Le PAM, les éléctions et l’article 5 de la loi sur les partis politiques, ou comment avoir juridiquement raison et politiquement tort

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Si vous croyez que le PAM de Fouad Ali el Himma – et la telenovela des dernières semaines autour de la transhumance des khobzistes attirés par l’odeur du makhzen – marque un changement qualitatif dans l’emprise du makhzen sur la scène politique marocaine, vous vous trompez lourdement: c’est le maintien au gouvernement en décembre dernier d’Abdelouahed Radi, premier secrétaire de l’USFP, qui est de très loin bien plus significatif.

Vous avez tous suivi la polémique autour de l’interprétation et de l’application de l’article 5 de la loi n°36-04 relative aux partis politiques dans la perspective des élections municipales qui auront lieu aujourd’hui. Pour faire bref, le Parti authenticité et modernité (PAM) de Fouad Ali el Himma a depuis sa création attiré notables politiques et célébrités des ONG comme le fumier attire les mouches. La proximité royale de moul traktor a incité nombre d’élus à n’écouter que leur courage et leurs convictions et se résigner à rejoindre la courageuse dissidence du PAM – dont on ne me fera pas croire que la similitude avec le sigle du Programme alimentaire mondial ne serait qu’une coïncidence.

La transhumance du bétail makhzénien avait commencé au parlement, où hizbicules en rade et militants khobzistes rejoignèrent, en groupe ou individuellement, le groupe parlementaire du PAM (lequel ne comptait que trois élus en 2007 et dût s’allier avec une brochette de hizbicules (Al Ahd de Najib Ouazzani, PND d’Abdallah Kadiri, Alliance des Libertés d’Ali Belhaj, ICD de Mohammed Benhammou et enfin PED d’Ahmed Alami) afin de pouvoir former un groupe parlementaire à la Chambre des représentants – en effet, en vertu de l’article 24 alinéa 2 du réglement intérieur de cette chambre, « aucun groupe ne peut comprendre moins de 20 membres, non compris les Représentants apparentés » . Par la suite, le PAM et son  ramassis de hizbicules et d’opportunistes s’allia avec le RNI de Mustapha Mansouri afin de former un groupe parlementaire, le groupe  « rassemblement et modernité » devenu avec 80 représentants le premier groupe parlementaire à la chambre basse. Notons qu’il s’agissait de la constitution d’un groupe parlementaire commun, et non d’une fusion des partis PAM et RNI. Notons également la logique de l’histoire est respectée, puisque le PAM, parti créé autour de la personne d’un ami d’enfance de Mohammed VI et ancien élève du collège royal, s’est ainsi allié au RNI, créé en 1977 par le beau-frère (Ahmed Osman, époux de Lalla Nezha) du Roi d’alors, feu Hassan II, lequel Osman était également ancien élève du collège royal…

La courte histoire du PAM, qui vient juste de désigner ses instances dirigeantes il y a quelques mois, a été jalonnée de ces péripéties qui font le charme de la démocratie makhzénienne: fusions, scissions, départs en fanfare, défaites électorales faisant suite à des triomphes, polémiques médiatisées avec l’administration, etc

Commençons dans l’ordre: sitôt fusionnés au sein du PAM, certains hizbicules se rendirent compte qu’il valait mieux être maître chez soi que deuxième vice-président ailleurs . Ainsi, l’inénarrable Abdallah Kadiri (je l’ai vu de près lors d’une zerda post-électorale en 2007, avec sans mains grandes comme des raquettes de tennis et sa stature de catcheur, et me suis dit qu’il ne devait pas être commode de le contredire en petit comité) déclara vouloir renoncer au nom de « son » PND à la fusion au sein de PAM, mais il fut désavoué par les notables qui formaient son aréopage et qui se voyaient sans doute plus valorisés en tant que porteurs d’eau de Fouad Ali el Himma plutôt qu’en sous-fifres d’Abdallah Kadiri – sans compter les convoitises autour du patrimoine immobilier souvent conséquent de ces hizbicules. Après avoir donc signé la fusion du PND au sein du PAM, fusion impliquant sa dissolution, Kadiri se ravisa et demanda l’annulation de cette auto-dissolution qu’il avait lui-même signée…

Cette commedia dell’arte politico-juridique se termina par un échec pour Kadiri, le tribunal administratif de Rabat ayant rejeté le recours en annulation le 18 décembre 2008. Rassurez-vous, la combativité de cet indéfatigable militant de la démocratie qu’est Abdallah Kadiri ne fût en rien atteinte puisqu’il a tout récemment décidé de faire don de sa personne aux électeurs marocains par le biais d’un nouveau hizbicule, le Parti démocrate national (PDN). Un autre chefaillon de hizbicule, Najib Ouazzani, chirurgien rbati et ex-président du ci-devant Al ahd, fusionné de son plein gré au sein du PAM, a ainsi créé Al ahd adimoqrati en avril 2009 (à ne pas confondre avec Annahj adimoqrati d’Abdallah Harif, mais vous aurez sans doute rectifié de vous-mêmes…) après avoir pris ses distances en janvier 2009, tandis qu’Ahmed Alami, zaïm de feu le PED fusionné dans le PAM, a également regretté son auto-dissolution et créé le Parti de l’environnement et du développement durable en avril dernier, dont le programme voit l’audace redoutable se disputer à la clarté lumineuse.

