière de chèque ou de tout autre moyen de paiement visés respectivement par les articles 316 et 331 du code de commerce ;
9) la participation à une association formée ou à une entente établie en vue de la préparation ou de la commission d’un des actes de terrorisme ;
10) le recel sciemment du produit d’une infraction de terrorisme.

De manière classique, le législateur a prévu une liste d’infractions matérielles lesquelles constituent des actes de terrorisme si elles sont commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective visant à porter gravement atteinte à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence. Les infractions terroristes figurant aux articles 218-2 à 218-8 découlent, quant à leur caractérisation de « terroristes« , de cette définition-là.

Toutes ces infractions sont soit des délits (c’est-à-dire des infractions punissables d’un mois à cinq ans de détention – cf. article 17 du Code pénal) soit des crimes (infractions punissables de cinq ans ou plus de réclusion, ou de la peine capitale – cf. article 16 du Code pénal). Elles tombent donc sous l’empire de l’article 133 du Code pénal cité plus haut: « les crimes et les délits ne sont punissables que lorsqu’ils ont été commis intentionnellement« . Ne peut donc commettre un crime ou délit à caractère terroriste que celui qui en avait l’intention clairement exprimée. L’imprudence n’est pas punissable – l’alinéa 3 de l’article 133 prévoit ainsi que « les contraventions sont punissables même lorsqu’elles ont été commises par imprudence, exception faite des cas où la loi exige expressément l’intention de nuire« . Ceci veut dire qu’a contrario, les infractions autres que conventionnelles ne sont pas punissables lorsque’elles ont été commises par imprudence – sauf si bien évidemment la loi en dispose autrement.

Il en découle donc qu’a supposer que la matérialité des faits reprochés à Ali Anouzla soit établie – ce qui est discutable, nous allons le voir – encore faut-il prouver qu’Ali Anouzla ait eu l’intention de commettre les infractions qui lui sont reprochées – apologie du terrorisme (article 218-2 du Code pénal), incitation à la commission d’actes terroristes (article 218-5 du Code pénal) et soutien matériel au terrorisme (article 218-4 ou 218-6 du Code pénal). Le comparatiste notera au passage que la notion de soutien matériel est identique à la notion de « material support » qui a cours en vertu de l’US Patriot Act étatsunien.

Il faudrait donc que la publication du lien vers le site de Lakome.fr ayant publié la vidéo ait été faite par Ali Anouzla dans le but de faire l’apologie, d’inciter à l’accomplissement ou de soutenir matériellement les actes terroristes d’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dont ces derniers menacaient le Maroc dans cette vidéo. Pour déterminer si tel était son but, il faudrait bien évidemment prouver qu’il soutienne les buts terroristes d’AQMI, et qu’en publiant ce lien vers leur vidéo il entendait soit les soutenir, soit faire l’apologie de leurs activités terroristes, soit inciter ses lecteurs à commettre des actes terroristes. Un commentaire objectif des menaces d’un groupe terroriste et l’indication d’un lien vers la vidéo dans laquelle celui-ci proférait ces menaces ne constitue ni apologie (« discours ou écrit glorifiant un acte expressément réprimé par la loi pénale«  selon Larousse) ni incitation (« action d’inciter, de pousser à faire quelque chose » toujours selon Larousse).

Or, le texte de l’article litigieux se borne à présenter la « vidéo de propagande » – tels sont les termes utilisés par Lakome.com –  d’AQMI, d’indiquer qu’elle menace explicitement et pour la première fois tant le Maroc que son Roi, et énumérant les motifs donnés par AQMI pour ces menaces, dont la coopération sécuritaire avec les Etats-Unis.L’article s’achevait en relevant qu’AQMI n’avait jamais frappé le Maroc, et évoquait l’attentat de l’Argana à Marrkech en mai 2011 pour souligner qu’AQMI accusait les autorités marocaines d’en être les instigatrices. On a vu mieux comme appel au jihad – et on notera l’absence de tout remarque positive, laudatrice ou appelant à suivre l’appel d’AQMI dans le chef de Lakome.

Bref, face à des juges indépendants et impartiaux, non seulement Ali Anouzla ne serait jamais condamné mais il serait en toute probabilité jamais poursuivi. A titre de comparaison, on peut comparer avec la pratique française de ces dernières années – je ne partage pas l’obsession marocaine pour tout ce qui est français, mais il se trouve qu’une comparaison intéressante est possible.

On notera tout d’abord l’arrestation récente – le 20 septembre, soit trois jours après Ali Anouzla –  d’un Français converti à l’islam pour apologie de terrorisme. Avait-il publié un lien vers une vidéo d’Al qaïda? Non: il était l’administrateur d’un site jihadiste Ansar al haqq et traducteur de la version française de la revue électronique d’Al Qaïda, Inspire… Si Romain L., alias alias Abou Siyad al Normandi a certes publié des communiqués d’AQMI sur le forum qu’il administrait, on peut présumer que le contexte de ces publications – de par l’idéologie de Romain L et des visiteurs du forum qu’il animait – pouvait amener à donner à ces publications un caractère apologétique. Mais ce sont surtout ses traductions pour Inspire ainsi que sa diffusion de ce magazine d’Al Qaïda qui ont suscité l’intérêt du ministère public:

« L’enquête démontre que Romain L. a en outre et surtout eu un rôle actif dans la traduction en langue française et la diffusion du dixième et onzième opus de la revue électronique Inspire, revue de propagande anglophone destinée à toucher une audience des plus larges, créée le 2 juillet 2010 par Al Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA), relayant des écrits de cadres d’AQPA tout à la fois apologétiques, incitatifs et opérationnels« , a ajouté le parquet.

