Fausse querelle autour d’une résidence et d’un DGST

Vous avez tous suivi l’incident soulevé par le Maroc suite à la notification, à l’ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa, dans sa résidence, d’une convocation adressée par un juge d’instruction français au directeur général de la DST marocaine, de passage en France, Abdellatif Hammouchi. Ce dernier a fait l’objet d’une plainte pénale pour torture, qui aurait été commise sur la personne d’un militant séparatiste sahraoui, Nâama Asfari, conjoint d’une Française, plainte soutenue par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT). A cette plainte initiale s’ajouterait trois autres, une émanant du boxeur franco-marocain Zakaria Moumni, torturé et emprisonné puis libéré, et deux de deux prisonniers de droit commun franco-marocains, Adil Lamtalsi, coondamné pour trafic de drogue sur des aveux qu’il affirme lui avoir été extorqués sous la torture au centre de la DST à Témara, près de Rabat et Mostafa Naïm.

On ne connaît pas tous les détails de cette démarche policière française, mais même les autorités marocaines, qui ont réagi de manière ferme, n’accusent pas l’équipe policière française – sept policiers – d’avoir pénétré de force dans la résidence ou d’avoir exercé une quelconque contrainte à l’encontre du personnel diplomatique marocain. Il s’agit donc d’une simple notification effectuée par voie policière et non par voie diplomatique – laquelle implique généralement les mal nommées notes verbales, principal instrument de communication entre le ministère des affaires étrangères du pays hôte et des missions diplomatiques accréditées sur son territoire.

En l’occurrence, la personne notifiée, Abdellatif Hammouchi, n’est pas un diplomate accrédité en France. Il est fort probable qu’il soit doté d’un passeport de service voire même d’un passeport diplomatique marocain, mais seule l’accréditation dans le pays hôte lui confère l’immunité diplomatique sur le territoire de celui-ci – cf. la lecture combinée des articles 7 et 9 de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques:

Article 7

Sous réserve des dispositions des articles 5, 8, 9 et 11, l’État accréditant nomme à son choix les membres du personnel de la mission. En ce qui concerne les attachés militaires, navals ou de l’air, l’État accréditaire peut exiger que leurs noms lui soient soumis à l’avance aux fins d’approbation.

Article 9
1. L’État accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’État accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable. L’État accréditant rappellera alors la personne en cause ou mettra fin à ses fonctions auprès de la mission, selon le cas. Une personne peut être déclarée non grata ou non acceptable avant d’arriver sur le territoire de l’État accréditaire.

2. Si l’État accréditant refuse d’exécuter, ou n’exécute pas dans un délai raisonnable, les obligations qui lui incombent aux termes du paragraphe 1 du présent article, l’État accréditaire peut refuser de reconnaître à la personne en cause la qualité de membre de la mission.

La notion d’agent diplomatique est définie en outre à l’article 1.e): « L’expression « agent diplomatique » s’entend du chef de la mission ou d’un membre du personnel diplomatique de la mission« . L’immunité pénale du personnel diplomatique – cf. l’article 31 ne s’étend qu’aux agents diplomatiques ainsi définis – ne couvre donc pas, en principe, les dignitaires officiels de passage dans le pays hôte – exception faite de l’immunité pénale des chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que des ministres des affaires étrangères découlant de la coutume internationale telle que reconnue par la Cour internationale de justice dans l’affaire République démocratique du Congo c. Belgique (« Yerodia ») (arrêt du 14 février 2002, point 51).

Certes, il y a bien la Convention de 1969 sur les missions spéciales, mais elle n’a été ratifiée ni par la France ni par le Maroc – les principes qu’elle dégage pourraient cependant être admis comme ne faisant que refléter la coutume internationale, et ils seraient alors applicables par le juge français, comme pourrait l’indiquer un arrêt de la Cour de cassation du 9 avril 2008.

