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Comme d’habitude au Maroc lors des référendums constitutionnels, peu de partis prônent le non, les opposants au projet de constitution proposé par le Roi appelant le plus souvent au boycott. Cela sera le cas cette année: si l’on fait abstraction d’Al adl wal ihsan, probablement la plus populaire des organisations politiques marocaines (du moins en terme de militants) mais non reconnue, les autres partis soutenant le mouvement de protestation du 20 février – PSU, CNI, PADS, Annahj addimoqrati – sont eux tout à fait légaux.
Et comme d’habitude, se pose la question de la représentation, sur les ondes audio-visuelles publiques, des tenants du boycott. Bref rappel du cadre légal:
Si le Code électoral réglemente les campagnes électorales, la loi n° 77-03 relative à la communication audiovisuelle réglemente comme son titre l’indique la communication audiovisuelle. Si les règles spécifiques aux campagnes électorales se trouvent dans le premier texte, le principe de pluralisme, y compris politique, est affirmé dans le second texte.
I- Les dispositions pénales du Code électoral
Voyons d’abord ce qu’en dit le droit électoral. L’exposé des motifs du Code électoral, exposant les considérations et principes principaux l’ayant motivé, contient ainsi, au huitième considérant, une reconnaissance de la liberté de choix en matière électorale (y compris donc les référendums):
Sur le plan de l’expression des choix des électeurs, cette nouvelle législation consacre les principes universels en la matière portant sur la liberté, le secret et l’universalité du vote. Ces principes ont pour but de garantir la sincérité du résultat des urnes en permettant à chaque électeur de pouvoir voter pour le candidat ou la liste de son choix, librement et sans aucune sollicitation, menace ou pression.
Le considérant suivant précise:
Dans le but d’assurer cette liberté de choix, le code électoral comporte un dispositif à même d’instaurer une compétition loyale entre les partis et les candidats (…)
Il n’y a bien évidemment aucune raison d’estimer que le principe de compétition loyale ne puisse trouver à s’appliquer également aux référendums. C’est à la lumière de ces principes que les dispositions du Code doivent être lues – j’évoquerai cependant ensuite les textes internationaux applicables, qui ont valeur supérieure à la loi selon une jurisprudence marocaine de longue date.
Le principe de la liberté du vote est réaffirmé dans la deuxième partie du Code, commune à toutes les opérations électorales et référendaires, et plus précisément à l’article 39:
Le suffrage est libre, personnel, secret et universel.
Le Code souligne cependant que le vote est non seulement un droit mais une obligation – ainsi l’article 55 énonce-t-il:
Le vote est un droit et un devoir national.
Mais cette disposition est purement platonique: aucune sanction ne vient frapper l’électeur inscrit qui ne voterait pas – ni même le citoyen remplissant les conditions d’inscription sur les listes électorales mais qui ne s’est pas inscrit – bref: le Code électoral reconnaît le libre choix de l’électeur marocain de voter ou de ne pas voter (25 pays ont par contre un système de vote obligatoire), et bien évidemment de voter oui ou de voter non. Les articles 77 à 108 du Code électoral, qui répriment toute une série d’infractions liées aux élections et référendums, ne répriment pas le fait de ne pas être inscrit sur une liste électorale ou de ne pas avoir voté. Bref, comme souvent en droit marocain, certaines dispositions tiennent plus de la dissertation que de la rédaction législative.
Seulement, la pratique judiciaire, contraire aux textes (un commentateur récent a eu raison de le souligner) consiste, pour les autorités, à ne pas tolérer l’expression, sur les ondes publiques, d’opinions en faveur du boycott, et à poursuivre ceux qui feraient activement campagne pour le boycott. La base légale de cette pratique? Elle est le plus souvent présentée comme étant l’article 90, qui dispose ceci:
Est puni d’un emprisonnement d’un mois à trois mois et d’une amende de 1 200 à 5 000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, détourne des suffrages ou incite un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter.
Comme je l’ai déjà écrit, cette disposition est interprétée abusivement comme interdisant l’appel au boycott, alors qu’elle réprime une infraction comportant trois éléments constitutifs:
- L’emploi de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses;
- Un but consistant à détourner des suffrages ou inciter un ou plusieurs électeurs à s’abstenir;
- L’intention (mens rea) de commettre cette infraction.
