« …l’interdiction de pratiquer leur religion dans l’espace public… »

Mouvement anticonfucéen. Sur ce sujet, en 1923, le frère cadet de Lu Xun, Zhou Zuoren, un des esprits les plus indépendants et paradoxaux de son époque, écrivait déjà: « Les anticonfucéens sont d’une certaine façon encore des confucéens (…). Les adeptes de pareils mouvements croient qu’ils sont eux-mêmes des penseurs scientifiques à la mode occidentale, mais en réalité ils demeurent entièrement dépourvus de l’esprit de scepticisme et de tolérance: en fait, ils continuent à « persécuter l’hérésie » en pur style oriental – et s’il est un redoutable poison dans notre culture orientale, c’est bien ce fanatisme totalitaire« . Simon Leys, « Essais sur la Chine« , Robert Laffont, Paris, 1998, p. 472.

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J’ai lu la phrase suivante dans l’entretien accordé par Romain Caillet à L’Observatoire du Qatar de Nabil Ennasri:

Concernant les chrétiens, la plupart de ceux qui vivaient dans les territoires contrôlés par l’EI en Syrie se sont enfuis, sauf dans la ville de Raqqa où ceux qui sont restés ont accepté le statut de dhimmi-s (littéralement « protégés »), impliquant le payement d’une taxe spéciale (al-Jiziya) et l’interdiction de pratiquer leur religion dans l’espace public.

Le groupe terroriste Da3esh ou Etat islamique a effectivement imposé des règles très strictes dans la ville syrienne de Raqqa sous son contrôle, visant nommément les quelques chrétiens restés sur place:

The directive from ISIS, citing the Islamic concept of « dhimma« , requires Christians in the city to pay tax of around half an ounce (14g) of pure gold in exchange for their safety.

It says Christians must not make renovations to churches, display crosses or other religious symbols outside churches, ring church bells or pray in public.

Christians must not carry arms, and must follow other rules imposed by ISIS (also known as ISIL) on their daily lives.

The statement said the group had met Christian representatives and offered them three choices – they could convert to Islam, accept ISIS’ conditions, or reject their control and risk being killed.

« If they reject, they are subject to being legitimate targets, and nothing will remain between them and ISIS other than the sword, » the statement said.

A group of 20 Christian leaders chose to accept the new set of rules, ISIS said. (BBC, « Syria crisis: ISIS imposes rules on Christians in Raqqa« , 27/2/2014)

Des règles aussi strictes ont été adoptées en matière vestimentaire dans les régions de Syrie et d’Irak sous son contrôle:

Human Rights Watch interviewed 43 refugees from Syria in Iraqi Kurdistan and conducted telephone interviews with two refugees from Syria in Turkey in November and December 2013. The refugees interviewed said that the extremist armed groups Jabhat al-Nusra and the Islamic State of Iraq and Sham (ISIS) have enforced their interpretation of Sharia, or Islamic law, by requiring women and girls to wear headscarves (hijabs) and full-length robes (abayas), and threatening to punish those who do not comply. In some areas, the groups are imposing discriminatory measures prohibiting women and girls, particularly those who do not abide by the dress code, from moving freely in public, working, and attending school. (…)

Interviewees said that members of Jabhat al-Nusra and ISIS insisted that women follow a strict dress code that mandated the abaya and hijab and prohibited jeans, close-fitting clothing, and make-up. According to interviewees, members of these groups forbade women from being in public without a male family member in Idlib city, Ras al-Ayn, Tel Abyad, and Tel Aran. Women and girls who did not abide by the restrictions were threatened with punishment and, in some cases, blocked from using public transportation, accessing education, and buying bread. (…)

Refugees said that Jabhat al-Nusra and ISIS also imposed limitations on male dress and movement in the village of Jindires in Afrin and in Ras al Ayn, Tel Abyad, and Tel Aran, but all said that greater restrictions were placed on women and girls. Former residents of Tel Abyad and Tel Aran said that the armed groups did not permit males to wear jeans or fitted pants, but that the groups imposed a less specific dress code on males than on females. (Human Rights Watch, « Syria: Extremists Restricting Women’s Rights« , 13/1/2014)

J’ai souvent été frappé par la similitude du raisonnement des tenants de la laïcité autoritaire – à la française – et ceux de l’orthodoxie musulmane autoritaire – tels les régimes saoudien ou iranien. Dans les deux cas, au nom de l’idéologie, on oblige ou on interdit à la femme – et principalement à elle, car dans les deux cas, l’apparence physique de l’homme pose moins problème – de porter le voile. Dans les deux cas, l’Etat s’estime légitime à décider de la manière dont les citoyennes (mais le sont-elles réellement) peuvent ou doivent se vêtir dans l’espace public, notion sociologique voire philosophique qui a cependant une acception juridque assez claire – ainsi, la loi française de 2010 interdisant le port du niqab est-elle intitulée « loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public« . L’article 2 alinéa premier de la loi définit ainsi l’espace public:

Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

La circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de cette loi précise la notion d’espace public:

L’article 2 de la loi précise que « l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ».
La notion de voies publiques n’appelle pas de commentaire. Il convient de préciser qu’à l’exception de ceux affectés aux transports en commun les véhicules qui empruntent les voies publiques sont considérés comme des lieux privés. La dissimulation du visage, par une personne se trouvant à bord d’une voiture particulière, n’est donc pas constitutive de la contravention prévue par la loi. Elle peut en revanche tomber sous le coup des dispositions du code de la route prévoyant que la conduite du véhicule ne doit pas présenter de risque pour la sécurité publique.
Constituent des lieux ouverts au public les lieux dont l’accès est libre (plages, jardins publics, promenades publiques…) ainsi que les lieux dont l’accès est possible, même sous condition, dans la mesure où toute personne qui le souhaite peut remplir cette condition (paiement d’une place de cinéma ou de théâtre par exemple). Les commerces (cafés, restaurants, magasins), les établissements bancaires, les gares, les aéroports et les différents modes de transport en commun sont ainsi des espaces publics.
Les lieux affectés à un service public désignent les implantations de l’ensemble des institutions, juridictions et administrations publiques ainsi que des organismes chargés d’une mission de service public. Sont notamment concernés les diverses administrations et établissements publics de l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les mairies, les tribunaux, les préfectures, les hôpitaux, les bureaux de poste, les établissements d’enseignement (écoles, collèges, lycées et universités), les caisses d’allocations familiales, les caisses primaires d’assurance maladie, les services de Pôle emploi, les musées et les bibliothèques.