Il faut dire qu’entre le moment où ces hizbicules avaient accepté de s’auto-dissoudre au sein du PAM – soit au lendemain des législatives de 2007 – et celui où ils ont affirmé leur dissidence, l’élan électoral du PAM s’était brisé net: après le plébiscite de Rehamna en 2007, où le PAM fût la seule liste du pays à remporter tous les sièges de sa circonscription, et l’automne 2008, les législatives partielles de septembre 2008 (7 élus avaient vu leur élection invalidée par le Conseil constitutionnel, juge électoral pour les législatives) avaient été un véritable échec pour le PAM, avec seulement un élu sur les sept sièges en jeu (il s’agissait en fait du siège détenu par un parlementaire élu sous les couleurs de l’Alliance des Libertés, Saïd Benmbarek, notable de Tiznit). Il n’en fallut pas plus pour que des khobzistes commencent à avoir des doutes – je doute que le PAM regrette le départ de ses rangs de l’inénarrable conseiller Yahya Yahya, bien connu semble-t-il des services de police de l’occupant espagnol à Melilla.

Nil novo sub sole: l’histoire des partis administratifs (c’est-à-dire créés par ou proches du makhzen) depuis l’indépendance est jalonnée de partis créés par des proches du makhzen, puis minés par les dissensions et les rivalités  -y compris celles entre différents décideurs, car rien ne serait plus erronné que de présenter le makhzen comme un centre de pouvoir monocolore et monolithique, car rien ne dérange tant la monarchie que le risque d’être confronté à des blocs politiques homogènes, fussent-ils proches d’elle. La première des scissions fût propre au Mouvement populaire (MP) de Mahjoubi Aherdane, dont la création fût plus que facilitée par Mohammed V en 1959 pour contrer l’Istiqlal (qui devait d’ailleurs se scinder la même année) – le MPDC d’Abdelkrim Khatib fut créé en 1967, puis le MNP fondé en 1983/91 par… Mahjoubi Aherdane, contre la direction du MP autour de Mohand Laenser, le MDS de Mahmoud Archane en 1996, puis enfin l’UD de l’ex-syndicaliste USFP Bouazza Ikken en 2001 (il fût un des députés élus en 1984 par les Marocains de l’étranger).

La précédent du Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC) d’Ahmed Reda Guédira, ami d’enfance et conseiller du Roi Hassan II avait lui-même du faire face aux réticences des militaires, Guédira ayant initialement voulu choisir l’adjectif « monarchiques » plutôt que « constitutionnelles » – le maréchal Ameziane et le général Kettani lui firênt valoir que la monarchie devait rester au-dessus de la mêlée. De plus, le MP d’Aherdane ne lui était pas vraiment favorable, sans pouvoir l’exprimer ouvertement. Le parlement de 1963, sans doute le plus représentatif qu’ait jamais connu le Maroc (la majorité autour du FDIC et du MP était fragile, confrontée à une solide opposition UNFP/Istiqlal), fût difficile pour le gouvernement et le Palais, et les émeutes du 23 mars 1965 offrirent le prétexte d’un état d’exception qui dura de facto jusqu’en 1977 (et la véritable libéralisation du makhzen remonte à 1991, année de l’amnistie de la grande majorité des prisonniers politiques, sans compter le cessez-le-feu au Sahara) et qui mit fin au FDIC.

Le RNI fût créé au lendemain des législatives de 1977 pour organiser l’écrasante majorité des élus dits indépendants (sans étiquette politique). Confié au beau-frère du Roi Hassan II, Ahmed Osman, il fût cependant rapidement contré par les sécuritaires du régime, Ahmed Dlimi et Driss Basri suscitant la scission du PND en 1981, qui fût le fait d’Arsalane Kébir Al Jadidi, ex-militaire. Ensuite, l’Union constitutionnelle (UC) fût créée à quelques mois des législatives de 1984 pour mettre fin à l’irritante domination du RNI – mission accomplie puisque ce parti, dirigé par un ancien syndicaliste et militant de l’UNFP, Maati Bouabid, qui fût le premier « maire » élu de Casablanca en 1960, devint le premier parti du Maroc selon les résultats fabriqués par le ministère de l’intérieur.