Il n’est donc pas suffisant que quelqu’un incite des électeurs à s’abstenir lors d’une élection, encore faut-il que que cette intention soit matérialisée par des manoeuvres frauduleuses. Ainsi, l’emploi de fausses nouvelles présuppose que l’auteur de cette infraction sache que ces nouvelles soient fausses; les bruits calomnieux présupposent là aussi que l’auteur se soit rendu coupable de ce qui s’apparente à de la diffamation (la calomnie n’est pas une infraction pénale et n’est pas non plus définie) – et là encore, conformément à l’article 49 du
Code de la presse et de l’édition, la vérité du fait diffamatoire (c’est-à-dire portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué) peut être rapporté par la personne poursuivie; les autres manoeuvres frauduleuses présupposent – le terme n’est pas défini, ni dans le Code électoral ni dans le Code pénal – des actes cherchant sciemment à tromper une victime.
Il est nécessaire de rappeler ici quelques principes de droit pénal, s’agissant d’une infraction: tout d’abord, l’article 3 du Code pénal rappelle que « nul ne peut être condamné pour un fait qui n’est pas expressément prévu comme infraction par la loi » – la loi pénale est d’interprétation stricte et ne peut s’appliquer par analogie à des cas non expressément prévus par la loi. Le simple appel au boycott, en dehors des manoeuvres exclusives visées par l’article 90 du Code électoral, ne devrait donc suffire pour l’auteur d’un tel propos encoure la sanction de l’article 90 du Code électoral.
D’autre part, comme rappelé plus haut, il ne suffit pas pour que l’on puisse être condamné au titre de l’article 90 du Code électoral que les deux éléments de ce délit (1) – moyens utilisés et but spécifique poursuivi – soient réunis – encore faut-il, en vertu de l’article 133 du Code pénal, que ce délit ait été commis intentionnellement. Ainsi, la simple imprudence – par exemple dans la diffusion de fausses nouvelles – n’exposera pas l’imprudent à la sanction de l’article 90 du Code électoral.
Ceci, c’est bien évidemment pour la théorie – si les juges marocains appliquaient correctement la loi, surtout dans des affaires à coloration politique, cela se saurait. En fait,
pour me répéter, l’article 90 est mal rédigé car permettant l’interprétation erronée qu’en font tribunaux répressifs marocains –
un bien meilleur libellé de cet article serait le suivant:
Est puni d’un emprisonnement d’un à trois mois et d’une amende de 1.200 à 5.000 dirhams quiconque diffuse des informations mensongères sur l’annulation des opérations de vote, la modification de la date ou de l’horaire du scrutin, la modification de l’emplacement des bureaux de vote ou toute autre modalité pratique du vote en vue de détourner des suffrages ou de provoquer l’abstention d’électeurs.
Un dernier argument de droit pénal: nous avons vu que le boycott des élections ou d’un référendum n’est pas une infraction pénale. Si l’acte principal est donc légal, comment le fait d’appeler les électeurs à commettre cet acte légal pourrait-il constituer un acte illégal? Si un lecteur peut m’indiquer un autre cas d’infraction où l’appel à commettre un acte légal est réprimé alors que l’acte en question est légal, je serais très surpris.
On pourrait même citer, même si ça peut sembler superflu après notre passage en revue du Code électoral et du Code pénal, plusieurs articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (
PIDCP), ratifié par le Maroc et ayant donc valeur supérieure aux lois que sont ces deux codes – nous avons même vu plus haut que l’exposé de motifs du Code électoral fait référence expresse aux «
principes universels » en matière du libre choix des électeurs:
Article 15
1. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. (…)
Article 19
1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. (…)
Article 25
Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables:
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs; (…)
Article 26
Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion (…);
Pour toutes ces raisons, l’utilisation de l’article 90 du Code électoral contre ceux faisant simplement campagne pour le boycott ne semble pas devoir prospérer, pour autant que d’éventuelles poursuites soient jugées par des magistrats compétents, indépendants et impartiaux.
II – La répartition du temps de parole
Le Code électoral est clair: en matière de référendums, la participation à la campagne officielle est réservée aux partis politiques et syndicats reconnus:
Art. 112. – Sont seuls admis à participer à la campagne référendaire les partis politiques et les organisations syndicales légalement constitués à la date d’ouverture de la campagne.
Si des partis se prononcent en faveur du boycott, aucune disposition ne permet aux pouvoirs publics de leur retirer leur droit de participer à la campagne électorale officielle, la seule condition étant celle de l’existence légale à la date d’ouverture de la campagne officielle. Aucune disposition des textes en question n’évoque le cas du droit de parole pour les tenants d’un boycott – il dépend de chaque parti ayant décidé en faveur de boycott de plaider en sa faveur durant son temps de parole.
