« C’est la seule manière de faire changer progressivement les mentalités et l’attitude de ces femmes »

"Le problème, c'est la mentalité et l'attitude de ces femmes musulmanes..."

« Le problème, c’est la mentalité et l’attitude de ces femmes musulmanes… »

Mes pérégrinations sur Internet m’ont amené à lire cet ancien entretien accordé à Radio Netherlands par la secrétaire-générale bulgare de l’UNESCO, Irina Bokova, et qui date de 2009 (c’est l’avantage d’être bloggeur à son compte, on est seul juge de l’intérêt à publier de ce qu’on écrit…). J’avais cru comprendre que les ressortissants des anciens pays dits de l’Est n’étaient pas à la pointe du combat pour une multiculturalité postcoloniale, mais là je suis tout de même assez surpris de ce que je lis. La surprise vaut pour les questions de la radio néerlandaise, apparemment axées surtout sur l’islam – vu l’obsession récente des Pays-Bas avec l’islam, je ne devrais cependant pas être surpris outre mesure – mais surtout des réponses de Bokova.

Il faut peut-être rappeler qu’Irina Bokova commença sa carrière diplomatique en Bulgarie sous le riant régime de Todor Jivkov, dernier véritable leader communiste de la Bulgarie, qui lança une campagne d’assimilation forcée des musulmans bulgares, et surtout ceux d’ethnicité turque. Cette campagne pourrait sans doute constituer le prochain programme de l’UMP ou du PS aux élections présidentielles françaises, tant les similarités sont frappantes: bulgarisation forcée des noms avec élimination des noms et prénoms à consonance turque; interdiction des vêtements traditionnels (ceci englobe le foulard), interdire l’usage du turc et fermer les mosquées (c’est peut-être ce dernier point qui est le seul à ne pas encore être sérieusement discuté entre politiciens français de bonne et républicaine compagnie, mais ne perdons pas espoir)…

"Comment faire comprendre à Tawakkol Karman que sa mentalité et son attitude doivent évoluer?"

« Comment faire comprendre à Tawakkol Karman que sa mentalité et son attitude doivent évoluer? »

Il fallut la chute du communisme pour qu’il soit mis fin à cette politique d’assimilation forcée, qui aboutit à l’exil forcé de centaines de milliers de musulmans bulgares (la Bulgarie doit par ailleurs être l’un des seuls pays au monde où le nombre de musulmans tels que recensés lors du recensement ait chuté en nombre absolu entre 1946 et 2011 – de près d’un million à un peu plus d’un demi-million) – cet exil forcé et la politique y ayant abouti ont été reconnus en 2010 par le Parlement bulgare comme constituant de la purification ethnique.

« Personnellement, je suis contre le port de la burqa. Certaines femmes ne peuvent même pas voir correctement. C’est un dénigrement pour les femmes, cause des problèmes et donne aux femmes l’impression qu’elles sont inférieures aux hommes. « 

Pas grand chose à y redire – personnellement, la burqa ou le niqab me révulsent – comme les mi-bas, les anneaux dans le nez, les chemisettes portées avec une cravate ou le chandail noué autour du cou. Continuons.

« Je pense que l’UNESCO doit faire un grand effort et se concentrer sur l’éducation, encore l’éducation et toujours l’éducation pour les femmes musulmanes. Je pense que là est la priorité numéro 1. C’est la seule manière de faire changer progressivement les mentalités et l’attitude de ces femmes. Il ne sert à rien de dire : Je suis pour cela, je suis contre cela. Nous avons quelque chose à faire et je pense que nous pouvons le changer en transformant la société. »

"Qui est le con qui a inscrit une visite de mosquée sur mon agenda?"

« Qui est le con qui a inscrit une visite de mosquée sur mon agenda? »

Relisons ensemble: l’UNESCO doit se concentrer sur l’éducation des femmes musulmanes afin de faire changer leur mentalité et leur attitude. Le problème des femmes musulmanes, ce n’est pas éventuellement leur situation socio-économique, leur statut juridique discriminatoire ou les violences – domestiques, de guerre ou autres – dont elles sont victimes. Non, leur problème, c’est leur mentalité et leur attitude, et sans doute leur goût excessif pour des tissus leur couvrant les cheveux. Et ces femmes musulmanes seront sauvées par Irina Bokova et son UNESCO.

"C'est dur mon boulot, je suis obligée de sourire aux côtés de Hayat Sindi alors que l'envie me démange de modifier sa mentalité et son attitude"

« C’est dur mon boulot, je suis obligée de sourire aux côtés de Hayat Sindi alors que l’envie me démange de modifier sa mentalité et son attitude »

Sans remonter à la politique d’assimilation forcée de ses premières années professionnelles, voilà donc la femme musulmane vue comme une mineure, à l’attitude et à la mentalité rétrogrades, et que l’UNESCO, dirigée par une Européenne de fraîche date (ça ferait un bon sujet d’agrégation d’histoire des idées politiques: depuis quand la Bulgarie fait-elle partie de l’Europe en tant que concept idéologique?), doit remonter pour qu’elle accède aux Lumières. Une femme musulmane arriérée et passive, attendant la bienfaisance et charité occidentales disséminées par l’UNESCO à moins que, comme en Afghanistan, on lui amène cette bienfaisance entre un drone, deux bombardements et trois patrouilles de l’OTAN.

Ca rappelle le bon vieux temps: l’Occident apportant les Lumières aux femmes musulmanes arriérées.

Sauf que:

L’éducation, mission souvent avancée pour légitimer le fait colonial ne semble avoir guère touché les filles et a même creusé les écarts entre filles et garçons. D’après l’UNESCO, en 1950 le pourcentage d’enfants scolarisés dans le primaire est de 10% dans les colonies françaises. En Algérie sur ces 10% seulement 1/3 sont des filles. En AOF, en 1908, on compte une fille pour 11 garçons scolarisés, en 1938 une fille pour 9 garçons, en 1954 une fille pour 5 garçons. Ces différences sont, en grande partie, du fait de l’administration coloniale qui a des réticences à ouvrir l’enseignement aux filles. (…)

On ne peut évoquer l’enseignement dans les colonies sans parler du rôle essentiel qu’ont joué très tôt les missionnaires dans ce domaine. Rebecca Rogers n’hésite pas à parler à leur propos « d’échec de la mission civilisatrice » car, dit-elle, si le discours se veut émancipateur en se proposant d’améliorer le statut des femmes grâce à l’instruction et au mariage monogame, il renforce en fait la domestication et la dépendance économiques des femmes (on retrouve fréquemment des anciennes élèves domestiques chez des Européennes !). (Dominique Santelli, « Femmes et colonisations », 2005)

A partir du début du XXe siècle, le statut des femmes « indigènes » devient  d’ailleurs un marqueur central de l’état de civilisation. L’administration coloniale s’engage alors à mettre en place un programme ambitieux visant à moderniser et à moraliser les femmes tout en les émancipant de « leurs hommes ». Cette politique a pour effet essentiel de placer les femmes « indigènes » dans une position paradoxale très inconfortable. (…)

A cela s’ajoute le fait que le féminisme colonial – qui a été globalement, pendant toute la période coloniale, anti-arabe et anti-musulman − a fait, lui aussi, de la question des femmes un des enjeux de la « mission civilisatrice » et de la politique assimilationniste de la France.

Les auteurs de l’époque, féministes ou pas, le confirment d’ailleurs très explicitement. Ainsi de Marie Bugéja qui écrit : « La conquête morale ne doit pas comprendre que la population masculine, la femme doit être d’autant plus comprise, dans cet essor, que c’est par elle, en tous pays, que le rapprochement s’opère complètement » à E.F. Gauthier qui note : « Nous sommes pleins de pitié pour les femmes musulmanes cloîtrées et tyrannisées, leur émancipation nous paraît un devoir d’humanité, une loi du progrès », le discours est homogène et repose sur deux idées forces.