« La revue Inspire contient des articles théologiques, des récits de combattants exhortant au jihad, mais aussi des cibles et des manuels pratiques, comme « Comment construire une bombe dans la cuisine de votre mère ». « L’émergence d’une communauté jihadiste virtuelle, qui attire un public de plus en plus large et de plus en plus jeune, vecteur de propagande, de radicalisation et de recrutement, à l’origine du basculement d’individus isolés dans le terrorisme, est au coeur des préoccupations en matière de lutte contre le terrorisme« , a souligné le parquet de Paris. (Tendance Ouest)

Abou Siyad al Normandi n’était donc pas un rédacteur en chef d’un site d’actualité généraliste et non-partisan, couvrant de manière neutre et objective l’actualité, y compris celle en relation avec le terrorisme. Il n’était pas un rédacteur en chef n’ayant jamais déclaré son appartenance idéologique et n’ayant pas exprimé de sympathie pour l’idéologie du groupe terroriste dont il a diffusé des communiqués. Il n’a pas non plus qualifié les communiqués d’Al Qaïda de « propagande« .

Autre cas, plus célèbre celui-là, et critiqué en doctrine: l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2008 dans l’affaire Leroy contre France. Rappel des faits: un caricaturiste basque signant sous le nom de plume Guezmer (alais Denis Leroy) publia dans la revue indépendantiste franco-basque Ekaitza une caricature le 13 septembre 2001 avec pour légende « NOUS EN AVIONS TOUS RÊVÉ … LE HAMAS L’A FAIT ». Poursuivi pour apologie du terrorisme, il fût condamné à 1.500 euros d’amende. Ayant succombé tant en appel qu’en cassation, il se tourna vers la Cour EDH, invoquant l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme – sans succès:

41. La Cour relève d’emblée que les actes tragiques du 11 septembre 2001 qui sont à l’origine de l’expression litigieuse ont entraîné un chaos mondial et que les questions abordées à cette occasion, y compris l’interprétation qu’en fait le requérant, relèvent du débat d’intérêt général.

42. La Cour note que le dessin montrant la destruction des tours accompagné de la légende « nous en avions tous rêvé, le Hamas l’a fait », pastichant un slogan publicitaire d’une grande marque, a été considéré par les juridictions nationales comme constitutif de complicité d’apologie du terrorisme. Selon les autorités, même non suivie d’effet, la publication litigieuse revendique l’efficacité de l’acte terroriste en idéalisant les attentats perpétrés le 11 septembre. Ainsi, la cour d’appel a jugé « qu’en faisant une allusion directe aux attaques massives dont Manhattan a été le théâtre, en attribuant ces événements à une organisation terroriste notoire, et en idéalisant ce funeste projet par l’utilisation du verbe rêver, donnant une valorisation non équivoque à un acte de mort, le dessinateur justifie le recours au terrorisme, adhérant par l’emploi de la première personne du pluriel (« nous » à ce moyen) de destruction, présenté comme l’aboutissement d’un rêve et en encourageant indirectement en définitive le lecteur potentiel à apprécier de façon positive la réussite d’un fait criminel ». Le requérant reproche à la cour d’appel d’avoir nié sa véritable intention, qui relevait de l’expression politique et militante, celle d’afficher son antiaméricanisme à travers une image satirique et d’illustrer le déclin de l’impérialisme américain. Selon lui, les éléments constitutifs de l’apologie du terrorisme n’étaient pas réunis en l’espèce pour justifier une restriction à la liberté d’expression.

43. La Cour ne partage pas l’analyse du requérant. Elle estime au contraire que le critère mis en œuvre par la cour d’appel de Pau pour juger du caractère apologétique du message délivré par le requérant est compatible avec l’article 10 de la Convention. Certes, l’image des quatre immeubles de grande hauteur qui s’effondrent dans un nuage de poussière peut en soi démontrer l’intention de l’auteur. Mais vue ensemble avec le texte qui l’accompagne, l’œuvre ne critique pas l’impérialisme américain, mais soutient et glorifie sa destruction par la violence. A cet égard, la Cour se base sur la légende accompagnant le dessin et constate que le requérant exprime son appui et sa solidarité morale avec les auteurs présumés par lui de l’attentat du 11 septembre 2001. De par les termes employés, le requérant juge favorablement la violence perpétrée à l’encontre des milliers de civils et porte atteinte à la dignité des victimes. La Cour approuve l’avis de la cour d’appel selon laquelle « les intentions du requérant étaient étrangères à la poursuite » ; celles-ci n’ont d’ailleurs été exprimées que postérieurement et n’étaient pas de nature, au vu du contexte, à effacer l’appréciation positive des effets d’un acte criminel. Elle relève à cet égard que la provocation n’a pas à être nécessairement suivie d’effet pour constituer une infraction (voir, paragraphe 14 ci-dessus ; voir également le paragraphe 19, et particulièrement l’article 8 de la Convention pour la prévention du terrorisme).