La définition donnée à l’article 2 de la loi et dans la circulaire est relativement large, mais cette définition suit de manière logique le sens commun qu’il convient de donner à la notion d’espace public.

Le problème n’est en fait pas tant la définition de l’espace public que le fait que cet espace soit, dans l’esprit de certains laïcs comme de certains islamistes, soustrait à la liberté de croyance, de religion et au droit qui en découle de manifester ses opinions religieuses dans la sphère publique. Les textes fondamentaux en matière des droits de l’homme sont pourtant très clairs sur ce point:

Article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH, 1948):

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.

2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

4. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 1950) est plus intéressante, car dotée d’un mécanisme judiciaire de protection par le biais de la Cour européenne des droits de l’homme, et elle dispose ceci:

ARTICLE 9 Liberté de pensée, de conscience et de religion

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Bien que la jurisprudence de la Cour EDH ait très malencontreusement vidé de sa substance cette disposition s’agissant du moins des femmes voilées (hijab ou  niqab) (1), cette disposition est très claire, et dans la lignée des dispositions de la DUDH ou du PIDCP, et donne donc aux particuliers le droit de porter des symboles religieux sous certaines limites plutôt circonscrites (cf. articles 18.3 PIDCP ou 9.2 CEDH). La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat mentionne quant à elle l’exercice public du culte (cf. articles 12, 13, 16 et 18) et les manifestations extérieures du culte (article 27). Cette conception a prévalu en droit positif français – avec des exceptions concernant les seuls fonctionnaires – jusqu’en 2004 et la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Mais cette conception qui découle tant de la lettre que de l’esprit des textes n’est pas celle que les juges de la Cour EDH ont choisi de faire prévaloir (1) ni surtout celle qui a cours dans le discours public ou le langage commun relatif aux symboles religieux islamiques – en fait, il s’agit toujours du voile ou du niqab, la barbe ou le port de colliers ou autres ornements à motif religieux ne posant guère problème en pratique.

Petit florilège:

  • Des socialistes français:

Il s’agit, au contraire, de poser les fondements d’une coexistence harmonieuse des religions, à la condition de restreindre leurs expressions à la sphère privée. Certains argueront du fait que l’espace public est néanmoins une sphère à géométrie variable, extensible à l’infini en vue de s’immiscer toujours un peu plus loin dans la vie privée des citoyens… Faut-il aller jusqu’à y inclure la rue ou les établissements recevant du public? (texte de trois députés et un militant socialistes – le militant étant le musulman d’apparence du lot « Interdiction du voile intégral: vers une réappropriation de l’espace public« , 26/11/2013)

  • Des militants laïcs québecois:

Cette représentation ne se limite pas à une conception « libérale » visant à garantir l’égalité individuelle par une neutralité de l’État à l’égard du religieux, mais cherche aussi à « assainir » de plus en plus l’espace public de toute expression religieuse (surtout celle exprimée par les groupes religieux minoritaires). Cette conception, portée à différents degrés par des groupes politiques et organismes, comme le Parti québécois et le Conseil du statut de la femme, et par divers acteurs sociaux, comme le Mouvement laïque québécois et le groupe Sisyphe, sous-tend en quelque sorte une exigence de « foi civique » à l’égard de la Cité difficilement conciliable avec la visibilité du religieux (Milot, 2008). En effet, selon ses défenseurs, l’expression de la religion doit être contenue dans l’espace privé afin de ne pas interférer avec la neutralité de l’espace public (souvent plus large que la seule « sphère » publique entendue comme l’État et ses institutions). C’est d’ailleurs cette prémisse qui a récemment motivé la proposition du projet de loi 94 limitant fortement la présence de signes religieux dans l’espace public. Cette conception de laïcité est aussi souvent associée à la protection des « valeurs québécoises » (le fait français, l’égalité des sexes, la séparation de l’Église et de l’État, etc.), comme si, en refoulant la présence du religieux — autre — hors des lieux publics, celle-ci pouvait consolider l’identité québécoise. (Stéphanie Tremblay, « La laïcité comme expression des « valeurs québécoises » : un nouveau chapitre de la culture publique commune ?« , Vivre Ensemble n°70, été 2013)

  • Une loge maçonnique française:

Les pratiques cultuelles doivent donc se développer dans la sphère privée, dans le strict respect de la sphère publique. (…) Comment aujourd’hui définir ces 2 espaces ? Distinguer ce qui relève du « public » de ce qui relève du « privé » est au coeur de tous les débats sur la laïcité.