La première est que la colonisation va porter secours aux femmes « indigènes » et les libérer du carcan patriarcal qui les opprime, tout en le transformant en « agents » de l’assimilation de l’ensemble de la société (notamment par le biais de l’éducation donnée aux enfants). La seconde est – en instrumentalisant et en manipulant une présentation pourtant souvent réaliste de la condition des femmes que les hommes maghrébins doivent intérioriser, parce qu’ils sont les oppresseurs – de créer chez eux un sentiment d’infériorité qui prend racine dans leur « arriération », tout en leur faisant intégrer une image négative d’eux-mêmes qui légitime la supériorité morale et civilisationnelle de la colonisation et l’abandon des valeurs arabo-musulmanes de leur société d’origine. (Christelle Taraud, « Genre, sexualité et colonisation: La colonisation française au Maghreb », 2013)

Et cette volonté d’émanciper des femmes musulmanes – passives et réduites à l’état de figures de rhétorique – n’est pas morte avec la colonisation:

L’Autre, et en l’occurrence la femme immigrée et/ou musulmane, est donc construite comme « différente ». Nous sommes face à un « elles » et « nous » symbolique, terreau du racisme mais surtout à un rapport de pouvoir qui placerait la femme « blanche » dans un rapport de domination avec les femmes « racisées » (Laetitia Dechaufour, 2007), il s’agit bien là d’un rapport de pouvoir entre les femmes ellesmêmes. La femme « arabe/immigrée » est instrumentalisée afin de conforter une
opposition entre un Occident moderne, éclairé contre un Orient barbare et obscurantiste.
Prenons à titre d’exemple les débats autour du foulard islamique qui ont agité la classe politique mais aussi les mouvements féministes en France et en Belgique : afin de lutter contre le symbole par excellence de l’oppression de la femme, en France, une loi a été votée, et en Belgique, le chef d’établissement peut l’interdire à travers le règlement d’Ordre Intérieur. Or ceux qui justement prétendent se battre pour l’émancipation des femmes, soutiennent et cautionnent une loi et un règlement qui justement renvoient ces écolières vers un espace domestique jugé oppressant par ces mêmes mouvements… Une certaine frange des mouvements féministe auraient dû privilégier la cause pour la libération et la lutte contre toutes les formes de domination et non pas le « symbole ».

Dans cette perspective, il convient de préciser que le « voilement » ou le « dévoilement » des femmes ne date pas d’aujourd’hui et a une histoire. À l’époque coloniale déjà, en Algérie, où ces dernières étaient prises en otage au cœur des luttes colonialistes et nationalistes : elles étaient les « gardiennes de la nation » aux yeux des colonisés comme des colonisateurs. Le droit de voiler ou de dévoiler est donc un droit et un privilège que s’arrogeaient les hommes dominants et dominés.
Aussi, tout comme il est essentiel de dénoncer le rapport de domination des hommes sur les femmes, il faut reconnaître qu’il existe un rapport de domination des femmes « blanches » sur les femmes « racisées » (L. Duchaufour). (Malika Hamidi, « Racisme, idéologie post – coloniale … Et les femmes dans tout cela?« , 2008)

J’oubliais: Irina Bokova est socialiste, tout comme Caroline Fourest  et Elisabeth Badinter (si j’en entends qui ricanent au fond…).

"Je me sens tellement émancipée, à couvrir mes cheveux par respect pour le Pape, rien à voir avec ces pauvres musulmanes"

« Je me sens tellement émancipée, à couvrir mes cheveux par respect pour le Pape, rien à voir avec ces pauvres musulmanes »

Ironiquement, le concurrent principal d’Irina Bokova au poste de SG de l’UNESCO était l’inénarrable et inamovible ministre de la culture égyptien Farouk Hosni, francophile, très proche de Suzanne Moubarak, largement réputé être homosexuel dans une société égyptienne peu compréhensive à cet égard, et surtout accusé d’antisémitisme, ce qui lui ôta toute chance de l’emporter face à Bokova. Il s’avère que Hosni avait des idées pas si éloignées que ça de Bokova sur le sujet, estimant que le voile (et non pas le niqab) était un signe d’arriération. C’était peut-être une condition requise pour postuler au poste finalement…

Division du travail islamophobe

Il y a les éditorialistes, écrivains, académiciens, universitaires, journalistes, bloggeurs, fast-thinkers et même militants des droits de l’homme (l’inénarrable Robert Ménard en France, ou le consternant Belge Edouard Delruelle, président démissionnaire du Centre (belge francophone) d’égalité des chances qui exprime son antiracisme en soutenant une interdiction totale des signes religieux – traduction en français courant: du hijab) qui énoncent, légitiment et diffusent l’islamophobie. Et comme dans tout phénomène social, il y a les manoeuvres, travailleurs manuels et autres hommes à tout faire besogneux qui mettent en oeuvre les plans, idées et stratégies de ceux mieux placés qu’eux dans l’organisation sociale, et donc exemptés de ce fait de la mise en oeuvre physique et concrète de leurs idées, tout comme l’urbaniste n’a pas à ramasser les poubelles ou déboucher les égoûts.

Et donc voilà – puisqu’il faut bien que des faibles d’esprits tirent les conséquences logiques du discours excommunicatoire contre les femmes voilées qui est devenu un des préjugés les mieux partagés dans la bonne société occidentale amatrice de raï, admiratrice de Mandela et consommatrice de thé à la menthe et cornes de gazelle – que la mise au ban de la société des musulmans voilées quitte le domaine purement rhétorique puis administratif dans lequel il était jusqu’ici cantonné. La laïcité, doctrine valable en tous temps et en tous lieux, se doit désormais d’être appliquée au quotidien par des personnes pas toujours conscientes de ses subtilités, un peu comme des Sudistes trop enthousiastes mettaient en oeuvre, de manière très concrète, la législation « Jim Crow », non sans embarasser leurs coreligionnaires plus bourgeois et mieux éduqués, aussi peu habitués aux conséquences de leurs actes que le consommateur de viande l’est des réalités des abattoirs.

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Ce sont donc deux femmes voilées à Argenteuil qui ont récemment découvert que la laïcité n’était pas qu’un mot:

Argenteuil, le 6 juin. C’est rue du Nord dans le quartier des Coteaux à Argenteuil que Rabia, 17 ans, a été agressée le lundi de Pentecôte.

Sous le choc. Ce jeudi matin, Rabia, jeune fille voilée de 17 ans, habitante d’Argenteuil, a du mal à cacher son traumatisme. Le 20 mai dernier, dans la rue du Nord, dans le quartier pavillonnaire des Coteaux, elle a été agressée par deux jeunes hommes. «Il était près de 21 heures, se remémore-t-elle. J’ai croisé deux personnes d’environ 30 ans.

L’un d’eux m’a insultée. J’ai accéléré le pas car j’ai eu peur, mais les hommes ont fait demi-tour, l’un d’eux a arraché mon voile, m’a mise à terre puis m’a rouée de coups tout en me traitant de sale arabe, de sale musulmane, raconte cette étudiante en bac pro comptabilité. L’autre homme rigolait».
«Sans l’intervention d’un passant qui a arrêté les agresseurs, je ne sais pas ce qui se serait passé», souffle son père Abdelkrim, qui a déposé plainte. La jeune victime s’est vu prescrire sept jours d’arrêt par un médecin.
L’Observatoire contre l’islamophobie a annoncé jeudi qu’il allait se constituer partie civile. La ville d’Argenteuil a aussi condamné ces violences. Les agresseurs sont toujours recherchés. (Le Parisien 6/6/2013)

La laïcité s’exercant le lundi de Pentecôte – cela montre que ses militants ne sont pas si sectaires qu’on se complait à la répéter.

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Saine émulation, c’est dans cette même ville que des policiers avaient procédé au contrôle d’une femme portant le niqab:

De violents affrontements ont opposé mardi soir plusieurs dizaines de policiers à des habitants d’Argenteuil (Val-d’Oise) après le contrôle d’une femme de 25 ans portant le voile intégral, a-t-on appris mercredi. Alors que les policiers procédaient au contrôle d’identité de cette femme, dans une rue semi-piétonne du centre-ville d’Argenteuil, un attroupement s’est formé et a dégénéré en affrontement, mardi vers 19 heures.

«La jeune femme avait dans un premier temps accepté le contrôle. Mais un passant s’en est mêlé, pour dire que le contrôle était à ses yeux illégitime. Il a commencé à s’en prendre aux policiers», a indiqué une source proche du dossier. Un rassemblement d’une soixantaine de personnes s’est alors formé autour de la jeune femme et des policiers, qui ont appelé des renforts.

Une scène d’émeute

«Les policiers ont été pris à partie. Ils ont été insultés et ont reçu des coups, notamment des coups de poing», a assuré la source proche du dossier, évoquant une scène d’«émeute». Selon un habitant d’Argenteuil qui a assisté à la scène, les policiers ont utilisé des bombes lacrymogènes et des tirs de flash-ball pour disperser la foule.

Deux hommes — le passant et un cousin de la jeune femme — ont été interpellés. Agés de 23 et 37 ans, ils ont été placés en garde à vue pour «provocation à l’attroupement», «violences sur personne dépositaire de l’ordre public», «outrage» et «rébellion».