44. Certes, cette provocation relevait de la satire dont la Cour a dit qu’il s’agissait d’une « forme d’expression artistique et de commentaire social [qui] par ses caractéristiques intrinsèques d’exagération et de distorsion de la réalité, (…) vise naturellement à provoquer et à susciter l’agitation (Vereinigung Bildender Künstler, précité, § 33). Elle a ajouté aussi que toute atteinte au droit d’un artiste de recourir à pareil mode d’expression doit être examinée avec une attention particulière (ibidem). Toutefois, il n’en reste pas moins que le créateur, dont l’œuvre relève de l’expression politique ou militante, n’échappe pas à toute possibilité de restriction au sens du paragraphe 2 de l’article 10 : quiconque se prévaut de sa liberté d’expression assume, selon les termes de ce paragraphe, des « devoirs et responsabilités».

45. A cet égard, si les juridictions internes n’ont pas pris en compte l’intention du requérant, elles ont en revanche, en vertu de l’article 10, examiné si le contexte de l’affaire et l’intérêt du public justifiaient l’éventuel recours à une dose de provocation ou d’exagération. Force est de constater à cet égard que la caricature a pris une ampleur particulière dans les circonstances de l’espèce, que le requérant ne pouvait ignorer. Le jour des attentats, soit le 11 septembre 2001, il déposa son dessin et celui-ci fut publié le 13 septembre, alors que le monde entier était sous le choc de la nouvelle, sans que des précautions de langage ne soient prises de sa part. Cette dimension temporelle devait passer, selon la Cour, pour de nature à accroître la responsabilité de l’intéressé dans son compte rendu ‑ voire soutien ‑ d’un événement tragique, qu’il soit pris sous son angle artistique ou journalistique. De plus, l’impact d’un tel message dans une région politiquement sensible n’est pas à négliger ; nonobstant son caractère limité du fait de sa publication dans l’hebdomadaire en question, la Cour constate cependant que celle-ci entraîna des réactions (paragraphe 10 ci-dessus), pouvant attiser la violence et démontrant son impact plausible sur l’ordre public dans la région.

46. La Cour parvient en conséquence à la conclusion que la « sanction » prononcée contre le requérant repose sur des motifs « pertinents et suffisants ».

47. La Cour note aussi que le requérant a été condamné au paiement d’une amende modérée. Or, la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence.

Dans ces circonstances, et eu égard en particulier au contexte dans lequel la caricature litigieuse a été publiée, la Cour estime que la mesure prise contre le requérant n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi.

Là aussi, on est très loin du cas de figure de Ali Anouzla: Denis Leroy a été condamné pour avoir publié un dessin se réjouissant ouvertement des attentats terroristes du 11 septembre à New York. Il ne s’agissait pas d’information factuelle, mais de journalisme d’opinion par le truchement d’une caricature. Mais même dans ce cas, Denis Leroy ne fût jamais privé de liberté, sa seule sanction pénale étant une amende modérée. Cet arrêt a cependant été critiqué (ici par exemple), ce qui peut se comprendre si on se réfère aux conclusions des experts du Conseil de l’Europe en matière de terrorisme (réunis au sein du CODEXTER), consignées dans un rapport de 2004, cité dans l’arrêt Leroy contre France:

« (…) Le CODEXTER-Apologie a décidé de se concentrer sur les expressions publiques de soutien à des infractions terroristes et/ou à des groupes terroristes ; le lien de causalité – direct ou indirect – avec la perpétration d’une infraction terroriste ; la relation temporelle – antérieure ou postérieure – avec la perpétration d’une infraction terroriste.

Le comité s’est donc concentré sur le recrutement de terroristes et la création de nouveaux groupes terroristes ; l’instigation de tensions ethniques et religieuses qui peuvent servir de base au terrorisme ; la diffusion de « discours de haine » et la promotion d’idéologies favorables au terrorisme, tout en accordant une attention particulière à la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme concernant l’application du paragraphe 2 de l’article 10 de la CEDH et à l’expérience des Etats dans la mise en œuvre de leurs dispositions nationales sur « l’apologie du terrorisme » et/ou « incitement to terrorism » afin d’analyser attentivement le risque potentiel de restriction des libertés fondamentales. (…)

La question est de savoir où se trouve la limite entre l’incitation directe à la commission d’infractions terroristes et l’expression légitime d’une critique, et c’est cette question que le CODEXTER a examinée. (…)

La provocation directe ne soulève pas de problème particulier, dans la mesure où elle est déjà érigée, sous une forme ou une autre, en infraction pénale dans la plupart des systèmes juridiques. L’incrimination de la provocation indirecte vise à combler les lacunes existantes en droit international ou dans l’action internationale en ajoutant des dispositions dans ce domaine.

Les Parties disposent d’une certaines latitude en ce qui concerne la définition de l’infraction et sa mise en œuvre. Par exemple la présentation d’une infraction terroriste comme nécessaire et justifiée pourrait être constitutive d’une infraction d’incitation directe.