Définition de l’espace public

L’espace public représente d’abord un espace physique : un lieu de rassemblement ou de passage, à l’usage de tous, l’espace de vie collective de ses riverains. C’est un lieu qui n’appartient à personne (en droit). Un lieu anonyme, collectif, commun, partagé et mutuel. (…)

Définition de l’espace privé

L’espace privé est une notion à géométrie variable. L’histoire montre que sa dimension est le résultat d’une lente conquête de la personne pour acquérir la reconnaissance de son individualité. (…)

Constats

Les empiétements de l’espace privé sur l’espace public sont de plus en plus nombreux et inquiétants pour la laïcité. Mais ils ne datent pas d’aujourd’hui. (…) (Grande loge mixte universelle, « Espace public, Espace privé : où se situe le seuil aujourd’hui ? », 2007)

  • Une organisation islamophobe et républicaine française:

Ce bouleversement radical du paysage religieux français, source de bien des dérives communautaristes, impose avec urgence l’obligation de redéfinir en profondeur notre rapport aux religions, notamment en reformulant sans attendre le concept imprécis de laïcité qui, dans sa pratique courante, laisse jusqu’à présent aux fidèles de confessions juive ou chrétienne la liberté d’afficher librement dans l’espace public les signes extérieurs de leur appartenance religieuse respective. Confronté, avec l’irruption de l’islam sur le devant de la scène, à la multiplication de manifestations religieuses inédites, si peu conformes aux traditions séculaires de la France, notre pays se doit de maîtriser cette considérable mutation anthropologique, en invitant les fidèles de toutes confessions religieuses, ainsi que leurs autorités cultuelles, à accomplir pareillement, par la voie de la concertation, un vaste compromis historique au nom du Bien commun et de l’unité nationale.

Autrement dit, restant sauves la prééminence culturelle de la religion chrétienne en France et la liberté de chaque croyant de pratiquer librement sa foi en son for intérieur, les fidèles de toute confession auraient à accepter à l’avenir de ne plus afficher ostensiblement dans l’espace public leurs signes religieux distinctifs. Assurément, il s’agirait là d’une atteinte indiscutable au droit de chaque individu d’exercer pleinement sa foi, mais cette entorse assumée, au demeurant toute relative, à cette liberté publique fondamentale ne serait-elle pas en vérité le prix qu’il nous faudrait payer pour préserver collectivement, dans un même élan salutaire, une paix civile qui demeure d’autant plus fragile à conserver que la France doit désormais s’accommoder durablement de la présence conflictuelle sur son sol d’une pluralité de confessions religieuses et du poids grandissant d’un islam décomplexé ? (Karim Ouchikh, Riposte laïque, « Laïcité et interdiction du voile islamique dans l’espace public : Marine Le Pen a raison« , 2012)

  • Un éditorialiste français:

Le principe, c’est que notre République tolère les fois et pratiques religieuses tant qu’elles ne cherchent pas à s’imposer dans l’espace public. A contrario, chacun est libre de pratiquer ou non comme il l’entend dans la sphère privée. (Hervé Gattegno, « Oui à la laïcité, non au fanatisme laïque !« , Le Point, 2/4/2013)

  • Une éditorialiste française:

Pour ma part, cher compatriote, je crois que toute religion est compatible avec la République, et je suis confirmée dans cette idée par les musulmans laïques qui vivent leur foi dans l’intimité. Mais je connais la sensibilité de la France, qui a évacué les religions vers la sphère privée, face à des pratiques ritualistes rendant le croyant visible dans l’espace public. Et je sais que la plus grande marque de respect est de traiter chacun selon la règle commune, justement parce que nous sommes tous citoyens à part entière. (Natacha Polony, « Lettre à une jeune compatriote musulman« , Le Figaro, 28/7/2014)

  • Un président français:

« Les religions doivent rester à leur place, indiquait-il aussi dans La Vie en décembre 2011. Le respect de la liberté de conscience contribue au vivre-ensemble. En revanche, quand les expressions religieuses tentent d’investir l’espace public, le risque existe du différentialisme. »

Plus clairement encore, le 29 avril à Bercy, M. Hollande demandait aux religions – qu’il « ne juge pas »« le respect de l’espace public et de la dignité humaine, de l’égalité entre les femmes et les hommes ». « Je laisse les religions tranquilles, a-t-il affirmé, car je ne voudrais pas qu’elles interfèrent dans le débat public. » (Le Monde, « Le retour à une laïcité normale?« , 18/5/2012)

D’autres pays imposent aussi des interdictions vestimentaires – la Chine par exemple, avec des arguments souvent similaires:

Les voiles intégraux, les hijabs, les burqas, les tenues qui mettent en évidence le croissant islamique et les barbes longues pour les hommes – ces cinq tenues vestimentaires sont interdites dans les transports publics. L’insigne du croissant islamique est interdit sur toute tenue vestimentaire. (Global Voices, « Des autorités chinoises du Xinjyang interdisent temporairement les “tenues vestimentaires anormales” dans les transports publics « , 12/8/2014)

Rares sont ceux parvenant à faire passer la distinction entre séparation de la religion et de l’Etat au niveau politique, qui ne signifie pas disparition de la religion de l’espace public:

  • Pierre Tartakovsky, président de la Ligue des droits de l’homme française:

On essaie de nous faire croire qu’il y aurait, dans notre société, un espace privé – chez moi – et que tout le reste devrait se définir comme un espace de neutralité : la poste, la rue, l’éducation nationale… Des espaces où nous ne serions plus vraiment syndicalistes, citoyens, croyants ou athées. Mais l’espace public, parce qu’il est public, ne peut pas être neutre et ne doit pas l’être ! Ce doit être un lieu de contradictions, de débats. Au nom de la laïcité, on s’en prend à des catégories, et plus particulièrement à l’une d’entre elles, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la philosophie et tout à voir avec des stratégies de division de la population. Il faut être attentif à ces mauvaises nouvelles. (« La laïcité aujourd’hui. « Une valeur universelle, plus que jamais neuve » « , L’Humanité, 17/9/2013)

  • Patrice Leclerc, conseiller général PCF:

La laïcité, c’est avoir une conception de la vie en société qui se gère par le conflit politique. La puissance du peuple, ce ne sont pas des hommes et des femmes qui cachent leur propre identité, ce sont des hommes et des femmes qui sont reconnus dans leur dignité parce qu’ils s’affrontent dans leur conception de la vie et décident à la fin de faire société ensemble. Or, toute la politique aujourd’hui vise à empêcher ce conflit politique. Tout nous impose la réglementation, la législation. En ce sens, je suis contre la loi sur le voile. Cela empêche le débat politique et nie la dignité des hommes et des femmes qui pensent autrement que moi. Cette loi sur le voile m’a rappelé que, lorsque j’étais jeune communiste, on voulait m’empêcher de porter le badge des JC, de lire l’Humanité dans le lycée… Non, la laïcité s’applique aux institutions et à ses représentants, non pas aux usagers. Autrement, nous allons vivre côte à côte, de manière repliée, avec des gens qui attendront leur revanche, un jour. (« La laïcité aujourd’hui. « Une valeur universelle, plus que jamais neuve » « , L’Humanité, 17/9/2013)

  • Jean Baubérot, universitaire français et seul membre de la Commission Stasi à s’être abstenu sur le rapport final proposant l’interdiction du voile à l’école publique:

Oui, aujourd’hui, on voudrait que l’espace public soit religieusement neutre. Mais l’espace public est un espace de pluralité, de discussion et de confrontation positive de la société civile. L’espace public n’a pas à être neutralisé. (L’Humanité, 28/2/2014)

Depuis 1989, la tendance est de réduire la laïcité à la visibilité de la religion dans l’espace public et à une neutralité qui ne s’applique plus seulement à l’Etat mais aussi aux individus, ou en tout cas à certains d’entre eux. Evidemment, tout ceci est lié à l’augmentation des flux migratoires et aux craintes que cela inspire, ainsi qu’au fait que l’islam soit devenu la deuxième religion de la métropole. Le problème, c’est qu’on hypertrophie désormais la neutralité de l’espace public et qu’on interprète autrement la loi de 1905 en limitant la liberté de conscience. (Le Monde des Religions, 30/1/2012)

  • La Commission nationale consultative des droits de l’homme française:

Les débats qui ont suivi la publication, en mars 2013, de deux arrêts de la Cour de cassation en matière de manifestation de l’appartenance religieuse sur le lieu de travail, ont mis au jour une méconnaissance de la laïcité, tantôt réduite à un simple principe de tolérance, tantôt déformée jusqu’à réclamer un rejet de tout signe religieux dans l’espace public. Or, non seulement la République « assure la liberté de conscience », mais la République respectant « toutes les croyances » (art. 1er de la Constitution) « garantit le libre exercice des cultes » (art. 1er de la loi de 1905). La séparation des Eglises et de l’Etat ne doit donc pas être comprise comme visant à l’éviction hors de l’espace public de toute manifestation d’une conviction religieuse. (Avis sur la laïcité du 9/10/2013)

C’est comme souvent à Pierre Tévanian du site Les Mots Sont Importants qu’on doit une formulation assez exacte de cette tendance à la négation de la liberté dans la sphère publique:

Il ne s’agit bien entendu pas de prétendre que la loi anti-foulard a fait de la France une société totalitaire. Force est en revanche de constater que la version de la « nécessaire neutralité de l’espace public » qui s’est imposée à la faveur du « débat sur le voile » obéit à une logique totalitaire. Le législateur ne lui a – heureusement – pas donné force de loi, mais cette conception totalitaire a trouvé, dans le débat sur « le voile à l’école », l’occasion de se constituer et de se diffuser bien au-delà des cercles d’extrémistes dans lesquels elle aurait dû demeurer. Ce discours proprement délirant, ou en tout cas inacceptable aux yeux de n’importe quel démocrate, est devenu dicible, et c’est sans doute lui qui a inspiré les multiples violences et incivilités qui ont été ces derniers mois commises au nom de « la laïcité » contre des femmes voilées – dans des universités, des banques, des mairies, des préfectures ou des transports en communs…

Si les innombrables déclarations sur la « nécessaire neutralité de l’espace public », entendue comme une neutralité du public, n’ont pas été perçues comme inacceptables, si personne ne s’en est inquiété outre mesure, si personne n’en a conclu qu’un fort courant totalitaire traversait la société française (ou en tout cas son intelligentsia ou sa classe politique) c’est que tout le monde sentait, au moins confusément, que ce « devoir de neutralité » ne concernait en vérité que les femmes voilées, et qu’il était hors de question d’appliquer à l’ensemble de la population cette conception totalitaire de la « neutralité de l’espace public ». Il allait de soi, depuis le début de « l’affaire », que le droit d’exprimer publiquement ses convictions n’était sérieusement remis en cause par personne, que c’était bel et bien l’espace et lui seul qui devait être neutre, et que le seul public qui devait désormais s’astreindre à la neutralité était le public musulman – ou au moins le public musulman pratiquant, ou au moins le public musulman portant barbe ou foulard. (Pierre Tévanian, « Une révolution conservatrice dans la laïcité – Retour sur la loi antifoulard du 15 mars 2004« , 15/3/2014, Lmsi.net)

Dans l’autre sens, outre le cas chinois déjà évoqué, plusieurs pays imposent ou souhaiteraient imposer une tenue vestimentaire, généralement aux femmes mais aussi aux hommes, au nom de valeurs religieuses, nationales ou idéologiques:

The campaign urges respect for the local dress code by stating that whoever was in Qatar was a member of the country’s community.

If you are in Qatar, you are one of us,” the campaign says. “Help us preserve Qatar’s culture and values. Please dress modestly in public places.”

The campaign on its posters and online messages defines “modestly” as “covering shoulders and knees.” (…)

According to local daily Al Sharq, the campaign will be formally launched on June 20 by a group of Qatari women who wanted to protect the country’s social values by “promoting modesty in all public places and preventing immoral behaviour.