Toutes ces formations makhzéniennes ont connu leur lot de dissensions, de luttes internes (parfois à coup de barres de fer ou de chéquier), et ont parfois dû affronter l’inimitié personnelle d’autres membres du makhzen, non pas pour d’hypothétiques raisons idéologiques mais simplement par rivalité, jalousie et probablement la volonté d’affaiblir autant que possible la scène partisane, y compris celle inconditionnellement acquise au Palais.

Encore une fois, tentons de comprendre la logique du Palais: un seul parti pro-Palais, comme le PND en Egypte ou le RCD en Tunisie, ferait courir le risque hypothétique de voir son leader demander plus de pouvoir pour ses parlementaires vis-à-vis du gouvernement, désigné par le Roi. Un interlocuteur unique à la tête d’un seul parti pro-makhzénien, et parlant pour le courant makzénien sur la scène politique, risquerait de faire évoluer le régime vers un régime parlementaire. Et je fais là l’impasse sur la nature profonde et historique du makhzen, qui aime à se poser en arbitre entre factions, régions et tribus rivales ou ennemies, et qui n’apprécie rien tant que de faire sentir à ses vassaux qu’ils ne doivent jamais oublier à qui ils doivent leurs prérogatives et faveurs.

S’étonner dès lors que le PAM d’El Himma a connu des défections, des échecs électoraux et même un conflit avec le ministère de l’intérieur c’est oublier l’histoire politique du Maroc depuis l’indépendance. Ces conflits internes au sein même du makhzen sont récurrents et normaux – il suffit de se rappeler les relations entre Mounir Majidi et Fouad Ali el Himma par exemple. Et si on compare Fouad Ali el Himma et son PAM, on peut se demander s’il est plus proche de Mohammed VI qu’Ahmed Reda Guédira du FDIC ne le fut de Hassan II. La situation actuelle n’est donc hélas pas une exception, par lequel le makhzen s’immiscerait dans le jeu politique, mais plutôt la continuation de cette immixtion – ce n’est pas une rupture, mais une continuité.  Mahjoubi Aherdane le reconnaît:

Dans le passé, vous vous étiez rallié au FDIC (Le Front de défense des institutions constitutionnelles). Est-ce que l’Histoire se répète ?
L’exemple du FDIC est justement là. Il est vrai que ce qui se passe aujourd’hui avec El Himma n’est pas nouveau. Nous l’avons déjà vécu quatre ou cinq fois…

Certains seraient peut-être tentés d’invoquer la controverse publique avec le ministère de l’intérieur comme signe de nouveauté dans la gestion makhzénienne de la scène politique marocaine. Rappelons les faits: fondé, comme la plupart des nouveaux partis administratifs, sur la transhumance, le PAM recrute à tout va et de tous horizons: outre les élus d’autres partis administratifs notamment du MP et de l’UC– et les notables, le PAM est parvenu à recruter un ancien élu local oujdi du PJD, Khalid Zohir (bien qu’El Himma se présente comme l’adversaire déclaré des islamistes). Le secrétaire-général du PAM, Hassan Benaddi, présente joliment les choses, même s’il reconnaît implicitement avoir attiré des opportunistes:

Nous nous étions dit que, malgré tous les reproches que l’on peut faire au champ partisan marocain, il s’y trouve des potentialités et des compétences dont il faudrait tenir compte. Nous avons donc fait une offre politique à un certain nombre de partis dont les élus s’étaient engagés dans une dynamique de dépassement de leur formation en acceptant de travailler dans le cadre du groupe parlementaire Authenticité et modernité

De fait, en préparation des élections communales du 12 juin, le PAM a présenté de nombreux « élus engagés dans une dynamique de dépassement de leur formation« , faisant ce qu’un observateur qu’on ne saurait qualifier d’anti-makhzénien forcéné a qualifié de « racolage tout-terrain« . Tout récemment, son président de façade, Mohamed Cheikh Biadillah, avait été obligé de reconnaître que l’afflux était tel qu’une commission spéciale, dirigée par l’ex-militante des droits de l’homme Khadija Rouissi, avait été instituée pour filtrer les cas trop compromettants:

Est-ce sur la base de cette même stratégie que vous attirez des présidents de communes ayant d’autres couleurs politiques ?

Ce ne sont pas nous qui les avons attirés.

Vous avez introduit chez vous des «pervertis des élections» ?

Nous n’avons intégré aucun perverti. D’ailleurs, nous n’avons aucun tribunal qui juge les intentions. S’il vous plaît, pas d’inquisitions.

Quel est le rôle de la commission qui a décidé de l’intégration au parti de telles personnes ?