Toutefois, cet article ne s’applique que si deux conditions sont réunies. En premier lieu, il doit y avoir une intention expresse d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, critère auquel s’ajoutent ceux énoncés au paragraphe 2 (voir ci-dessous), à savoir que la provocation doit être commise illégalement et intentionnellement.

Deuxièmement, l’acte considéré doit créer un risque de commission d’une infraction terroriste. Pour évaluer si un tel risque est engendré, il faut prendre en considération la nature de l’auteur et du destinataire du message, ainsi que le contexte dans lequel l’infraction est commise, dans le sens établi par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. L’aspect significatif et la nature crédible du risque devraient être pris en considération lorsque cette disposition est appliquée, conformément aux conditions établies par le droit interne. (…) »

En l’occurence, dans l’affaire Denis Leroy, il n’est pas sûr que ces deux dernières conditions aient été réunies. Que dire alors d’un cas comme celui de Ali Anouzla, même si la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas applicable? On notera ainsi que c’est sur le site de Lakome.fr, dirigé par Aboubakr Jamaï, que la vidéo fût publiée la première fois – mais Jamaï n’a pas été poursuivi. On relévera également que Ali Anouzla a déjà été dans le collimateur du makhzen, et que cette affaire a abouti à la plus grande opération de censure d’Internet de l’histoire de la répression au Maroc

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Pas étonnant donc que le Maroc soit classé 136e au classement RSF – certes non scientifique – sur la liberté de la presse dans le monde, soit après l’Afghanistan…

En savoir plus:

– « Affaire Ali Anouzla. Communiqué de Lakome« ;
– « Communiqué d’Aboubakr Jamaï« , Lakome;
– « In Morocco, Why is a Journalist Really Behind Bars?« , Eric Goldstein, HRW;
– « MOROCCO: JOURNALIST HELD FOR ARTICLE ON AQIM VIDEO: ALI ANOUZLA« , Amnesty International;
– « Maroc: pour Aboubakr Jamaï, l’arrestation d’Ali Anouzla est «un attentat contre la liberté d’expression»« ;
– « Le journaliste Ali Anouzla dans les griffes du pouvoir« , par Moulay Hicham;
– « USFP : la députée Hassnae Abou Zaid dénonce les accusations de Karim Ghellab dans l’affaire Anouzla« ;
– « Karim Tazi : Ali Anouzla «paie le prix» du DanielGate« ;
– « Ali Anouzla, le messie d’une aube nouvelle » par Ali Amar;
– « A quoi sert un bon journaliste au Maroc? » par Driss Ksikes;
– « Ali Anouzla, un journaliste trop libre toujours en prison« par Ali Sbaï de Lakome;
– « Maroc : Plus de 60 organisations appellent à la libération d’Ali Anouzla« , Yabiladi.com;
– « Affaire Ali Anouzla. Mobilisation sans précédent des journalistes marocains« , Lakome;
– « Website editor held for posting Al Qaeda video« , RSF;
– « Nous sommes tous Ali Anouzla« , Goud.ma (mais ça date de ce printemps et il s’agissait alors du Sahara…).

Quelques considérations juridiques sur la notion d’apologie du terrorisme et la lutte anti-terroriste au Maroc:
– « “Apologie du terrorisme” et “Incitement to terrorism”« , du Comité des experts sur le terrorisme du Conseil de l’Europe;
– « Speaking of terror: A survey of the effects of counter-terrorism legislation on freedom of the media in Europe » de David Banisar, pour le compte du Conseil de l’Europe;
– « RECUEIL DE LA JURISPRUDENCE PERTINENTE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME SUR L’APOLOGIE DU TERRORISME (2004-2008)« , Conseil de l’Europe;
– « International Commission of Jurists: Response to the European Commission Consultation on Inciting, Aiding or Abetting Terrorist Offences« , International Commission of Jurists;
– « BACKGROUND PAPER ON Human Rights Considerations in Combating Incitement to Terrorism and Related Offences« , Organisation for Security and Co-operation in Europe, Office for Democratic Institutions and Human Rights;
– « Freedom of Speech, Support for Terrorism, and the Challenge of Global Constitutional Law« , Daphne Barak-Erez et David Scharia, Harvard National Security Joiurnal;
– « MILITANT SPEECH ABOUT TERRORISM IN A SMART MILITANT DEMOCRACY« , Clive Walker, Mississippi Law Journal;
– « Incitement to Terrorism: A Matter of Prevention or Repression?« , The International Centre for Counter‐Terrorism;
– « The effects of counter-terrorism legislation on freedom of speech in Europe« , Mathias Vermeulen;
– « LES AUTORITES MAROCAINES A L’EPREUVE DU TERRORISME : LA TENTATION DE L’ARBITRAIRE: Violations flagrantes des droits de l’Homme dans la lutte anti-terroriste« , FIDH.

(1) Vous trouverez ici une explication très pédagogique des notions d’actus reus et de mens rea, en français et sur base du droit pénal canadien.