Une quarantaine de policiers ont été mobilisés pour ramener le calme après les échauffourées. La situation n’est revenue à la normale que vers 20h30. (Le Parisien 12/6/2013)

La situation a dégénéré mardi soir à Argenteuil. Il est environ 20 h 30, devant la Basilique, entre les rues de l’Eglise et Paul-Vaillant-Couturier, au centre-ville, quand une patrouille de police souhaite procéder au contrôle d’une femme portant le niqab. « La loi interdit le port du voile intégral sur la voie publique », précise une source proche du dossier.
Alors que le début du contrôle d’identité se déroule normalement, un passant s’en mêle.
«L’homme de 23 ans est très agressif et fait des amalgames en rapport avec la religion», précise une source policière.
Le ton monte. « Cette femme de 25 ans a alors changé de ton », insiste cette même source. Dans le même temps, des témoins de la scène affirment le contraire et assurent qu’elle a accepté de montrer son visage aux policiers. « Elle a enlevé son voile mais la police a voulu quand même l’embarquer », raconte une femme. Un attroupement d’environ 80 personnes se forme autour de la jeune femme et des fonctionnaires. La femme est finalement embarquée et conduite au commissariat alors que des renforts sont appelés. Mais la situation ne cesse de s’échauffer. «La scène était très violente», rapporte une source policière et d’autres témoins. La présence des médiateurs de la ville d’Argenteuil n’y fait rien. Des projectiles sont lancés sur les policiers qui essuient également des insultes. Les fonctionnaires utilisent des bombes lacrymogènes et tirent au flash-ball pour disperser la foule. En vain. La scène a duré plus d’une heure. Deux fonctionnaires de police ont été blessés et deux hommes ont été interpellés dans la soirée et sont toujours en garde à vue ce mercredi matin. L’une d’elles a reconnu avoir participé à ces affrontements. Une enquête est en cours. (Le Parisien 12/6/2013)

Des citoyens semblent ensuite avoir pris dès le lendemain le relais des forces dites de l’ordre dans le pourchas des infractions à la laïcité:

Une jeune femme voilée de 21 ans, enceinte, aurait été agressée ce jeudi matin rue de Calais, à Argenteuil (Val-d’Oise). Les enquêteurs se montraient toutefois circonspects sur son récit qui présente, selon une source proche du dossier, des «incohérences».

Alors qu’elle se rendait dans un laboratoire médical où elle venait retirer des résultats d’examen, elle dit avoir été abordée par deux hommes au crâne rasé rue Antonin-Georges-Belin.

Ces individus l’ont traîné rue de Calais où il «lui ont arraché son voile et lui ont coupé des cheveux», a expliqué le parquet de Pontoise. D’après un homme ayant pu discuter avec la famille de la victime, des coups lui ont été portés au ventre.

Les deux hommes ont pris la fuite par la rue de Calais, endroit muni d’une caméra de surveillance. La jeune femme a aussitôt appelé sa sœur et le mari de celle-ci. Elle se trouvait assise par terre, tétanisée, choquée quand elle a été récupérée. Elle a ensuite été emmenée aux urgences de l’hôpital d’Argenteuil, d’où elle est ressortie quelques heures plus tard. Sur place, elle a pu être entendue par les enquêteurs. Mais jeudi soir, la jeune femme n’avait pas encore porté plainte, son mari invoquant la fatigue et assurant qu’elle avait l’intention de le faire vendredi.

Fin mai, une jeune fille de 17 ans, voilée, avait déjà été victime de violences. Alors qu’elle rentrait chez elle, rue du Nord, dans le quartier pavillonnaire des Coteaux, deux hommes lui avaient arraché son voile, l’avait insultée puis jetée à terre avant de la rouer de coups. Elle s’était vue prescrire sept jours d’incapacité. (Le Parisien 13/6/2013) (1)

Ailleurs en France, la police marseillaise, impuissante à contrer la violence meurtrière des bandes criminelles des quartiers nords réglant leurs comptes à coup d’armes de combat, se conforte en arrêtant des femmes portant le niqab:

Une femme voilée de 37 ans a été interpellée jeudi en fin d’après-midi dans le centre-ville de Marseille pour incitation à l’émeute et outrages à agents de la force publique, alors qu’elle conduisait sa voiture avec ses quatre fillettes à l’intérieur, a-t-on appris vendredi de source proche de l’enquête.
Arrêtée par une patrouille de la brigade VTT de la Sécurité publique, la mère de famille, vêtue d’un niqab et dont on ne voyait que les yeux, a refusé le contrôle d’identité tout en déclarant garder son voile, avant de demander à des passants de s’en prendre aux forces de l’ordre, selon la même source.

Placée en garde à vue à la division Centre, elle a ensuite proféré plusieurs insultes à l’égard des fonctionnaires et cette native de Montbéliard a dit regretter d’être née en France, a ajouté la même source.
Remise en liberté vendredi après-midi, elle a avalé la photo de son permis de conduire, après que ses quatre enfants ont été remis à leur père.
Une convocation à passer devant un magistrat en décembre, lui a remise par un officier de police judiciaire.
Plusieurs associations musulmanes, notamment à Marseille, se sont déclarées prêtes à payer les amendes des femmes voilées contrôlées par la police, selon une autre source proche de l’enquête. (Le Parisien 14/6/2013)

Priver de liberté une mère de famille accompagnant ses enfants pour cause de tenue vestimentaire idéologiquement inconvenante, on imagine quelles eurent été les réactions si l’incident avait eu lieu à Tunis, au Caire ou à la place Taksim. Fort heureusement, les intermittents de l’indignation grandiloquente étaient de relâche cette fois-çi. Au contraire même, puisque droite et syndicats policiers ont demandé plus de fermeté encore – comparution directe notamment (la comparution directe est une forme sommaire – dans tous les sens du terme – de justice; ou plutôt une justice expéditive, réservé aux métèques, voleurs de poule et ivrognes sur la voie publique: présomption d’innocence et droits de la défense n’y entravent pas exagérément la répression sociale):

Le syndicat Alliance (second syndicat de gardiens de la paix) s’est étonné samedi de la réponse judiciaire dans l’affaire de la femme voilée interpellée jeudi à Marseille pour incitation à l’émeute et outrages à agents de la force publique.
« Quel signal donné par la justice à une personne comme cette femme qui incite à l’émeute et outrage des fonctionnaires lorsque cette dernière n’est convoquée qu’au mois de décembre! Fallait-il attendre que nos collègues, qui n’ont fait qu’appliquer la loi, soient blessés, pour qu’enfin la justice daigne les protéger… », s’est insurgé auprès de l’AFP David-Olivier Reverdy, le délégué départemental du syndicat policier.

« Alliance Police Nationale et nos collègues s’interrogent sur le fait qu’aucune comparution immédiate n’ait été délivrée à l’encontre de cette personne qui bafoue ouvertement la loi républicaine », a-t-il ajouté, réclamant « l’indispensable soutien de l’autorité judiciaire ».
Arrêtée par une patrouille de la brigade VTT de la Sécurité publique, une mère de famille, vêtue d’un niqab et dont on ne voyait que les yeux, a refusé jeudi le contrôle d’identité tout en déclarant garder son voile, avant de demander à des passants de s’en prendre aux forces de l’ordre.
Placée en garde à vue à la division Centre, elle a ensuite proféré plusieurs insultes à l’égard des fonctionnaires et cette native de Montbéliard a dit regretter d’être née en France, selon une source proche de l’enquête. Une convocation à passer devant un magistrat en décembre lui a remise par un officier de police judiciaire.
Caroline Pozmentier, adjointe au maire (UMP) en charge de la Sécurité, a également demandé « dans cette affaire, comme dans d’autres cas, l’application stricte de la loi, et rien que cette application ». « A l’heure où l’on apprend que des associations sous couvert de religieux se déclarent prêtes à payer les amendes de celles qui deviennent de fait des contrevenantes, le respect de nos valeurs républicaines est plus qu’impératif… », a déclaré l’élue.
Plusieurs associations musulmanes, notamment à Marseille, se sont déclarées prêtes à payer les amendes des femmes voilées contrôlées par les policiers, lesquels auraient eu pour consigne d’agir avec discernement pour éviter de jeter de l’huile sur le feu. Moins de six cas ont ainsi été relevés dans le centre de Marseille depuis le début de l’année, selon une autre source proche de l’enquête.
En septembre, le tribunal correctionnel de Marseille avait condamné à six mois de prison, dont quatre avec sursis, une jeune femme intégralement voilée de 18 ans, qui avait mordu une policière lors d’un contrôle d’identité fin juillet. (Le Parisien 15/6/2013)

Les sociologues et criminologues souhaitant étudier comment la société crée de la délinquance, surtout s’agissant d’une infraction sans victime comme le fait de porter le voile intégral en public, y trouveront dans l’application de la loi scélérate du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public un cas d’école: voilà une loi visant de facto les seules femmes, et n’interdisant de facto, parmi toutes les utilisations de masques de visage, que celles à motivation religieuse (donc islamique); et qui transforme des mères de famille en délinquantes; et dont la mise en oeuvre par la police aboutit, contexte de tension islamophobe aidant, à créer des scènes d’émeutes.