La commission de l’éthique qui décide de cela est présidée par une femme remarquable, Khadija Rouissi. Elle est du MTD et elle ne fait pas partie du bureau national du PAM. Vous allez voir comment elle va procéder avec les candidats dans les prochains jours.

Lors de la constitution du PAM, vous aviez dit que vous ne voulez pas vider les autres partis de leurs militants et que vous vous adressez à une autre cible. Vous aviez avancé qui vous souhaitez être un plus sur la scène politique. Mais l’on constate que vous attirez des acteurs qui se trouvaient dans d’autres organisations politiques. Alors quel est le plus avec lequel vous êtes venu ?

En ce qui concerne la problématique de l’entrée de militants au PAM et ce qui est qualifié de piocher de quelques partis politiques et syndicats, cela n’est pas de notre faute. Nous ne sommes pas responsables si nous avons une force magnétique qui attire. Il faut poser la question à ces gens et leur demander pourquoi ils ont quitté leurs structures. Nous, nous accueillons ces grandes potentialités comme docteur Boudrar… Par ailleurs, je ne vois pas de partis qui n’ont pas accueilli un parlementaire venu d’une autre structure. Mais nous sommes les seuls qu’on bombarde de questions à ce sujet. Nous avons un discours et il s’adresse toujours aux huit millions qui n’ont pas participé aux élections. On ne peut pas mettre un mur et empêcher les gens de venir chez nous.

Ne courez-vous pas le risque d’ingurgiter en tant que parti des produits toxiques ?

Pour l’instant, nous avons de réels soucis pour gérer la réussite du parti et non pas l’échec. Je pense que cette réponse est suffisante.

Rebondissement dans ce racolage tout-terrain (58 parlementaires élus sous les couleurs d’autres partis seraient candidats du PAM aux communales) qui a finalement permis au PAM de présenter le plus grand nombre de candidatures aux communales: le ministère de l’intérieur, qui est malheureusement en charge de l’organisation des opérations électorales au Maroc, avait rejeté une candidature d’un parlementaire marrakchi passé au PAM, Ismaïl Barhoumi, ex-FFD. La base juridique invoquée était l’article 5 de la loi n° 36-04 relative aux partis politiques, qui dispose ce qui suit:

Toutefois, le titulaire d’un mandat électoral en cours au sein de l’une des deux chambres du Parlement, élu sur accréditation d’un parti politique en activité, ne peut adhérer à un autre parti politique qu’au terme de son mandat ou à la date du décret fixant, selon le cas, la date des élections législatives générales pour la Chambre des représentants ou la Chambre des conseillers en ce qui concerne les membres du Parlement habilités à se porter candidats à ces élections.

Le problème de l’imprécision des textes juridiques marocains est posé ici – contrairement à ce qu’a pu déclarer le parlementaire et professeur de droit Mohamed Ansari, le texte n’est pas rédigé de manière claire: la loi n° 36-04 ne définit pas le terme adhésion, qui devrait dès lors être entendu dans son sens commun, à savoir acte de rejoindre formellement par l’accomplissement de formalités une association ou un groupement juridique et d’endosser des devoirs et des droits rattachés à ce statut d’adhérent. Une interprétation littérale de cet article, qui tiendrait également compte de ce que l’article 5 alinéa 2 énonce une exception au principe général de liberté d’adhésion posé à l’alinéa 1 du même article, pourrait amener à considérer que la candidature à un mandat local d’un parlementaire élu sous l’étiquette d’un autre parti ne constitue pas formellement une adhésion à un autre parti, prohibée par ce texte. Cette imprécision de la loi n° 36-04 n’est peut-être pas tout à fait fortuite, si on veut bien constater que la transhumance s’est poursuivie à son rythmee effréné depuis les législatives de 2007 – “l’un des grands mérites de la loi sur les partis était justement de mettre fin à cette transhumance, qui fait beaucoup de mal aux petites formations. Or, trois années après son entrée en vigueur, le phénomène ne fait que s’amplifier« , comme le dit le président du FFD, Thami el Khyari.

En sens opposé, on pourrait invoquer l’esprit du texte: la loi n° 36-04 vise à mettre au fin au phénomène de la transhumance parlementaire, et àa ssurer la sincérité du scrutin et le respect du mandat électoral confié aux élus par les électeurs. Le terme adhésion devrait dans ce cas être interprété de manière à poursuivre cet objectif, et devrait amener à interpréter une candidature à un mandat électoral – acte qui exprime un engagement plus fort que la simple adhésion à un autre parti – comme étant recouvert par le terme adhésion. C’est là l’interprétation du Secrétariat général du gouvernement, qui a estimé que l’article 5 alinéa 2 empêchait un député de changer de couleur politique au cours de son mandat parlementaire: « le Secrétariat général du gouvernement, saisi par le ministère de l’intérieur en vue d’une interprétation de la causalité entre élections communales et application de l’article 5, donne un avis sans ambages : l’article en question est clair. Un parlementaire ne pouvant changer de couleur politique au cours de son mandat, il ne peut se présenter aux communales sous l’étiquette d’un autre parti car il aurait de facto changé d’appartenance politique« .