Projet de loi anti-normalisation au Maroc – une proposition

J’avais été consulté en 2012 par un collectif BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) au Maroc sur un projet de loi BDS, ou anti-normalisation, et voici ce que j’avais proposé. Je n’ai pas l’impression que ce projet ai recueilli l’accord du collectif, et ne sais pas très bien ce qui en ressorti. Mes lignes directrices étaient cependant les suivantes:

  • Il s’agissait de présenter un projet de loi sérieux et exhaustif – pas seulement deux ou trois articles punissant de manière drastique des activités mal définies, et sans tenir en compte les principes de proportionnalité et de dérogations légitimes qui font partie de tout projet de BDS sérieux;
  • Il s’agissait de rédiger un projet de loi neutre, c’est-à-dire ne visant pas nécessairement Israël, mais tout Etat violant de manière grave le droit international;
  • Sachant cependant qu’Israël serait visé en premier lieu, il s’agissait de préserver les intérêts légitimes des Marocains de confession juive, résidant ou non au Maroc, à maintenir des liens familiaux ou religieux avec soit leur famille ou des institutions religieuses, au Maroc ou ailleurs;
  • L’aspect pénal n’est pas le plus intéressant, car le mouvement BDS a fort justement identifié deux nerfs de la guerre – l’argent et la symbolique – l’argent, parce que cela frappe Israël au portefeuille, et le symbolique, parce que cela participe de manière très visible aux efforts pour dénoncer la normalisation d’un Etat qui viole de manière flagrante et répétée ses obligations internationales. Je ne propose que des peines de prison légère, de un à six mois, mais que pour ceux qui usent de manoeuvres frauduleuses pour contourner la loi. Ceux qui enfreignent les interdictions sans manoeuvres frauduleuses de ce type n’encourent que des peines pécuniaires.
  • Je n’ai pas cherché à incriminer l’apologie de crimes de guerre ou de violations graves du droit international humanitaire, car je suis dans une optique BDS plus que pénale;
  • C’est un projet. Je n’ai pas d’avis tranché sur certains points, et pourrais notamment envisager que les activités culturelles seraient exclues du cahmp d’application de la loi. Mais cette option n’a pas eu ma faveur, car les activités culturelles sont une partie importante du travail de conscientisation opéré par le BDS, et je me repose également sur le fait que le boycott du régime de l’apartheid sud-africain avait le boycott culturel et sportif comme éléments les plus spectaculaires et les plus couverts médiatiquement de son arsenal. Pour faire bref: le boycott culturel et sportif frappe le quidam moyen autrement plus fort que les autres formes de boycott, et permet une forme de mobilisation bien plus large pour la cause du BDS.

Bien sûr, j’entends d’ici les arguments contraires:

  • La loi au Maroc n’est qu’un bout de papier: probablement vrai, même si je crois que la réalité est plus complexe,mais alors il ne faut pas se contenter de commentaires sardoniques sur Twitter et de unlike sur Facebook pour changer cet état des choses;
  • Taza avant Gaza: ce sont souvent les mêmes qui ont mis Téhéran comme « location » sur Twitter lors de la contestation post-électorale en 2009, qui ont adopté des avatars birmans  lorsque la dernière campagne médiatisée sur ce pays fut lancée en France, ou qui trouvent « qu’il faut faire quelque chose en Libye/Iran/Syrie ».
  • C’est un projet de loi antisémite: STQWD Judith Butler a répondu mieux que personne ne pourrait le faire à l’accusation d’antisémitisme (et, au fait, elle est juive);
  • Ce projet de loi va trop loin ou n’intervient pas au bon moment: les mêmes sont généralement contre la résistance armée, contre le BDS (c’est jamais le bon moment) mais sinon c’est triste ce qui se passe en Palestine;
  • Pourquoi cette obsession avec Israël?: justement, ce projet de loi étant neutre quant aux pays pouvant être désignés, rien n’empêche de l’appliquer au gouvernement syrien, par exemple.

Je n’ai pas les textes des deux propositions de loi (les projets de loi émanent du gouvernement, les propositions des parlementaires) que plusieurs partis représentés au Parlement auraient présenté à la Chambre des représentants sur le rejet de la normalisation avec Israël, mais la presse semble se focaliser sur les aspects pénaux, qui ne sont pas les plus importants à mes yeux.

Lectures complémentaires:

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Loi instaurant un régime de sanctions contre les pays commettant des violations graves du droit international

Vu les articles 36, 71 et 154 de la Constitution ;

Vu la Charte des Nations-Unies ;

Vu les Conventions de Genève du 12 août 1949 ainsi que leurs Protocoles additionnels du 8 juin 1977;

Considérant les obligations découlant pour le Royaume du Maroc de son adhésion à l’Organisation des Nations-Unies et de sa ratification des Conventions de Genève relatives au droit de la guerre ainsi qu’à leurs protocoles additionnels ;

A décidé ce qui suit :

Article premier :

Sont interdites toutes relations commerciales et financières entre des personnes physiques et morales de nationalité marocaine, ou de nationalité étrangère mais établies au Maroc, et des personnes physiques et morales de nationalité de pays commettant des violations graves du droit international, ou de nationalité tierce mais établies dans ces pays.

Pour l’application de cette loi, il n’est fait aucune distinction entre personnes morales de droit public ou personnes morales de droit privé.