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Quant à la mise en oeuvre citoyenne et spontanée de la loi d’interdiction du voile intégral par de braves citoyens d’Argenteuil, on peut présumer que leurs actes ne seront pas la priorité des officiers de police judiciaire locaux, sans doute plus prompts à identifier et poursuivre les citoyens impliqués dans la protestation musclée contre l’interpellation d’une femme en niqab. Si par malheur, et par maladresse extraordinaire, les auteurs de ces deux agressions devaient être identifiés, ils seront sans doute condamnés – certes, pas lourdement, mais condamnés quand même. Car c’est d’une islamophobie raisonnable (voire rationnelle), mesurée et policée que le législateur et ses donneurs d’ordres idéologiques veulent – la version skinhead ou lepeniste de cette islamophobie, plus assumée et moins hypocrite, ne peut s’attendre aux faveurs de la légitimité.

Ceux qui – par leur production médiatique, idéologique, discursive et législative – auront légitimé l’islamophobie, et particulièrement contre les femmes voilées, au sommet de la hiérarchie ou au service de l’Etat, ne seront pas poursuivis de complicité: mal dégrossis et trop peu subtils,  ils paieront leur enthousiasme excessif à suivre le mot d’ordre de rejet des femmes voilées de l’espace public.

Un Geoffroy Didier, candidat malheureux de l’UMP aux élections législatives dans le Val d’Oise en 2012, actuellement en butte à des allégations qui l’embarrassent, ne sera donc pas poursuivi pour cette affiche électorale:

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Un candidat UMP a donc le droit de demander que le Val d’Oise soit « burqarein », des électeurs ont le droit de voter pour celui-ci, mais gare à celui qui le prendrait au mot et voudrait mettre en application ce mot d’ordre…

(1) Je dois à l’honnêteté de préciser que les circonstances de cette agression, telles que rapportées il est vrai par le procureur, ne sont pas univoques: « Selon Yves Jannier, la jeune femme, qui se trouvait seule au moment des faits, a dit ne pas connaître ses agresseurs. Alors que son entourage avait décrit la veille des hommes au crâne rasé, «elle n’a pas parlé de skinheads», a précisé le procureur. «Au départ, elle a pensé qu’ils voulaient lui voler son téléphone», a indiqué Yves Jannier. «Il n’y a pas eu de propos islamophobes, de propos en lien avec sa religion au vu de son profil vestimentaire», a-t-il ajouté » (Le Parisien 14/6/2013).

PS: les photos dans ce post ne représentent pas les femmes mentionnées dans celui-ci.

« On accorde trop de droits à l’Islam et aux musulmans en France »

Ce n’est pas une phrase de Manuel Valls ou Claude Guéant, mais une affirmation partagée par 51% des Français interrogés dans ce sondage de la SOFRES: ils étaient 43% en janvier 2010, 50% en janvier 2011 et donc 51% en janvier de cette année. Si l’on va dans le détail, ils sont 37% à le penser parmi les personnes interrogées se réclamant de la gauche (23% sont plutôt d’accord et 14% sont tout à fait d’accord), 70% parmi ceux se réclamant de la droite (33% sont plutôt d’accord et 37% tout à fait d’accord) et 89% parmi ceux se réclamant de l’extrême-droite (29% sont plutôt d’accord et 60% tout à fait d’accord). On note une forte corrélation avec les chiffres de ceux qui estiment qu’il y a trop d’immigrés en France (51% du total, 33% de ceux de gauche, 70% de ceux de droite et 92% de ceux d’extrême-droite) et qui estiment qu’on ne se sent plus vraiment chez soi en France (44% du total, 28% de ceux de gauche, 64% de ceux de droite et 92% de ceux d’extrême-droite).

Pendant ce laps de temps, c’est-à-dire depuis 2010, outre la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 interdisant le voile à l’école publique encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, sont venues s’ajouter deux textes de loi (dont un n’est il est vrai qu’à l’état de projet) accordant des droits à l’Islam et aux musulmans de France:

  • la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la burqala dissimulation du visage dans l’espace public;
  • la proposition de loi – proposée par ailleurs la gauche – visant à interdire le voile aux assistantes maternellesétendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité

Vous, je ne sais pas, mais ça me rappelle furieusement une des meilleures chanson de The Clash, « Know your rights« :

Know your rights all three of them

Number 1
You have the right not to be killed
Murder is a CRIME!
Unless it was done by a
Policeman or aristocrat
Know your rights

And Number 2
You have the right to food money
Providing of course you
Don’t mind a little
Investigation, humiliation
And if you cross your fingers
Rehabilitation

Know your rights
These are your rights

Know these rights

Number 3
You have the right to free
Speech as long as you’re not
Dumb enough to actually try it.

Know your rights
These are your rights
All three of ’em
It has been suggested
In some quarters that this is not enough!
Well…………………………

Parler de la burqa, en France, c’est parler un peu de la guerre d’Algérie

Voici un billet écrit (laborieusement – si on était au Waziristan ou au Texas, Didier m’aurait sans doute vidé un chargeur dans la tronche…) pour Minorités.org, site initié par Mehmet Koksal, Laurent Chambon et Didier Lestrade (et quelques autres).

Ca commence comme ça:

De fait, les pays où demeurent des règles précises, impératives et générales en matière de tenue vestimentaire, principalement à l’encontre des femmes, ont longtemps été soit des pays musulmans conservateurs soit des dictatures réprimant l’expression populaire de sentiments religieux. Dans la première catégorie, imposant le port de tenues vestimentaires couvrant de diverses manières et avec bien des nuances, formes, visages ou cheveux féminins, on trouve l’Arabie saoudite, divers émirats du Golfe, le Soudan d’Omar Bachir et l’Afghanistan des Talibans. Dans la seconde catégorie, on trouve Turquie kémaliste, Tunisie benalienne, Iran du Shah et sans doute dictatures communistes ayant aboli même toute reconnaissance de la religion, comme l’Albanie d’Enver Hodja. Et encore ces deux catégories antagonistes ne prétendent-elles pas à l’exhaustivité.

Or voilà que des pays se voulant démocratiques et libéraux, voire invoquant sabre au clair, comme c’est le cas en France, un exceptionnalisme universaliste, se mettent à prendre l’exact contrepied des mesures de sujétion vestimentaire des théocraties musulmanes précitées. C’est ainsi au nom des droits de la femme qu’il faut contraindre la femme musulmane à se libérer de ses stigmates vestimentaires d’appartenance à la l’Islam, que ceux-ci soient volontaires ou non. C’est au nom du libre-arbitre de la femme musulmane opprimée qu’il faut lui imposer d’être cheveux à l’air, de la même manière que c’est pour libérer la femme afghane que l’OTAN répand ses bienfaits et ses drones au-dessus de l’Hindu Kush. C’est pour lutter contre la contrainte vestimentaire qu’exerceraient pères, grands-frères et autres agents du patriarcat sur certaines femmes musulmanes portant hijab, niqab ou burqa qu’il convient de contraindre toutes celles-ci à ne plus les porter. C’est au nom de la modernité individualiste et libérale qu’il convient d’imposer l’absence de couvre-chef d’inspiration religieuse. C’est au nom du respect de l’Autre [1] qu’il convient de l’enjoindre de nous ressembler.

La suite est donc ici.

Scène de régime policier à Rezé, Loire-Atlantique

Vous avez tous suivi sans doute l’affaire de Lies Hebbadj, mari de la conductrice en niqab verbalisée (une amende de 22 euros pour « circulation dans des conditions non aisées« ) en France, et sans doute le premier cas d’infraction au code de la route de l’histoire de France ayant suscité l’intervention directe du ministre de l’intérieur. Brice Hortefeux avait en effet décidé d’attaquer le mari de la conductrice, l’accusant d’être polygame et de frauder aux allocations familiales, demandant à la préfecture d’étudier si cet algéro-français pouvait être déchu de sa nationalité française (la réponse est non). Le procureur de la République de Nantes est très mesuré et semble peu enthousiaste.

Un ministre faisant des allégations diffamatoires contre une personne privée, époux d’une contrevenante au code de la route, cela eût été surprenant s’il ne s’agissait de la France et de musulmans. Cette affaire n’est que le digne couronnement – je m’aventure sans doute, car je crois qu’il y aura d’autres incidents, sans doute encore plus ubuesques – d’une longue obsession française pour toute manifestation extérieure d’islamité – le cas du Quick halal de Roubaix (à suivre chez Al Kanz) est assez éloquent (il avait été précédé par l’affaire du Franprix halal d’Evry que le député-maire socialiste de cette ville, l’exécrable Manuel Valls, voulait forcer à vendre porc et alcool).