A titre personnel, et sur le seul plan de l’interprétation des textes juridiques, la première approche me paraît la plus convaincante. Mais l’interprétation contraire n’est pas déraisonnable ou dénuée de tout fondement – et politiquement elle est de très loin la plus judicieuse. C’est donc cette dernière interprétation qui a été retenue par le ministère de l’intérieur. Le PAM s’en est violemment offusqué, estimant que « nul n’a le droit de faire une interprétation personnelle des dispositions de l’article 5 de la loi relative aux partis politiques« . Son argumentation juridique telle que rendue publique a été particulièrement maladroite: au lieu de se fonder sur l’interprétation littérale de la loi, Mohamed Cheikh Biadillah, son nouveau secrétaire général, a invoqué l’article 3 de la Constitution, qui n’énonce cependant aucun principe directement applicable au cas présent puisqu’il n’évoque pas la liberté de candidature aux élections.

Il faut croire que l’argumentation développée par les avocats du PAM a été plus convaincante. Après avoir intenté un recours en annulation contre la décision de refus du ministère de l’intérieur d’accepter la candidature du parlementaire transfuge Ismaïl Barhoumi et de quelques autres candidats, les tribunaux administratifs de Rabat et Tanger leur ont donné raison, se fondant sur une lecture stricte des articles 5, 41 et 46 du Code électoral, qui n’énumèrent pas la transhumance parmi les causes de refus d’inscription sur les listes électorales ou de candidature. Dès lors, judiciairement, les seules sanctions contre les parlementaires transhumants seraient les poursuites pénales prévues dans la loi n° 36-04 – soit des peinees d’amendes de 20.000 à 100.000 auxquelles il faudrait ajouter l’inégilibilité. 

Deux interprétations politiques sont possibles: soit la controverse avec le ministère de l’intérieur est un leurre, pour donner l’impression d’une indépendance du ministère de l’intérieur et donc du makhzen face au PAM, soit elle est réelle, exprimant un réel conflit entre ces deux acteurs politiques.

Hamid Berrada penche pour le premier cas de figure:

Comment expliquer l’attitude finalement incompréhensible de FAH ? Tout se passe comme si le PAM « parti du roi », accusé d’être un remake des partis de l’administration, cherchait à se donner un semblant de crédibilité en croisant le fer, fût-ce de manière artificielle, avec le gouvernement et singulièrement le ministère de l’Intérieur. Il ne peut qu’en tirer avantage. En cas de victoire le 12 juin, le PAM ne la devrait qu’à lui-même. Et s’il obtient des résultats médiocres, il pourrait se présenter comme une victime et récriminer le gouvernement. Le calcul est clair. Mais en quoi de tels jeux politiciens sont-ils en harmonie avec les valeurs d’« authenticité » et de « modernité » dont se réclame l’« ami du roi » ?

Je pencherai pour la deuxième explication, même si on ne peut exclure une combinaison des deux. Cela signifie simplement que la rivalité endémique au système makhzénien entre ses différents acteurs se déroule cette fois en public au lieu de n’être répercutée qu’à travers les échos des salons rbatis, et ne signifie en rien que le ministère de l’intérieur serait désormais devenu respectueux de la loi – pour s’en convaincre il suffit de relever que des militants de Nahj adimoqrati – dont son SG Abdallah Harif – ont été arrêtés par la police hier simplement pour avoir dait campagne pour le boycott des élections. Le mélodrame autour du passage du PAM au sein de l’opposition parlementaire, et du coup de fil du Roi à Abbas el Fassi, est tout simplement ridicule: pour rappel, l’UC et le PND, partis administratifs, furent dans l’opposition sous le gouvernement Jettou, soit de 2002 à 2007, sans que leur docilité à l’égard du Palais ne faiblisse un seul instant.

Le jeu tactique du PAM et de ses rivaux au sein de makhzen est certes divertissant: que va faire El Himma? Quel avenir pour El Himma? Quelle est la stratégie inavouée d’El Himma? Quel est l’agenda politique d’El Himma? Le PAM survivra-t-il à ses malaises? Le PAM peut-il maintenir sa cohésion? El Himma, le dos au mur. Y a-t-il une vie après le PAM ? Vers le grand pôle libéral? PAM-RNI, une majorité dans la majorité?