The activists said that foreign attitudes, including dress codes, “have become a threat to the Qatari identity and a terrible omen for the future generations.”

We do not want our children to get used to these behaviours that pose a threat to the identity of the new generations, and our goal is to instill in our children pride in their local and religious values,” Om Abdullah, the leader of the campaign, said, quoted by the daily last week.

As people chose to ignore this cultural invasion, our young people started, under the deceiving motto of modernism, to adopt negative attitudes, instead of resisting them. One immediate issue is the fact that wearing clothes considered as an abrasion of modesty in public places has prevented many families from frequenting these places, which deprived them of enjoying relaxation in their own country,” she said.

The activists insisted that their efforts were an individual initiative and hoped religious, social and media figures would join in their campaign to help promote the country’s values. (Gulf News, « Qataris launch ‘modest dress’ campaign« , 25/5/2014)

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We want people to be respectful of that fact that the UAE is ultimately a Muslim country and while the lifestyle is very tolerable and liberal in comparison to other countries in the Middle East, there are some limits that should not be crossed in public places as a courteous gesture to the locals and their culture.” (Emirates 24/7 News, « ‘Be respectful’ tweets UAE in dress code debate« , 14/5/2012)

  • En Iran, la législation est stricte et son application aux différents styles vestimentaires pose problème:

Conformément au code pénal islamique d’Iran (1991), « les femmes qui se présentent en public sans être vêtues d’un hidjab approprié sont frappées d’une peine d’emprisonnement allant de 10 jours à 2 mois ou d’une amende allant de 50 000 à 500 000 rials » (Iran 1991, art. 638). La loi s’appliquerait à toutes les Iraniennes, peu importe leur religion (Freedom House 2010, 10; IHRDC août 2010, 11; É.-U. 13 sept. 2011, 5). Toutefois, des sources signalent qu’il n’y a aucune définition claire de ce qui constitue un hidjab approprié (Freedom House 2010, 6; É.-U. 8 avr. 2011, 56; The Washington Post 23 juill. 2011), et, selon Freedom House, « il n’y a jamais eu consensus chez les ulémas [religieux islamiques] quant à la signification et à l’étendue du hidjab islamique » (2010, 5, 28). Le Département d’État des États-Unis mentionne qu’étant donné l’absence d’une définition claire du code vestimentaire, les femmes sont « subordonnées à l’opinion des forces disciplinaires ou des juges » (8 avr. 2011, 56).

En pratique, les femmes doivent couvrir leurs cheveux et cacher la forme de leur corps en public (Al Jazeera 15 juin 2011; AFP 14 juin 2010). Des sources soulignent que les voiles mal ajustés, les pardessus serrés et les pantalons courts qui exposent la peau sont interdits (Al Jazeera 15 juin 2011; The Guardian 14 juin 2011). Freedom House signale également que des femmes ont été sanctionnées pour avoir [traduction] « montré une partie de leurs cheveux, utilisé des produits de beauté, porté des lunettes de soleil, porté un pardessus (manteau ou robe) serré, montré leur peau au-dessus du poignet ou de la cheville, montré leur décolleté et porté des bottes par-dessus (plutôt que sous) leur pantalon » (2010, 6). Il serait interdit aux hommes de porter des shorts (The Guardian 14 juin 2011) et des « jeans à taille basse serrés » (AFP 24 mai 2010).

Des sources signalent aussi qu’en 2010, les autorités iraniennes ont publié une liste de coiffures acceptables pour hommes (The Guardian 14 juin 2011; É.-U. 8 avr. 2011, 27). Le Département d’État des États-Unis souligne que des règlements sur la longueur des cheveux et des barbes pour les hommes ont été mis en application (ibid.). D’après des médias internationaux, en janvier 2011, l’Iran a imposé un code vestimentaire plus sévère dans certaines universités, interdisant aux femmes de porter des vêtements de couleur vive et des jeans courts ou serrés, d’avoir les ongles longs, des tatouages et des perçages, ainsi que de porter des chapeaux sans voile (Israel National News 11 janv. 2011; Reuters 10 janv. 2011). Reuters souligne aussi qu’on interdisait aux étudiants de sexe masculin d’avoir les cheveux teints et les sourcils épilés, ainsi que de porter des bijoux et des chemises avec des « manches très courtes » (ibid.). (UNHCR)

  • Au Soudan, la loi pénale réprime le non-port de voile par les femmes sous l’incrimination de « tenue indécente » dans l’espace public:

Amira Osman Hamed was arrested on 27 August 2013 by Sudan’s Public Order Police for refusing to cover her hair with a headscarf. She was charged with ‘indecent dress’ under Article 152 of Sudan’s Criminal Code, part of a broader set of laws known as the public order regime, which impose corporal punishment and fines for what is seen as immoral behaviour. If convicted, Amira Osman Hamed is at risk of being flogged, and could face up to 40 lashes. Amira Osman Hamed was released on bail on 27 August 2013 after being held for four hours at the police station. (Amnesty International, 30/6/2014)

  • Toujours au Soudan, les tenants de la parité seront heureux d’apprendre que cette loi sur les tenues indécentes est également applicable aux hommes:

A Sudanese court convicted seven men of indecency on Wednesday after police accused them of wearing makeup during a fashion show in Khartoum, their lawyer said.

The men, amateur models at the « Sudanese Next Top Model Fashion Show » in June, were arrested by the public order police, a body known for its crackdowns on perceived indecent dress and drinking in the Muslim north, one defendant told Reuters. (Reuters, 8/12/2010)

  • En Corée du Nord, ce sont les femmes portant pantalon qui sont visées:

North Korean women face hard labor if they are caught wearing trousers rather than skirts, under the communist regime’s latest crackdown on public morals, South Korean activists said Friday.

