Chapeau, Abdellah Taïa!

Abdellah Taïa, un des écrivains marocains francophones les plus en vogue – sans doute autant pour son oeuvre que pour son homosexualité affichée et assumée – vient de signer une tribune très forte dans El Pais. Le motif: invité à un festival de Cartagena en Espagne, il a été surpris d’apprendre que Nadia Yassine, l’égérie islamiste et républicaine d’Al adl wal ihsan, et Ali Lmrabet, journaliste emprisonné puis interdit d’exercer pour lèse-majesté, avaient été déprogrammés à la dernière minute.

Comme le relève le bougnolosophe, cette alliance de circonstance entre un homosexuel affiché et une islamiste est inédit au Maroc, alors qu’en Europe, la condition minoritaire partagée des homosexuels et des musulmans a amené ponctuellement à des rapprochements. Il faut dire qu’Abdellah Taïa frappe fort: il annule sa participation au festival – une responsable dudit festival aurait également démissionné en guise de protestation- et dénonce la censure – un geste appréciable quand on sait combien un écrivain en début de parcours dépend de ce type de festival. Et sa tribune, intitulée « Qui est Marocain?« , n’est pas vraiment un robinet d’eau tiède, contrairement à ce qui sort de la plume d’autres éminents écrivains et poètes marocains francophones:

Après les avoir initialement inclus dans le programme de sa prochaine édition, le prestigieux festival de Carthagena vient d’exclure Nadia Yassine, la fille du Cheikh Yassine (le leader du mouvement islamiste Al-Adala Wa Al-Ihssane), et le journaliste exilé en Espagne Ali Lmrabet. Ils ne participeront donc pas aux débats qui auront lieu à cette occasion autour du Maroc et de ses productions littéraires et intellectuelles. Suite à cette censure inacceptable et incompréhensible, Lola Lopez Mondéjar, l’organisatrice de ces débats, a démissionné du festival. Et c’est pour la soutenir dans cette décision et annoncer mon retrait du prochain festival de Carthagena que j’écris ce papier. (…)

Pour se défendre, le directeur de ce festival a déclaré la semaine dernière dans EL PAIS que moi, Abdellah Taïa, 35 ans, écrivain et premier Marocain à avoir assumé publiquement son homosexualité, je participerai à ce festival et je parlerai donc librement de tout, y compris de ma sexualité.

Qu’est-ce que cela veut-il bien dire ? Que l’homosexuel marocain est bienvenu en Espagne mais pas une femme appartenant à un mouvement islamiste, ni un journaliste qui a eu de gros ennuis avec les autorités marocaines ? Je ne peux pas accepter cela. Je ne peux pas me laisser récupérer de cette façon-là. Je ne veux pas qu’on me donne la parole au détriment d’autres Marocains. Quand j’ai parlé au Maroc de mon homosexualité, c’était une nécessité intérieure (et je n’ai eu besoin d’aucune autorisation, d’aucune bénédiction), c’était avant tout un combat pour accéder à l’individualité, mais pas seulement pour moi.

Ce qui nous manque cruellement au Maroc et nous empêche d’avancer, de nous libérer, ce sont, entre autres, les débats contradictoires. Réels. Pas fictifs, pour la façade, pour donner une fausse image de progrès et de modernité. Malgré le très bon travail de certains médias (TEL QUEL, LE JOURNAL HEBDO, les radios, etc.), ce genre de débat, quand il y en a un, ne touche malheureusement pas tous les Marocains. Et ce n’est pas la décision du festival de Carthagena qui va aider à changer la situation. Décision étrange d’ailleurs : Nadia Yassine et Ali Lmrabet s’expriment régulièrement dans les journaux marocains. Pourquoi les écarter alors ? Mystère. Sont-ils moins marocains que moi ? Moins « fashion » peut-être ?! Plus « dangereux » ? (…)

J’entendais souvent au Maroc des excommunications à propos de tel ou untel qui aurait soi-disant trahi le Maroc et ses idéaux. J’entendais ce genre de phrases : « Il n’est pas Marocain, lui. Il ne l’a jamais été. Il ne le sera jamais. » Aujourd’hui, on entende aussi, de plus en plus, ces autres phrases : « Il n’est pas musulman, un bon musulman, lui. » Un mécréant, alors ? Ces négations dangereuses, et qui détournent l’attention des vrais sujets, sont proférées aussi, malheureusement, par certains intellectuels et artistes. Ces négations n’aident pas le Marocain à se relever pour crier, pour exister.

