Les informations sur le déroulement exact du procès qui abouti à la condamnation pour offense au Roi de Yassine Belassal sont fragmentaires. Tout juste sait-on que ses tags datent ou ont été découverts le 20 septembre dernier, et que son procès a commencé le 22, suivi d’un ajournement au 29 septembre, date de sa condamnation. Il fût jugé et condamné sans la présence d’avocat à ses côtés, mais certains articles de presse affirment que l’ajournement a eu lieu afin de lui permettre d’en prendre un. Soit le délai n’a pas été suffisant, soit il n’a pas eu les moyens d’en payer un. Depuis sa condamnation en première instance, il en aurait cependant un, qui serait Me Taher Abouzid de Marrakech. La base légale de sa condamnation serait l’article 41 du Code de la presse, qui réprime notamment l’offense au Roi:
Art. 41.- Est punie d’un emprisonnement de 3 à 5 ans et d’une amende de 10.000 à 100.000 dirhams toute offense, par l’un des moyens prévus à l’Art. 38, envers Sa Majesté le Roi, les princes et princesses Royaux.
La même peine est applicable lorsque la publication d’un journal ou écrit porte atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l’intégrité territoriale.(…)
On peut faire quelques remarques néanmoins:
1- Le délai de notification de quinze jours posé par l’article 72 du Code de la presse n’a pas été respecté – encore une fois, puisque le bloggeur Mounir Erraji fût acquitté en appel notamment en raison du non-respect de ce délai. Voici ce que dispose l’article 72:
Art. 72.- L’action publique est mise en mouvement par le biais d’une citation notifiée par le ministère public ou la partie civile quinze jours aux moins avant la date de l’audience qui précisera et qualifiera le fait incriminé. Elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite, le tout à peine de nullité de la convocation.
En clair, Yassine Belassal aurait dû être cité à comparaître par notification écrite du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Marrakech au moins quinze jours avant sa comparution. Cela n’a pas été le cas. Rien que pour ce motif, la Cour d’appel de Marrakech, devant laquelle Yassine Belassal a fait appel de sa condamnation, devrait annuler le jugement l’ayant condamné, quitte éventuellement à renvoyer l’affaire devant le tribunal de première instance pour un nouveau procès, régulier celui-là. Soulignons néanmoins que selon l’article 310 du Code de procédure pénale (qui est applicable d’office aux délits réprimés par le Code de la presse en vertu de l’article 71 de ce dernier, sauf dispostions contraires), « toute preuve de nullité de la citation doit être présenté avant toute réquisition ou défense au fond« , sous peine de forclusion (1).
On notera cependant que cette disposition n’avait pas empêché la Cour d’appel d’Agadir d’annuler le jugement condamnant le bloggeur Mounir Mohamed Erraji en raison notamment du non-respect de ce délai.
Cette approche semble justifiée: une personne condamnée, surtout dans un procès concernant un délit politique, doit pouvoir invoquer à son bénéfice les (rares) garanties procédurales qui lui sont accordées par la loi sans formalisme excessif, sachant que ce type de procès est le plus souvent expéditif, que l’accusé a rarement un avocat à ses côtés, et que les peines sont lourdes – le tarif normal pour une offense au Roi ou à la famille royale a jusqu’ici été, dans les affaires de ces deux dernières années, d’entre et demi et trois ans de prison. Lorsque l’on discute la réforme nécessaire de l’article 41 du Code de la presse, il faudrait également songer à réformer l’article 310 du Code de procédure pénale.
2- La présence d’un avocat aux côtés de Yassine Belassal, dans un procès pénal relatif à un délit (2), est malheureusement pas une obligation, dans l’état actuel du droit positif au Maroc. Certes, le droit marocain en général et le Code de procédure pénale en particulier reconnaissent au justiciable le droit de se faire assister par un avocat lors de certaines étapes de la procédure pénale – par exemple lors de la prolongation d’une garde à vue (articles 66 alinéa 4 et 80 alinéa 5 du Code de procédure pénale), ou lors d’une comparution devant un tribunal pour crime ou délit flagrant (article 73 alinéa 1 du Code de procédure pénale), ou lors de l’interrogatoire de l’accusé par le tribunal (article 312 alinéa 6 du Code de procédure pénale), entre autres cas de figure. De manière plus générale, l’article 315 du Code dispose:
Article 315 : Tout inculpé, en tout état de la procédure, peut recourir à l’assistance d’un défenseur.