Offenders can be punished with hours of forced labor or fines of 700 won, almost a week’s salary for the average worker, human rights group Good Friends said, citing its own sources within the isolated nation.

The Stalinist leadership’s campaign is angering women who see skirts as less practical than trousers, Good Friends director Lee Seung-Yong said. « Women are told to wear skirts in public places and in the streets, sparking complaints among them as they often have to work in tough conditions, » he told AFP. (AFP, 24/7/2009)

  • Au Burundi, ce sont les bonnes moeurs qui sont invoquées:

D’autres violences sont commises spécialement sur les jeunes filles sous prétexte de protéger les « bonnes moeurs ». Par exemple, le non respect d’un code vestimentaire peut les conduire en prison. Pourtant rien dans la loi burundaise n’impose de telles obligations vestimentaires. C’est donc une appréciation très subjective de l’agent qui se permet de juger si l’habillement est conforme aux moeurs, en toute illégalité. (OMCT, « Les violences contre les femmes au Burundi« , 2008)

  • En Ouzbékistan, ce sont les valeurs nationales qui justifient l’interdiction simultanée de tenues occidentales et islamiques:

Students across Uzbekistan have been banned from criticising educational staff, wearing gaudy clothing and discussing campus matters online.

The education ministry told students to read and sign a new 23-page code in December, and the regulations that it sets out came into effect in the New Year.

Students at universities, colleges and vocational schools now have to act « in compliance with the traditions of national independence ideology, » according to the code, and can expect to fail exams or face expulsion if they contravene the rules.

As well as prohibiting gaudy or religious dress, the code forbids « rock concerts alien to the national mentality » on campus.

In a clause which some students said they find confusing, the code also requires them to « facilitate the blocking of foreign religious and extremist influences« . (Institute for War & Peace Reporting, « Uzbek Students Unhappy with « Prison-Style » Rules« , 13/1/2012)

Mais il n’y a pas que la tenue vestimentaire dans la sphère publique qui soit réglementée – des pays interdisent toute présence publique de symboles religieux qui déplaisent à leurs autorités:

  • En Arabie saoudite, tout symbole chrétien ou juif est interdit, y compris sous forme de tatouage à l’épaule d’un footballeur:

.-Saudi Arabia’s religious police detained a Colombian soccer player at a shopping mall on Oct. 7 for not covering up an image of Jesus tattooed on his shoulder. Juan Pablo Pino, 24, who plays with the Al Nasr Soccer Club in Saudi Arabia, was wearing a sleeveless shirt while out with his pregnant wife at a mall in the capital city of Riyadh. Locals who saw the tattoo began insulting him, which drew the attention of the officers from a group known as the Police Force for the Promotion of Virtue of the Prevention of Vice, who detained the couple. The local paper Sharq reported that officers escorted the pair to a car and then waited for Al Nasr club officials to arrive. Pino and his wife were later released. (…)

Last year a similar incident took place when the Romanian soccer player Mirel Radoi of the Al Hilal club kissed the tattoo of a cross he has on his arm after scoring a goal. The gesture earned him the ire of many Muslims in Saudi Arabia, where Islam is the dominant religion. (Catholic News Agency, 11/10/2011)

If you are planning a trip to Saudi Arabia as the summer days wind down, you may want to think twice before taking your Bible with you. The Kingdom of Saudi Arabia, as it is officially called, reportedly bans foreigners from bringing in Bibles, crucifixes, Stars of David and other religious non-Islamic items. (Christian Post, 10/8/2007)

Bref, comme le relève Foreign Policy, les pays imposant un code vestimentaire – la France, le Soudan, l’Arabie saoudite, Bhoutan et la Corée du Nord – sont divers dans leurs orientations et motivations, mais se retrouvent dans la volonté d’imposer une uniformité symbolique à la population se trouvant sur leur territoire.

La logique qui commande à ces restrictions est en effet la même, seule la rhétorique change: l’Etat – qu’il soit par ailleurs théocratique, monarchique, communiste ou républicain – s’arroge le droit de décider ce que peuvent porter les citoyen-ne-s, sous des prétextes divers mais généralement découlant soit de préceptes supposément religieux, soit de préceptes visant au contraire à réduire la visibilité publique du phénomène religieux. Si les hommes sont en principe également visés par ces règles, les femmes supportent de manière disproportionnée le poids de l’autoritarisme vestimentaire de l’Etat – entre parenthèses, même dans les pays ne prohibant pas de tenue religieuse ou non-religieuse, la nudité du torse féminin est généralement vue de manière différente de celle du torse masculin… Cette combinaison d’autoritarisme étatique affiché et de discrimination plus ou moins cachée des femmes dans leur liberté de s’habiller montre les rapprochements paradoxaux entre régimes politiques différents qui parviennent néanmoins à se mettre d’accord sur le principe que la tenue vestimentaire féminine est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seules femmes…

Et dans les deux cas, ces politiques disciplinaires venant de l’Etat encouragent agents des forces de l’ordre et membres du public à surenchérir – des campagnes répressives de la police à Téhéran (les instructions détaillées de la police iranienne sur les tenues inacceptables sont étonnantes) aux abus policiers au Koweït visant particulièrement les homosexuels, et des contrôles d’identité musclés en France sur la personne de musulmanes portant le niqab. De telles interdictions ont un effet contaminateur, qui légitime l’hostilité sociale contre les personnes portant les tenues interdites, et qui induit de fait une tendance à élargir toujours plus le champ de l’interdiction – le cas français étant symptomatique, l’interdiction du port de symboles religieux ayant d’abord été imposé aux fonctionnaires, puis étendu aux élèves de l’enseignement public, pour toucher ensuite les parents d’élèves lors des sorties scolaires, et enfin atteidnre, de manière générale, celles portant le niqab… Et les demandes d’extension de l’interdiction foisonnent – universités, tous les usagers des services publics, voire, comme pour le niqab, toute personne présente sur la voie publique…

Finissons enfin sur une note estivale – au nom des valeurs de l’islam, des salafistes algériens veulent imposer une tenue islamique aux estivantes de certaines plages algériennes… :

« Des plages islamiques avec des valeurs algériennes » ! Tel est le slogan d’une initiative de jeunes des quartiers populaires d’Alger, comme Bab-El-Oued, Raïs Hamidou, Hammamet ou Baïnem, qui ont constitué des commissions chargées d’imposer la « hechma » (pudeur) et le « respect » sur les plages.