En mai 2007, j’ai entendu ces mêmes jugements scandaleux à propos des deux frères qui ont commis à Casablanca un double attentat suicide. Après avoir erré presque deux jours dans les rues, ils se sont faits explosé non loin du consulat américain. Ils n’ont tué personne. Juste eux-mêmes. C’était le comble du désespoir dans lequel vit depuis trop longtemps la jeunesse marocaine. C’était un cri du coeur, des tripes. Un appel à la société marocaine. Il n’a pas été entendu. On estimait sans doute que ce n’était pas notre faute, ni notre responsabilité. Normal, ces deux frères n’étaient pas des Marocains. N’est-ce pas ?!

Qui l’est alors ?

Rien à rajouter.

20 Réponses

  1. El 3ez, comme dirait l’autre!

  2. Effectivement chapeau! Cela m’a d’autant plus étonné que Taïa est connu pour être un proche de Frederic Mitterand ce pourfendeur de la repentance qui ne voit en nous, indigènes, que des nègres pleurnichards et que Taïa est capable de phrases de cette espèce : « Comme toutes les femmes marocaines X consulte régulièrement son marabout » ( c’est dumoins en substance ce que j’ai lu dans le Rouge du Tarbouche). Mais bon, je crois que j’ai été capable de pire tant la voie de la Conscience de Soi est pénible et semée de faux semblants sournois. Aujoud’hui on ne peut que lui tirer nos tarbouches.

  3. Amin K: je n’avais rien lu de lui avant, et suis agréablement surpris par sa tribune, d’une clarté et d’une cohérence impressionnantes. Sur ce qu’il a pu écrire dans ses romans, personne n’est parfait…

  4. Et pourquoi le sieur Mrabet et Lalla Nadia ont-ils été interdits de présence à ce festival ?

  5. Oui personne n’est parfait. Nul n’a vraiment le droit de juger les autres et chacun rendra compte à son créateur, mais un hadith du Prophète Mohammed (paix sur lui) enjoint à celui qui commet un péché de ne pas le proclamer pour que le vice ne se répande pas. Ce meme hadith met en garde contre le chatiment réservé aux communautés ou le vice s’expose au grand jour : l’apparition dans ces communautés de maladies auparavant inconnues. Pour rappel, le Sida était inconnu jusqu’à son apparition dans la communauté homosexuelle de San Francisco… dont la réputation est aujourd’hui mondiale.

  6. @shukr: « Pour rappel, le Sida était inconnu jusqu’à son apparition dans la communauté homosexuelle de San Francisco »

    N’importe quoi!

    Nous (les Humains) avons pu préservé du sang, tissus et autres choses qui nous ont permit d’identifier le Sida dans le cas du Robert R. (St. Louis), et du Norvégien Arvid Noe, sa femme et sa fille de 9 ans en 1969 et bien d’autres cas.

    On a trouver le virus (VIH) dans des échantillons datant des années 50, principalement au Congo. La théorie actuel la plus répandu veut que l’origine du virus soit de singe de l’Afrique de l’ouest centrale .

    Oui, la communauté homosexuelle masculine a surement fait des merveilles pour répandre le dit virus, mais ce n’est pas une raison pour raconter des conneries concernant ses origines.

  7. A lixy : Respire profondément et détend toi… Le SIDA a été DECOUVERT dans les années 80 et le mérite de sa découverte à d’ailleurs fait l’objet d’une polémique entre la France (Professeur Robert Gallo de l’Institut Pasteur) et les Etats Unis (Professeur Luc Montagnier). Que des cellules souches du SIDA aient existé avant ne prouve rien d’autre sinon qu’il n’y a pas de génération spontanée dans l’univers et que le virus du SIDA a naturellemnt une origine matérielle. Mais la maladie en tant que telle était INCONNUE. Ca va mieux ? Tu es libre de vivre et mourir con ou de te convertir à l’Islam.