Il est épicé par les spectaculaires accusations publiques d’Abdallah Kadiri, qui reproche à El Himma d’être un pur produit du makhzen, d’avoir un bureau au ministère de l’intérieur (cette déclaration date de février 2009, je doute que Kadiri maintienne son accusation aujourd’hui) et d’être l’envoyé du Roi (je rappelle aux étourdis que Kadiri est un ex-commandant des FAR et qu’on ne lui connaît aucune autre ligne idéologique que le chèque en blanc au Palais – « à ma connaissance, Mohammed VI n’a pas d’amis. Il n’a que des sujets, dont je fais d’ailleurs partie« ) – El Himma répliquant par un procès en diffamation qu’il a finalement remporté tout récemment, du moins en première instance (20.000 dirhams d’amende et 800.000 dirhams de dommages-intérêts pour El Himma, qui en avait réclamé 5 millions…). De ce procès on pourra conclure qu’être accusé d’être le produit du makhzen, l’envoyé du Roi et d’avoir un bureau au ministère de l’intérieur porte atteinte à l’honneur…

De fait, s’il faut vraiment déterminer une date récente ayant véritablement marqué un tournant dans la mainmise du makhzen sur la scène politique marocaine, ce ne sera donc pas le 7 août 2007, date de la démission de Fouad Ali el Himma du son poste ministériel et du lancement de son entreprise partisane, mais plutôt le 23 décembre 2008, date de l’asservissement définitif de l’USFP, principale formation de gauche (si ce mot a encore un sens).

Bref rappel: suite aux calamiteuses élections législatives de 2007 sanctionnant neuf années de participation gouvernementale de l’USFP, son premier secrétaire, Mohammed Lyazghi, avait été contraint de passer le relais en 2008. Lors de la campagne interne avant et pendant le 8eme congrès de l’USFP, Abdelouahed Radi – ministre de la justice, fils de notable, gros propriétaire foncier dans son fief de Sidi Slimane, élu à la Chambre des représentants depuis 1963, « souvent qualifié d’« homme du Palais » » et « redoutable professionnel du pragmatisme politique » – avait posé sa candidature en promettant de démissionner de son poste ministériel s’il était élu à la tête du parti. Après des tractations et des marchandages dignes d’un souk à bestiaux, il fut élu par les congressistes usfpéistes, devançant de peu Fathallah Oualalou, autre poids lourd du parti.

Qu’advint-il de sa démission promise aux militants? Babouches aux pieds et tarbouche au front, Abdelouahed Radi se rendit à une audience royale où le Roi fît savoir qu’il avait toujours besoin de lui pour réformer la justice (ne rigolez pas, il paraît que nous en avons une – de justice, je veux dire), et comme les souhaits du Roi sont les ordres de ses sujets, Radi dût se résigner – dans la douleur qu’on peut imaginer – à conserver le portefeuille de la justice, sans songer un instant à démissionner de son poste de premier secrétaire obtenu sur la base d’une promesse non tenue. D’autant que sa victoire fût remportée contre notamment le trublion Driss Lachgar, qui avait fait campagne sur un programmme de réformes constitutionnelles, de retour dans l’opposition et d’alliance avec le PJD

Il faut dire que Radi n’avait pas pris de risques, consultant le Roi tant avant sa candidature à la tête du parti qu’après sa victoire:

Radi est un homme qui n’agit jamais sans avoir consulté. Il l’a fait avant d’annoncer sa disposition à quitter le gouvernement et il aurait fait de même avant sa toute dernière sortie”, précise un jeune cadre du parti, membre du conseil national. En contrepartie, Abdelouahed Radi et Mohamed Elyazghi auraient assuré en “haut lieu” qu’il ne serait nullement question d’un retrait du gouvernement pour un retour à l’opposition.

Au passage, on apprend que Radi aura eu la délicatesse de respecter les usages établis afin de préserver la délicatesse royale:

Pourtant, il y a quelques semaines, l’on apprenait que le député du Gharb aurait transmis, à travers une tierce personne, un message oral au cabinet royal, “les coutumes du système politique marocain empêchant un ministre d’adresser une demande écrite dans ce sens”, demandant à être déchargé de ses fonctions ministérielles à la tête du département de la Justice.

Le Roi félicita les congressistes de l’USFP pour leur sagacité dans le choix de leur leader:

Un communiqué du Cabinet royal indique que lors de cette audience, SM le Roi, que Dieu l’Assiste, a renouvelé ses félicitations à M. Abdelwahed Radi pour la confiance placée en lui par les militants de l’USFP pour son élection.

SM le Roi a chargé M. Abdelwahed Radi de transmettre la bienveillance et les félicitations du Souverain aux membres du bureau politique et à l’ensemble des militants et militantes de l’USFP, dont le dévouement et le sens de patriotisme ont permis le succès du 8ème congrès de ce parti national respectable, note le communiqué.

