« Bien sûr qu’on les garde »

Les élections présidentielles engagent, de manière disproportionnée par rapport à leur enjeu réel, certaines couches de population des pays anciennement colonisés. J’ai ainsi, en dépit d’un désintérêt pour ces élections, cédé à la tentation de regarder le débat entre les deux candidats du deuxième tour ce mercredi. J’ai quelques remarques personnelles (et je rappelle que je ne suis pas français ni ne réside en France).

Nul de sensé ne s’attend fondamentalement à une politique économique et financière foncièrement différente sous Hollande: les excès de Sarkozy en la matière – bouclier fiscal, défiscalisation des heures supplémentaires – resteront comme de mauvais souvenirs, les excès d’un crooner en fin de course à Las Vegas, tandis qu’excepté quelques artifices déclaratoires, le gouvernement de Hollande entrera dans le moule de l’Eurozone et de son catéchisme des finances publiques. Nul bouleversement à attendre dans le domaine de la politique étrangère – même symboliquement, nul ne croit que la France se retirera du commandement militaire de l’OTAN dans lequel Sarkozy l’avait réintégrée après quatre décennies de retrait, et nul n’espère quoi que ce soit de neuf en Françafrique ou dans le monde arabe. Bref, l’avantage principal de François Hollande est de ne pas être Nicolas Sarkozy.

Les quatre auteurs de la tribune parue dans Le Monde en soutien de Adlène Hicheur – « Non au délit de « pré-terrorisme » – l’ont bien formulé:

Si nul ne peut croire sérieusement que le 6 mai 2012 puisse altérer quoi que ce soit au cours de nos existences…

Mais après tout, c’est là le problème des Français, à eux de faire leur choix. Pour l’étranger que je suis qui a l’infortune d’être arabe et musulman, je retiens au crédit de Hollande sa promesse d’accorder le droit de vote aux étrangers lors des éléctions municipales. Le Parti socialiste en parle depuis 1981, mais Hollande semble ici vouloir tenir cette promesse:

J’en arrive au droit de vote après cette digression. Sur le droit de vote, c’est une position que je défends depuis des années. Uniquement pour les élections municipales, et par rapport à des étrangers en situation régulière sur le territoire et installés depuis plus de cinq ans. Monsieur Sarkozy: vous étiez favorable à cette position, vous l’aviez écrite en 2001, rappelée en 2005, confirmée en 2008, vous disiez que vous étiez intellectuellement favorable à cette introduction du droit de vote des étrangers pour les élections municipales, mais que vous n’aviez pas la majorité. Vous avez parfaitement le droit de changer, moi je ne change pas. Je considère que ces personnes qui sont sur notre territoire depuis longtemps, qui paient des impôts locaux doivent pouvoir participer au scrutin municipal. Ça existe d’ailleurs dans la plupart des pays européens, notamment en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni pour les membres du Commonwealth, et en Espagne sous réserve de réciprocité. Et je pourrais continuer, il y a à peu près 50 pays dans le monde, beaucoup sont en Europe, qui appliquent le droit de vote des étrangers pour les élections municipales. Pour faire passer cette réforme, il nous faudra avoir une majorité des trois cinquièmes, c’est une révision de la Constitution. Je soumettrai donc cette proposition au Parlement. S’il y a une majorité des trois cinquièmes, ça voudra dire qu’une partie de la droite et du centre, et vous avez beaucoup de vos amis, un certain nombre, qui y sont favorables, et la réforme passera. S’il n’y a pas de majorité, ça sera au peuple français, et seulement au peuple français, de pouvoir en décider. (verbatim du débat du 2 mai sur le site de Le Monde)

Pour le reste…

J’ai entendu François Hollande implicitement reprocher à Sarkozy de laisser entrer plus d’immigrés légaux – depuis 2002, alors qu’il était ministre de l’intérieur – que le gouvernement de Lionel Jospin – 200.000 immigrés légaux par an sous Sarkozy contre 150.000 sous Jospin:

Nicolas Sarkozy est donc en responsabilité de l’immigration depuis dix ans, ministre de l’intérieur, puis président de la République. Le nombre de personnes entrant sur notre territoire en situation légale est de 200 000 par an; c’était 150 000 sous le gouvernement de Lionel Jospin. Donc, vous avez accepté pendant dix ans que rentrent sur notre territoire, pour des raisons légales, 200 000 immigrés supplémentaires.