Mais cette interprétation est hasardeuse, et la doctrine ne semble pas l’approuver:

Si l’on veut formuler un jugement d’ensemble sur la Convention, on doit reconnaître qu’elle s’écarte beaucoup de la pratique. Comme nous l’avons déjà remarqué, il n’existe pas de règles coutumières en matière de missions spéciales, exception faite des missions présidées par un chef d’Etat, premier ministre ou ministre des Affaires étrangères. (Maria Rosaria Donnarumma, « La Convention sur les missions spéciales (8 décembre 1969)« , Revue Belge du Droit International, 1972, p. 79)

It is generally agreed that clear and comprehensive rules of customary international law on the immunity of temporary missions are lacking. But, since such missions consist of agents of States received with the consent of the host State, they benefit from the privileges based on State immunity and the express or implied conditions of their invitation.
Therefore, States have accepted that special missions enjoy functional immunities, such as immunity for official acts
and inviolability for official documents. Usually, customs facilities are granted upon production of a diplomatic passport.
While the extent of privileges and immunities of special missions under customary international law remains unclear,
→ State practice suggests that it does not currently reach the level accorded to diplomatic agents. (Nadia Kalb, « Immunities, Special Missions« , Max Planck Encyclopedia of International Law)

Le statut d’Abdellatif Hammouchi eu égard à l’immunité diplomatique n’est donc pas très clair, même s’il semblerait qu’il puisse en bénéficier car présent en France dans le cadre d’une mission officielle sur invitation du gouvernement français (il accompagne le ministre marocain de l’intérieur en visite officielle en France). Il est probable que les autorités judiciaires et/ou policières françaises hésiteraient à prendre des mesures contraignantes à son égard à cette occasion.

Rappelons qu’Abdellatif Hammouchi ne fait pour l’instant l’objet que d’une convocation par le juge d’instruction, sans qu’on ne connaisse son statut exact, témoin ou témoin assisté. Les dispositions du Code de procédure pénale (CPP) français s’y appliquent. S’agissant de plaintes pour faits de tortures et actes de barbarie, l’affaire concerne un crime et l’instruction préparatoire par le juge d’instruction est obligatoire (art. 79 du CPP). L’article 101 CPP traite des convocations du juge d’instruction:

Le juge d’instruction fait citer devant lui, par un huissier ou par un agent de la force publique, toutes les personnes dont la déposition lui paraît utile. Une copie de cette citation leur est délivrée.

Les témoins peuvent aussi être convoqués par lettre simple, par lettre recommandée ou par la voie administrative ; ils peuvent en outre comparaître volontairement.

Lorsqu’il est cité ou convoqué, le témoin est avisé que, s’il ne comparaît pas ou s’il refuse de comparaître, il pourra y être contraint par la force publique en application des dispositions de l’article 109.

L’article 109 CPP dispose ce qui suit:

Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine.

Si le témoin ne comparaît pas ou refuse de comparaître, le juge d’instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l’y contraindre par la force publique.

Les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal (CP) régissent le secret de l’instruction et ne sont pas directement pertinents à notre affaire. Aucune disposition du CPP ne contient de dispositions spécifiques au cas de la convocation de membres de missions spéciales étrangères de passage en France. On peut donc conclure de ces dispositions qu’aucune violation de la loi française ne semble entacher la simple convocation. Tout au plus peut-on hasarder, eu égard au statut incertain d’Abdellatif Hammouchi en matière d’immunité diplomatique (ou plutôt d’immunité d’Etat), qu’une convocation du juge d’instruction français contenant la menace d’une d’une convocation sous la contrainte de la force publique pourrait éventuellement violer l’immunité éventuelle d’Abdellatif Hammouchi (une hypothèse incertaine, je le rappelle). En l’absence d’une publication de cette convocation, il n’est pas possible de se prononcer là-dessus.

Seule la Convention d’entraide judiciaire franco-marocaine de 1957 pourrait changer ce constat. Son article 8 stipule ainsi:

Les commissions rogatoires en matière pénale, à exécuter sur le territoire de l’une des deux parties contractantes, seront transmises par la voie diplomatique et exécutée par les autorités judiciaires.