Par relations commerciales et financières, sont visées toutes transactions, contractuelles ou unilatérales, commerciales ou civiles, à titre onéreux ou gratuit, portant sur l’investissement, la mise à disposition de moyens financiers, la fourniture de produits, la prestation de services, la construction de biens immeubles ainsi que la cession ou l’exploitation de droits de propriété industriels ou intellectuels.

La qualification de « pays » dans le présent article n’implique pas la reconnaissance comme tel par le gouvernement du Royaume du Maroc.

La présente loi ne s’applique pas à la zone d’un pays ainsi désigné si elle est contrôlée par une autorité échappant au contrôle du gouvernement dirigeant le pays concerné, pour autant que cette autorité est officiellement reconnue par le gouvernement marocain.

Les personnes physiques de nationalité marocaine mais disposant également de la nationalité du pays litigieux sont considérées comme exclusivement marocaines pour l’application de la présente loi.

Article 2:

Par violation grave du droit international, sont visés les faits suivants :

  • Les crimes les plus graves visés aux articles 5 à 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998;

  • Les violations des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs Protocoles additionnels du 8 juin 1977, et notamment celles visées aux articles 49 et 50 de la Iere Convention de Genève, aux articles 50 et 51 de la IIe Convention de Genève, aux articles 129 et 130 de la IIIe Convention de Genève, aux articles 146 et 147 de la IVe Convention de Genève et à l’article 85 du Ier Protocole additionnel;

  • Les violations graves ou répétées de résolutions du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations-Unies ;

Article 3:

Peuvent être assimilées aux violations graves visées à l’article 2 celles constatées par des organisations internationales auxquelles adhère le Royaume du Maroc.

Les sanctions décidées par ces organisations internationales peuvent, si leur contenu s’y prête, être régies par la présente loi, sur désignation par un décret ou une loi conformément à l’article 17 du présent texte.

Article 4:

La présente loi ne fait pas obstacle aux relations familiales ou religieuses entre Marocains résidant au Maroc et personnes physiques ou morales de nationalité d’un pays désigné en vertu de la présente loi.

Le service compétent visé à l’article 20 peut accorder des dérogations aux interdictions énoncées par le décret ou la loi pris en application de la présente loi :

  • pour des motifs humanitaires ;

  • en faveur de personnes physiques résidant régulièrement au Maroc au jour de la date d’entrée en vigueur dudit décret ou de ladite loi.

Les dispositions de la présente loi doivent être appliquées et interprétées de manière à ne pas enfreindre les obligations internationales du Royaume du Maroc au titre des traités multilatéraux régulièrement ratifiés et publiés au Bulletin officiel.

Article 5:

Les soumissionnaires aux marchés publics de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics de toute nature, sont tenus de certifier ne pas être dans le cas de figure prohibé à l’article premier, que ce soit en raison de leur nationalité ou de l’origine des fournitures, services ou travaux proposés.

Toute déclaration négative entraîne la mise à l’écart de l’appel d’offres concerné. Toute déclaration mensongère entraîne l’annulation de plein droit du contrat de marché s’il a déjà été attribué, ainsi qu’une mise à l’écart, décidée par le pouvoir adjudicateur, de tout marché public à venir pour la durée de la désignation. Le pouvoir adjudicateur peut également infliger une sanction financière ne pouvant dépasser 10% de la valeur de l’offre soumise par l’entité coupable d’une déclaration mensongère, ou 5 millions de dirhams, selon le cas.

Il ne peut être dérogé à ces dispositions même dans le cas de marchés publics financés, en totalité ou en partie, par des bailleurs de fonds étrangers.

Les modalités pratiques de mises en œuvre de ces dispositions seront détaillées par décret devant intervenir dans un délai de six mois à compter de la publication au Bulletin officiel de la présente loi.

Article 6:

Un contrat ou une obligation conclus avec une personne physique ou morale tombant sous le coup d’une désignation en vertu de la présente loi est illicite au sens des articles 62 à 65 et 72 du Dahir du 12 septembre 1913 formant Code des obligations et des contrats, et ouvre droit aux actions qui y sont prévues. Pour les contrats ou obligations déjà conclues, le délai de prescription court à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.

Article 7:

Les établissements de crédit demandant leur agrément conformément à l’article 27 du dahir n° 1-05-178 portant promulgation de la loi n° 34-03 relative aux établissements de crédit et organismes apparentés doivent certifier à cette occasion leur respect de la présente loi pour tout pays désigné conformément à ses dispositions. Toute déclaration négative entraîne le refus de ladite inscription. Toute déclaration mensongère entraîne l’application des sanctions prévues aux articles 62 et 133 de la loi précitée.

Les établissements de crédit précités ne peuvent effectuer de paiement, virement ou toute autre opération bancaire à destination d’une personne morale ou physique établie dans un pays désigné par la présente loi.

Article 8:

Les sociétés demandant leur inscription à la cote de la bourse des valeurs conformément aux articles 14, 14 bis, 14 ter et 15 du dahir portant loi n° 1-93-211 du 4 rebiaa II (21 septembre 1993) relatif à la bourse des valeurs doivent certifier à cette occasion leur respect de la présente loi pour tout pays désigné conformément à ses dispositions. Toute déclaration négative entraîne le refus de ladite inscription. Toute déclaration mensongère entraîne la radiation de plein droit, selon les modalités prévues par la loi précitée et sans préjudice des sanctions qui y sont prévues.