J’ai entendu Hollande dire « que l’immigration légale peut être maîtrisée » et que l’immigration économique est de trop:

« Qu’est-ce que je dis moi ? L’immigration économique, je pense qu’aujourd’hui il faut la limiter. Nous sommes en situation de chômage, croissance faible, il y a des métiers qui pouvaient être tendus, aujourd’hui, nous n’avons pas à avoir plus d’immigration économique.

J’ai entendu Hollande parler des centres de rétention, euphémisme désignant les prisons où sont retenus les étrangers ayant commis pour seul crime de ne pas avoir de titre de séjour et étant en attente de leur expulsion:

Nicolas Sarkozy : Est-ce qu’on garde les centres de rétention.

François Hollande : Bien sûr qu’on les garde. (…)

Nicolas Sarkozy : Qui a créé les centres de rétention pour enfants ? Monsieur Jospin, c’est monsieur Jospin qui les a créés.

François Hollande : Ce que nous devons faire maintenant, c’est avoir des centres de rétention permettant l’accueil des familles pour permettre ensuite leur reconduite…

Nicolas Sarkozy : Ça existe déjà.

François Hollande : Un seul.

Nicolas Sarkozy : Donc on garde les centres de rétention.

François Hollande : Les centres de rétention sont nécessaires, ils existent partout.

Nicolas Sarkozy : Donc pourquoi écrivez-vous le contraire à France Terre d’asile ? Toujours l’ambiguïté.

François Hollande : Non, il n’y a aucune ambiguïté, quand la personne est menacée…

Nicolas Sarkozy :  » La rétention doit devenir l’exception « . Vous venez de dire aux Français que vous les garderez.

François Hollande : Mais non, j’ai dit que je garderai les centres de rétention et que la personne qui risque de s’enfuir doit être mise en centre de rétention.

J’ai entendu Hollande reprocher à Sarkozy sa mollesse en matière de « laïcité », c’est-à-dire en matière de répression de toute manifestation extérieure d’appartenance à l’islam:

François Hollande : Nous pouvons ne pas être d’accord mais lier, comme vous l’avez fait, le vote à une aspiration communautaire… Et je le dis, que les Français n’aient aucune inquiétude: sous ma présidence, il n’y aura aucune dérogation à quelques règles que ce soit en matière de laïcité. Vous, par exemple, vous n’étiez pas favorable à la loi sur le voile à l’école. Vous n’y étiez pas favorable, nous avions fait un débat là-dessus. C’était au théâtre du Rond-Point, en 2003, j’ai encore le texte. Vous n’étiez pas favorable à l’interdiction du voile à l’école. C’était votre droit à l’époque, vous avez sans doute encore changé d’avis. Moi, j’y étais favorable et j’ai voté cette loi de l’introduction… de l’interdiction du voile à l’école. C’était Jacques Chirac  qui en avait décidé. Ensuite, sur la burqa, j’ai voté la résolution interdisant la burqa.

Nicolas Sarkozy : Vous l’avez votée ?

François Hollande : La résolution.
Nicolas Sarkozy : Ah, vous n’avez pas voté la loi. C’est toujours une petite ambiguïté.

François Hollande : Et sur la loi, j’avais, avec le groupe socialiste déposé des amendements qui n’ont pas été reçus. La meilleure façon était donc de laisser passer la loi mais, je vous l’affirme ici, la loi sur la burqa, si je deviens président de la République, sera strictement appliquée. Il n’y aura pas non plus, parce que vous faites souvent ce type de proclamation dans vos réunions publiques… les horaires de piscine. Il n’y a aucun horaire de piscine qui sera toléré s’il fait la distinction entre les hommes et les femmes. Plusieurs municipalités ont fait… vous avez souvent cité Martine Aubry, c’est terminé depuis 2009 et c’était pour des femmes qui étaient en surpoids, qui en avaient fait la demande.

Nicolas Sarkozy : Il n’y a pas d’hommes en surpoids non plus ?

François Hollande : Il y a d’autres… J’ai refusé qu’il y ait la moindre ouverture. Et si vous voulez constater qu’il n’y a plus d’ouvertures d’horaires spécifiques pour les femmes, je vous donnerai le site de la mairie de Lille pour que vous puissiez vous-même aller voir la piscine en question. Deuxièmement, sur la viande halal, que les Français sachent bien que sous ma présidence, rien ne sera toléré en termes de présence de viande halal dans les cantines de nos écoles. Qu’il n’y ait pas nécessité de faire peur !