Son représentant légal a le même droit.
En effet, si l’accusé peut réclamer la présence à ses côtés d’un avocat, l’absence d’aide financière de l’Etat rend ce droit virtuel pour la grande majorité des accusés, qui n’ont pas les moyens de payer les frais d’avocats (je rappelle aux Marockains que le revenu moyen officiel de leurs concitoyens hors Californie, Racine, Souissi, Agdal et La Palmeraie est d’environ 2.000 $ US par an et par habitant).
En outre, si l’accusé peut demander à être assisté par un avocat, ce droit peut lui être refusé – par exemple durant la garde à vue – et ce n’est que dans certaines circonstances spécifiques énoncées par le Code de procédure pénale que la présence d’un avocat aux côtés de l’accusé est obligatoire. Ainsi, l’article 210 du Code de procédure pénale rend obligatoire la présence de l’avocat lors des interrogatoires et confrontations (cfr. articles 134 à 136 du Code), dans les cas où lil y a instruction en vertu de l’article 83 (3), sous peine de nullité de la procédure. La nullité pouvant toutefois être totale – c’est-à-dire affecter toute la procédure, avec pour résultat la l’acquittement de l’accusé – ou partielle – c’est-à-dire entraîner simplement l’annulation de l’acte vicié (cf. article 211 du Code de procédure pénale).
De manière plus explicite, l’article 316 impose la présence d’un avocat, au besoin désigné d’office par le tribunal, dans certains cas, notamment pour tous les cas de crimes (4), et certains cas de délits:
Article 316 : L’assistance d’un défenseur est obligatoire en matière de crimes devant la chambre criminelle.
Elle l’est également en matière de délits dans les cas suivants :
1°) Quand l’inculpé est soit mineur de dix huit ans, soit muet ou aveugle, soit atteint de toute autre infirmité de nature à compromettre sa défense.
2°) Dans les cas où l’inculpé encourt la relégation.
3°) Dans le cas prévu à l’alinéa 4 de l’article 312.
L’alinéa 4 de l’article 312, auquel il est fait référence, vise le cas où l’accusé est empêché d’assister à l’audience pour des raisons de santé.
Comme on le voit donc, aucune disposition du Code de procédure pénale ne rend obligatoire la présence d’un avocat aux côtés de Yassine Belassal – certes, il avait le droit d’en réclamer un, mais si, pour une raison ou une autre, sa demande n’a pu être satisfaite, ce n’est pas une cause explicite de nullité de la procédure pénale contre lui. Il y a certes l’article 212 alinéa 1 du Code de procédure pénale:
Article 212 : Il y a également nullité en cas de violation des dispositions substantielles de la procédure, ayant eu pour conséquence, de porter atteinte aux droits de la défense de toute partie en cause. (…)
Hélas, comme souvent, la rédaction des textes de lois marocains laisse à désirer, ce qui est le cas avec l’article 212: il est en effet placé sous le titre III, intitulé « De l’instruction préparatoire » du livre premier du Code de procédure pénale. On pourrait donc estimer que cet article, qui permet de demander la nullité des actes et procédures portant atteinte aux droits de la défense, ne trouve à s’appliquer qu’en matière d’instructions. Or, comme je vous l’ai dit plus haut (voir la note 3), l’instruction ne concerne obligatoirement que les crimes les plus graves, et elle n’est que facultative en matière de délits punis de cinq ans de prison (ce qui est le cas de l’offense au Roi). Et il ne semble pas qu’il y ait eu instruction menée par un juge du même nom dans le cas de Yassine Belassal. Selon une interprétation stricte et littérale des textes – trop à mon sens – le recours à l’article 212 du Code de procédure pénale pourrait être exclu dans les procès concernant des infractions non soumises à instruction en vertu de l’article 83 du Code de procédure pénale.
Cette interprétation me semble intenable. D’une part, parce que la lettre de l’article 212 n’exclut pas qu’il soit appliqué à des procès pénaux n’ayant pas été précédés par une phase d’instruction. D’autre part, parce que plusieurs autres dispositions figurent dans ce titre III du livre premier du Code, relatif à l’instruction: on peut citer par exemple les dispostions relatives aux écoutes téléphoniques et autres interceptions (articles 108 à 116), le placement sous surveillance judiciaire et la détention provisoire (articles 159 à 188) ou encore l’expertise (articles 194 à 209). En l’absence d’information sur la pratique judiciaire en la matière, je dirais qu’il y a néanmoins là une piste possible – si un praticien du droit pénal marocain a plus d’infos là-dessus, je suis preneur.