Les sociétés de bourse demandant leur agrément conformément à l’article 36 de la loi n° 1-93-211 doivent certifier à cette occasion leur respect de la présente loi pour tout pays désigné conformément à ses dispositions. Toute déclaration négative entraîne le refus dudit agrément. Toute déclaration mensongère entraîne la suspension de plein droit, selon les modalités prévues par la loi précitée et sans préjudice des sanctions qui y sont prévues.

Les organismes de placement collectif en valeurs mobilières demandant leur agrément en vertu du dahir portant loi n° 1-93-213 du 4 rebiaa II (21 septembre 1993) relatif aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières doivent certifier à cette occasion leur respect de la présente loi pour tout pays désigné conformément à ses dispositions. Toute déclaration négative entraîne le refus dudit agrément. Toute déclaration mensongère entraîne de plein droit le retrait de l’agrément, selon les modalités prévues par la loi précitée et sans préjudice des sanctions qui y sont prévues.

Les personnes morales faisant appel public à l’épargne conformément au dahir portant loi n° 1-93-212 du 4 rebiaa II (21 septembre 1993) relatif au Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM) et aux informations exigées des personnes morales faisant appel public à l’épargne doivent certifier, dans le document d’information prévu à l’article 13 de ladite loi, leur respect de la présente loi pour tout pays désigné conformément à ses dispositions. Toute déclaration négative entraîne le refus du visa du CDVM. Toute déclaration mensongère entraîne de plein droit du les sanctions prévues par la loi précitée.

Article 9:

Tout salarié ou fonctionnaire est délié de ses obligations en vertu de son contrat de travail ou de son statut dès lors qu’elles portent sur l’exécution d’une transaction visée par la présente loi avec un pays ayant été désigné en vertu de la présente loi.

Article 10:

Est interdite la participation de personnes physiques ou morales, ayant la nationalité d’un pays désigné à l’article premier, à toutes manifestations sportives, scientifiques, académiques ou culturelles ayant lieu au Maroc.

Le paragraphe précédent ne fait pas obstacle à la participation à ces manifestations de personnes physiques ou morales ayant la nationalité litigieuse, dès lors qu’elles ont pris publiquement ou formellement position contre les violations graves du droit international ayant entraîné les sanctions adoptées en vertu de la présente loi, ou que leur participation vise à témoigner sur ou dénoncer lesdites violations.

Le paragraphe premier du présent article ne fait pas obstacle à la tenue de manifestations sportives imposées par la participation du Maroc à des compétitions internationales, ou à la participation de personnes physiques ou morales marocaines à de telles manifestations sur le territoire d’un pays désigné en vertu de la présente loi.

Le paragraphe premier du présent article ne fait pas obstacle à la présence de personnes physiques ou morales marocaines aux manifestations visées à ce paragraphe se tenant en dehors du territoire marocain ou de celui du pays désigné en vertu de la présente loi.

Article 11 :

Il ne peut y avoir de liaison aérienne, maritime ou de transport routier ou ferroviaire directe entre le territoire marocain et le territoire d’un pays désigné en vertu de la présente loi. Les aéronefs ou navires battant pavillon marocain ne peuvent atterrir sur ou accoster en territoire d’un tel pays.,ni ceux battant celui d’un pays désigné en territoire marocain.

Des liaisons postales ou téléphoniques directes peuvent être maintenues, selon les modalités détaillées par décret devant intervenir dans un délai de six mois à compter de la publication au Bulletin officiel de la présente loi.

L’échange de données électroniques à titre gratuit n’est pas affecté par la présente loi.

Article 12:

Nulle personne physique ou morale de la nationalité d’un pays désigné en vertu de la présente loi ne peut être enregistrée en tant que propriétaire d’un navire ou d’un aéronef battant pavillon marocain, ou être associée, actionnaire ou gérant d’une personne morale demandant l’enregistrement d’un tel droit.

Article 13:

Nulle personne physique ou morale de la nationalité d’un pays désigné en vertu de la présente loi ne peut se voir accorder un agrément ou une licence en vue d’une activité économique quelconque sur le territoire marocain, ou être associée, actionnaire ou gérant d’une personne morale demandant l’acquisition d’un tel droit.

Article 14:

Nulle personne physique ou morale de la nationalité d’un pays désigné en vertu de la présente loi ne peut acquérir la propriété d’un bien immobilier situé en territoire marocain, ou être associée, actionnaire ou gérant d’une personne morale demandant l’acquisition d’un tel droit.

Article 15:

Nulle personne physique ou morale de la nationalité d’un pays désigné en vertu de la présente loi ne peut acquérir un droit de propriété industrielle régi par le dahir n° 1-00-19 du 9 kaada 1420 (15 février 2000) portant promulgation de la loi n° 17-97 relative à la protection de la propriété industrielle, ou être associée, actionnaire ou gérant d’une personne morale demandant l’acquisition d’un tel droit.