Ca donne envie, hein?

Et je me rappelle que Manuel Valls, directeur de la campagne électorale de Hollande, fut le premier homme politique français à avoir fait du halal un enjeu politique – rappelez-vous, c’était en 2002 et Manuel Valls, député-maire PS d’Evry, voulait faire fermer un supermarché Franprix devenu halal – la justice administrative mit fin à cette intrusion de Valls dans les assiettes et les verres de ses administrés. Le même Valls avait souhaité plus de « blancs, de white, de blancos » à la brocante d’Evry, lors d’un reportage, propos qu’il a parfaitement assumés (ne riez pas – lors de l’émission dans lequel il fut confronté à cette séquence, il fut interviewé par… Valérie Trierweiler, compagne de François Hollande), et déclaré récemment être « lié de manière éternelle à Israël« .

Je me rappelle que ce fut un sénateur-maire socialiste, René Vandierendonck, qui déposa plainte au pénal contre un Quick de la ville de Roubaix, coupable de ne servir que de la viande halal.

Je me rappelle que la première initiative législative de la majorité de gauche du Sénat fut d’adopter une proposition de loitrès critiquée – interdisant le port de symboles religieux par les assistant-e-s maternel-le-s accueillant des enfants à domicile (cette proposition n’a pas encore été votée par l’Assemblée nationale et n’a donc pas été adoptée à ce jour). L’auteure de cette proposition de loi, la sénatrice Françoise Laborde, face aux accusations d’islamophobie, déclara « assumer« .

Je me rappelle de cet article du Point du 29 mars, qu’on ne retrouve étonnamment pas sur leur site, dans lequel le secrétaire général des députés PS Olivier Faure déclarait:

« Il va falloir dire des choses claires, appeler un chat un chat sur la sécurité, l’immigration, l’islam… On doit reprendre la main sur la laïcité et les dérives communautaires dans les banlieues » (Le Point n° 2063 du 29 mars 2012, p. 21)

Je me rappelle aussi de la visite du CRIF auprès de François Hollande en janvier, lors de laquelle il fit, au sujet de l’antisémitisme et de l’antisionisme, la déclaration suivante:

Sur cette délicate question, le candidat socialiste a assuré le CRIF de son engagement de fermeté contre les actes antisémites et antisionistes. Il compte mener des actions énergiques dans les domaines de l’éducation, de la pédagogie et de l’information. « Je ne laisserai rien passer » a-t-il affirmé. (CRIF)

La position de François Hollande sur le dossier palestinien exprimée lors de cet entretien mérite aussi d’être relevée:

Concernant le Proche-Orient, François Hollande a souligné que si Israël est l’objet de tant de critiques c’est qu’il constitue une grande démocratie. C’est sans doute, a-t-il ajouté, au PS que l’on trouve le plus grand nombre d’amis d’Israël et du peuple juif. François Hollande, qui a confirmé la prochaine visite en Israël de Laurent Fabius, a fait part à ses hôtes de l’invitation à visiter Israël de la nouvelle présidente du parti travailliste, Shelly Yachimovitch. (CRIF)

Dominique Vidal rappelle un autre épisode récent:

La gêne s’est accentuée avec l’annonce pour février d’une délégation en Israël et en Palestine, dont le programme a provoqué un véritable tollé [5]]. Sur les trois jours, Jean-Christophe Cambadélis et ses camarades ne réservaient à la Palestine qu’un saut à Ramallah ainsi qu’une « visite de la Vieille ville de Jérusalem ». Pis, ils devaient rencontrer trois personnalités poursuivies dans divers pays pour crimes de guerre : Moshe Yaalon, Shaul Mofaz et Michaël Herzog. Ce dernier organisait même pour ses hôtes un « tour en hélicoptère » conçu comme une « approche géostratégique des frontières d’Israël ». Inutile de dire que le projet fit long feu… (Confluences)

Evidemment, du côté du président sortant, qui ne sera pas réélu à moins de la plus grande surprise électorale depuis la victoire de Truman en 1948, une encyclopédie serait nécessaire pour recenser les paroles et les actes de lui-même et de ses porteurs de serviette.

Inutile donc de dire que, au risque de complaire à Manuel Valls, si j’avais le droit vote je voterais blanc.