  8. @IK :
    Je me joins à toi et je salue Abdellah !

    Ça a le mérite de montrer son intégrité intellectuelle, contrairement à ce que font croire ses détracteurs, comme quoi il ne s’occuperait que de « vice ». Et puis je ne suis pas sûr que « Lalla Nadia » en ferait autant, ça grandit Taïa davantage….

    J’avais déjà lu le Rouge du Tarbouche, et apprécié l’originalité de la perspective. Quant à la phrase : « “Comme toutes les femmes marocaines X consulte régulièrement son marabout”, il n’y a que la généralisation qui puisse être reprochée, quoiqu’un écrivain n’est pas obligé de prendre des pincettes….

    @ribh :
    « Tu es libre de vivre et mourir con ou de te convertir à l’Islam. » Quel scoop ! Je crains cependant que le plus con de vous deux soit plutôt le prosélyte ?

  9. lixy: je crois que tu dérapes – sans être un exégète de l’histoire du SIDA, cette histoire de singe au Congo me semble venir d’une déclaration de Le Pen dans les années 80…

    ribh: “Tu es libre de vivre et mourir con ou de te convertir à l’Islam.” – les deux ne sont pas incompatibles.

    annouss: faudrait demander à l’ambassade du Maroc en Espagne…

    Spy Jones: en effet, je suis agréablement surpris par la rectitude morale de Taïa, alors que je le prenais pour une dilettante (du point de vue politique) du genre Nabil Ayouch ou Leïla Marrakchi…

  10. alors que je le prenais pour une dilettante (du point de vue politique) du genre Nabil Ayouch ou Leïla Marrakchi…

    Apparement tu n’étais pas le seul à le penser. Les autorités marocaines vont etre tétanisées en lisant surtout son dernier paragraphe.

    L’histoire du singe du Congo et du SIDA provient effectivement (aussi ?) des déclarations de Le Pen.

  11. Nadia Yassine « l’égérie islamiste et républicaine », républicaine !!! hhahaha, quelle républicaine !!

  12. @IK: Il y a ce qui pourrait être considéré comme consensus sur l’origine du SIDA parmi la communauté scientifique. Ce n’est pas une simple « histoire de singe au Congo ». C’est que presque toutes les preuves scientifiques accumulés depuis étayent l’hypothèse du rapport entre le VIS de certains singes d’Afrique (non-humain) et le VIH-1. Toutes les études de phylogénétique moléculaire démontrent que le virus est apparu au début du siècle dernier en Afrique.

    Documente toi un peu sur le sujet. Associer Le Pen au consensus scientifique afin de décrédibiliser l’hypothèse la plus probable n’est que ignoratio elenchi.

  13. @ SpyJones : je n’ai pas l’habitude de traiter les gens de cons. La violence de mes propos était une réaction équilibrée au mépris avec lequel il s’est permis de qualifier de connerie des propos censés directement inspirés d’un hadith. Si tu es incapable de placer une réaction dans son contexte je suis disposé à te concéder la consécration du plus con des trois.

  14. @ Ibn Kafka : merci de publier le commentaire ci-après qui annule et remplace le précédent. Compliments.

    @ SpyJones : je n’ai pas l’habitude de traiter les gens de cons. La violence de mes propos était en réaction au mépris avec lequel Lixy a qualifié de « conneries » des propos censés, directement inspirés d’un hadith. Si tu es incapable de placer une réaction dans son contexte je suis disposé à te concéder la consécration du plus con des trois.

    @ IK : assurémment il n’y a pas incompatibilité.