En cas d’urgence, elles pourront être adressées directement. Elles seront renvoyées, dans tous les cas, par la voie diplomatique.

Il est clair que cette disposition vise les commissions rogatoires en matière pénale émise par un Etat – ici la France – et à exécuter sur le territoire de l’autre Etat – ici le Maroc, pays de résidence d’Abdellatif Hammouchi et dont il a la nationalité. Or la convocation a été émise et notifiée à Abdellatif Hammouchi alors qu’il se trouvait en France. Il ne semble pas que la Convention de 1957 vise un tel cas de figure, sauf à considérer que puisque Hammouchi réside de manière permanente au Maroc, une notification aurait dû lui parvenir par la voie diplomatique au Maroc. Cette objection se heurte toutefois au fait que la convocation a été notifiée à Hammouchi alors qu’il séjournait en France, et qu’on voit mal comment la Convention de 1957, visant les cas de commissions rogatoires internationales franco-marocaines, pourrait empêcher l’application des dispositions du CPP français sur le territoire français.

Mais dispositions juridiques mises à part, il est certain que la convocation de Hammouchi, notifiée de manière cavalière eu égard à la profondeur particulière et à la longévité des relations diplomatiques franco-marocaines, ne pouvait qu’irriter la partie marocaine. Le juriste ne perçoit pas de violation de la loi dans ce qui s’est passé, mais le pouvoir marocain en a décidé autrement – et le citoyen marocain s’étonnera sans doute que son Etat défende avec autant d’ardeur un dignitaire visé par des plaintes de torture…

4 Réponses

  1. Le pédagogue :

    Par « l’indépendance dans l’interdépendance » et autres impostures de ce genre, le système colonialo-impérialo-sioniste a octroyé aux colonies un statut qui s’est traduit par la multiplication des « États » supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles.
    La ré-pub-lique de France dont l’esclavagisme, les massacres et les horreurs colonialistes en Afrique par exemple, ont atteint le pire, poursuit le pillage généralisé et soutiens par de multiples moyens, les crimes contre les populations.
    Dans ce domaine, la gauche et la droite, avec leurs « diverses variantes », sont interchangeables.
    Les colonies restent ainsi pour la métropole française colonialo-impérialo-sioniste, une réserve de matières premières et de main d’œuvre, un marché pour tout écouler, un point stratégique pour les militaires, un terrain d’expérimentations des armements, un lieu de pédophilie et autres »loisirs touristes » de ce genre, un dépotoir, une décharge d’immondices.
    Les employés mis à la « tête » des « États » des colonies exécutent les ordres de leurs employeurs et constituent des serpillières adorant les semelles qui les foulent.
    Des « États » fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la censure, l’usurpations, le vol, la falsification, l’humiliations, l’enlèvement, la séquestration, l’emprisonnement, le supplice, la liquidation, la tuerie, le massacre et autres à des degrés inimaginables.
    Des « États » comme le reste des « États » dits du tiers-monde, rendant de bons et loyaux services.
    Des « États » qui répandent la décomposition, la puanteur et la putréfaction.
    Des « États » qui salissent et souillent tout.
    Des « États » de la négation de l’être humain.
    Devant l’ampleur des luttes des populations, il arrive aux employeurs du système colonialo-impérialo-sioniste de remplacer des employés par d’autres en mettant en place une « nouvelle vitrine » et en cherchant à faire croire qu’ils défendent le changement « pour le bien-être de l’humanité ».
    L’imposture, encore l’imposture, toujours l’imposture.
    Le reste, ce n’est même pas de la « littérature ».