D’autres dispositions du Code semblent également imposer implicitement la présence d’un avocat, même si l’absence de celui-ci n’est pas explicitement cause de nullité: ainsi, en matière de crimes, l’article 423 alinéa 6 dispose que « le président [de la chambre criminelle] s’assure de la présence du conseil de l’accusé. En l’absence dudit conseil, il pourvoit d’office à son remplacement« .
Ensuite, l’article 385 du Code de procédure pénale traite du cas de la comparution directe de l’accusé, sans citation préalable, pour les cas de délits flagrants, cas régi par l’article 74. Certes, nous avons vu plus haut qu’en matière de délits régis par le Code de la presse, la citation préalable quinze jours au moins avant l’audience est de rigueur. Cette disposition a selon toute vraisemblance été violée ici. Mais les autorités judiciaires ont sans doute doublement violé la procédure: car si la comparution directe est possible en cas de délit flagrant, le juge doit obligatoirement avertir l’accusé qu’il a le droit de réclamer un délai pour choisir un avocat et préparer sa défense. Sans bénéficier de l’accès au dossier, il semblerait néanmoins que tel n’ait pas été le cas.
Voici en tout cas ce que dispose l’article 385 du Code de procédure pénale:
Article 385 : Dans le cas visé à l’article 74, l’inculpé, conduit à l’audience sans citation préalable, est averti par le juge dans les trois jours au plus tard, qu’il a le droit de réclamer un délai pour préparer sa défense et pour choisir un avocat.
Mention de cet avertissement et de la réponse de l’inculpé est faite au jugement.
Si l’inculpé use de la faculté qui lui est ainsi donnée, le tribunal lui accorde, à cette fin, un délai de trois jours au moins, et statue sur la demande de mise en liberté provisoire éventuellement présentée.
Les dispositions précédentes doivent être observées à peine de nullité.
Les témoins peuvent être convoqués verbalement par tout officier de police judiciaire ou tout agent de la force publique ou par un agent judiciaire ou un huissier de justice. Ils sont tenus de comparaître sous les sanctions prévues à l’article 128.
Comme on le voit, le non-respect de ces formalités obligatoires emporte la nullité de la procédure, et donc du jugement. Cette éventualité est à creuser par la défense de Yassine Belassal.
Il serait enfin malséant de ne pas citer quelques dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP):
Article 14
1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. (…) tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants.
2. Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:
a) A être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle;
b) A disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix;
(…)
d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer;
e) A interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
(…)
g) A ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable.
(…)
5. Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.
6. Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie. (…)
S’agissant de liberté d’opinion:
Article 19
1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui;
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
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(1) En voici le texte:
Article 310 du Code de procédure pénale:
Sous peine de forclusion, toute preuve de nullité de la citation doit être présenté avant toute réquisition ou défense au fond.
Toutefois, si l’inculpé se présente à l’audience, personnellement ou par l’intermédiaire de son avocat, il pourra se prévaloir de la nullité de la citation, et peut demander à la juridiction de réparer les erreurs ayant entaché la citation ou remédier à ses insuffisances. Dans ce cas, la juridiction doit lui accorder un délai pour préparer sa défense avant d’entamer les débats.
(2) Un délit est une infraction punissable de un mois à cinq années de prison, selon la définition donnée à l’article 17 du Code pénal.
(3) Voici les cas où l’instruction judiciaire, menée par un juge d’instruction, est obligatoire ou facultative selon l’article 83 du Code de procédure pénale:
Article 83 : L’instruction préparatoire est obligatoire :
1/ en matière de crime puni de la peine de mort, de l’emprisonnement à perpétuité ou d’une peine d’emprisonnement de 30 ans au maximum ;
2/ en matière de crime commis par des mineurs.
3/ en matière de délit, par disposition spéciale de la loi ;
L’instruction est facultative en matière de crimes et de délits commis par des mineurs, et en matière de délits punis de cinq ans d’emprisonnement ou plus au maximum.
(4) Un crime est un infraction punie de plus de cinq années de prison, ou de la résidence forcée, ou de la dégradation civique, en vertu de l’article 16 du Code pénal.
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