La réaction de l’USFP fût à la hauteur de l’événement:

Le Bureau politique de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) a enregistré avec fierté la décision Royale de confier à M. Abdelouahed Radi, la mission de réformer la justice.

Dans une « déclaration » publiée vendredi par la presse du parti, au lendemain de sa réunion hebdomadaire tenue mercredi, le BP a exprimé « sa profonde gratitude à Sa Majesté le Roi pour la haute sollicitude témoignée par le Souverain à l’égard des travaux du congrès et pour Son appréciation du rôle joué par l’Union socialiste dans l’édification de l’Etat démocratique et moderne« .

Même le très peu contestataire Hamid Berrada dût constater dans Jeune Afrique, dans un article intitulé « Le Roi…  de la gauche« :

En dépit de tous les progrès accomplis sur le chemin de la démocratie, il incombe de fait au roi de désigner, en dernier ressort, le chef de la gauche. On est loin de la monarchie parlementaire et plutôt dans ce que Mohamed Tozy appelle une « monarchie constitutionnelle de droit ­divin ».

Le parti de Mehdi Ben Barka, d’Omar Benjelloun et d’Abderrahim Bouabid, désormais un parti administratif de même ordre que le RNI, l’UC ou le MP – voilà la vraie rupture, hélas.

Lectures conseillées:

«Le parti d’El Himma a attiré tout ce qu’il y a d’opportuniste dans l’espace public», entretien du Journal hebdomadaire avec Fouad Abdelmoumni, ancien détenu politique et ex-vice président de l’AMDH

– « ELECTIONS COMMUNALES: Les partis politiques se battent à coups de notables« , de L’Observateur.ma

– « Moroccan Elections Unlikely to Upset Status Quo« , de Dana Moss du think tank néo-con WINEP, via alle sur Maghreb Political Review

– « Electoral reform with public relations value« , de Geoffrey Weichselbaum & Michael Meyer-Resende du Carnegie Arab Reform Bulletin, via alle sur Maghreb Political Review

– « Représenter et mobiliser dans l’élection législative au Maroc« , par Mounia Bennani Chraïbi (2005)

– « Les élections communales marocaines du 29 mai 1960« , par Paul Chambergeat, Revue française de science politique (1961)

– « Analyse diachronique du phenomene partisan marocain 1925-2006 » d’Inan Abassi (2006), mémoire de licence en sciences politiques présenté à l’Université Sidi Mohamed Benabdellah de Fès.

– « Maghreb: vaincre la peur de la démocratie » de Luis Martinez, Cahier de Chaillot n°115, Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, avril 2009

– du même Luis Martinez, une étude datant des dernières élections législatives (2007), « 2007 : les enjeux des élections législatives en Algérie et au Maroc« , dont on peut citer le passager suivant:

Au Maroc, la monarchie de Mohamed VI a le mérite, dans une région caractérisée par la peur de la démocratie, de mettre en place les conditions d’une transition. Certes, il reste beaucoup à faire : séparation des pouvoirs, réforme de la justice, lutte contre la corruption, liberté de la presse, etc. Mais au regard de l’autoritarisme tunisien ou libyen, le Maroc ouvre un chemin qui place la question démocratique au cœur du changement. La lutte contre la corruption et les inégalités sociales, la mise en pratique de réformes économiques nécessitent un large soutien populaire pour être menées à bien. Le Maroc est à même de devenir le modèle de transition démocratique tant recherché dans la région. Mais, pour cela, la monarchie se doit de revitaliser les institutions politiques, seules susceptibles de remobiliser des électeurs et de garantir la pérennité de la transition. Pour l’instant, la monarchie ne doit pas seulement démontrer son habilité à organiser des élections, elle doit démontrer sa capacité à se démocratiser.

16 Réponses

  1. S’il m’arrive d’être irrité par certaines de tes prises de positions, je dois avouer le plaisir que j’ai eu à lire ce post.

  2. Si avec tout ça on ne se fait pas une idée !

  3. Billet très bien fourni pour connaître et comprendre de A à Z le fonctionnement de la démocratie makhzénienne, qui pourrait s’intituler ainsi si s’était un manuel scolaire ou universitaire  » « Précis de base pour comprendre la démocratie makhzénienne » » autrefois hassanienne !

  4. Enfin, tu redeviens le IK d’autrefois ! Franchement, ça nous change des billets (tel celui sur le maire de Marrakech) semblables à des articles de presse jaune.

    Je partage effectivement ton idée principale : Toutes ces gesticulations du PAM et des partis pro-makhzéniens ne sont rien devant la makhzénisation maintenant achevée de l’USFP, ce bastion de la lutte pour la démocratie. La gauche est bien morte, et je ne vois pas comment elle pourrait renaitre…

    Sinon, ce billet est effectivement un résumé analytique de la situation des partis au Maroc. Ça mérite d’être lu par tout le monde !