Pour être tout à fait honnête, il faut admettre que le personnage de Lies Hebbadj, boucher halal (dont la boucherie vient d’être cambriolée, après le début de la polémique) et époux de la conductrice en burqa, n’est pas des plus susceptibles d’attirer les sympathies d’un public éclairé (il est contesté au sein même de la communauté musulmane nantaise): une de ses anciennes compagnes aurait fait état de violences domestiques, allégations réfutées par l’intéressé. Bref, il campe parfaitement et sans se forcer le rôle du salaud musulman de base nécessaire nécessaire à la dramaturgie de ces faits-divers montés et instrumentalisés.

Du niqab, on est donc passé à la polygamie: s’il n’est marié civilement qu’avec la conductrice en question, il vivrait maritalement avec trois autres femmes – on peut exclure qu’il aie contracté avec elles un mariage civil, pratiquement impossible en raison de la nécessité de la nécessité de la dissolution de tout mariage antérieur (article 147 du Code civil français, lu en connexion avec l’article 76 du même code qui impose la mention de tout mariage en marge de l’acte de naissance de chacun des époux). Il ne peut donc être taxé de polygamie à l’angle du droit civil, seul son mariage civil ayant une réalité juridique en droit français.

Le droit pénal est cependant également pertinent – en l’occurence, deux articles du Code pénal français doivent être cités:

Article 433-20

Le fait, pour une personne engagée dans les liens du mariage, d’en contracter un autre avant la dissolution du précédent, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.Est puni des mêmes peines l’officier public ayant célébré ce mariage en connaissant l’existence du précédent. 

Article 433-21

Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Pour que Lies Hebbadj soit convaincu du délit de polygamie viés à l’article 433-20 du Code pénal, il faudrait que ses « maîtresses » soient liées à lui par les liens du mariage civil, qui serait venu s’ajouter à celui contracté en toute légalité avec son épouse légitime. Eu égard à la nécessité pour chacun des époux de produire devant l’officier d’état civil prononçant le mariage une copie intégrale de l’acte de naissance (articles 63 et 70 du Code civil) en marge duquel tout mariage antérieur doit être annoté, on voit mal comment un tel cas de figure pourrait se produire. Quant à l’article 433-21 du Code pénal, il réprime le fait pour un ministre du culte de prononcer le mariage religieux avant le mariage civil – Lies Hebbadj n’encourt pas de poursuites sous ce chef. On notera au passage le paradoxe qui veut que la République laïque qui, à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’église et de l’Etat, déclare ne reconnaître aucun culte, fasse mention à l’article 433-21 du Code pénal de représentants de cultes qu’elle ne reconnaît donc pas. Cartésianisme français…

De son côté, Lies Hebbadj, montrant là sa parfaite intégration et sa connaissance du registre culturel français (et son parfait cynisme au regard des préceptes de l’islam), a affirmé que les trois autres concubines étaient ses « maîtresses« , et que d’avoir des maîtresses n’était pas interdit par le droit français:

«A ce que je sache, les maîtresses ne sont pas interdites en France, ni par l’islam. Peut-être par le christianisme, mais pas en France. (…) Si on est déchu de sa nationalité pour avoir des maîtresses, il y a beaucoup de Français qui seraient déchus de la nationalité» (Libération)

En lisant les différents articles consacrés à cette affaire, c’est plutôt le passage suivant qui m’a choqué (les étapes successives de l’hystérie française en matière de toute manifestation visible d’appartenance à la religion islamique ne sont plus choquantes, à force de se répéter, mais bien affligeantes):

«Les services de police m’ont signalé sa présence il y a quatre-cinq ans. Ils m’ont dit de faire attention, car il avait une pratique islamiste intransigeante», déclare Gilles Retière, le maire socialiste de Rezé, commune au sud de Nantes où réside ce musulman. (…) Ce même 23 avril, le ministre de l’Intérieur dégaine la fiche complète d’Hebbadj, preuve qu’il était effectivement surveillé par la police. «Selon les informations dont je dispose, cet individu appartiendrait à la mouvance radicale du Tabligh et vivrait en situation de polygamie, avec quatre femmes dont il aurait eu douze enfants. Au demeurant, chacune de ces femmes bénéficierait de l’allocation de parent isolé», écrit Hortefeux. (…) «Il aurait deux femmes à Rezé, une autre dans l’agglomération nantaise et une autre dans l’agglomération lyonnaise», avance Gilles Retière. (…) La position du maire est, elle aussi, délicate. Bien que prévenu par la police, il a reçu à l’automne Liès Hebbadj. Celui-ci voulait construire une mosquée à Rezé. «Je lui ai dit : « Trouvez-vous un lieu et revenez me voir »», raconte l’élu. Désormais, il est plus prudent : «Je veux bien d’une mosquée, mais pas avec lui.»

Il est intéressant de noter que Lies Hebbadj a vraisemblablement un casier judiciaire vierge, et qu’il n’a aucun lien avec des activités violentes ou terroristes – ceci aurait été obligeamment annoncé par le ministre de l’intérieur le cas échéant. Il serait – selon le ministère français de l’intérieur – membre de la Jama’a at-tabligh, un mouvement salafiste international, cependant réputé pour son piétisme et son apolitisme, et par voie de conséquence pour son rejet du terrorisme. Les activités de ce groupement en France ne sont d’ailleurs pas interdites, et on pourrait le comparer aux Loubavitch ou à la Fraternité sacerdotale Saint Pie X. C’est donc un cas exemplaire de fichage puis de surveillance en raison des seules opinions religieuses (rien n’indique, dans les articles qui lui sont consacrés, qu’il ait des prises de positions politiques radicales) de l’intéressé. Mais ce fichage et cette surveillance, au lieu d’avoir un but strictement policier (à supposer que l’on considére que son cas relève de la forme de police politique dont il s’agit, car ce que le ministère de l’intérieur lui reproche – polygamie, fraude à l’aide sociale – relève en effet du droit commun), semble servir au contrôle social voire à la stigmatisation d’un individu en raison de ses idées.

On peut présumer que le maire de Rezé, localité ou réside Lies Hebbadj, a été contacté par les Renseignements généraux (véritable police politique, fusionnée depuis 2008 avec la DST – contre-espionnage – au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur) au moment de l’emménagement de l’intéressé à Rezé. Ceci, en l’absence de toute prévention pénale à son encontre, car des poursuites auraient été sans aucun doute initiées le cas échéant, et en raison de ses seules opinions religieuses fondamentalistes. On peut se demander si la police politique en aurait fait de même s’il s’agissait d’un militant du Bloc identitaire ou de Lutte ouvrière venu s’établir à Rezé. La réponse: bien sûr que non.

Toutefois, en ces temps où les Maghrébins de France et Français d’origine maghrébine se voient sommés de s’assimiler au modèle français, il est réconfortant de constater que les autorités françaises consentent à une certaine réciprocité en répliquant dans l’hexagone un modèle policier qui ne dépayse aucun Algérien, Marocain ou Tunisien.

Tänka fritt är stort men tänka rätt är större*

La critique du multiculturalisme est la mode dominante même dans des pays autrefois classés dans ce courant, de par leurs pratiques institutionnelles et politiques en matière de politique minoritaire. Mais il est parfois difficile de pratiquer cette critique à juste escient, comme le prouve cet article (en suédois, désolé) de l’universitaire Pernilla Ouis consacré à la critique du multiculturalisme, de Michel Foucault, de la lutte contre l’islamophobie et de pas mal d’autres choses.

Pernilla Ouis quand elle était musulmane

Un mot sur Pernilla Ouis: Suédoise convertie à l’islam, elle a porté le voile pendant près de vingt ans, avant de l’enlever suite à son divorce en 2008 (elle s’explique ici ). Elle a progressivement perdu la foi et se décrit désormais comme « désislamisée« .

 

Tout n’est pas à jeter dans cet article, qui marque quelques points, notamment sur la notion de diffamation des religions soulevée par certains gouvernements d’Etats musulmans, mais plusieurs erreurs factuelles affaiblissent nécessairement son raisonnement:

Elle affirme pour commencer que Michel Foucault serait le Dieu des sciences sociales suédoises:

« Foucault är Gud i den svenska universitetsvärlden, inte profet, utan Gud fader själv. Inom socialvetenskaperna är det han som banat vägen för det kritiska tänkandet kring hur språket formar våra sociala praktiker, hur makten förtrycker de avvikande med sina normalitetsnormer och uteslutningsmekanismer. Foucault är far till det postmoderna tänkandet och diskursanalysen. Varje student som aspirerar på högre studier måste begripa hans storhet och förhålla sig till hans tankar. Att kritisera dem är en omöjlighet i den akademiska världen« .