Article 16:

Nulle personne physique ou morale de la nationalité d’un pays désigné en vertu de la présente loi ne peut se voir accorder une licence en vertu du dahir n° 1-04-257 du 25 kaada 1425 (7 janvier 2005) portant promulgation de la loi n° 77-03 relative à la communication audiovisuelle, ou être associée, actionnaire ou gérant d’une personne morale demandant l’acquisition d’un tel droit.

Article 17 :

Les pays visés à l’article premier sont désignés soit :

  • Par décret du chef du gouvernement ;

  • Par une loi d’application;

  • Sur décision de justice.

Article 18:

Sur demande de la Chambre des représentants ou à sa propre initiative, le chef du gouvernement peut désigner un ou des pays ayant commis des violations graves du droit international.

Le décret peut limiter l’effet de la désignation à certaines des différentes catégories de transactions visées par la présente loi.

Article 19:

Pour le cas ou le chef du gouvernement ne donnerait pas suite à cette demande dans un délai de six mois, la Chambre des représentants peut présenter une proposition de loi, conformément à la Constitution.

Cette loi d’application peut limiter l’effet de la désignation à certaines des différentes catégories de transactions visées par la présente loi.

Article 20:

A défaut d’une désignation par le décret ou par la loi, celle-ci peut également avoir lieu sur décision de justice, à l’occasion d’une action judiciaire intentée contre la signature ou la mise en œuvre d’une des transactions visées par la présente loi, ou en demandant l’annulation.

Ne peut cependant être désigné un pays que la Chambre des représentants et le chef du gouvernement auraient nommément et publiquement refusé, par courrier officiel ou devant la Chambre des représentants, de désigner comme commettant les violations graves prévues à l’article premier.

Une telle désignation judiciaire n’est valable que pour la transaction litigieuse.

Sont réputés avoir intérêt à agir pour intenter une telle action judiciaire:

  • tout parti politique, syndicat ou association reconnue d’utilité publique ;

  • tout membre de la Chambre des représentants ;

  • tout contribuable s’agissant d’une transaction financée sur fonds publics ;

  • tout détenteur de parts sociales ou d’actions ou tout adhérent s’agissant d’une transaction menée par une personne morale de droit privé ;

  • tout membre du conseil d’administration s’agissant d’une transaction menée par un établissement public ;

  • tout soumissionnaire concurrent dans le cadre d’un marché public.

Le tribunal administratif de Rabat est seul compétent en la matière, sans préjudice des possibilités d’appel ou de cassation.

Article 21:

Il est mis fin à la désignation visée à l’article premier lorsque les violations en question ont cessé, par décret lorsqu’elle a été prononcée par décret, et par le vote d’une loi lorsqu‘elle a été prononcée par la loi. Lorsque la désignation a eu lieu par la voie judiciaire, un décret ou une loi peuvent y mettre fin.

Article 22:

Un service est institué au sein de la primature aux fins de surveiller l’application de la présente loi ainsi que les décrets ou lois pris pour son application, et de traiter les demandes de dérogation qui y sont prévues. Il élabore un rapport public sur son application et les infractions relevées présenté annuellement au Parlement, ainsi que sur les dérogations accordées en vertu de la présente loi.

Le tribunal administratif de Rabat est seul compétent pour tout recours contre les décisions administratives de mise en œuvre de la présente loi ainsi que les décrets ou lois pris pour son application, sans préjudice des possibilités d’appel ou de cassation.

Article 23:

Les personnes physiques ou morales d’un pays désigné en vertu des articles 16, 17 et 18 de la présente loi et qui tentent sciemment d’opérer une des transactions prohibées en vertu des articles 1, 5, 7, 8, 10, 11, 12, 13 ou 14 sont passibles d’une amende de 5.000 à 500.000 de dirhams, ainsi que, le cas échéant, de la confiscation des biens meubles ou immeubles ou des moyens financiers faisant l’objet de ladite transaction ou l’ayant facilitée.

Les personnes physiques ou morales de nationalité marocaine cu résidant au Maroc cse rendant oupables des faits visés au paragraphe précédent sont passibles d’une amende de 5.000 à 5.000.000 de dirhams, ainsi que, le cas échéant, de la confiscation des biens meubles ou immeubles ou des moyens financiers faisant l’objet de ladite transaction ou l’ayant facilitée.

Les personnes physiques, marocaines ou étrangères, usant de manœuvres frauduleuses ou dolosives, notamment l’utilisation de faux, fausses déclarations, prête-noms ou sociétés-écrans, en vue de contourner les prohibitions citées au premier paragraphe, encourent de un à six mois d’emprisonnement et une amende de 5.000 à 5.000.000 de dirhams ainsi que, le cas échéant, la confiscation des biens meubles ou immeubles ou des moyens financiers faisant l’objet de ladite transaction ou l’ayant facilitée. Les personnes morales coupables des mêmes faits encourent une amende de 5.000 à 5.000.000 dirhams ainsi que, le cas échéant, la confiscation des biens meubles ou immeubles ou des moyens financiers faisant l’objet de ladite transaction ou l’ayant facilitée.

Article 24:

La présente loi entre en vigueur au lendemain de sa publication au Bulletin officiel.