Le journal Echourouk, qui fait les louanges de la campagne « destinée à nettoyer les plages des signes de nudité et de drague » indique qu’elle bénéficie de l’appui des comités de mosquées et des imams mais également des services de sécurité et de la protection civile.

Cette campagne pour la « pudeur et le respect » menée en collaboration avec des mosquées, des comités de quartiers et associations de jeunes permettra de « sécuriser et de nettoyer » les plages et de réserver des « espaces pour les familles« . Elle prohibera la nudité chez les femmes et les hommes car « le bikini et le maillot » ne seront pas agréés. (Huffington Post Maghreb, « Alger: Campagne pour la « pudeur et le respect » et contre la « nudité et la drague » sur les plages« , 13/6/2014)

C’est une sorte de police citoyenne des mœurs que certains jeunes algérois entendent mettre en place les prochaines semaines, à l’approche de la saison estivale. Ils ont en effet pris l’initiative d’établir un certain nombre de codes de conduite pour que le bord de mer soit fait uniquement de « plages islamiques avec des valeurs algériennes ». Comprendre en quelques sortes, que les tenues jugées indécentes seront proscrites, tout comme la « drague ». Ce sont des habitants des quartier de Bal El-Oued, Hammamet ou encore Raïs Hamidou qui ont décidé de mettre en place des commissions pour que les règles soient respectées sur les plages. Mais cette initiative est très loin de faire l’unanimité dans une Algérie où les priorités sont toutes autres. (Afrique Inside, 17/6/2014)

… tandis qu’au nom de la culture française, l’inénarrable ex-ministre française Nadine Morano s’offusque de la présence d’une femme voilée sur une plage de son beau pays si laïc:

Il n’y a rien qui porte atteinte à l’ordre public puisque la femme avait le visage découvert conformément à la loi. A la vue de cette scène, on ne peut s’empêcher de ressentir une atteinte à notre culture qui heurte en matière d’égalité homme-femme.
Lorsqu’on choisit de venir en France, Etat de droit, laïc, on se doit de respecter notre culture et la liberté des femmes. Sinon, on va ailleurs !! Lorsqu’une Française se déplace dans un pays où la culture est différente, elle respecte et ne se présente pas en tenue de Bardot… (…)

Qu’on ne vienne pas me rétorquer encore une fois l’Islam…Je demande aux musulmans qui ont choisi de vivre en France et de s’y intégrer, aux Français de confession musulmane que nous respectons, de défendre avec moi, une simple réalité : La France n’est pas un Etat religieux, on peut y pratiquer sa religion en respectant avant tout le droit. La France est un Etat laïc : Il convient de l’aimer, de respecter sa culture et le droit des femmes, l’égalité entre les hommes et les femmes ou il convient d’aller vivre ailleurs !

C’est donc au nom de valeurs diamétralement opposées que tant des islamistes algériens qu’une députée de droite française (pleinement soutenue par un ministre socialiste ex-militant antiraciste, Harlem Désir) souhaitent écarter des plaisirs balnéaires les femmes qui n’ont pas le tact de s’habiller ceux-ci le souhaiteraient…

(1) Voir, s’agissant de l’interdiction du port du hijab à une enseignante suisse, l’arrêt de grande chambre Sahin contre Turquie du 10 novembre 2005 et s’agissant de la loi de 2010 d’interdiction générale du niqab dans l’espace public, l’arrêt de grande chambre S.A.S. contre France du 1er juillet 2014. La doctrine, particulièrement anglo-saxonne, s’est avérée très sévère avec cette jurisprudence, cf. « Islam, Europe and emerging legal issues« , Ashgate Publishing Limited, 2012.

Le cycle vicieux de la radicalisation et de la contre-radicalisation – le cas de Da3esh

Le mode d’action de Da3esh (ou Etat islamique en Irak et au Levant) est bien connu dans l’histoire des mouvements armés de par le monde: par une action violente, radicale et sans discernement, entraîner l’ennemi dans une réaction tout aussi radicale et tout aussi dénuée de discernement, laquelle réaction entraînera une réaction de la population, touchée dans sa chair par ces excès, qui se ralliera dès lors au mouvement armé contre l’ennemi, souvent étranger ou perçu comme tel. Cela a été la tactique de mouvements de résistance de l’Irlande du Nord à l’Algérie en passant par le Vietnam, au-delà des clivages ethniques, religieux ou politiques – tant le FLN que l’OAS que le Sentier Lumineux péruvien ou l’IRA y ont eu recours.