  2. Juridiquement parlant, et compte tenu des multiples textes de loi et conventions cités, il n’y a rien à dire, le dossier de la « crise » est bien bouclée et la « la fausse querelle » relative à l’affront diplomatique provoqué par la France (et qui a sorti le Maroc de sa torpeur hivernale) « semble » relever d’une malencontreuse démarche procédurale de la part d’un juge peu regardant pour « la chose » diplomatique…Voire!
    Le même juge aurait-il envoyé une clique de policiers (7!) à la Résidence de l’Ambassadeur des USA, ou de Gde Bretagne, De l’Allemagne, ou d’Israël pour faire « notifier » à « un invité » de l’Ambassadeur (se trouvant dans la résidence) une convocation lancée par un juge d’instruction, suite à une plainte pénale pour torture émanant d’une ONG? JAMAIS AU GRAND JAMAIS!
    Pour cette seule raison, je suis consterné et ne peut admettre le M E P R I S dans lequel sont tenus les pays de l’ex-empire colonial français par les instances juridiques françaises, et considère que la justice française a outrepassé le Droit, et a sciemment voulu « adresser un message fort » au Royaume, à travers son Ambassadeur…en négligeant la procédure diplomatique requise dans de pareilles circonstances.
    Naturellement, la torture (fréquente dans les pays du sud, mais enseignée et pratiquée à grande échelle par les grandes puissances) est à bannir : qui s’en plaindrait?! Et le Marocain responsable de la sécurité territoriale du Maroc, soupçonné de torture, ne doit pas échapper aux poursuites judiciaires, mais dans un cadre légal, suivant une procédure fixée par les conventions bilatérales entre nos deux pays…comme tout autre responsable sécuritaire de pays étranger (CIA,MI5,Mossad etc..)
    Si l’on ajoute cette fallacieuse déclaration d’un diplomate français installé à Washington, atteignant le sommet d’ingratitude à l’égard du Maroc, rapporté (en même temps que l’atteinte ignominieuse de la Dignité du Maroc par la horde policière devant la Résidence de l’Ambassadeur, protégée par l’immunité diplomatique) par un célèbre comédien espagnol connu pour sa sympathie débordante pour le Polisario…on devine une volonté insidieuse (émanant de qui?) à nuire aux relations très fortes et aux intérêts énormes qui lient les deux pays depuis des décennies!
    Aussi, je considère que le Maroc a bien fait de MARQUER SA RÉPROBATION ET DOIT EXIGER DES EXCUSES FORMELLES DE LA PART DES AUTORITÉS FRANÇAISES en attendant qu’une enquête en bonne et due forme soit menée pour désigner le ou les auteurs de ses manœuvres de basse besogne.
    Mais alors, fallait-il suspendre les accords judiciaires bilatéraux qui lient nos deux pays, sachant pertinemment les préjudices que cela porteraient aux intérêts marocains multiples en la matière ? Certes, c’est une BOURDE du côté marocain, qui répond à la BOURDE française…C’est la « réponse du berger à la bergère » aussi maladroitement !

  3. « Or la convocation a été émise et notifiée à Abdellatif Hammouchi alors qu’il se trouvait en France. Il ne semble pas que la Convention de 1957 vise un tel cas de figure, sauf à considérer que puisque Hammouchi réside de manière permanente au Maroc, une notification aurait dû lui parvenir par la voie diplomatique au Maroc. Cette objection se heurte toutefois au fait que la convocation a été notifiée à Hammouchi alors qu’il séjournait en France, et qu’on voit mal comment la Convention de 1957, visant les cas de commissions rogatoires internationales franco-marocaines, pourrait empêcher l’application des dispositions du CPP français sur le territoire français. »

    Nonobstant, la dissertation Magistrale en matière de Droit international (Relation diplomatique entre deux pays), la problèmatique est ailleurs comme la vérité d’ailleurs. Et si on revenait à nos moutons, La torture et les « neutralisations physiques » politiques existent encore au Maroc et la « mise en question est toujours en rigueur.

    Merci pour tes cours de Droit et de savoir, Maitre Ibnkafka, et Longue Vie au respect des droits de l’Homme au Royaume du maroc et Ailleurs…

    PS: :Il me revient, toujours à l’esprit, ton titre-trouvaille : « « Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement » »

    « Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement »

  4. […] cet incident, qui constitue une violation franche et incontestable du droit international alors que l’affaire Hammouchi est loin d’être aussi tranchée. Ca ne devrait pas contribuer à faciliter le retour à des relations sereines en tout […]

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