    Pour en revenir au SIDA, la question n’était pas de savoir si le virus avait existé mais de savoir si la maladie – et le virus vecteur – étaient déjà connus. La réponse est évidemment NON. Mes propos sont étayés par l’attribution toute récente (en 2008) – 20 ans plus tard – du prix Nobel à Luc Montanier pour ses travaux ayant permis la D.E.C.O.U.V.E.R.T.E du Sida :
    http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/science_actualites/sitesactu/question_actu.php?langue=fr&id_article=10803

    Pour faire un peu de prosélytisme (je ne peux pas m’en empecher) je répéterai donc : oui, le hadith qui met en garde contre le chatiment réservé aux communautés où le vice s’expose au grand jour, à savoir l’apparition dans ces communautés de maladies auparavant inconnues est donc vérifié. Le Prophète (paix sur lui) avait raison.

    Allez Lixy, sans rancune , et toi aussi SpyJones.

  15. […
    Aujourd’hui, on entende aussi, de plus en plus, ces autres phrases : « Il n’est pas musulman, un bon musulman, lui. » Un mécréant, alors ? Ces négations dangereuses, et qui détournent l’attention des vrais sujets, sont proférées aussi, malheureusement, par certains intellectuels et artistes. Ces négations n’aident pas le Marocain à se relever pour crier, pour exister.

    …]

    Il n’y a pas que certains intellectuels et artistes. Certains citoyens marocains aussi.

    On aimerait se relever pour crier, pour exister comme écrirait A. T.

  16. @ ribh :
    Elle n’a pas traité de conneries ni le hadith ni dérivés, mais l’allégation de shukr selon laquelle la maladie était inconnue avant d’être découvertes chez des homosexuels américains. Ceci dit, tu as raison, il a été DECOUVERT en 1981, mais est apparu bien avant dans les années 50 au Congo (IK :ce n’est pas une théorie de la conspiration, parceque la « vraie » thèse conspirationniste c’est que des infirmiers blancs ont contaminés les Noirs, genre « infirmières bulgares »)

    Le châtiment n’est pas du tout « reservé au communautés », il a surtout touché des dizaines de milliers d’Africains innocents et pour tout dire hétérosexuels. Mais je vois que Monsieur veut faire coûte que coûte du prosélytisme, alors je prends le bon sens avec moi et je quitte les lieux.

    Bien le bonjour !

  17. @ribh: Oui, le SIDA etait inconnu. Aucun doute la dessus. Mais c’est tomber dans la sémantique que de me tomber dessus alors que tout les posts subséquent tente de me décrédibiliser en associant le consensus scientifique a Le Pen.

    Je n’ai pas contredit le hadith. En toute évidence, la citation attribuée au Prophete et pleine de sagesse. Mais a partir du contexte du commentaire de shukr, il est clair que ce dernier veut nous faire croire que le SIDA est magiquement apparu a San Fransico (en réalité, il voulait surement dire Los Angeles, mais ne nous arretons pas aux détails). Alors que des gens sont mort du SIDA bien avant! Je ne pense pas avoir mal-interprété son post.

    Plus généralement, un hadith n’est un argument que pour ceux qui veulent lui accorder de l’importance. Et tenter d’en valider un par une logique fallacieuse et de la pseudo-science se fait a ses risques et périls. Si tu vois du mépris, je n’y peux rien. Je ne pense pas que la théorie de l’émergence spontanée du VIH dans la communaute homosexuelle Californienne soit censé[e] » ou « directement inspirés d’un hadith ». En fait, je trouve que c’est manquer de respect a la mémoire du prophète. Et si tel hadith existait, je le remettrai en question!

    Tu est libre de croire que tout les hadiths sont sacrés en Islam (i.e: message original révélé par Dieu), comme je suis libre de traiter ton interprétation de conneries. Wila ma3ajbakch al7al, dreb rassek m3a l7et!

    P.S: Lixy est un « il »!

  18. « (….)contrairement à ce qui sort de la plume d’autres éminents écrivains et poètes marocains francophones ». Tu penses à quelqu’un en particulier Ibn Kafka?

  19. @lixy :
    « P.S: Lixy est un “il”! »
    Trop marrant, depuis que je suis ce blog et ses commentaires, j’ai toujours pensé que c’était une « elle », je sais pas pourquoi…

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