« Foucault est le Dieu du monde universitaire suédois, pas prophète, mais Dieu le Père lui-même. Dans les sciences sociales c’est lui qui a tracé la voie pour la pensée critique autour de la manière dont le langage donne forme à nos pratiques sociales, comment le pouvoir oppresse les déviants avec sa normativité et ses mécanismes d’exclusion. Foucault est le père de la pensée post-moderne et de l’analyse du discours. Chaque étudiant qui aspire à de hautes études doit comprendre sa grandeur et se positionner par rapport à sa pensée. La critiquer est impossible dans le monde académique« 

Pas mal d’affirmations, mais aucune preuve de ce qu’elle affirme. Sans être spécialiste de la question, je me permets de douter des brigades de commissaires politiques qu’elle décrit, imposant leur orthodoxie dans un monde académique suédois acquis au postmoderne par l’effet d’une épuration idéologique. Si la pensée foucaldienne a du succès, c’est sans doute pour des raisons intrinsèques, liées à la persuasion intellectuelle de ses éléments fondamentaux. D’autre part, on pourrait objecter quant à la fixation de l’auteur sur Foucault – d’autres auteurs du même courant ont été influents, le courant marxiste ou marxisant (par exemple autour de Göran Therborn ou de Torbjörn Tännsjö) également, sans compter l’influence de Bourdieu (qui n’était ni post-moderne ni marxiste) ou l’école positiviste (Axel Hägerström surtout, toujours très influente parmi les juristes). Bref, du journalisme d’opinion classique, de l’éditorialisme comme on dit en France.

Deuxième point, plus factuel encore. Pernilla Ouis s’attaque à Andreas Malm, journaliste à l’hebdomadaire anarcho-syndicaliste Arbetaren (« Le travailleur« ), ayant couvert notamment l’Iran. Il a sorti en 2009 un ouvrage ayant fait couler beaucoup d’encre en Suède, consacré à l’islamophobie en Suède, « Hatet mot muslimer » (« La haine des musulmans« ). Pernilla Ouis s’irrite au plus haut point du socialisme affiché de Malm et de sa sympathie pour le Hezbollah (il avait publié une tribune le 1er août 2006 dans le quotidien linéral Expressen intitulé « Därför ska vi stödja Hezbollah » – « Voilà pourquoi nous devons soutenir le Hezbollah« ) et pour le FPLP de feu Georges Habache: comment ne peut-il ne pas savoir que les musulmans sont soit des chômeurs, soit des entrepreneurs, réactionnaires et conservateurs, s’insurge-t-elle. Puis elle s’avance en territoire miné – le Moyen-Orient, what else?

Malm har tidigare hävdat att han stödjer Hizbollah, eftersom en seger för dem ”producerar det mest önskvärda resultatet” (Malm i Expressen: ”Därför ska vi stödja Hizbollah”, 1 augusti 2006). Samtidigt hade Malm på sig en tröja till stöd för den marxistiskt-leninistiska gruppen Folkfronten för Palestinas Befrielse (PFLP) under denna debatt, en ståndpunkt samma Hizbollah-anhängare hade kunnat mörda honom för. (Expressen)

Malm a précédemment affirmé qu’il soutenait le Hezbollah, une victoire pour eux « produisant le résultat le plus souhaitable » (Malm dans Expressen; ”Därför ska vi stödja Hizbollah”, 1er août 2006). En même temps Malm portait un t-shirt soutenant le groupe marxiste-léniniste Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) pendant ce débat, un point de vue pour lequel un supporter du Hezbollah aurait pu l’assassiner. (Expressen)

Ce serait intéressant si c’était vrai. Mais l’Orient compliqué le demeure même pour quelqu’un ayant porté le voile pendant vingt ans. Voici en effet la réalité des liens entre le FPLP et le Hezbollah – des liens de camaraderie entre mouvements de résistance:

  • le FPLP a adressé un message de félicitations au Hezbollah pour saluer le troisième anniversaire de la « victoire » de 2006;
  • la chaîne de télévision du Hezbollah, Al Manar TV, a diffusé des reportages soutenant clairement les opérations de résistance militaire des brigades Abou Ali Mustafa, bras armé du FPLP;
  • le Hezbollah a mené des actions de résistance militaire avec la branche armée du Parti communiste libanais, tandis que le FPLP en a mené avec les branches armées du Hamas et du Jihad islamique: « De même, on imagine-ra les laïcs comme forcément persécutés par les intégristes musulmans. Vrai dans cer-tains cas, cette assertion se révèle fausse dans d’autres. Il faut alors comprendre par exemple comment le Parti communiste libanais noue des alliances avec le Hezbollah, ou comment le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) marxiste travaille souvent avec le Hamas ou le Djihad islamique, et se laisser interroger politiquement et méthodologiquement par ces nouvelles réalités » (Mouvements);
  • dans le même sens: « Marie Nassif-Debs, membre du PCL, affirme sans hésitation que le parti considère « le Hezbollah comme un parti de résistance, faisant parti d’un mouvement de libération nationale sur le plan national et arabe »[12], tandis que le FPLP confirme qu’entre le Hamas et lui-même il y a des similitudes comme le soutien à la résistance, la coordination des forces de sécurité palestinienne avec l’armée israélienne, mais également leur opposition aux accords d’Oslo, à la Feuille de Route et au piège des négociations de paix » (Café Thawra);
  • enfin: « Des cadres progressifs de discussion vont dès lors se créer entre nationalistes, marxistes, et islamistes, par exemple la Fondation Al-Quds, à leadership islamiste, et tout particulièrement la Conférence nationaliste et islamique lancée en 1994 à l’initiative du Centre d’études pour l’unité arabe (CEUA) de Khair ad-Din Hassib, situé à Beyrouth, qui se réunit tous les quatre ans, destinée à trouver des points d’accords tactiques et/où stratégiques, et à redéfinir les liens, même et y compris d’un point de vue idéologique entre la gauche, le nationalisme et l’islamisme . Le CEUA a ainsi tenu, en mars 2006 et janvier 2009, à Beyrouth, des Conférences générales arabe de soutien à la résistance, où les principales directions des organisations nationalistes, marxisantes et islamistes (notamment le Hamas et le Hezbollah) étaient fortement représentées. Près de 400 délégués issus de la gauche mondiale et du mouvement altermondialiste étaient présent à ces conférences. Ce rapprochement entre les divers groupes est permis par la centralité de la lutte contre Israël, l’interventionnisme américain dans la région, notamment l’Iraq, et la question démocratique. La collaboration va dès lors de se développer sur le champ politique, et même sur le champ militaire en Palestine et au Liban » (Café Thawra).

Et je me suis arrêté à ces deux points-là, relativement factuels de l’argumentation de Pernilla Ouis. Et on comprend comment le reste du raisonnement ne peut qu’être fallacieux: si une vision nuancée et paradoxale des phénomènes islamique et islamiste est possible, ce n’est peut-être pas dû à la « Brigade du martyr Michel Foucault » qui opérerait des assassinats ciblés dans les couloirs des universités suédoises. De même, dans le contexte moyen-oriental, une proximité tactique – car les divergences de fond sont très réelles – entre mouvements progressistes et islamistes, surtout dans le cadre de la résistance, ne relève peut-être seulement pas de la fantasmagorie d’islamo-gauchiste halluciné. Et le fait de porter ou d’avoir porté le foulard n’offre aucune garantie de compétence pour discuter de ces questions.

*Le titre de ce post signifie « Penser librement est grand mais penser juste est plus grand encore » en suédois, une citation de l’écrivain suédois Thomas Thorild. C’est la devise de l’Université d’Uppsala, qui fait débat en Suède car censée exprimer une prime au conformisme – qui définit ce qui est juste? Paradoxalement, cette critique rejoint le discours post-moderniste… Mais cette devise peut également être prise littéralement: penser librement a plus de valeur si on pense librement et que l’on a raison – ce qui présuppose bien évidemment que le fond de la pensée que l’on exprime est susceptible de vérification objective. En l’occurence, approximations et erreurs factuelles affaiblissent la thèse à l’appui de laquelle elles sont invoquées. C’est dans ce sens que l’utilise cette maxime ici.

Ce que je pense du réferendum suisse interdisant les minarets

Donc les Suisses ont par votation populaire interdit, à 57% des suffrages exprimés, interdit que les mosquées en Suisse soient dotées de minaret. Tous les cantons suisses ont voté pour l’interdiction, à l’exception de trois des quatre cantons francophones que sont Genève (probablement la ville la plus cosmopolite de Suisse, en raison de la présence de l’ONU et de l’OMC, et qui a le plus à perdre avec son importante clientèle des pays du Golfe, et qui a voté non à 59,7% – si vous boycottez la Suisse, ne boycottez en tout cas pas Genève), le canton de Vaud et Neuchâtel (le Jura est le seul canton francophone à avoir voté pour, ainsi que le canton italophone du Tessin, les quatorze cantons germanophones, les trois cantons bilingues français/allemand et le canton trilingue des Grisons).

