« Lorsque je commençais mon enquête sur le tourisme au Sahara marocain, je n’imaginais pas être prise à témoin d’échanges sexuels »

Lorsque je commençais mon enquête sur le tourisme au Sahara marocain, je n’imaginais pas être prise à témoin d’échanges sexuels. Pourtant, dès ma première randonnée, il apparut que trois femmes eurent une liaison avec chacun des trois guides qui encadraient le groupe. Plusieurs des circuits auxquels je devais participer par la suite virent ces échanges se répéter. (Corinne Cauvin Verner, 2009)

Un article intéressant – « Du tourisme culturel au tourisme sexuel. Les logiques du désir d’enchantement » – de l’ethnologue française Corinne Cauvin Verner, auteure d’une thèse intitulée « Au désert. Jeux de miroirs et acculturation. Anthropologie d’une situation touristique dans le Sud marocain« , article paru dans Cahiers d’études africaines (2009, nos 193/194) trouvé via la base de données CAIRN. Extraits:

Guides et chameliers ne distinguent pourtant pas le touriste de masse du touriste culturel, pas plus qu’ils ne conçoivent de différence entre un touriste et un voyageur. Cela étant, ils ne considèrent pas que tous les touristes sont équivalents. Ils se moquent par exemple volontiers du touriste « FRAM » dont ils détournent le sigle en devise : « Faut Rien Acheter au Maroc. » Ils préfèrent les touristes individuels voyageant à la carte, sans programme défini, dont ils estiment pouvoir tirer toutes sortes d’avantages. Selon leurs témoignages, le « meilleur » des touristes est âgé de moins de quarante ans, il voyage seul ou avec un groupe d’amis, il exerce une profession libérale, idéalement dans la presse car s’en trouveront garanties des conversations animées et une bonne publicité en Europe, il aime faire la fête, c’est-à-dire qu’il voyage avec des bouteilles d’alcool et du haschich, et il est enfin une femme, disposée aux aventures amoureuses.

Le déroulement même des randonnées est susceptible d’être décrit comme un rite de passage : la « séparation » se ferait au départ du circuit lorsque les touristes se délestent d’une partie de leurs encombrants bagages et qu’ils se travestissent en revêtant chèche et sarouel. L’« initiation » se réaliserait tout au long du parcours, avec un point d’acmé dans les grandes dunes où la caravane fait halte une demi-journée et une nuit. La « réintégration » aurait lieu au retour en France, accompagnée d’hypothétiques prises de conscience et d’effets de nostalgie. Pourtant, malgré la petite efficacité rituelle de ce programme, un nombre significatif de touristes expriment une insatisfaction au cours de leur séjour. Ils sont déçus, pour des raisons qui tiennent à une série de paradoxes : comment authentifier des Bédouins devenus des « nomades de profession » ? Comment se singulariser dans le cadre d’une expérience collective ? Comment vivre une aventure tout en respectant un programme ?

Bien qu’ils aient souhaité s’initier à la vie nomade, les touristes restent oisifs. Au fil des péripéties du circuit (inconfort, fatigue, mélancolie), leurs intentions initiales se délitent. Lorsque le guide leur propose d’aller chercher du bois, les uns déclarent être trop fatigués, les autres qu’il ne s’en trouve plus à des kilomètres à la ronde. Ils n’aident pas à éplucher les légumes et se lassent assez vite de décharger les dromadaires ou d’aider à la mise en place des campements. Un peu comme s’ils séjournaient à l’hôtel, ils attendent d’être servis et leur guide ne manque pas de finir par leur adresser la remarque grinçante « alors, ça va l’Hôtel mille étoiles ? ».

Les touristes ne cherchent pas à dissimuler que le guide est leur amant. Tout au contraire, elles semblent en éprouver une certaine fierté : une intimité se construit, qui crée un état de « permanence euphorique » et transcende la situation touristique par un équivalent de rite d’agrégation faisant défaut aux interactions habituelles. L’idéalisation romantique du Sahara et des « Hommes bleus » trouve là un point d’ancrage : l’échange sexuel permet de dénier tout à la fois la réalité économique de la relation et l’aspect
ludique de l’expérience. Il détourne le rapport marchand en rapport interculturel (Winkin 1999). À une touriste devenue l’amie d’un guide, l’équipe des accompagnateurs réserve en effet des attentions particulières. À la fin
du circuit, ou à l’occasion d’un prochain voyage, l’étrangère est invitée à séjourner au domicile familial de son amant, où les soeurs et les tantes s’amuseront à la vêtir à la mode sahraouie, à dessiner au henné sur ses mains, à l’emmener en visite au sanctuaire. Selon les cas, les partenaires se reverront, à Zagora où la touriste s’efforcera de venir plusieurs fois par an, ou en Europe où le guide voyagera s’il réussit à obtenir un visa. Dans ces conditions, l’échange sexuel avec un guide tient-il de l’accident ou de la norme ? Il satisfait tout à la fois un désir d’exotisme, d’aventure, de romantisme, et de revalorisation du statut. Mais s’y profile également une métaphore de conquête qui, en raison de l’aspect économique de la situation, se trouve nourrie d’hostilité et d’agressivité. Les touristes ont dépensé de l’argent pour accéder à l’authenticité d’un monde. En couchant avec un guide, ne produisent-elles pas l’équivalence d’une relation de prostitution ?

7 Réponses

  1. Je me souviens d’une touriste et un guide (connu pour son appartenance a l’Islam) qui se sont fait embarqués par les gendarmes. Ils s’en sont tirés par l’échange d’une liasse de billet.

    La religion d’état, c’est bien. Ça permet aux flics d’arrondir leurs fins de mois. Les avocats ne s’en plaignent pas non plus.

  2. C’est plus fort que la corniche de Casablanca !

  3. […] “Lorsque je commençais mon enquête sur le tourisme au Sahara marocain, je n&rsquo… | On sexual tourism in Western Sahara. ✪ What the "Eurabia" Authors Get Wrong About […]

  4. Des comportements similaires ont lieu en Egypte notamment avec les bedouins de Sharm El-Sheikh. AUC a d’ailleurs publie un petit bouquin la dessus (http://www.aucegypt.edu/academics/schools/huss/CairoPapers/Pages/BeachPolitics.aspx).

  5. Le Maroc comme l’Egypte sont connus pour être des pays où le tourisme sexuel sévit pour être la honte des musulmans. Les écrivisses du nord méditerranen on rafollent. Â!!!!! le maroc, Â!!!!! l’Egypte ils ont civilisés, ouiiii!!!! civilisés en positions sur le dos ou à genou.

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