Le Code électoral est cependant muet sur la répartition du temps de parole dans les médias – radio et télévision – publics. Il faut donc se reporter au dahir n°1-04-257 du 25 kaâda 1425 (7 janvier 2005) portant promulgation de la loi n° 77-03 relative à la communication audiovisuelle. Son article 2 pose le principe du « caractère pluraliste de l’expression sous toutes ses formes des courants de pensée et d’opinion« , principe repris ailleurs: « sous réserve de la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression, les sociétés de communication audiovisuelle conçoivent librement leurs programmes » (article 4), « les opérateurs de communication audiovisuelle doivent (…) fournir une information pluraliste et fidèle » et « présenter objectivement et en toute neutralité les événements et ne privilégier aucun parti politique ou groupe d’intérêts ou association, ni aucune idéologie ou doctrine. Les programmes doivent refléter équitablement la pluralité de ceux-ci ainsi que la diversité des opinions. Les vues personnelles et les commentaires doivent être identifiables comme tels » (article 8).
C’est au travers des cahiers des charges que l’Etat impose des obligations en matière électorale, en faisant référence implicitement au Code électoral:
Les cahiers des charges doivent notamment prévoir les conditions dans lesquelles sont assurées les missions de service public par lesdites sociétés et relatives à :
• la diffusion des allocutions et des activités Royales ;
• la diffusion des séances et des débats de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers ;
• la diffusion des communiqués et messages d’extrême importance que le gouvernement peut à tout moment faire programmer ;
• le respect de la pluralité d’expression des courants de pensée et d’opinion et l’accès équitable des formations politiques et syndicales, selon leur importance et leur représentativité, notamment pendant les périodes électorales et ce conformément à la réglementation en vigueur;
Les partis ou syndicats légalement constitués à la date du commencement de la campagne officielle peuvent donc faire campagne pour le boycott. Mais on notera que la répartition du temps de parole n’est pas égalitaire entre tenants du oui ou du non, puisque les référendums, invariablement d’initiative royale, sont généralement soutenus par la quasi-totalité des partis et syndicats reconnus.
C’est sur la base notamment de cette loi que le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle a adopté des lignes directrices en matière de répartition du temps de parole lors de ce simulacre de campagne référendaire:
Article 3:
Les programmes de la période de consultation référendaire sont ouverts à tous les courants de pensée et d’opinion, notamment en faveur des acteurs politiques, syndicaux, économiques, académiques, culturels et sociaux concernés, en fonction des choix éditoriaux de l’opérateur audiovisuel.
Néanmoins, tout en assurant constamment la maitrise d’antenne, les opérateurs de la communication audiovisuelle devront observer un équilibre entre la pluralité des points de vue, au sein de chaque programme cité au 1.5 ci-dessus, sur la base d’une politique d’invitation équitable et diversifiée ;
Article 4 :
Les opérateurs de la communication audiovisuelle doivent observer les règles d’honnêteté et de neutralité, notamment en s’abstenant de diffuser tout programme pouvant contenir des informations fausses, des propos diffamatoires ou dénigrants, ou tout programme qui risque de perturber le cours normal de la période de consultation référendaire par son contenu ou par sa forme.
Ils veillent également à ce que leurs journalistes et animateurs observent à l’antenne le devoir d’impartialité et d’objectivité.
Le décret pris pour départager le temps de parole sur les chaînes radio-télévisées publiques précise ainsi:
Ainsi, chaque parti politique ayant un groupe parlementaire au sein de l’une des deux chambres et chaque centrale syndicale représentée au Conseil économique et social disposent de 12 minutes, réparties en deux séances d’une durée de 6 minutes chacune. A cela s’ajoutent 3 minutes pour la couverture de l’un de leurs meetings tenus à l’occasion de la campagne référendaire. Pour les autres partis représentés dans le Parlement et les syndicats de la Chambre des conseillers, ils ont droit à une seule séance de 6 minutes pour chacun. A cela s’ajoutent 2 minutes de couverture de la campagne. Les formations politiques et les syndicats non représentés au Parlement peuvent utiliser également les moyens audiovisuels pour une durée de 3 min. Pour couvrir l’un de leurs meetings, ils ont droit à une minute.
Une autre répartition du temps de parole rationnelle, s’agissant d’une opposition binaire entre le « oui » et le « non », aurait donné 50% du temps de parole aux tenants de l’un ou l’autre camp, ainsi que l’a réclamé le collectif Mamfakinch, relais sur Internet du mouvement du 20 février. Une majorité écrasante des partis soutenant le « oui », le déséquilibre fausse l’opération référendaire – et c’est voulu.
(1) Constitue un délit en vertu de l’article 17 du Code pénal l’infraction punie au minimum d’un mois et au maximum de cinq ans d’emprisonnement. Le même article prévoit que la simple imprudence peut constituer un délit mais uniquement si la loi en dispose expressément.
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