Quelques réflexions en vrac, et je regrette par avance de ne pouvoir éplucher la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour juger de la conformité de cette prohibition avec la liberté de religion prétendument protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

  1. En soi, l’interdiction d’ériger des minarets au-dessus des mosquées suisses n’est pas à proprement parler scandaleuse. Je me rappelle que lors de la discussion de l’édification de la superbe grande mosquée de Stockholm à Björns trädgård (Medborgarplatsen), il fût très tôt convenu entre Islamiska förbundet i Sverige (l’Association islamique de Suède, une des associations musulmanes de Suède) et la ville de Stockholm que la mosquée n’aurait pas de minaret surélevé, mais qu’une des tourelles existantes sur ce bâtiment vieux d’une centaine d’années tiendrait lieu d’un minaret, purement décoratif puisque l’adan n’a bien évidemment pas lieu en dehors des locaux de la mosquée. Je ne suis pas sûr que le fait d’avoir un minaret soit imposé par le Coran ou la Sunna, mais allahou alem. La loi scélérate française permettant l’exclusion de l’école de filles voilées (et également de garçons sikhs portant le turban rituel) est objectivement infiniment plus attentatoire aux libertés individuelles que cette interdiction des minarets.
  2. Mais bien évidemment, aucune décision ou déclaration politique ne peut être appréciée abstraction faite de son contexte. De la même façon qu’un blague juive est plus marrante quand elle est racontée par Woody Allen que par Dieudonné, l’interdiction de minarets a une autre signification lorsqu’il fait suite à une initiative explicitement islamophobe avec un débat public et médiatique à l’avenant, que lorsqu’il s’inscrit dans le cadre d’une négociation entre l’autorité municipale en charge de l’urbanisme et le propriétaire d’un bâtiment.
  3. Le contexte suisse est celui désormais tristement banal – pensons aux Pays-Bas, où certains souhaitent suivre l’exemple suisse, ou au Danemark – d’un pays relativement libéral (encore que la Suisse ait eu des problèmes à traiter correctement ses travailleurs immigrés, notamment italiens) voire multiculturel (la Suisse compte quatre langues officielles et est historiquement partagée entre catholiques et protestants) virant, sous l’effet conjugué de la crise et du 11 septembre, vers une xénophobie et tout particulièrement une islamophobie de plus en plus clairement affichée: l’UDC, parti de droite islamophobe et xénophobe derrière l’initiative populaire de ce dimanche dernier, veut poursuivre plus loin sa politique de votations populaires islamophobes, en en proposant sur la burqa, la mutilation génitale (au demeurant déjà prohibée) ou le port du foulard au travail.
  4. Pour une fois, les réactions à l’étranger semblent unanimement négatives, qu’il s’agisse de pays arabes ou musulmans ou de pays européens, à l’exception bien évidemment des islamophobes patentés que sont Marine Le Pen, Geert Wilders ou les racistes de la Lega Nord italienne (padanienne?). Même la France officielle et médiatique, championne hors concours en matière de mesures discriminatoires prises sous couvert de laïcité, semble estomaquée par l’absurdité patente de l’islamophobie populaire suisse. Je dois dire que ces réactions m’étonnent grandement: ainsi, il serait plus condamnable d’interdire la construction de minarets (et non, pas de mosquées, la construction de minarets ne semblant pas être une quelconque obligation religieuse) que d’expulser des écoles et de la fonction publique des musulmanes recouvrant leurs cheveux. Au nom de quoi? Pourquoi cette absence de réaction face aux prohibitions – de degrés divers – turque, française et allemande du port du voile?
  5. Cet étonnement est plus fort encore à lire les réactions françaises: le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner s’est déclaré « un peu scandalisé« , une formule d’une délicieuse hypocrisie – mais il faut reconnaître qu’il est isolé au sein de l’UMP, dont plusieurs dirigeants rotent d’aise en pensant aux perspectives offertes par l’islamophobie, le président du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée nationale, Jean-françois Copé, bavant d’excitation à l’idée d’une loi interdisant niqab et burqa. Nul prise de conscience de l’incohérence à dénoncer l’interdiction des minarets et approuver celle du foulard porté par des collégiennes et lycéennes. Même les champions de la laïcité autoritaire est intolérante qui a cours légal en France (du moins s’agissant des musulmans, les cultes catholique, protestant et juif étant mieux lotis) semblent en retrait, notamment au PS, pourtant jamais le dernier à entonner le clairon de la laïcité en danger face aux hordes islamistes en hijab et burqa. Un coopérant français, Philippe brachet, avait écrit un livre intitulé « Descartes n’est pas marocain » sur son expérience marocaine. Un observateur neutre (suédois?) pourrait en écrire un autre aujourd’hui, intitulé « Descartes n’est pas (plus?) français« .
  6. L’effet d’entraînement de cette mesure islamophobe (deux Länder autrichiens l’avaient déjà adoptée) est aussi certain que celui de l’interdiction du voile dans les écoles publiques françaises, mesure reprise par des pays aussi éloignés de la laïcité à la française que la Belgique (régime de neutralité et non de laïcité, avec financement public du culte et cultes reconnus par l’Etat) et l’Allemagne (régime de concordat, avec impôt ecclésiastique et programmes scolaires explicitement basés sur les valeurs chrétiennes). Les constructions de mosquées font jaser en France (et ailleurs), et la droite islamophobe européenne s’est précipitée sur l’occasion – avec des débordements en vrille, comme en Italie, où la Lega Nord propose de rajouter un crucifix au drapeau italien, un peu sur le modèle de Saddam Hussein rajoutant Allahou akbar sur le drapeau irakien lors de l’invasion du Koweït (non pas qu’il soit illégitime pour les Italiens de se choisir le symbole qu’ils veulent sur leur drapeau, mais le contexte, le contexte…).
  7. Le summum de l’absurde revient cependant à certains dignitaires musulmans, qui devraient étouffer de honte plutôt que de prendre les mots « liberté religieuse » dans leur bouche. Je pense notamment à l’Arabie séoudite, mais aussi à l’OCI, qui a exprimé son inquiètude par le truchement de son secrétaire général turc, dont je n’ai pas souvenir qu’elle ait condamné l’interdiction de lieux de culte non-musulmans en Arabie Séoudite, ou des difficultés rencontrées pour l’édification d’édifices religieux chrétiens dans d’autres pays musulmans.
  8. Nadia Yassine, égérie d’Al adl wal ihsan, déclare dans un entretien à swissinfo.ch « les néo-conservateurs en ont rêvé, la Suisse l’a fait » et dénonce la victoire de l’émotionnel – je ne connais pas ses positions ou celles de son mouvement sur les lieux de cultes non-musulmans au Maroc, ce serait intéressant à creuser…
  9. Les églises catholique et protestante de Suisse étaient opposées l’interdiction des minarets – c’est souvent (pas toujours toutefois) des autres croyants européens que les musulmans peuvent attendre le plus de réconfort, et pas toujours des laïcs.
  10. La rapporteure spéciale de l’ONU sur la liberté de religion et de pensée, la pakistanaise Asma Jahangir, a condamné cette prohibition, de même que le secrétaire général du Conseil de l’Europe (à ne confondre sous aucun prétexte avec l’Union européenne).
  11. On parle déjà de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme contre cette prohibition. Ne vous faites aucun faux espoir: cette Cour n’a pas eu la main tendre lorsque les libertés religieuses de musulmans ont été déférées devant elle. Elle est présidée par le français Jean-Paul Costa, qui prit activement part dans la campagne médiatique française en faveur de l’interdiction du voile en 2003/2004 en déclarant de manière décisive devant la bien nommée commission Stasi que le projet de loi d’interdiction du foulard à l’école publique était conforme à la CEDH. L’interdiction du foulard faite à une enseignante suisse (décision d’irrecevabilité dans l’affaire Dahlab contre Suisse (2001))  ou à une étudiante d’université turque (affaire Sahin contre Allemagne, jugements de 2001 et 2003) n’a pas ému la vénérable Cour, laquelle n’avait en son temps guère été émue par l’interdiction du parti communiste allemand (décision d’irrecevabilité du 20 juillet 1957, parti communiste d’Allemagne contre Allemagne), les interdictions professionnelles ouest-allemandes (Berufsverbote interdisant la fonction publique aux personnes soupçonnées de sympathies nazies ou communistes, affaire Kosiek contre Allemagne (1986), voir cependant en sens contraire l’affaire Vogt contre Allemagne (1995)), l’interdiction professionnelle d’un menuisier suédois travaillant pour le musée de la marine (affaire Leander contre Suède (1987)), et autres casseroles qui prouvent que la perfection n’est pas de ce monde, cette cour étant légitimement considérée comme une des plus légitimes de par le monde en matière de droits humains.
  12. Enfin, on peut lire des tombereaux de conneries de Marocains du genre « bein quoi, c’est bien pire au Maroc, les juifs et les chrétiens n’ont pas le droit d’y construire des synagogues ou des églises« . C’est faux: aucune interdiction de ce genre n’existe, aucun texte réglementaire ou législatif contient ce type d’interdiction. Il y a d’ailleurs un vide juridique regrettable s’agissant des lieux de culte chrétiens, réglementés par aucun texte normatif. Larbi en publie les preuves photographiques récentes, s’agissant des églises chrétiennes, et des projets de reconstruction de synagogues – la synagogue Simon Attias à Essaouira par exemple – ont pignon sur rue. Il y a des problèmes évidents de liberté religieuse au Maroc, mais cela n’autorise pas à dire n’importe quoi, de bonne ou de mauvaise foi.