La Syrie (et désormais l’Irak) offre un cas d’école: à la révolte populaire pacifique contre le pouvoir baathiste de Bashar el Assad, à assise communautaire marquée, ce pouvoir a répondu par une répression brutale, hyperviolente et ne faisant aucun discernement. Cette répression a à son tour favorisé le développement de mouvements armés qui ont fini par se déconnecter de plus en plus de mouvement politique initial, en ripostant aux forces gouvernementales avec une violence de plus en plus radicale et de plus en plus aveugle, ou plutôt de plus en plus sectaire. Plus que dans un improbable complot conspirationniste par lequel Bashar el Assad aurait soutenu Da3esh c’est dans cet engrenage logique de violence et contre-violence de plus en plus radicale et sectaire que s’est nourri ce mouvement jihadiste radical. Chaque violence d’un camp renforce le radicalisme et le sectarisme de l’autre, sans qu’aucun des protagonistes n’ait intérêt à une désescalade – Bashar el Assad parce qu’il perdrait la faveur (certes limitée et relative) qu’il a gagnée face au dégoût quasi-universel pour la violence radicale et sectaire de Da3esh, et ces derniers parce qu’ils perdraient le statut de principale alternative à Bashar el Assad, qui leur attire publicité et combattants.

On peut voir une manifestation de ce mécanisme dans les propos de deux archevèques irakiens, rescapés de l’offensive de Da3esh dans cette région, qui revêtu un caractère quasi-génocidaire s’agissant de la minorité yazidie et qui a ouvertement pratiqué une épuration ethnico-religieuse s’agissant des chrétiens de Mossoul et de sa région. Ces propos ont été recueillis par un journaliste du quotidien italien Corriere della Sera. Tout d’abord, les propos de l’archevêque catholique de Mossoul, Bashar Warda:

« Per fortuna sono arrivati loro. Devono sterminare i criminali del Califfato. Speriamo che li ricaccino verso la Siria, a morire nel deserto», dicono i responsabili della Chiesa e i loro fedeli con parole sempre eguali. «Ma perché le bombe americane non sono arrivate prima? E voi europei cosa aspettate?».

Traduction: « Heureusement ils sont arrivés. Ils doivent exterminer tous les criminels du Califat. Espérons qu’ils les repousseront vers la Syrie, pour qu’ils meurent dans le désert« , disent les responsables de l’église et leurs fidèles d’une voix toujours égale. « Mais pourquoi les bombes américaines ne sont-elles pas arrivées plus tôt? Et vous Européens, qu’attendez-vous?« .

L’archevêque chaldéen de Mossoul, Emil Shimoun Nona tient des propos plus corsés:

«Le nostre sofferenze di oggi sono il preludio di quelle che subirete anche voi europei e cristiani occidentali nel prossimo futuro», dice il 47enne Amel Nona, l’arcivescovo caldeo di Mosul fuggito ad Erbil. Il messaggio è inequivocabile: l’unico modo per fermare l’esodo cristiano dai luoghi che ne videro le origini in epoca pre-islamica è rispondere alla violenza con la violenza, alla forza con la forza. (…)

E’ ben contento di incontrare la stampa occidentale. «Per favore, cercate di capirci  (…)-. I vostri principi liberali e democratici qui non valgono nulla. Occorre che ripensiate alla nostra realtà in Medio Oriente perché state accogliendo nei vostri Paesi un numero sempre crescente di musulmani. Anche voi siete a rischio. Dovete prendere decisioni forti e coraggiose, a costo di contraddire i vostri principi. Voi pensate che gli uomini sono tutti uguali – continua l’arcivescovo Amel Nona – Ma non è vero. L’Islam non dice che gli uomini sono tutti uguali. I vostri valori non sono i loro valori. Se non lo capite in tempo, diventerete vittime del nemico che avete accolto in casa vostra».

Traduction: « Notre souffrance aujourd’hui est le prélude de ce que vous subirez également, Européens et chrétiens occidentaux, dans un futur proche« , dit Amel Nona, 47 ans, archevêque chaldéen de Mosoul réfugié à Irbil. Le message est sans équivoque: l’unique façon de mettre fin à l’exode chrétien de lieux qui ont vu la naissance du christianisme durant la période pré-islamique est de répondre à la violence par la violence, à la force par la force (…).

Il est bien content de rencontrer la presse occidentale: « S’il vous plaît, essayez de comprendre. Vos principes libéraux et démocratiques ne valent rien ici. Vous avez besoin de repenser à notre réalité ici au Moyen-Orient parce que vous continuez d’accueillir un nombre toujours croissant de musulmans. Vous aussi encourez un risque. Vous devez prendre des décisions fortes et courageuses, au risque de contredire vos principes. Vous pensez que tous les hommes sont égaux – mais ce n’est pas vrai.  L’Islam ne dit pas que tous les hommes sont égaux. Vos valeurs ne sont pas leurs valeurs. Si vous ne le comprenez pas à temps, vous deviendrez victime d’un ennemi que vous aurez accueilli dans votre maison. »

Difficile d’accabler ces deux religieux chrétiens,  qui ont des circonstances atténuantes puisque chassés avec leurs ouailles de leurs terres ancestrales, pour ces propos tout aussi inacceptables que la rhétorique sectaire de Da3esh, qui impose aux yézidis une conversion à bout de kalash et aux chrétiens une discrimination ouverte. Ils illustrent cependant admirablement le mécanisme cyclique qui veut que le sectarisme de l’un renforce celui de l’autre. Difficile de ne pas saisir que ces propos ecclésiastiques convaincront certains musulmans, jusque là peu sensibles voire choqués par le message de Da3esh, que finalement il s’agit bien d’une guerre de religion, islam sunnite contre chrétienté, et que dans ce cas, ma foi…

Mais chacun est responsable de ses choix: rien n’oblige de répondre, au sectarisme de l’ennemi, par un sectarisme de défense ou de revanche. Dans le cas de la Syrie et de l’Irak, nul ne doute que si solution il y aura, elle sera d’abord politique et passera nécessairement par un discours et des accords dépassant le sectarisme à défaut hélas de l’éliminer. Et ceci vaut d’autant plus pour ceux d’entre nous qui avons le bénéfice de la distance géographique…