  5. Bravo pour la qualité de cet article !

    Quand on n’a pas la mémoire courte on ne peut que se résigner à ne pas aller voter.
    Les 40 premières années après l’indépendance on savait où les élections se jouaient réellement…
    Actuellement, le jeu est plus subtil (le découpage électoral entre autres). Mais, le résultat est le même.

    Pour l’USFP, 2008 est peut être la date qui acte clairement la décridébilisation de ce parti. Mais, la rupture remonte à avant 2008. La dégringolade de l’USFP et autres partis de gauche après l’euphorie (je m’en souviens) qui a suivi leur arrivée au gouvernement surtout lors des législatives de 2007 s’explique par cette ruputure avec leurs bases. Les grandes personnalités de ce parti après 10 ans au pouvoir donnaient le même sepctacle d’impuissance et d’oppourtunisme que les autres politiques qui les ont précédés. Aller jusqu’à souhaiter un rapprochement avec le PJD c’est dire…

    Pour moi l’expérience de l’USFP au pouvoir revient à cette question simple et complexe à la fois : faut-il se mouiller dans le champ politique marocain sachant que le terrain laissé aux partis et au jeu politiques est très réduit ?
    Quand on répond non. Comment faire alors pour le changer si on s’y aventure pas (révolution mise à part) ?

  6. @ une marocaine : Parfaitement d’accord avec ta dernière question. C’est l’alternative à 2 sous qui nous est proposée : participer en figurants ou s’en aller fomenter une improbable révolution. Cela dit, je crois sincerement que participer avec ces règles du jeu, c’est se compromettre. Alors la révolution ?
    Non ! Le rapport de force, la castagne, la baston,  » ne nous interdisons aucun moyen, même légal, de prendre le pouvoir »… Il faut conquerir les masses (oulalala je me sens tout rouge).
    Et tout ça n’est pas la révolution. C’est une inquiétude, puis la frayeur du chambardement. Si avec ça la menace est plus rouge que verte, elle m’est encore plus sympathique….

  7. t’es sûr que bouazza ikken était syndicaliste USFP?

  8. Mohamed Najib: Aïe, méga-boulette, j’ai confondu l’ex-procureur du Roi Bouazza Ikken avec l’ex-député USFP et syndicaliste CDT/CGT Akka Ghazi, élu USFP lors des législatives de 1984 comme représentant des MRE de France.

  9. […] en flagran…La Gazette du Maroc … sur Un blog sur le Maroc juifMohamed Najib sur Le PAM, les éléctions et l…Younes B sur Le PAM, les éléctions et l…7didane sur Annahj dimoqrati, parti […]

  10. @Younes B,
    Pour moi aussi dans l’état actuel des choses se mouiller en politique revient à accepter la non maitrise de ce qu’on fait (ce qui revient à un rôle d’exécutant). N’envisageons même pas la possibilité de ce qu’on veut faire…
    Celui ou celle qui trouvera la réponse à la deuxième question changera la donne. D’ici là dans le fond « tabe9a daro lo9mane 3ala 7aliha ».

  11. […] gargantuan ibn Kafka post on the PAM kerfuffle in its proper historical & legal context, here. Possibly related posts: (automatically generated)More on the Moroccan local electionsMoroccan […]

  12. […] Ibn Kafka [Fr] prolifically circumstantiates the creation of the -now almost certainly- victorious P.A.M. party. He describes how quickly the group became prominent, attracting… … notables, politiques et célébrités des ONG comme le fumier attire les mouches. … notables, politicians, celebrities involved with NGOs, like manure attracts flies. […]

  13. […] Ibn Kafka [fr] explica em detalhes a criação do partido P.A.M. – que tem agora a vitória quase certa. Ele descreve como o grupo cresceu rapidamente, atraindo… … notables, politiques et célébrités des ONG comme le fumier attire les mouches. … notáveis, políticos, celebridades envolvidas com ONGs, como estrume atrái moscas. […]

  14. Bien..
    Un question: Tu faisais quoi dans la fameuse zerda de Kadiri ? C’était poulet ou bastila+mechoui ?
    Au moins, t’aurais pu m’inviter…

  15. lhajcauchy: c’était pas LA zerda de Kadiri, c’était une zerda qu’il a honoré de sa présence, d’un représentant Al Ahd (le PND en est très proche). Comment je me suis retrouvé à une zerda d’un député d’Al ahd? Via son neveu, un ami à moi, qui avait dirigé sa campagne électorale. Il faudrait que j’en fasse un billet.

  16. merci d’avoir conseiller mon memoire!
    j’espere que vous avez eu le plaisir de lire ce modeste travail.

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