Pornographie idéologique, ou la burqa, le couscous, le Conseil d’Etat et les beurettes rebelles

Islamic Erotica, de Makan Emadi

Islamic Erotica, de Makan Emadi


En surfant sans but précis, je suis tombé sur un ancien billet d’un blog français consacré à un arrêt du Conseil d’Etat français (juridiction française suprême en matière de contentieux administratif) du 27 juin 2008 validant le refus d’octroi de la naturalisation française à une candidate marocaine porteuse de la burqa. L’arrêt avait fait quelque bruit à l’époque, et même si j’ai en sainte horreur le contre-modèle français de laïcité, il ne m’avait pas choqué – pour diverses raisons, de fond et d’opportunité, je ne défends pas le droit de porter la burqa alors que je défends celui de porter le hijab. Je ne compte pas vraiment m’attarder sur cette question maintenant, et ceux que ça intéresse peuvent avec profit lire ce qu’en a écrit le juriste français Jules de Diner’s Room, sans que je fasse miennes ses réflexions.

Bref, en tombant sur le billet intitulé « le couscous oui, la charia non ! » j’ai commencé à lire – et j’en ai eu pour mon argent. Entre le couscous du titre et la « beurette rebelle » figurant sur la photo en fin de billet (cliquez dessus et vous ne pourrez que vous en prendre à vous même si vous surfez au bureau), on a la de quoi remplir un colloque d’études post-coloniales (1): l’acceptation de la figure du musulman ou plutôt de la musulmane se porte sur l’alimentaire et le sexuel, pas sur le religieux. C’est là le degré zéro de la tolérance – on suppose que même un Le Pen du temps où il était soudard de la République sous uniforme français à Alger ne crachait pas sur un couscous poulet ou sur une visite chez les prostituées indigènes.

La lecture du texte confirme la bonne pêche: islam expansionniste, anthropophagie (« Comme disait Bedos dans un vieux sketch : « si les immigrés étaient anthropophages, vous leur donneriez vos gosses à bouffer ? »« ), parallèle entre femme voilée et « un néo-fasciste italien tueur de communistes » et enfin un couplet bien connu de Saint-Just, qui vaut mieux que ça, « pas de liberté aux ennemis de la liberté« , et la photo dune voilée dénudée qui relaie un lien vers un site de « beurettes rebelles » dont je vous laisse imaginer la teneur. Un vrai défilé – ce que certains debitent sur toute une carrière publique, la bloggeuse en question le concentre en un seul billet, entre amalgames et instrumentalisation du féminisme (2).

Ce billet me semble exemplaire – pas seulement par la violence de la symbolique, entre plat de couscous et actrice pornographique arabo-musulmane, mais justement parce qu’il ne figure pas dans un blog consacré au Christ-Roi, à la défense de l’Occident ou à la réhabilitation du regretté maréchal Pétain. Non, ce blog ne verse pas dans l’islamophobie ni dans le racisme (du moins pour autant que j’en sache). Il s’inscrit dans une idéologie qui tend à dominer en France, manichéenne, essentialiste et profondément nationaliste (l’exemplarité du prétendu modèle d’intégration à la française, présumée surpasser tous les modèles concurrents, et surtout le modèle multiculturel d’inspiration anglo-saxonne), axée sur une opposition entre occident démocratique et libéral et monde musulman (pour les plus extrêmes, à la Robert Redeker, tenants de la guerre des civilisations) ou un islamisme à définition variable et extensive (pour les plus modérés, suivant en cela l’exemple de Bush, distinguant entre musulmans modérés – le roi Abdallah d’Arabie séoudite – et musulmans fanatiques – sayyed Hassan Nasrallah du Hezbollah).

La critique que l’on peut formuler contre cette école de pensée c’est pas tant quand elle constate des oppositions politiques et idéologiques, ou qu’elle s’oppose à l’islam ou à l’islamisme, mais dans une vision idéologique, globalisante, sans nuance, fondée sur un facteur explicatif unique et exclusif (l’islam): les émeutes de banlieue, les violences domestiques, le conflit israëlo-palestinien, la criminalité, les tournantes, la baisse du niveau scolaire – tout cela à une cause unique, l’islam (ou l’islamisme selon la sous-tendance à laquelle on adhère). Le parallèle avec l’anti-communisme de la John Birch Society ou d’un Jean-François Revel s’impose: pour ceux-là, Olof Palme et Pol Pot même combat, pour leurs successeurs Tariq Ramadan vaut bien Ayman al Zawahiri.

Dans le cas français, on peut greffer à ces reproches celui d’un indéniable inconscient colonial, par ailleurs pas si inconscient que ça en France. Et la réduction du musulman à la sharia, au couscous et aux fantasmes sexuels de l’homme blanc (3) est parfaitement exemplaire – en lisant la liste des liens on y retrouve un Robert Redeker ou le chroniqueur d’extrême-droite du Figaro Ivan Rioufol, et la liste des lectures contient bien évidemment l’inénarrable Pascal Bruckner et son lacrymal « Le sanglot de l’homme blanc« , la négrophobe négrologie (désolé, c’est son terme) de Stephen Smith, et l’oeuvre majeure de Samuel Huntington. Et tout cela est parfaitement mainstream.

Exemplaire, vous dis-je.

(1) Ca me fait furieusement rappeler un épisode de Fawlty Towers où un couple de psychiatres, venus pour un congrès professionnel loger à l’hôtel du déjanté Basil Fawlty, s’exclament « there’s enough material here for a whole conference« …

(2) Voir « Les mots sont importants… les images aussi, Réflexions féministes et anticolonialistes sur la couverture d’un magazine féministe québécois« , de Laetitia Dechaufour et Aurélie Lebrun:

Ainsi, il est pour le moins problématique d’ériger les talons hauts comme des symboles d’émancipation féministe. En effet, cet emploi simultané de la burka et des talons haut comme des contraires est largement contestable également parce que l’on décontextualise deux réalités oppressives et que l’on fait équivaloir burka et talons hauts. Cette simplification des conditions sociales, historiques et politiques de ces oppressions jusqu’à leur donner les mêmes significations, quand bien même le but serait de les dénoncer, contribue à la focalisation malsaine sur la burka des femmes afghanes, plutôt que sur l’interdiction qui pèse sur elles de s’instruire, de pratiquer un métier ou encore de se déplacer seule. Or, nous nous devons de remettre en cause ce féministe hégémonique qui simplifie la complexité des rapports de pouvoir, notamment ceux qui placent les femmes blanches dans un rapport de domination avec les femmes racisées. Dans cette perspective, ce que nous critiquons également de la couverture de La vie en rose, c’est l’instrumentalisation des femmes voilées à des fins soi-disant féministes.

Il faut savoir que cette obsession de dévoiler les femmes arabes, de les découvrir, ne date pas d’hier ; dans l’Algérie coloniale, les femmes voilées étaient vues tant par les colonisateurs français que par les colonisés algériens, comme les gardiennes de la nation, et à ce titre, leur voilement ou leur dévoilement devenait un enjeu au cœur des luttes colonialistes et nationalistes. Winifred Woodhull note que les colonisateurs français en Algérie identifiaient les femmes comme « des symboles vivants à la fois de la résistance de la colonie et sa vulnérabilité à la pénétration » [6]. Dans la même perspective, Marie-Blanche Tahon argumente que les hommes colonisés perçoivent le voile comme « l’emblème de la résistance politique du colonisé à l’emprise du colonisateur. Il est étendard politique – à usage masculin » [7]. Ainsi, le droit de voiler ou de dévoiler les femmes s’avère être un privilège que se disputent les hommes, qu’ils soient dominants ou dominés. Quelle sensation de toute puissance de pouvoir soulever ce voile et de s’approprier enfin ce corps qui est refusé aux colonisateurs – parce que les colonisés se le réservent… Quel plaisir de voler, en quelque sorte, l’objet que s’était approprié l’Autre dominé.

(3) Le célèbre touriste sexuel belge Philippe Servaty, qui photographia plusieurs jeunes femmes gadiries en pleins ébats, leur ayant promis mariage et visa Schengen, avait quelquefois pris soin de les affubler de hijab.